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18 mars 2009 3 18 /03 /mars /2009 10:09
      De son vrai nom Ernest-Edmond LOHY, Manuel DEVALDES fait partie de ces auteurs-acteurs du pacifisme dont l'oeuvre laisse des traces dans la formation d'un antimilitarisme, d'un anarchisme et d'un pacifisme scientifiques. Ne se contentant pas (!) d'objecter et de déserter de France, sa "patrie", pendant la Première Guerre Mondiale, selon un individualisme qu'il théorise par ailleurs ; typographe méticuleux et amoureux de la langue française, il approfondit les raisons de son pacifisme en s'inspirant, entre autres, de nombreux auteurs comme MALTHUS, DRYSDALE, Adelyne MORE, Teresa BILLINGTON-CREIG, Anton NYSTROM, Félix Le DANTEC et Gabriel GIROUD.
      Pensant que "pour abolir la guerre, la limitation mondiale des naissances est nécessaire" et que "la course à la population, à la surpopulation plutôt, est aussi absurde que la course aux armements", Manuel DEVALDES rédige en 1925 La cause biologique et la prévention de la guerre : essai de pacifisme, petite brochure d'une trentaine de pages. Et en 1933, Croître et multiplier, c'est la guerre, un pavé de 318 pages. Poursuivant sa démarche néo-malthusienne, il fait paraître en 1937, La guerre dans l'acte sexuel et Une guerre de surpopulation : les enseignements de la guerre italo-éthyopienne.
   Manuel DEVALDES marque une préférence pour les contes et les poèmes pour faire réfléchir sur les causes et les conséquences des guerres. Ainsi, Les contes d'un Rebelle (1925), La fin du marquis d'Amercoeur (1931) et Chez les cruels (1947), dont la prose s'apparente à celles de Barbey d'AUREUILLY (1808-1889) ou de Guy de MAUPASSANT (1850-1893).

       Pour Manuel DEVALDES, dans La cause biologique et la prévention de la guerre, c'est parce que tel pays est surpeuplé (déséquilibre entre population et ressources) qu'il fait la guerre. Il invite tous ceux qui luttent contre la guerre à propager l'idée de la limitation mondiale des naissances comme première propagande à faire, puisque dans cette solution repose le salut de l'humanité. Dans la Maternité consciente (1927), on peut lire :
   "La guerre détruit les hommes les plus robustes, les mieux portants. Elle est donc éminemment dyagénique puisqu'elle assure ainsi la survivance des moins aptes, des faibles, des vieillards, des débiles mentaux.". Mais ce n'est pas seulement la guerre qui est dyagénique, car les bellicistes réclament une reproduction abondante qui ne peut se faire qu'au détriment de la qualité des individus. "Toute personne qui milite pour une amélioration de la race doit tenir compte que la guerre est dyagénique et que, pour l'éviter, l'équilibre entre la population et les vivres dans chaque pays est dispensable, mesure qui serait réalisée par la génération consciente, par la maternité consciente. Par cette dernière, chaque femme peut faire sa part de l'oeuvre de pacification du monde." Le pacifiste dénonce bien entendu le commandement du Décalogue : Croître et multiplier.
       Dans Croître et multiplier, c'est la guerre (1933), il systématise tous ces éléments, s'appuyant sur un arsenal de références autorisées et de statistiques. Manuel DEVALDES, dont on ne connaît pas de particulière sympathie envers les socialistes (!), vers la fin de livre, s'en prend aux "conceptions mystiques" de lutte contre la guerre, visant les partisans de l'insurrection qui ignorent les véritables moyens de prévention contre la guerre. Beaucoup reprochent à Manuel DEVALDES d'exclure du coup d'autres formes de lutte contre la guerre, notamment l'objection de conscience, qui pendant la guerre d'indépendance de l'Algérie, constitue un des moyens utilisés par une mouvance assez large d'opinions, contre l'engagement des troupes françaises.

       D'autres auteurs ont repris l'idée de la surpopulation, qui est tout de même loin d'être une idée neuve (PLATON, ARISTOTE...) en même temps ou après lui, comme Arthur THOMPSON, Adelyne MORE, J.B HALDANE, Herbert CROLY... Jusqu'au fondateur de la polémologie française, Gaston BOUTHOUL (1896-1980), qui fait, lui aussi, sans être aussi catégorique que Manuel DEVALDES, de la surpopulation une des causes de la guerre (La surpopulation (1964, Traité de Polémologie, 1970).
 
