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29 septembre 2015 2 29 /09 /septembre /2015 08:41

       Le terrorisme apparait si multiforme qu'il n'est pas étonnant de voir dans la littérature spécialisée ou dans la presse grand public des définitions diverses qui dirigent la réflexion dans des directions différentes.

    La discussion vive autour d'articles présents sur le Net, comme celle pour le mot terrorisme dans Wikipedia, témoigne de la vivacité des contradictions sur la question. Si pour l'instant l'article en question définit le terrorisme comme "l'emploi de la terreur à des fins politiques, religieuses, idéologiques ou crapuleuses" (ce qui ratisse suffisamment large), il insiste ensuite à bon droit sur de multiples définitions (Alex SCHMIDT et Berto JONGMAN en 1988 dans leur livre en listent 109) qui selon les cas se focalisent sur l'usage d'une certaine violence, les techniques utilisées, la nature du sujet, l'usage de la peur, le niveau d'organisation, l'idéologie, l'identité des victime... Écrire ensuite que le terrorisme dresse contre lui les populations est peut être un peu vague : certains attentats, comme celui du 11 septembre 2001 à New York suscitèrent plutôt l'enthousiasme de certaines populations arabes. La suite nous parait plus juste, car rattachée au concret : "Un grand nombre d'organisations politiques et criminelles ont cependant recouru au terrorisme pour faire avancer leur cause ou en retirer des profits. Des partis de gauche comme de droite, des groupes nationalistes, religieux ou révolutionnaires, voire des États, ont commis des actes de terrorisme. Une constante du terrorisme est l'usage indiscriminé de la violence meurtrière à l'égard des civils dans le but de promouvoir un groupe, une cause ou un individu, ou encore de pratiquer l'extorsion à large échelle (mafias, cartels de la drogue, etc.)." Le principal défaut de cette définition réside dans l'exclusion des États comme acteurs principaux du terrorisme. Tout de même, une large partie du XXe siècle a été dominé stratégiquement et géopolitiquement par l'équilibre de la terreur nucléaire.

C'est pourquoi sans doute faut-il préférer la définition de Pierre DABEZIES, même si elle parait longue.

"La terreur est un état, une peur exacerbée, mais, depuis la Révolution française, c'est aussi un régime politique, voire un procédé de gouvernement, permettant au pouvoir en place de briser, à force de mesures extrêmes et d'effroi collectif, ceux qui lui résistent. Le terrorisme, quant à lui, s'il est d'abord action, n'en recouvre pas moins une notion voisine puisque, dépassant souvent le stade de l'initiative ponctuelle pour devenir une véritable stratégie, il postule l'emploi systématique de la violence, pour impressionner soit des individus afin d'en tirer profit, soit, plus généralement, des populations, soumises alors, dans un but politique, à un climat d'insécurité. Dans l'un et l'autre cas, il a pour caractéristique majeure de rechercher un impact psychologique, hors de proportion (référence directe à Raymond ARON dans Paix et guerre entre les nations) avec les effets physiques produits et les moyens utilisés."

 

Les acteurs du terrorisme...

    Ce lien n'écarte pas, cependant, les ambiguïtés. Car, si l'on a pu dire longtemps que la terreur, arme des forts, venait de l'État, à l'inverse du terrorisme, arme des faibles, dressée, le cas échéant, contre lui sous forme clandestine, ce n'est pas aussi clair aujourd'hui : pour arriver à leurs fins, certains gouvernants usent contre leurs concitoyens de violence occulte tandis que, sur la scène internationale, apparait de plus en plus un terrorisme étatique, nouvelle sorte d'approche coercitive indirecte. De plus, comme s'attache au terrorisme une consonance péjorative, ses protagonistes tendent à rejeter la faute originelle sur leurs ennemis : le terrorisme, c'est la violence des autres. C'est donc l'État centralisateur, injuste, capitaliste ou oppresseur que désignent comme responsable de leurs agissements subversifs, comme le véritable terrorisme, les indépendantistes et révolutionnaire de tout genre, quand bien même la violence qu'ils stigmatisent ne serait, bien souvent, que symbolique.

