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31 mai 2018 4 31 /05 /mai /2018 06:58

        Inventeur et ingénieur américain, Frederik TAYLOR est surtout connu pour la mise en oeuvre dans les années 1880 de ce qu'on a appelé ensuite le taylorisme, organisation scientifique du travail étudiée afin d'obtenir le rendement maximum du travail, des ouvriers aux cadres. 

         D'abord ouvrier mécanicien, puis contremaitre et enfin ingénieur (1884), il s'installe comme ingénieur-conseil de plusieurs entreprises successives. Sa plus grande expérience est celle de sa mission pour la Bethlehem Iron Company, de 1898 à 1901, entreprise de métallurgie spécialisée dans la fabrication de matériel militaire (canons, plaques de blindage) à destination notamment de la Marine américaine. C'est dans les milieux de la métallurgie, aux Etats-unis et en Europe qu'il se fait d'abord connaitre et c'est à son intention qu'il réfléchit à une organisation scientifique du travail

         Il systématise sa méthode dans un livre The Principles of Scientific Management (1911), qui s'inscrit dans la première modernisation de l'industrie des années 1850. Mais dès 1895, il publie, sur notamment le sujet du mode de rémunération des travailleurs, dans Transactions, la revue de l'American Society of Mechanical Engineers (ASME), un premier mémoire, "A Pièce-Rate Systems. Il reprend la substance des réflexions publiées en 1903 dans Shop Management, qui constitue l'exposé le plus systématique de la pensée de TAYLOR. Son livre de 1911 est traduit l'année suivante en français sous le titre Principes de l'organisation scientifique des usines, ce texte est réédité en 1957 une seconde fois en France par les soins de Louis DANY-LAFRANCE sous le titre La direction scientifique des usines, avec, pour têtes de chapitre, des extraits d'une déposition de TAYLOR en 1912 devant une commission d'enquête du Congrès américain, qui a été le plus lu et le plus commenté. A noter que le texte de 1911 est moins analytique que son mémoire de 1903, étant destiné à un plus large public et non exempt d'une présentation-choc. 

       Le taylorisme préconise :

1 - une analyse détaillée et rigoureuse des modes et techniques de production (gestes, rythmes, cadences) ;

2 - l'établissement de la "meilleure façon" (the one best way) de produire (définition, délimitation, séquençage des tâches) ;

3 - la fixation de conditions de rémunération plus objectives et motivantes du travail.

L'ingénieur estime qu'il est impossible de réaliser une production de masse sans un minimum d'organisation et de discipline. Ce qu'il voit à la fin du XIXe siècle dans les ateliers ne va pas dans ce sens : le travail réellement collectif est un mythe tant les comportements individuels, enfermés dans la logique des métiers fortement encadrés par de multiples corporations, ne contribuent pas du tout à la cohérence ou à la collaboration.

L'industrie alors se caractérise plutôt par la juxtaposition d'ateliers plus ou moins bien reliés entre eux. Il faut pour réellement produire des objets en masse, organiser l'entreprise suivant deux dimensions complémentaires:

- une dimension verticale : établir une stricte distinction entre d'une part les tâches de conception et de travail et de formation et d'autre part celles dites d'exécutions. il s'agit d'établir une hiérarchie des tâches comme des employés.

- une dimension hozizontale : décomposer le processus de production d'un bien en une suite de tâches simples confiées chacune à un ouvrier spécialisé. L'objectif est d'identifier la manière la plus efficace de découper le travail. Doivent être chargés de cette mission, des ingénieurs qui de manière scientifique vont chronométrer chaque mouvement élémentaire, éliminer les temps inutiles, étudier les meilleurs outils pour réaliser chaque mouvement, définir un temps optimal pour chaque stade de production, rédiger les recettes de fabrication.

   Il n'est pas dans les intentions de l'ingénieur de mettre en place un travail à la chaîne - lequel est connu de longue date. Mais de mettre en place une organisation rationnelle. C'est plus tard qu'Henry FORD aux Etats-Unis et Louis RENAULT en France réactualisent cette forme d'organisation du travail collectif et l'applique au secteur naissant de l'automobile. Dans l'esprit de TAYLOR, qui doit faire face aux organisations ouvrières professionnelles d'alors et établir une sorte de contrat social pour parvenir à imposer l'organisation scientifique du travail, les trois éléments qu'il préconise sont étroitement liés. TAYLOR ne réfléchit ni en terme de discipline de travail ni en terme de hiérarchie. Il n'a pas de réflexion sur le pouvoir en entreprise. Pour lui, chaque ouvrier ne reçoit pas d'ordre mais des instructions de plusieurs "chefs", et doit être rémunéré à juste titre (il préconise d'ailleurs des augmentations importantes de salaires...). 

