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3 septembre 2017 7 03 /09 /septembre /2017 08:25

   Daniel CHARLES expose succinctement ce qui lie PLATON et ARISTOTE sur l'esthétique. "Il y a donc chez Platon, par rapport à l'esthétique de la transcendance, plus que l'amorce d'un retour au concret. Ce mouvement, Aristote le parachève dans toute son entreprise, et d'abord en transposant à l'ensemble du réel une analyse propre à l'esthétique : celle des quatre causes. Une statue est faite de marbre (cause matérielle), elle suppose un travail de la part du sculpteur (cause efficiente), ce dernier lui donne une certaine forme (cause formelle) en vue d'une certaine fin (cause finale). De cette description, on peut tirer une esthétique normative : car l'oeuvre montre l'union de la forme et de la fin, elle est et doit rester proportionnée à l'homme, et cela suppose une lutte contre la démesure et l'indéfini, l'aspect informe et fuyant de la matière. Toutefois, il n'y a pas moins de normativité chez Aristote que chez Platon : si ce dernier en appelait à une définition "idéale" du Beau ou au dogmatisme des idées-nombres, l'aristotélisme sera bien, lui aussi, un académisme, en ce qu'il prescrira la soustraction de la forme au Devenir ; si attentif qu'il soit à l'égard du contact de l'artiste avec la réalité physique, avec les individus et les choses, il n'en récuse pas moins le mouvant, en l'enserrant dans le système de la puissance et de l'acte.

D'où une nouvelle approche de la mimesis  : l'oeuvre reproduit la Nature telle qu'elle se manifeste, mais selon une exigence d'ordre et d'universalité logique, à déduire de cette manifestation même, et qui rend, par exemple, la poésie supérieure à l'histoire parce que plus universelle. Aussi la Poétique montre-t-elle dans la catharsis plus qu'une simple thérapeutique : une véritable conciliation rationnelle des passions. Par là, Aristote réinterprété le pythagorisme à la lumière des sophistes : preuve et démonstration doivent s'accorder à la psychagogie, à la fascination passionnelle ; l'hédonisme se trouve alors surmonté, ainsi que tout ce que Platon conservait du sens pythagoricien de la magie. la tragédie témoigne en effet de ce que le plaisir ne découle pas invariablement de la catharsis ; la comédie montre la possibilité d'une reconduction des instincts à l'équilibre, à la symétrie."

  Le retour au concret, qui se signale par le refus de séparer les Formes et les réalités sensibles que faisait PLATON, qui en faisait la solution pour définir le principe d'intelligibilité présent dans les substances concrètes et qui ne permettait pas de rendre compte de la double nécessité de penser la présence de l'intelligible dans la réalité sensible et de faire en sorte que cet intelligible dans la réalité permette de rendre la réalité sensible connaissable, touche également l'esthétique. ARISTOTE conçoit la création littéraire et artistique comme une activité d'artisan obéissant à des règles codifiées et dont la fin est de produire un certain objet. L'art poétique relève des arts productifs. Sa Poétique, déjà courte, ne nous est parvenue que sur une forme écourtée. Il s'attache surtout à la tragédie (d'après ce qui nous est parvenu), représentation d'action, qui possède une certaine hauteur de ton, une certaine ampleur. Elle est représentation "non des caractères humains, mais de l'action et de la vie, du bonheur et du malheur, car le bonheur est une forme d'action". Il y explique les ressorts d'une bonne tragédie (pour parvenir à la catharsis). Il définit la différence fondamentale entre poétique et histoire, qui tient au fait que l'un raconte ce qui est réellement arrivé tandis que la poétique traite de l'univers et parait pour cette raison plus philosophique que l'histoire. 

En tout cas, l'ouvrage intitulé Art rhétorique, plus couramment dénommé Rhétorique est à l'origine d'une tradition d'enseignement et de pratique qui dure jusqu'à l'époque moderne, et cet enseignement est pour beaucoup dans la conception que nous avons des arts et des techniques, et du coup de l'esthétique. Le fait qu'ARISTOTE inventorie constamment tous les savoirs et définit à chaque fois leur spécificité les uns des autres, influe sur notre perception des catégories Beau/Laid, Vrai/Faux, Bien/Mal et sur leur spécifité. C'est par son rapport à la nature qu'ARISTOTE définit le mieux ce que ces catégories ont de spécifiques. 