Laisser finalement de côté l'expression trop vague de terreur pour parler plutôt, parallèlement au terrorisme d'opposition classique, de terrorisme d'État, qu'il soit interne ou externe, n'est, il est vrai, qu'un premier pas sur un chemin pavé d'équivoques. Car le phénomène est tellement multiforme, variable dans le temps et l'espace, divers selon ses tenants et ses aboutissants, individuel et collectif, aveugle et sélectif, criminel et idéaliste, révolutionnaire et réactionnaire, qu'aucune définition ne permet véritablement de le circonscrire. La "relation terroriste" (terme forgé par l'Institut de Polémologie) est d'une complexité telle qu'on ne sait où commencer : les "actes", leur nombre et leur niveau de violence ; les "acteurs", individus et groupes, organisations militantes, rivales ou écran ; le terroriste lui-même allant du moine soldat au criminel de bas étage, en passant par toutes les nuances du romantisme, du délire logique, de l'idéologie débridée, voire de la déviance psychologique et de l'instabilité ; sans oublier les manipulateurs politiques lointains, "officiers-traitants" qui y croient, et agents spécialisés sans foi ni loi."

On pourrait y ajouter les acteurs de la réaction au terrorisme, souvent intéressés à dépasser l'objectif affiché pour leur propre compte...

"Encore peut-on aussi bien partir des mobiles et des objectifs, opposer le point de vue des auteurs et celui des victimes, analyser, selon le contexte, la fonction dévolue aux tiers, insister sur la structure spécifique de la société qui conditionne partiellement le phénomène, enfin considérer, avec Didier Bigo et Daniel Hermant (Conflits et violence politique dans le monde au tournant des années quatre-vingt dix, Institut de stratégie comparée, 1991), la théâtralisation de la violence via les médias ou le mimétisme qui relie terroristes et policiers."

Pierre DABEZIES reprend la même présentation, plus ramassée, dans le Dictionnaire de la stratégie. Il y fait cette distinction entre terreur (plutôt étatique) et terrorisme (plutôt anti-étatique ou contre un État). Plus multiforme, le terrorisme - terrorismes en fait - relève de motivations et de moyens très divers, et se prête à toutes les présentations issues des médias ou des services des États, quitte à mettre dans le même sac des actions individuelles se réclamant d'idéaux et stratégies de groupes bien identifiés. Mais en fait, les acteurs stratégiques utilisant le terrorisme applique des méthodes vieilles comme le monde : faire peur, semer la panique, tuer peu mais montrer énormément. Ce qui est recherché alors, c'est bien l'impact psychologique maximum hors de proportion avec l'action elle-même. C'est pourquoi, les médias dans le monde moderne (jouant le même rôle que les tambours des villages ou les théâtres antiques ou médiévaux...) jouent un rôle majeur dans le développement du terrorisme, dans son impact et dans son exemplarité. Mais à trop utiliser la violence extrême, cet impact et cette exemplarité finit par s'émousser, mais là on dépasse déjà la définition pour entrer dans la psycho-sociologie du terrorisme.

Gilles FERRAGU, dans son Histoire du terrorisme indique que "comme objet scientifique, le terrorisme pose une infinie de problèmes. Car, malgré la profondeur de leurs analyses, juristes, politologues et journalistes (l'auteur parle bien entendu de cette catégorie, qui se rétrécit comme une peau de chagrin, du journalisme d'investigation...) aboutissent à un constat sans appel : la difficulté, voire l'impossibilité de donner au phénomène, protéiforme, une définition structurante et consensuelle. le terme est connoté et ses contours demeurent flous, à l'image de cette "guerre contre le terrorisme" prônée naguère, et dont les difficultés - à la fois sémantiques, juridiques et stratégiques - sont désormais manifestes. (...) On remarquera par ailleurs que les diverses "sciences" qui s'intéressent au terrorisme (principalement le droit et la science politique) suivent une démarche instrumentale, que ce soit dans un cadre pénal ou une approche préventive/réactive. La réflexion pâtit de toute évidence de la charge émotionnelle que le terme charrie : le terroriste d'hier peut être le résistant d'aujourd'hui, et la célèbre formule - "Liberté, que de crimes on commet en ton nom" - prononcée par Mme Roland montant sur l'échafaud le 8 novembre 1793 conserve une troublante actualité."

