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24 mai 2012 4 24 /05 /mai /2012 12:44

       Entre droit contre la guerre, entre un droit humanitaire international en gestation et un droit d'ingérence encore à définir et très contesté, le droit international du maintien de la paix est encore en pleine évolution, bien trop récente, accélérée depuis les années 1990, pour être définit comme un véritable corpus juridique de référence. Néanmoins, de nombreux acteurs étatiques ou non de la scène internationale commencent à élaborer ce corpus là, pas seulement dans les "hautes instances", pas seulement au niveau des États, au niveau d'ensembles interétatiques ou d'organisation internationale, mais également au niveau d'organisations non gouvernementales... et de très nombreux intervenants "à la base" dans les différents terrains du rétablissement de la paix. Tous contribuent, par des voies très différentes, à l'élaboration de ce droit international.

 

Un droit d'intervention humanitaire

          Pour le droit d'intervention humanitaire dans le droit international contemporain, comme le montre bien Olivier CORTEN, professeur ordinaire à la Faculté de droit de l'Université Libre de Bruxelles, deux ensembles de juristes s'affrontent.

"Le premier estime que le droit d'intervention humanitaire a émergé dans les années 1990 comme l'une des conséquences du progrès des valeurs humanistes caractéristiques du "nouvel ordre mondial". Le second réplique que la Charte des Nations Unies n'a pas été amendée, et ne reconnaît toujours pas l'existence d'un tel droit dans l'ordre juridique international positif. Le premier acteur remarque alors que le droit international peut et doit évoluer de manière informelle, de manière à s'adapter aux nécessités de la vie sociale. Le second lui répond que cette évolution informelle ne peut être admise en droit que si elle s'est traduite par une révision d'un traité ou, à tout le moins, par l'émergence d'une règle coutumière acceptée par l'ensemble des États." Dans l'étude des termes du débat méthodologique sur le non-recours à la force, "la règle de la prohibition de l'emploi de la force est avant tout une règle conventionnelle inscrite dans la Charte des Nations Unies ainsi que dans plusieurs traités à vocation régionale. Mais il s'agit en même temps d'une règle coutumière, dont l'évolution est au centre de débats animés, en particulier depuis quelques années.

Ces débats peuvent être schématisés de la manière suivante. D'un côté, on trouve une approche extensive, qui consiste à interpréter la règle de façon aussi souple que possible : sont par exemple admises comme conformes à la règle des institutions comme la "légitime défense préventive", l'"autorisation présumée" du Conseil de sécurité, ou le "droit d'intervention humanitaire". De l'autre côté, une approche, que l'on peut qualifier de restrictive, préfère interpréter plus rigoureusement l'interdiction. Au-delà de la validité des arguments de fond qui sont avancés de par et d'autre, un examen de la doctrine révèle que c'est aussi, et peut-être surtout, sur le plan méthodologique que se déroule le débat.

Plus spécifiquement, c'est au sujet du statut  et de l'interprétation de la règle conventionnelle et coutumière de la prohibition du recours à la force que des divergences profondes apparaissent. L'approche extensive a tendance à suivre une méthode très souple lorsqu'il s'agit de préciser la place et le contenu de la règle, ce qui n'est pas le cas de l'approche restrictive.

     L'auteur, plus proche d'un approche restrictive, indique les éléments du clivage entre ces deux approches :

- L'approche extensive, sur le statut de la coutume, y voit une source privilégiée du droit, s'attache à une source formelle et matérielle de celui-ci, et privilégie une tendance objectiviste ou policy oriented. Sur l'articulation des éléments constitutifs de la coutume, elle considère la pratique comme élément prépondérant, avec une très grande importance accordée aux organes politiques ; valorise la coutume instantanée ou à évolution rapide, et donne un rôle prépondérant aux Major States.

- L'approche restrictive, sur le statut de la coutume, préfère l'égalité entre sources du droit, s'attache à un source formelle de celui-ci, et privilégie une tendance volontariste ou/et formaliste. Sur l'articulation des éléments constitutifs de la coutume, elle considère l'Opinio juris comme prépondérante, avec une très grande importance accordée au rôle du discours juridique. Elle préfère une coutume à évolution plus progressive et s'attache à l'égalité des États.

