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29 mars 2018 4 29 /03 /mars /2018 10:15

    Peu d'études sont réalisées sur ces deux aspects, sauf, mais de manière non aboutie, aux questions de l'argent. C'est que, pour ce qui concerne la socialité marchande, l'ouvrage sociologie majeur du XXe siècle, selon certains auteurs (dont A.J. HAESSLER), Philosophie des Geldes publié en 1900 et réédité sept fois jusqu'en 1967, est aujourd'hui "scandaleusement ignoré ou jeté en pâture au plagiat le plus divers". C'est aussi que la question de la ville, ou plus précisément de la Métropole est traité essentiellement dans un texte publié dans l'ouvrage Brücke and Tür, assez peu lu et analysé. Ces deux aspects sont certainement très lié dans l'esprit de SIMMEL si l'on en croit les nombreuses remarques disséminées dans son oeuvre. La mention d'un changement radical de mentalité quand on passe de la Communauté à la Métropole figure assez souvent, même si c'est de façon annexe et rapide.

 

Socialité marchande.

  Bien plus que dans la grande Sociologie de 1907, explique A. J. HAESSLER, la Philosophie des Geldes (PhdG) forme un tout et "permet une approche de sa pensée qu'il y a tout lieu d'estimer comme résolument "moderne". Alors que d'autres auteurs (Daniel BELL, Peter BERGER, Robert HEILBRONER) se livrent seulement à un diagnostic à courte vue du capitalisme de crise, SIMMEL propose une pathogènes de la socialité marchande. Il démonte les mécanismes subjectifs et objectifs de ce procès de civilisation, mettant à jour sa logique et sa dynamique irréversible et nécessaire; Avant Max WEBER notamment, il fournit une théorie complète du processus de la rationalisation occidentale. Sauf qu'il lui manque la faculté de conceptualisation, en lien avec son langage tout empreint de symbolisme. "La pensée originale de Simmel, écrit notre auteur, vient de son analyse phénoménologique du monde social capitaliste. Phénoménologique avant la lettre, ne consistant qu'à retravailler des impressions, des chocs d'une réalité qu'il comprend déjà comme une construction sociale. Et cette phénoménologie correspond bien avec de qu'on a tendance à qualifier de "symboliste", voire de "bergsonien" dans son approche : le respect du sensible, l'attention aux sens, le primat de l'Einfühlung qui favorisent une conception du monde et de l'histoire comme une éternelle succession de luttes et confrontations ente le flux chaud de la vie et de l'humain et le flux froid des objets et de l'intellect. Or la monnaie consacre à ses yeux le triomphe de ce dernier, où l'intellect domine le sentiment tout comme le rapport des objets détermine les rapports sociaux. Simple parle dans ce contexte de l'atrophie de la culture individuelle au profit de l'hypertrophie de la culture objective et nous livre l'un des premiers rapports de crise de la modernité naissante. Les termes d'atomisation et d'aliénation de l'individu trouvent ici leur sens et y inaugurent avec le siècle débutant, une recherche qui va à l'avenir occuper une grande partie des sciences sociales."  

De manière centrale, c'est au niveau des relations sociales qu'il faut entreprendre l'analyse, et SIMMEL les comprend à travers une analyse du phénomène monétaire. Comme chez beaucoup d'auteurs, mais avec une autre acuité, c'est la notion d'échange qui la fonde. Il se livre à une analyse historique sur l'influence de la "forme" monnaie depuis le Moyen-âge. Une forme de distanciation par rapport à l'objet, impensable auparavant, un objet étant unique, s'opère progressivement, avec la présence de plus en plus importante de la monnaie qui introduit l'idée d'équivalence entre plusieurs objets, en favorisant l'échange où les objets n'ont plus de valeur en soi, mais une valeur en monnaie. Bien que les termes ne fassent pas partie du langage de SIMMEL, cela fait irrésistiblement penser au début de la valeur d'usage et de la valeur d'échange. Sauf qu'il s'agit pour le philosophe et sociologue allemand de comprendre le nivellement des valeurs qu'entraine la monnaie, ce nivellement touchant peu à peu toutes les sphères des relations sociales. La rationalité se manifeste alors en une rationalité du quelconque et de la disponibilité généralisée. Le seul échappatoire à cette évolution est un repli sur soi, mais en même temps l'affirmation de sa subjectivité fondamentale, mais alors d'une subjectivité du quelconque, du disponible. Autant dire qu'il n'y a pas d'échappatoire, sauf à se réfugier (et c'est ce que font certains) dans des communautés coupées de l'évolution générale. 