 

Une abondance de définitions qui cache peut-être une impossibilité de définition...

Il y a donc abondance  de définition. Les États s'en remettent à leur propres critères et les efforts des organisations internationales, comme la Société des Nations et l'Organisation des Nations Unies pour donner un sens légal et universel au terrorisme n'aboutissent pas à la cohérence générale recherchée. Les conventions sur le terrorisme se perdent dans les stratégies diplomatiques d'acteurs aux tendances divergentes.

Jean-François GAYRAUD et David SÉNAT estiment eux aussi une définition du terrorisme impossible. S'y lançant tout de même, ils distinguent un terrorisme "ancien" d'un terrorisme "moderne" (des Temps Modernes), (dont des terrorismes de la guerre froide, instrumentalisés ou/et dirigés par des Etats, dans le cadre de stratégies indirectes), des terrorismes du chaos mondial, criminalisés donc hybrides, banalisés, donc démocratisés, irrationnels, donc massifs, directs, donc brutaux. La difficulté d'une définition du terrorisme réside dans son caractère fort d'enjeu : enjeu politique et diplomatique, enjeu juridique, enjeux bureaucratiques, enjeu statistique... "Aucune définition, écrivent-ils, consensuelle du terrorisme ne peut émerger. La raison en est aussi simple que trop souvent ignorée : il y a au coeur du concept de terrorisme une antinomie et une ambivalence essentielles. En effet, ce mot désigne à la fois un ensemble de pratiques et ce que l'on qualifie comme tel, une technique de combat et une étiquette. Parle-t-on d'une "organisation pratiquant le terrorisme" ou d'une "organisation terroriste"?  Car le même concept peut tout à la fois servir à décrire un adversaire ou un procédé. Cette polysémie provoque des incompréhensions et des malentendus permanents (...). Le terme est donc profondément passionnel et polémique : sa neutralisation apparait illusoire". Pour tenter d'y voir plus clair tout de même, ils proposent des classifications fondées sur les origines (étatique, international?), sur les buts (révolutionnaire ou idéologique, nationaliste ou séparatiste, eschatologique, animalier ou écologique), sur les méthodes (terrorisme des isolés, nucléaire, bactériologique et chimique, informatique,)

La raison principale de cette absence de cohérence réside dans le caractère "fourre tout" du terme terrorisme qui recouvre des réalités très différentes qui appellent des analyses différentes.

    Isabelle SOMMIER, maitre de conférences en sciences politiques à l'université Paris I Panthéon Sorbonne, en prend acte. A la recherche d'une impossible définition, elle constate que la définition scientifique "rejoint fréquemment l'opinion commune véhiculée par les dictionnaires ou le point de vue pratique des professionnels de la répression. Au gré de la conjoncture, et par un effet de mode non négligeable, plusieurs pistes ont été successivement privilégiées, qui mettent l'accent sur la fin poursuivie par cette violence, les moyens mobilisés ou les conséquences recherchées. Toutes sont porteuses d'une interprétation particulière mais également dépréciative du phénomène. Suivant que l'on choisisse l'une ou l'autre, une même organisation clandestine sera ou ne sera pas stigmatisée comme "terroriste". En somme, plutôt que d'éclairer le problème, ces définitions ont contribué à l'obscurcir."

Elle cite entre autres sur les travaux de Walter LAQUEUR (Terrorisme, PUF, 1979  ; The Age of terrorism, Boston Mass., Little-Brown, 1987) pour suggérer de définir le terrorisme comme "l'usage d'une violence masquée par un groupe à des fins politiques et dirigée contre un gouvernement, un autre groupe ethnique, des classes ou des partis". Cette définition, jointe à d'autres trouvées dans les dictionnaires courants en France, aboutit souvent à une totale confusion entre terrorisme et violence politique. A les suivre, "relèveraient de la même catégorie attentats, assassinats, enlèvements, mais aussi, pourquoi pas, manifestations dès lors qu'elles dégénèrent. Un parti pris équivalent se retrouve dans la liste établie chaque année par le département d'Etat américain (les Patterns of Global Terrorism) qui recense comme terroristes toutes les entreprises de contestation violente de l'Etat en place. A ce niveau de généralité, la perspective a une forte connotation moral et idéologique ; elle correspond à une condamnation absolue de n'importe quelle forme de rébellion contre l'ordre établi. Du reste, le FBI ne s'embarrasse pas des circonlocutions d'usage : pour lui, le terrorisme n'est rien d'autre qu'un "usage illégal de la force"." On pourrait en dire autant de nombreux organismes d'État de répression dans le monde... 