   

Pierre PELLEGRIN, examinant le vocabulaire d'ARISTOTE, analyse sa conception de l'Art. 

La technè est une forme, écrit-il, de savoir qui "présente plusieurs caractéristiques. D'abord elle n'advient que chez des gens d'expérience, l'expérience étant surtout définie comme le moyen d'échapper au hasard. C'est qu'expérience et technè sont des savoirs véritables, notamment en ce qu'elles sont capables de prévoir leur résultat. L'un des exemples préférés d'Aristote est celui du vrai médecin qui guérit conformément à son pronostic parce qu'il possède une technè, contrairement aux charlatans qui réussissent par chance. C'est d'ailleurs par un exemple médical qu'Aristote, au début de la Métaphysique, illustre le second caractère de la technè, celui d'être à la fois universelle et idéale ou, comme il dit "distincte des sensations communes" : la médecine est une technè en ce qu'elle se révèle apte à constituer des jugements universels comme celui-ci : "tel remède guérit telle maladie affectant tel tempérament". La technè est ainsi capable d'expliquer ses procédures et ses résultats, passés et futurs, et non simplement de constater des connexions dans la nature. Enfin la technè est susceptible d'perte transmise par un enseignement rationnel. Il est manifeste que tous ces caractère sont liés entre eux.

Vers la fin du chapitre inaugural de la Métaphysique, Aristote établit une distinction entre les technai, et brosse une histoire elliptique de leur découverte, dont on peut tirer plusieurs éléments. C'est dans le domaine des "nécessités de la vie", nous dit Aristote, que les arts sont apparus, mais ils ne l'ont pas emporté d'emblée sur l'expérience et la routine par leur efficacité. Il est probable que si les humains avaient été confinés à une logique de l'utile, ils n'auraient jamais adopté, ni peut-être découvert, aucune technè. Mais il se trouve que les hommes sont aussi capables d'admirer ce qui fait précisément le propre, et la grandeur, de la technè, à savoir son caractère scientifique - Aristote parle de "sagesse" -, ce qui les poussa à admirer les découvreurs de technai. Aristote donne ainsi une version philosophique de l'un des sentiments communs des Grecs, qui ont souvent divinisé, ou héroïsé, les inventeurs de technai aussi bien que les fondateurs de cités. Mais cette histoire des découvertes des technai a un sens : les hommes ont d'abord accédé aux arts touchant aux "nécessités de la vie", ensuite à ceux qui visent l'agrément - qui comprennent entre autres ce que nous nommons les "beaux-arts" -, enfin à la suite de ces technai apparaissent les savoir comme les mathématiques qui ne visent ni l'utilité ni le plaisir, mais la seule spéculation intellectuelle désintéressée et qu'Aristote appelle des "sciences" (épistèmai). Dans l'analyse aristotélicienne, donc, la technè est le moyen - ou l'un des moyens - de l'auto-déploiement de la nature rationnelle de l'humanité.

L'opposition philosophiquement la plus féconde concernant l'art est celle qui le compare à la nature. La nature maintient uni ce que l'art disjoint. Dans les êtres naturels il n'y a pas de distinction entre l'objet et l'artiste. Plus exactement, dans les êtres naturels les causes motrice, formelle et finale arrivent à coïncider. Aussi, même s'il se sert de comparaisons techniques pour comprendre les processus naturels, c'est bien à la nature qu'Aristote attribue la position fondamentale. D'où sa fameuse formule selon laquelle "l'art imite la nature" (Physique II).

 

   Après avoir mis en garde sur le fait que nous ne possédons pas beaucoup de choses de l'oeuvre d'ARISTOTE (quantité de notes classées, traités fragmentaires voire inauthentiques...), Annick STEVENS, philosophe et chargée de cours à l'Université de Liège, expose la théorie de l'originaire de Stagire (Macédoine) sur l'esthétique. Notamment d'abord en expliquant l'importance et les limites de la Poétique. 

La Poétique est avec la Rhétorique le seul traité qui nous soit parvenu dans le domaine poïétique. Loin d'être un ouvrage général sur l'art, il limite son objet à l'art d'imitation qui utilise le langage en vers, accompagné ou non de chant et de musique. Cette définition se démarque de l'usage courant du mot poièsis qui signifie habituellement toute oeuvre en vers, alors que, précise ARISTOTE, un traité de médecine ou de physique en vers ne devrait pas être considéré comme de la poésie. 