Pour conclure une grosse étude sur ce droit contre la guerre, Olivier CORTEN, membre également du Centre de droit international et de sociologie appliquée au droit international écrit que "on peut affirmer (...) que l'hypothèse (de l'institution d'un droit contre la guerre) se vérifie au vu de la pratique et des prises de position de la communauté internationale des États dans son ensemble (...). La rigueur de ce jus contra bellum implique, en premier lieu, que seuls certains arguments sont juridiquement recevables lorsqu'un État tente de justifier un recours à la force. Il s'agit du consentement de l'État sur le territoire duquel l'intervention a lieu (qui, à certaines conditions, a pour conséquence qu'on n'est plus devant un recours à la force contre un État au sens de l'article 2 alinéa 4 de la Charte), de l'autorisation du Conseil de sécurité ou de la légitime défense. Les circonstances excluant l'illicéité - qu'il s'agisse de l'état de nécessité, de l'extrême détresse ou des contre-mesures - ne peuvent en revanche servir à éluder cette règle de droit impératif. De même, on ne peut attaquer un État sous le prétexte qu'on le ne vise pas en tant quel tel mais que l'on intervient contre des groupes privés situés sur son territoire : la règle de l'interdiction du recours à la force "dans les relations internationales" reste une règle protégeant l'intégrité territoriale et l'indépendance politique de tous les États, même après les événements du 11 septembre 2001. En second lieu, le souci de maintenir la rigueur de cette règle entraîne l'échec des tentatives d'ajouter de nouvelles justifications (comme le "droit d'intervention humanitaire") ou d'interpréter très largement les exceptions juridiquement admises (comme cela a été le cas avec les notions de "légitime défense préventive" ou de présomption d'autorisation du Conseil de sécurité).  

Mais l'auteur lui-même, qui s'appuie sur une dense documentation factuelle et juridique, indique que "la portée de ces enseignements doit certes être doublement relativisées. D'abord parce qu'ils reposent sur une méthodologie juridique positive, qui consiste à s'appuyer sur les textes existants et sur l'interprétation qui en a été donnée par la communauté internationale des États dans son ensemble. On est là devant un choix, voire un postulat, que chacun n'est évidemment pas tenu de partager. Ensuite, et en tout état de cause, parce que nos conclusions ne portent que sur des actes coercitifs qui présentent une extrême gravité, et qui peuvent dès lors être qualifiés de recours "à la force", au sens de la Charte des Nations Unies. La question de la licéité d'actes coercitifs mineurs, comme des enlèvements internationaux voire des opérations très limitées de police, reste en revanche ouverte, et doit être appréciée en fonction du droit conventionnel commun ainsi que du principe très général du respect de la souveraineté des États. Si l'on franchit le seuil d'un véritable recours à la force et que l'on s'en tient à la méthode suivie notamment par la Cour internationale de justice, nous pensions toutefois que l'hypothèse du maintien d'un "droit contre la guerre" se vérifie amplement au regard des positions des États."

Olivier CORTEN estime qu'au-delà de cette conclusion, le droit peut évoluer, et ce assez rapidement. il s'appuie sur l'expérience de la guerre menée contre la Yougoslavie en 1999 pour entrevoir des justifications d'une action militaire, justifications qui pourraient s'inscrire plus tard dans des textes (comment, cela reste à définir...), qui, sans doute pourront être soumis à sa méthode à leur tour :

- De graves violations des droits de l'Homme, équivalent à un crime conte l'humanité ;

- Un refus systématique de la part de l'État concerné de coopérer avec les Nations Unies ;

- Un blocage du Conseil de sécurité qui n'aurait pu que condamner ou déplorer la situation, tout en la qualifiant de menace contre la paix et la sécurité internationale ;

- La mise en oeuvre d'un intervention collective, menée par un groupe d'États, et pas seulement par une puissance hégémonique ;

- Une limitation de cette intervention à ce qui est strictement nécessaire à la poursuite des objectifs humanitaires.

Il insiste sur l'importance d'un registre politique, qui, au détriment d'un registre juridique, conduit les États à mener souvent une "politique juridique extérieure" comme ils mènent une politique militaire ou diplomatique extérieure, avec des buts étatiques inchangés. D'où l'importance d'analyser de manière fine le discours officiel des États, les interactions de différents registres justificatifs de leur action, que ce soit en faveur ou en défaveur d'une intervention armée.

 

La poursuite des criminels de guerre

     Ron LEVI et Heather SCHOENFELD décrivent le façonnage des outils de poursuite des criminels de guerre. "Tandis que les cas extrêmes de violence d'État ont longtemps relevé du domaine réservé de la diplomatie et de la politique, ces 20 dernières années, le droit pénal a apporté aux atrocités d'États une réponse qui est apparue de plus en plus "normale".

