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18 novembre 2008 2 18 /11 /novembre /2008 15:54
      Pour qui est allergique aux considérations théoriques avec force tableaux et statistiques à l'appui, mais désireux de connaître la véritable ambiance des relations entre les différents acteurs économiques, notamment dans la sphère des responsables d'entreprise, ce livre de Jean-Louis GOMBEAUD, journaliste, conseiller pour les questions économiques de la chaîne télévisée parlementaire "Public-Sénat" est tout-à-fait indiqué.
     Dans un style... journalistique et sans s'embarrasser beaucoup de références, cet auteur s'efforce de plonger le lecteur dans l'économie agressive et le marché conquérant. Tout semble un décalque de la guerre sur l'économie, notamment au niveau de la mentalité des grands entrepreneurs. Soumettre l'adversaire à sa volonté semble l'objectif de ces chefs d'entreprises avides de profits. Il faut lire le passage en milieu d'ouvrage presque truculent du résumé de la dynamique économique pour vraiment comprendre dans quel monde nous vivons réellement, au-delà des rapports ampoulés et des discours soporifiques.
 
        L'éditeur présente cet ouvrage de la manière suivante (en quatrième de couverture) : ""Voilà l'ennemi!" en qualifiant ainsi Microsoft, le PDG de Sony est explicite sur sa vision de la concurrence. En déclarant : "Je vais au bureau comme à la guerre" celui de Gucci l'est tout autant. "Lutter jusqu'à la mort"... par cette bravade dont il est coutumier, le patron de Danone décrit clairement son environnement... Nous sommes tous impliqués dans ce qui est le premier conflit économique mondial. Les terrains de bataille sont différents des guerres d'antan, mais les axes stratégiques enseignés par les grands maîtres demeurent : regroupement de forces, économie de moyens, persévérance, commandement, communication. Le but reste celui défini par Clausewitz : "soumettre l'adversaire à notre volonté". L'adversaire aujourd'hui, c'est le concurrent ; il est partout. Mais qui tiendra "le dernier quart d'heure" celui qui permet d'arracher la victoire? Dans ce monde ouvert, seules les entreprises américaines peuvent s'appuyer sur un Etat solide, déterminé à défendre exclusivement leurs intérêts. L'Europe est évanescente, la gouvernance balbutiante, la politique après des années d'échec d'étatisme, en voie de disparition. Ce déséquilibre est source d'instabilité, facteur d'incertitude. L'incertitude qui est la cause permanente des guerres de la préhistoire à nos jours. Si tu veux la paix, réhabilite la politique."
 
     Denis CLERC, dans Alternatives économiques n°222, en février 2004, se montre critique envers cet ouvrage : "l'auteur a entrepris de repérer, dans l'ensemble des faits et des réflexions de tous ordres, les liens qui existent entre la guerre et le marché. Sa quête est impressionnante. La guerre est rationnellement une folie : rares sont les vainqueurs qui peuvent dire que leur victoire paye les coûts de toutes sortes qu'il leur a fallu supporter. Tout le monde y perd, mais elle subsiste parce que chaque belligérant a peur que l'autre commence. Avec le marché, au contraire, tout le monde est censé gagner. Est-ce si sûr? En accumulant, on suscite chez les autres des désirs de guerre, parce qu'ils craignent que cette richesse ne serve à les attaquer. Les marchands ne sont pas une alternative à la guerre, ils contribuent à la préparer et, souvent, ils s'en servent pour pénétrer les pays qui, à défaut, leur resteraient fermés. Aujourd'hui, avec la mondialisation, les firmes deviennent plus agressives, parce qu'elles aussi craignent d'être attaquées par le concurrent : manger ou être mangé. Montesquieu et son "doux commerce" peuvent se rhabiller : la superpuissance utilise le commerce pour dominer, tandis que le commerce utilise l'agressivité pour triompher. Guerre et marché ne s'excluent pas, ils s'appellent, au service d'une même cause, faute de gouvernance politique du monde. Vision pessimiste en diable, appuyée sur une documentation et une culture éblouissantes, mais qui laisse cependant le lecteur dubitatif. Peut-être parce que l'auteur reconstruit l'histoire à sa façon (les gains de productivité comme facteur de guerre, par exemple), mais surtout parce qu'il ne part pas de l'histoire, mais y puise ponctuellement ce qui conforte sa thèse. Sans doute l'ampleur du sujet l'y contraignait-il. Mais cela enlève de la force de conviction à une approche qui demeure ad hoc."
 

 

    Jean-Louis CHOMBEAUD, éditorialiste économiste quotidien sur la radio Europe 1 et éditorialiste économique au quotidien "Nice Matin" (en 2000), chef du service économique de Radio France Internationale et éditorialiste économique à France Info (1989-1990), rédacteur en chef chroniqueur économique sur France Info (1990-1197) est aussi l'auteur d'autres ouvrages économiques. Ainsi Quel avenir pour la crise (Editions Sociales, 1981), Les Marchés mondiaux en 1984-95 (Economica, 1985), La Guerre du cacao, histoire d'un embargo (Calmann-Lévy, 1990), Le retour de la très grande dépression (Economica, 1999) et La crise de cent ans (Economica, 2011).

    Jean-Louis GOMBEAUD, Guerre dans le marché, Economica, 2003, 206 pages.
 
 
Complété le 30 Août 2012. Relu le 24 octobre 2018.
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18 novembre 2008 2 18 /11 /novembre /2008 14:03
          Le stratégiste prussien Carl Von CLAUSEWITZ est probablement le théoricien militaire le plus connu et en même temps assez peu lu. Contemporain des guerres napoléoniennes, influencé par SCHARNHOST et KANT, participant en tant qu'officier à plusieurs grandes batailles, membre de l'état-major du général GREISENAU à Coblence en 1816-1818, directeur administratif de l'académie militaire de Berlin de 1818 à 1830, il laisse une grande empreinte dans la littérature militaire. Son oeuvre comporte de nombreux éléments encore étudiés de nos jours, à interprétations parfois contradictoires, avec des éditions périodiques et posthumes de nouveaux écrits à intervalle régulier.
          