"Cependant, écrit-elle, malgré son champ d'application restreint, l'ouvrage met en place des concepts fondamentaux par rapport auxquels toute théorie artistique devra se situer, en particulier l'imitation, l'émotion, les figures de style, ou encore le rôle de l'oeuvre d'art. En ce qui concerne les arts autres que la poésie, on trouvera des renseignements épars dans certains traités, par exemple, une réflexion sur la musique dans la Politique. Quant à l'imagination créatrice, concept fondamental dans les théories artistiques contemporaines, on constate qu'elle n'a pas fait l'objet d'études spécifiques chez les Grecs, moins parce qu'elle aurait un rôle secondaire dans l'élaboration de l'oeuvre d'art qu'en raison d'une sorte d'évidence de son rôle, impliquée dans le terme même de mimésis. Chez ARISTOTE, c'est seulement dans le traité De l'âme qu'est développée une analyse de l'imagination (phantasia), et, très significativement, si le rôle important qu'elle joue dans les processus de connaissance et comme moteur des actions est longuement démontré, en revanche elle n'y est jamais mise en  relation avec l'art."

La mimèsis, le plaisir, l'émotion, la katharsis, l'imagination sont autant d'éléments autour duquel gravite la théorie de l'art chez ARISTOTE. 

C'est la tragédie grecque qui reçoit la définition la plus complète par rapport à la mimèsis, en regard des autres arts d'imitation (épopée, dithyrambe, comédie...). "A propos de l'art en général, Aristote dit qu'il achève certaines choses que la nature est incapable d'effectuer, et en imite d'autres. Cette distinction correspond grosso modo à celle qu'on peut faire entre les métiers productifs (architecture, médecine, cordonnerie, agriculture...) et ce que l'on nommera, bien plus tard, les "Beaux-Arts", qui ne produisent pas un objet nouveau mais présentent sous une autre forme 'sculpture, peinture, musique, langage) des objets existants. Or on sait que pour Platon, les imitations constituent un genre dégradé de l'être, et les poètes doivent être rejetés de la cité parce qu'ils ignorent tout de la Forme et même de la réalité particulière qu'ils imitent, de sorte qu'ils sont plus éloignés de la vérité que les plus humbles artisans. Dans La République, cette condamnation ontologique s'ajoute à l'accusation morale de donner le mauvais exemple et d'exprimer des émotions que, dans la vie réelle, tout homme rougirait d'exprimer. De même, dans le Sophiste, Platon fait de la sophistique un art d'imitation et d'illusion, qui n'enseigne que fausseté et tromperie, et qui, loin de porter sur la vérité, porte sur le non-être.La conception ontologique d'Aristote rend impossible un tel rejet. En effet, mises à part les choses qui n'existent que dans les fictions, comme le sphinx ou le bouc-cerf, et qui sont en réalité des non-étants, tout le reste, du fait d'être produit ou transformé par l'art, ne subit pas une dégradation ontologique. Certes, il ne fait pas confondre ces objets avec ceux d'une science logique. certes, il ne faut pas confondre ces objets avec ceux d'une science théorétique : l'homme vivant et la statue de l'homme n'ont rien d'essentiel en commun, et c'est pourquoi cette dernière doit être connue et appréciée selon des critères différents, propres, précisément, aux sciences poïétiques. Mais cette division du réel en domaines, qui permet d'éviter toute concurrence entre leurs objets respectifs, n'est pas totalement imperméable, car d'une certaine manière l'art intervient dans l'apprentissage (domaine théorique) et dans l'éducation (domaine pratique)."

ARISTOTE insiste bien sur le fait que le récit poétique ne raconte par des événements qui ont eu lieu, mais qui auraient pu avoir lieu : il ne relate rien exactement du fait réel mais en atteint la signification universelle. Contrairement à la vérité historique ou expérimentale, la vérité générale est atteinte par le récit d'action. Et en fait, pour expliquer historiquement l'apparition des arts d'imitation, il suffit de considérer le plaisir d'imiter, le langage, la mélodie et le rythme, naturels à l'homme. Ce plaisir, cette émotion, cette katharsis, évoqués dans la Politique, dans un ensemble d'éléments qui font partie de la vie humaine. Notre auteure évoque le rôle de l'émotion artistique qui se compare, en dépit des controverses, à celui de la purgation médicale et à celui de l'extase sacrée. Dans le discours d'ARISTOTE, la composition de chaque groupe poétique est strictement définie et obéit à des règles précises, non pas seulement par souci pur de classification des connaissances, mais également pour toujours distinguer ce qui relève du réel et ce qui relève de la représentation (même si le terme n'apparait pas chez l'auteur grec) du réel pour un ensemble de spectateurs et de créateurs. 