       Outre son apport aux idées néo-malthusiennes, Manuel DEVALDÈS est l'auteur de biographies, d'études, de traductions, de critiques, d'essais, d'analyses et d'articles répandus depuis 1895 dans quantité de revues : L'Ere nouvelle, Le réveil de l'esclave, La revue des lettres et des arts, Les Humbles, L'Ecole émancipée, L'Anthologie des écrivains réfractaires (1927), La Bibliothèque de l'Aristocratie, L'En-dehors, L'Unique où sa chronique "Haute Ecole" était très suivie. Ses études sur NIETSZSCHE, STENDHAL, BALZAC, SHELLEY, Bertrand RUSSEL... étaient éditées sur de simples fascicules et plaquettes comme il en circulait alors énormément, de même que La Chair à canon (1908),  Maternité consciente (1927), L'Education et la liberté, Le christianisme et l'Eglise, parmi d'autres. Il écrivit beaucoup de contes, genre littéraire qu'il préférait : Des cris sous la meule, Hurles de haine et d'amour, Chez les cruels, Chef-d'oeuvre de Balthazar Maracone, Histoires tragiques, Contes d'un rebelle (1925)... DEVALDÈS n'est pas cependant un rêveur noyé dans sa poésie, comme le sont beaucoup d'auteurs, même à notre époque. Romantique, mais surtout théoricien d'intellect exigeant, écrivain soucieux de la forme et du déroulement logique de la pensée, il s'appuie le plus possible sur de patientes recherches, des documents dont il vérifie toujours l'authenticité. (Jeanne HUMBERT, La Libre-Pensée des Bouche du Rhône, octobre 1981).
 