Dans son analyse de la modernité, toujours pour HAESSLER, SIMMEL nous propose de partir du postulat méthodique d'une analyse de la socialité en termes d'inter-relations, pour en faire dériver la constitution de la socialité marchande par une forme particulière d'inter-relations, l'échange économique. Etant donné que la société s'auto-constitue, s'auto-construit elle-même, il élabore sa thèse générale : l'échange n'est que le code analytique de la socialité marchande, la forme qui, du général au particulier, affecte toutes les relations sociales, les rend toutes comparables, modifiables, sujettes au pouvoir, alors que la monnaie réintègre resynthétise ces éléments dans des ensembles artificiels et complexes, les assemble selon une nouvelle objectivité qui lui est immanente. Notre civilisation aurait donc atteint ce stade où, par basculement du quantitatif au qualitatif, des ensembles sociaux originels seraient corrodés, dissolus en fonction de l'échange et leurs éléments intégrés dans de nouvelles formes, de nouveaux ensembles et cercles sociaux parfaitement artificiels, puisque conçus selon une logique monétaire qui, longtemps sous-jacente, immergée, enchâssée dans le social, ferait tout à coup son apparition, se manifesterait en refoulant cette espèce de première nature sociale qu'est la socialité traditionnelles et archaïque.  

Pour motiver cette thèse, SIMMEL fait appel à tout l'instrumentaire technique de la monnaie et l'échange. Il s'agit de mettre à jour, et c'est le champ d'application concret de la PhdG, les qualités "formatrices" de la monnaie. Il sort du langage économique en s'en servant. Le discours sociologique permet de mettre à jour ce que souvent la pensée économique camoufle. Cette évolution dont discute SIMMEL est essentiellement conflictuelle. HAESSLER en fait une liste non exhaustive :

- l'échange est ce par quoi le producteur se décatis de son "objet", se dépossède, tout comme il est le code qui lui intime de produire "pour l'autre", de se distancer a priori de l'objet, de se faire violence tout en la transposant en celui-ci ;

- l'échange est le lieu de conflagration de la violence (mimétique) inscrite dans l'objet, quand deux producteurs se rencontrent pour se proposer leurs produits ;

- il en découle que les parties, ainsi nommée "contractants" sont ou deviennent "étrangers" (l'un pour l'autre, l'un de l'autre), dans un jeu de perpétuelle oscillation entre confiance et violence ;

- l'avantage, la "chance" - au sens que Max WEBER donne à ce terme -, quand l'on se mêle de ces jeux de l'échange, est qu'à partir du moment où on a un produit à proposer, l'on ne se heurte plus à la violence immédiate de l'autre, mais, comme le dit Marcel MAUSS, qu'en posant ses lances, on parvient à multiplier les contacts, à se faire croiser les cercles sociaux, présidant ainsi à la constitution d'une société autonome ;

- mais le prix d'une telle sociabilité est la nécessaire objectivité dont on doit faire preuve dans ce genre de rapports : ce qu'on est soi-même compte peu ou prou par rapport à ce qu'on apporte dans l'échange, d'où la nécessaire et douloureuse abstrafication des rapports sociaux.

Ce qui n'est potentiel au niveau de l'échange devient réalisation par l'entremise de la monnaie. Ce qui importe à SIMMEL, ce n'est pas l'existence du marché, mais l'apparition d'une "objectivité nouvelle", qui fait que par l'entremise de la monnaie, les choses puissent être partagées sans que l'une des parties soit lésé. Pour HAESSLER, l'aspect "révolutionnaire de la théorie simélienne réside en cela : "ce qui qui fait que le système complètement particularisé, complètement fragmenté, tienne ensemble, fasse système (ce que les indices de différents marchés et les indices des valeurs, mêmes agglomérés, surtout sans doute agglomérés, ne peuvent pas faire... contrairement à l'illusion des marchés boursiers, osons-nous compléter), ce n'est ni la "Main invisible" d'Adam Smith, ni la Naturabsicht de Kant, mais précisément la dynamique sociale inscrite au sein de l'échange monétaire (à somme positive)."

SIMMEL, en bon lecteur des socialistes et des marxistes de son temps, qui analysent le caractère de marchandise des relations sociales, veut aller plus loin qu'eux. Il veut saisir l'ensemble des relations sociales à travers cette forme unique et faire apparaitre, à travers celle-ci cette forme unique de l'échange, les contours d'une théorie de la modernité. 