La fin de la guerre froide s'est ainsi accompagnée d'une prolifération de procès criminels très médiatisés dans les tribunaux internationaux, faisant notamment suite à l'inculpation et à l'accusation des génocidaires de l'ex-Yougoslavie, du Rwanda et de Sierra Leone. Plus récemment, ces tribunaux provisoires ont été complétés par la Cour pénale internationale, dont le statut a été ratifié par plus de 100 États, et qui est explicitement une institution juridique permanente de portée internationale. (...) (...) si le retentissement de ces procès dépasse la sphère des juristes, c'est en partie en raison du travail culturel réalisé au sein de ces institutions juridiques elles-mêmes. Malgré sa montée en puissance, le champ du droit pénal international est encore dans une période de développement "non stabilisé" ; sa récente institutionnalisation a nécessité un bouillonnement d'activité dans les tribunaux internationaux afin de développer de nouvelles pratiques juridiques et d'établir les stratégies pratiques et quotidiennes d'accomplissement du travail juridique de poursuites des crimes de guerre. Chez les juristes internationaux, une bonne partie de cette activité vise à concilier l'aspect pénal de ces tribunaux avec leur dimension internationale.

En effet, comme le remarque le professeur de droit Cherif Bassiouni (An apparisal of the growth and developing trends of international criminal law, dans Revue internationale du droit pénal, n°45, 1974) d'un "dédoublement de la personnalité" en ce que l'approche coercitive du droit pénal s'accorde difficilement de l'accent mis par l'internationalisme sur la coopération volontaire des États souverains. Pour que le droit pénal international acquière une quelconque crédibilité en tant que champ de pratique juridique, il faut donc prendre en considération deux aspects du droits et des principes normatifs qui présentent des différences frappantes : "c'est un défi culturel pour les juges, le parquet et les avocat de la défense que de comprendre ce que cela signifie de combiner la fluidité et l'universalité, l'éclectisme du droit international avec la lourdeur de la preuve pénale" et, de ce fait, pour réussir, les tribunaux de guerre pénaux doivent former des "juristes qui connaissent les cultures contrastées du droit international et du droit pénal" (Ruth Wedwood, prosecuting war crimes, Military Law Review, n°149, 1995).

 

L'activité des tribunaux pénaux internationaux

     Luc CÔTÉ, un moment conseiller juridique senior canadien auprès du procureur du Tribunal Pénal International pour le Rwanda, effectue une analyse de dix ans de tribunaux pénaux internationaux.

La création de ces tribunaux "découle directement d'un double constat d'échec : celui de la sécurité collective dévolue au Conseil de sécurité et celui de l'incapacité du DIH (Droit International Humanitaire) de se faire respecter." Une institution judiciaire en soi est incapable de faire cesser des conflits armés. "Par contre, en jugeant certains responsables des plus graves violations du DIH, les TPI s'engagent indéniablement dans la lutte contre l'impunité qui prévalait dans (les) régions (pour lesquels ils sont établis). Si l'on peut questionner le pouvoir dissuasif des jugements rendus par les TPI, on ne peut toutefois pas nier l'important message véhiculé par ces décisions, selon lequel pareilles violations ne sauraient rester impunies, et ce peut importe les hautes fonctions occupées par les accusés."

Sur le plan international, les TPI ont eu un apport considérable dans la constitution de la Cour Pénale Internationale. Malgré leurs limites dans l'exercice de leur mandat, les TPI s'inscrivent dans la légalisation d'un processus international. En interprétant et en appliquant les normes du DIH par des décisions obligatoires à l'égard des individus et des États.

 

Luc CÔTÉ, Justice internationale et lutte contre l'impunité : Dix ans de tribunaux pénaux internationaux, dans Faire la Paix, concepts et pratiques de la consolidation de la paix, Les Presses de l'université de Laval, 2005. Olivier CORTEN, Le droit contre la guerre. L'interdiction du recours à la force en droit international contemporain, Editions A Pedone, 2008. Ron LEVI et Heather SCHOENFELD, Médiation et droit pénal international, dans Actes de la recherche en sciences sociales, n°174, Pacifier et Punir (2), septembre 2008.

 

JURIDICUS

 

Relu le 21 novembre 2020

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