D'autres chercheurs se sont employés à énumérer les actes qui seraient constitutifs du terrorisme : prise d'otages, détournements d'avions, attentats contre les biens et les personnes. "Ils se fondent notamment sur des données statistiques qui montrent la fréquence écrasante de ce type de méthodes dans les affaires labellisées comme terroristes - à la charnière des années 80-90, bombes et fusillades représentaient entre 65% et 75% de l'ensemble des "incidents terroristes" (Rapport annuel Chronologie of Terrorism, publié à Londres par Intel Information Bureau), sans se préoccuper du caractère tautologique de la démarche. De telles définitions sombrent dans l'excès de formalisme et n'expliquent pas le fait que ces actes peuvent caractériser d'autres types de violences : la prise d'orages accompagne fréquemment un braquage de banque pour couvrir la fuite des cambrioleurs ; le piratage aérien a parfois été utilisé par de simples particuliers pour forcer les portes de l'asile politique dans un pays tiers, voire simplement par confusion mentale. Quant à la catégorie "attentats contre les biens et les personnes" sans précision ni du contexte ni de la victime, est à la base des définitions les plus communes de la violence collective, qu'elle soit sociale, politique ou criminelle. Même l'assassinat d'une personnalité politique a un écho différent selon l'identité de l'auteur, de la victime, mais aussi selon la conjoncture (temps de paix ou situation de guerre, démocratie ou dictature, etc.) (...)"

En fait, ce genre de définitions officielles provient sous doute de conjonctions disparates, entre volonté des organismes de répression de dresser des typologies de "terroristes" ou d'"actes de terrorisme" et recherche de définition des assurances pour l'indemnisation des victimes... Elles n'ont rien de "scientifiques", ne proviennent pas de recherches sociologiques ou socio-politiques. S'il faut rechercher des outils pour comprendre le terrorisme, il vaut mieux abandonner les définitions des dictionnaires et des organismes "spécialisés" et se fier à des recherches du type de celles de Michel WIERVIORKA (Face au terrorisme, Liana Levi, 1995) pour qui le terrorisme est une "forme extrême et décomposée d'anti-mouvement social", une violence qui s'emballe au nom d'un conflit-référence avec lequel l'avant-garde autoproclamée n'entretient qu'une relation superficielle. Il procède d'une logique d'inversion qui amène des individus d'une part à s'identifier à un groupe social mythifié (la classe ouvrière, le peuple palestinien, la cause arabe...), d'autre part à s'y substituer de manière volontariste pour forcer le cours, selon eux nécessaire, de l'histoire par la propagande armée ou la radicalisation du combat."  Mais il néglige sans doute d'autres aspects qui tiennent à l'influence des États et des médias sur l'évolution de la contestation et surtout met la question de la légitimité au coeur de son analyse.

Dans toute analyse du terrorisme, il vaut mieux procéder au "cas par cas, le terme "terrorisme" étant, encore une fois trop polysémique, trop polémique, "dissensuel" et systématiquement pris dans une approche instrumentale, que ce soit de la par de leurs auteurs, des victimes et des organes de répression. On se centre par trop sur les groupes minoritaires faisant usage d'attentats pour faire progresser leur cause et pas suffisamment sur des groupements bien plus importants (États, films multinationales, lobbys divers...) faisant usage d'"armes de terreurs".

 

Gilles FERRAGU, Histoire du terrorisme, Perrin, 2014. Pierre DABEZIES, Dictionnaire de stratégie, PUF, 2000 ; Encyclopedia Universalis, 2014. Terrorisme, Wikipedia, septembre 2015. Jean-François GAYRAUD, David SÉNAT, Le terrorisme, PUF, collection Que sais-je?, 2002). Isabelle SOMMIER, Le terrorisme, Flammarion, collection Dominos, 2000.

STRATEGUS

Complété le 3 octobre 2015. Complété le 26 août 2017. Relu le 21 janvier 2022

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