     En fait, de ces trois éléments des méthodes préconisées par l'ingénieur sont retenues par les industriels de manière général seulement les deux premiers. Si l'intention initiale est d'organiser les ateliers et les postes de travail pour une moindre fatigue de l'ouvrier (la juste journée de travail), le résultat obtenu augmente plutôt l'exploitation du travail de l'ouvrier par un encadrement et une direction plus soucieuse de la qualité des objets fabriqués et des bénéfices financiers apportés par l'organisation scientifique du travail. Les opérateurs exécutants perdent leur autonomie, sont placés dans une situation de dépendance et sont utilisés comme des machines. La répétition des mêmes tâches (dont on régule la cadence surtout en fonction des impératifs du marché) provoques toute une série de troubles physiologiques et psychologiques. 

    Une partie des directions d'entreprise entend remédier aux dysfonctionnements liés au taylorisme rudement critiqué par les organisations syndicales en introduisant diverses innovations dont :

- la rotation des postes : l'ouvrier occupe successivement différents postes de travail pour éviter la routine et pour avoir une vue plus globale de la production ;

- l'élargissement des tâches : les tâches sont moins fragmentées, moins pénibles, moins répétitives ;

- l'enrichissement des tâches : le travail s'étend à d'autres tâches telles que le réglage et l'entretien des machines, ce qui implique une responsabilité du travailleur ;

- la mise en oeuvre de groupes semi-autonomes : quelques ouvriers s'organisent librement pour atteindre un niveau de production fixé par la direction ;

- l'établissement de cercles de qualité : des groupes de travailleurs volontaires se réunissent pour améliorer le processus de production et la qualité des produits.

Mais ces innovations remettent plus ou moins en cause la division verticale énoncée dans le taylorisme et surtout fragilise, du point du patronat en général,  la "nécessaire" discipline du travail. Il faut attendre les années 1950 et 1960 (aux Etats-Unis), voir 1970 (en Europe), pour voir surgir de manière significative ces innovations. 

    Globalement, on a tendance à donner au taylorisme proprement dit, tel qu'il est énoncé par son auteur, des attributs plus généraux liés à la production de masse, et une importance qu'il n'a pas.

Malgré ses faiblesses (de réflexions pas très développées sur la formule à juste travail juste salaire), la doctrine de TAYLOR rencontre un succès considérable dans le monde développé, jusqu'en Russie où LÉNINE en recommande l'application. En France, elle se répand en 1913 dans les usines Renault, mais suivant une acception très maladroite de la part du patronat. En fait l'influence du taylorisme dépend beaucoup du taux d'industrialisation du pays, de la nature de l'industrie en question (d'ailleurs TAYLOR pense que son application à limitée à quelques industries). On a pu évaluer qu'à son acné l'organisation taylorisme qu'environ 5% de la main-d'oeuvre ouvrière dans les pays industrialisés (DAVIET, 1997)  a pu être concerné.

Mais le taylorisme tel qu'il est compris n'est pas seulement une organisation du travail mais aussi un état d'esprit dans de nombreuses entreprises, qui renforce la hiérarchie. En assimilant le taylorisme au processus général de rationalisation industrielle (que mettent en musique bien plus les successeurs de TAYLOR), les sciences sociales en France ont tendance à en surévaluer l'importance. il existe un fort flottement conceptuel qui, que ce soit du côté marxiste ou du côté libéral, donne au taylorisme une extension qu'il n'a pas eu dans la réalité historique. Par contre, le taylorisme constitue de manière certaine un aliment idéologique au combat que mènent plusieurs écoles de pensée, que ce soit dans le monde industriel ou dans la société en général. 

 

Frederik Winslow TAYLOR, Organisation du travail et économie des entreprises, Paris, éditions d'organisation, 1990 (traduction de Shop management de 1902) ; Principes de la direction scientifique des usines, 1912 ; La direction scientifique du travail, Dunod, 1957 et Marabout, 1967. 

Robert KANIGEL, The One Best Way, Frederik Winslow Taylor and the enigma of efficiency, New York, Viking, 1997. Lion MURARD et Patrick ZYBERMAN, Le soldat du travail. Guerre, fascisme et taylorisme, revue Recherche, n°32/33, septembre 1978. J-P. DAVIET, La grande entreprise : professions et cultures" dans Histoire générale du travail, tome IV, sous la direction de  G.V. LABAT, Nouvelle librairie de France, 1997. Benjamin CORIAT, L'atelier et le chronomètre, Bourgois, 1978.

François VATIN, Frederic Winslow Taylor, dans Dictionnaire du travail, PUF, collection Quadrige, 2012.

 

 

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