     Réflexions sur l'individualisme (1910) le fait classer parmi les anarchistes individualistes, mais il y fait preuve d'une pensée originale. Il s'efforce de définir et de défendre l'individualisme, suivant une logique un peu datée aujourd'hui (sur la propriété et sur la religion) mais qui marque bien sa perception du changement de la répartition des pouvoirs à son époque, des propriétaires terriens et de l'Eglise catholique à l'Etat. Il parle de d'Etat comme de la nouvelle Eglise, préconisant l'arrivée de l'Etat collectiviste. Son texte débute par la distinction forte entre Individualisme libertaire et Individualisme autoritaire.
  "Il est peu de mots qui soient plus diversement interprétés, écrit-il, que celui d'"individualisme". Il est, par suite, peu d'idées plus mal définies que celles représentées par ce vocable. L'opinion la plus répandue et que les ouvrages d'enseignement populaire se chargent de confirmer, c'est que l'individualisme est un "système d'isolement dans les travaux et les efforts de l'homme, système dont l'opposé est l'association".
Il faut reconnaitre en cela la conception vulgaire de l'individualisme. Elle est fausse et, en outre, absurde. Certes l'individualiste est l'homme "seul", et on ne peut le concevoir autre. "L'homme le plus fort est l'homme le plus seul", a dit Ibsen. En d'autres termes, l'individualiste, l'individu le plus conscient de son unicité, qui a su réaliser le mieux son autonomie, est l'homme le plus fort. Mais il peut être "seul" au milieu de la foule, au sein de la société, du groupe, de l'association, etc, parce qu'il est "seul" au point de vue moral, et ici ce mot est bien synonyme d'unique et d'autonome. L'individualiste est ainsi une unité, au lieu d'être comme le non-individualiste une parcelle d'unité.
Mais la grossièreté des incompréhensifs n'a pu voir la signification particulière de cette solitude, ce qu'elle a d'exclusivement relatif à la conscience de l'individu, à la pensée de l'homme ; elle en a transposé le sens et, dans son habitude du dogmatique et de l'absolu, l'a attribué aux actions économiques de l'individu dans le milieu social, faisant de lui un insociable, un ermite, - d'où le mensonge et l'absurdité de la définition précitée. Que l'on dise "seul" avec Ibsen, ou "unique" avec Stirner, pour caractériser l'individualiste, les béotiens adopterons la lettre et non l'esprit de ces vocables. Leur incapacité d'interpréter justement le mot a engendré l'erreur, qu'il importe de faire surgir, avec à côté d'elle, la vérité.
Si cette conception vulgaire de l'individualisme est fausse, ce n'est pas du fait que les hommes qui se disent, dans le présent, individualistes, vivent comme les autres en société, car les sociétés actuelles imposent à l'individu une association déterminée : l'individu subit cette association, mais là s'arrête sa participation, qui n'est nullement bénévole. De quoi l'on peut inférer que l'individualisme n'est pas, par conséquent, l'opposé de l'association, c'est de ce nombre d'anarchistes communistes, donnant enfin à l'expression de "communisme" un sens moins religieux, moins chrétien, qui s'affirment également individualistes. Max Stirner lui-même, une des lumières de la philosophie individualiste, préconise dans son immortel livre, L'unique et sa propriété, l'"association des égoïstes". Enfin, ce qui est surtout convaincant, c'est d'approfondir la question, après quoi on voit qu'étant donné le caractère de l'individualisme, cette conception de la vie n'exige point dans sa pratique l'isolement physique ou économique des individus et, par suite, ne s'oppose pas à leur association.
La plupart des opinions et des convections de la "majorité compacte" est basée sur des définitions de cette sorte, qui, passant à la dignité de clichés, formulent des préjugés difficilement déracinables, que l'ignorance prétentieuse de certains "intellectuels" et aussi l'intérêt de certains autres plus éclairés transmettent à l'ignorance humble des gens du troupeau. Pour être intellectuel, on n'en demeure pas moins homme, c'est-à-dire soumis aux lois naturelles. Or, il est d'ordre naturel que le fort absorbe le faible. C'est alors que certains intellectuels peuvent apparaitre comme des demi-savants aux hommes du peuple émancipés eux-mêmes et passionnés de vérité. Mais ce que ceux-ci sont parvenu à apprendre et à surprendre, les savants en question ne l'ignorent pas ; seulement, ils ne le diront point, parce qu'ils ont, chacun pour son propre compte, intérêt à ce que l'état des choses actuel, d'où naissent leurs privilèges bourgeois, se perpétue, et comme il ne dure que grâce à la demi-science servie à la masse, que, pour mieux dire, grâce au mensonge, ils se taisent ou ne livrent que des vérités incomplètes.
Observez dans les sociétés actuelles la différence d'éducation des prolétaires et des privilégiés. (...).
De l'individualisme qui, par essence, est libertaire, il fera une philosophie bâtarde et à double face (activité en haut, fatalisme en bas de la société), justifiant tous les méfaits de la classe régnante. De là la distinction relativement juste que l'on a été contraint de faire, pour être compris d'un public mal informé, entre l'individualisme libertaire et l'individualisme bourgeois ou autoritaire. Mais en définitive, il n'est qu'un individualisme, qui est essentiellement libertaire, foncièrement anarchique.
Alors que l'individualisme libertaire, l'individualisme réel, donne des armes aux faibles, non de manière à ce que, devenus forts, ils oppriment à leur tour les individus demeurés plus faibles qu'eux, mais de telle façon qu'ils ne se laissent plus absorber par les plus forts, - le prétendu individualisme bourgeois ou autoritaire s'efforce uniquement de légitimer par d'ingénieux sophismes et une fausse interprétation des lois naturelles les actions de la violence et de la ruse triomphantes. (...)
(...)". (Le texte complet se trouve sur le site www.panarchy.org).
 
Rappelons ici pour la compréhension du texte que DEVALDES fait référence à Henrik Johan Ibsen (1828-1906), dramaturge norvégien, très connu alors dans le monde littéraire et artistique (nombreuses pièces de théâtres) et dont les positions sur l'État et l'individu sont également bien diffusées. Ses oeuvres font l'objet encore aujourd'hui de rééditions (dont chez Actes Sud).

Manuel DEVALDES, Réflexions sur l'individualisme, Anarchie 1912 ; Les raisons de mon insoumission, Idée libre, 1926 ; Hans Ryner et le problème de la violence, Idée Libre, 1927 ; Contes d'un Rebelle, Idée libre, 1925 ;  La cause biologique et la prévention de la guerre, 1925 ; Croitre et multiplier, c'est la guerre!, Mignolet et Storzn, 1933 ; La guerre dans l'acte sexuel, l'En-dehors, 1934 ; Une guerre de surpopulation : les enseignements de la guerre italo-éthiopienne, Grande Réforme, 1937.
Manuel DEVALDES est également l'auteur d'un Anthologie des écrivains réfractaires publiée en 1927. Les Cahiers de la Pensée et Action, n°7-8, sous le titre Un en-dehors, Manuel DEVALDES, ont repris un certain nombre de ses textes en 1957, avec des contributions de Marc LARRALDE et de Hem DAY.

                                                                                           PAXUS
 
Complété le 3 avril 2014.
Relu le 2 février 2019
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