"Peu prescriptif donc quant aux sujets, écrit-elle encore (aux antipodes d'une certaine volonté platonicienne), Aristote l'est aussi quant au langage poétique, qui se caractérise par l'utilisation de métaphores et de noms insolites, modifiés, ou dont on crée une signification nouvelle. La seule limite à la liberté créatrice dans le domaine de l'expression est d'éviter l'énigme par excès de métaphores, le barbarisme par excès d'un excès de mots insolites, ou, à l'extrême, la bassesse résultant d'un style trop courant." La représentation d'une chose, libre, selon la volonté de l'artiste de la rendre plus belle ou plus laide que dans la nature est toujours distinguable, par l'artiste et par le récepteur de son oeuvre, du réel lui-même. 

La phantasia (traduite par "imagination" ou par "représentation", justement, évoquée dans De l'âme, a deux rôles : un rôle passif de prolongement de la sensation, ou de mauvaise réception d'une sensation ou d'illusion de sensation dans le rêve et le délire ; un rôle actif de production volontaire de données sensibles (images, sons...), qui ne nous affectent pas car nous savons qu'elles sont produites par nous et que nous pouvons y mettre fin.

"Dans le domaine pratique, conclut notre auteure, le côté actif de la faculté permet de se représenter si un objet de désir est bon ou mauvais et ce qui résultera de sa poursuite ou de sa fuite : il s'agit donc de dépasser les données présentes, pour, d'une part, les confronter à une exigence générale et, d'autre part, imaginer des événements futurs. Dans le domaine théorique, les représentations (phantasmata) sont nécessaires à la pensée en tant qu'elles particularisent une pensée générale en la situant dans le temps et dans l'espace (...). C'est donc cette faculté de fabrication d'images (au sens large), cette imagination, qui fait le lien entre le général et le particulier, entre le sensible et l'intelligible. Or, nous avons vu ce même rôle attribué à la poésie, qui, en représentant une situation particulière, ne fait que particulariser une généralité. L'artiste utilise donc son imagination pour créer la situation particulière qui illustrera au mieux la règle générale de l'action humaine qu'il veut mettre en évidence. Cette particularisation qui n'est pas une copie a pu être pensée par Aristote parce qu'il a abandonné la conception platonicienne du rapport entre particulier et général comme un rapport de copie à modèle. Plus encore qu'une représentation, l'oeuvre d'art est donc pour Aristote la présentation d'un cas réalisable d'une forme générale, et en tant que telle partage quelque chose d'essentiel avec tous les autres cas, réalisés ou réalisables, de cette forme. Lorsque la tragédie est définie comme une "imitation d'action", il faut donc comprendre quelque chose ciel la "présentation imaginée d'une action générale particularisante". Reste à comprendre pourquoi ce rôle, qui nous parait fondamental, est si peu explicite dans l'oeuvre aristotélicienne. La réponse relève probablement de l'histoire des idées : ce concept d'imagination est tout neuf, comme en témoignent les tâtonnements et les hésitations du philosophe à son sujet dans le traité De l'âme, et c'est seulement à partir de ses premières réflexions problématiques que s'est déchiré le voile d'évidence sous lequel il sommeillait jusqu'alors". Pour notre auteure, la meilleure étude soulignant l'importance de cette découverte est celle de Cornélius CASTORIADIS dans La découverte de l'imagination, Domaines de l'homme. Les carrefours du labyrinthe, II, paru à Paris, aux éditions du Seuil, en 1986.

Daniel CHARLES, Esthétique - Histoire, dans Encyclopedia Universalis, 2014. Pierre PELLEGRIN, Le Vocabulaire des philosophes, Ellipses, 2002. Annick STEVENS, Aristote : mimèsis, katharsis, imagination, dans Esthétique et philosophie de l'art, L'Atelier d'esthétique, de boeck, 2014.

 

ARTUS

 

Complété le 27 septembre 2017

 

 

 

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