Mais face au nivellement des valeurs, face à une vision pessimiste de la modernité, SIMMEL met en valeur une forme des relations sociales qui contrebalance de manière sous-jacente cette socialité marchande. Il décèle une immédiateté primordiale, sous cet échange généralisé marchand, une socialité à base de gratitude, d'empathie, un faisceau, dirions-nous-mêmes, d'échange symbolique. Et SIMMEL s'attache à repérer ces phénomènes d'échange symbolise qui constituent en quelque sorte un contre-projet à la modernité marchande. 

        Georg SIMMEL vit dans un monde qui n'est pas encore, en Allemagne, dominé par le tissu industriel et urbain. Il a sous les yeux des vestiges et même des communautés villageoises vivaces qui sont encore en conflit à issue incertaine avec le nouveau monde industriel. La ville,  plus précisément la Métropole, constitue un thème présent dans l'oeuvre de SIMMEL. 

        Stéphane JONAS et Patrick SCHWEITZER s'attèle au texte du philosophe et sociologue allemand intitulé "Die Grosstädte und das Geistesleben" (Métropole et Mentalité) de 1903, paru dans l'ouvrage Brücke and Tür (texte traduit par Philippe FRITSCH et Isaac JOSEPH dans l'ouvrage L'école de Chicago, Champ urbain, 1979).

"L'analyse du problème de la Métropole, écrivent-ils, se développe dans le rapport entre l'existence moderne et ses formes. La Métropole, "siège de l'économie monétaire" est cette forme générale qui assume le procès de rationalisation des rapports sociaux. Rationalisation des rapports sociaux faisant elle-même suite à la rationalisation des rapports de production. La Métropole exprime une intellectualisation de la vie qui vise à préserver la vis subjective de l'individu face aux nouveaux aspects qualitatifs et quantitatifs de la réalité urbaine. Le processus a sa source dans la prétention des individus à préserver l'autonomie et la singularité de leur existence face au nivellement et à l'indifférenciation imposés par le monde moderne. L'homme d'une part est un objet comme les autres, d'autre part "aucun objet ne mérite d'être préféré à un autre". Simmel note : "Tandis qu'au cours d'une période antérieure de développement, l'homme devait payer ses rares relations de dépendance par l'étroitesse des liens personnels, et souvent par le fait qu'un individu était irremplaçable, nous trouvons maintenant une compensation à la multiplicité des relations de dépendance dans l'indifférence que nous pouvons manifester aux personnes avec qui nous sommes en rapport, et par la liberté où nous sommes de les remplacer"."

Fondement psychologique de ce type de personnalités métropolitaine : l'intensification de la vie nerveuse, nous dirions peut-être intensification, accélération du rythme de la vie. Walter BENJAMIN analyse de manière qui s'y rapproche ce qu'il appelle la reproduction. Pour ce dernier, l'introduction de la reproduction technique dans le domaine artistique amène la disparition de ce qu'il appelle "l'ici et maintenant" de l'oeuvre, de sa valeur culturelle, de sa valeur d'usage. Lieu urbain privilégié de la socialité, la grande ville est pour SIMMEL un modèle culturel singulier important, dont la forme spatiale (au sens défini par Michel MAFFESOLI) permet d'accumuler et de faire jaillir de nouveaux contenus plus ou moins explicites, mouvants et changeants. L'unité spatiale close (mais cette clôture n'est que relative) de la grande ville répondant ainsi à la diversité et à la pluralité de ses contenus, est un espace culturel particulièrement favorable à la personnalité de l'homme moderne.

On voit bien aussi que la Métropole est aussi le lieu de concentration de conflits multiples, dont sans doute le ressort est cette opposition que montre SIMMEL entre la dynamique de la modernité marchande et le développement des relations symboliques. C'est d'autant plus saisissant que SIMMEL insiste souvent sur une sorte de déterminisme spatial appliqué à l'étude de la grande ville : dimension, densité, hétérogénéité. Cette façon de voir influence largement les études de l'École de Chicago, notamment celles de Louis WIRTH, dans le sens d'établir une division mécanique directe entre la dimension spatiale er les formes sociales (Urbanism as a Way of Life, Chicago, 1938). 

 

Stéphan JONS et Patrick SCHWEITZER, Georg Simmel et la ville ; A. J. HAESSLER, Au coeur de la socialité marchande, dans Georg Simmel, La sociologie et l'expérience du monde moderne, Sous la direction de Patrick WATIER, Méridiens Klincksieck, 1986.

 

SOCIUS

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