        Si l'on en croit Raymond ARON, auteur d'une imposante étude de l'oeuvre du stratégiste, elle comprend cinq sortes de textes.
- De la guerre (Vom Kriege), publié très tard, La Stratégie de 1804, l'article de la Neue Bellona, les textes de 1812, esquisse de l'enseignement donné au prince héritier, le manuscrit du cours sur la petite guerre et plusieurs autres fragments. Il semble que l'oeuvre achevée aurait comporté un Traité de la grande guerre (ou de la stratégie), un Traité de la tactique et un traité de la petite guerre. Les éléments de ces trois traités existent, dispersés, ébauchés, et plusieurs spécialistes d'histoire militaire se sont essayés à les assembler.
 - Le récit des campagnes, notamment celle de FREDERIC II, de la Révolution et de NAPOLEON.
 - Les lettres, adressées surtout à sa femme, qui datent de 1806 à 1831 et qui éclairent la personnalité de Carl Von CLAUSEWITZ, l'officier pauvre rêvant de gloire ou le général insatisfait.
- Les notes ou écrits politiques sur la situation de l'Europe ou sur MACHIAVEL, ou encore sur certains événements militaires qui marquent sa pensée : le désastre de 1806 (vu côté Prusse), la suspension des hostilités en 1813...
- Les articles sur l'art et sur d'autres domaines qui montrent qu'il tire sa pensée de domaines divers, attentif à l'évolution des techniques, soucieux d'aspects philosophiques majeurs qui influencent directement le fond et la forme du son Traité sur la guerre.

     De la guerre est selon H. ROTHFELS (Les maîtres de la stratégie) la première étude sur la guerre à s'attaquer réellement au fond du sujet et à développer un schéma de pensée applicable à chaque étape de l'histoire et de la pratique militaires. Dans ce livre, le stratégiste prussien recherche la nature même de la guerre, l'idée régulatrice qui la guide, son fondement philosophique. Si l'oeuvre de Carl Von CLAUSEWITZ est si importante, c'est qu'elle intervient et est mue par une vraie révolution de l'art de la guerre.
   "Les armées de l'Ancien Régime se composaient de soldats professionnels engagés pour de longs services, limités en nombre mais parfaitement entraînés. Chacun d'eux représentaient une part du capital investi d'un État et devait donc être utilisé avec précaution. De plus, un fort pourcentage de ces soldats de métier étaient des étrangers ou les rebuts de la société. Une armée ainsi constituée ne pouvait vraiment faire appel ni aux vertus militaires ou à la bonne volonté des citoyens (...). Son unité était obtenue par la discipline la plus rigide ; on lui apprenait à marcher et à combattre en formations strictes et sous le contrôle étroit de ses officiers." Ces armées dépendaient de magasins d'approvisionnement, de vivres et de munitions dont elles ne pouvaient s'écarter longtemps. Les guerres du XVIIIème siècle se présentaient comme un ensemble de marches et de contre-marches, de manoeuvres plus ou moins compliquées, avec des troupes avançant lentement et de manière presque géométrique. "Ce fut la Révolution française qui ouvrit la voie (au progrès). Si les armées révolutionnaires ne pouvaient se lancer dans des manoeuvres compliquées, elles étaient libérées des servitudes traditionnelles ; elles pouvaient supporter les privations et se battre chaque fois que cela paraissait propice ; elles pouvaient attaquer sans se soucier des pertes humaines puisqu'il leur était possible de faire appel à toutes les ressources humaines de la nation." "Le système des divisions se développa ; l'approvisionnement fut essentiellement assuré par les réquisitions (sur les territoires traversés) ; le tir calculé, visant l'individu, remplaça ou compléta le tir à la volée ; on adapta la tactique des tirailleurs pour préparer l'attaque en masse." Contre toutes les règles classiques, NAPOLEON se donnait pour objectif de détruire les armées ennemies, de manière brutale (utilisation fréquente d'une nouvelle artillerie), brève et sans contestation possible, dans des attaques-éclairs les plus fréquentes et les plus surprenantes possibles.

      Mais plus profondément qu'une interprétation de la stratégie napoléonienne, De la guerre, veut mettre à jour la véritable nature de la guerre. Baignant dans un siècle des Lumières, dont l'élite intellectuelle s'oppose réellement à la guerre et tente de la circonscrire, de l'humaniser, Carl Von CLAUSEWITZ rejette à la fois "l'optimisme et le dogmatisme de ces théories du XVIIIème siècle. Selon lui, la guerre n'était ni un jeu scientifique ni un sport international, mais un acte de violence. Dans sa nature même, la guerre n'est ni modérée ni philanthropique" : Qu'on ne vienne pas nous parler de généraux, écrit-il, qui remportent des victoires sans effusion de sang. La tuerie est une spectacle horrible ; raison de plus pour attacher plus de prix aux guerres mais non pour laisser s'émousser par humanité l'épée que l'on porte jusqu'au moment où un autre, armé d'un sabre bien tranchant, vient nous décapiter."
    La question au centre même de sa théorie, la relation entre la guerre et la politique, repose sur une réflexion sur la véritable nature de la guerre. "Lorsqu'on a recours à la force militaire, c'est-à-dire à des hommes armés, l'idée de combat est nécessairement à la base de tout. Toute activité guerrière se rapporte donc nécessairement à l'engagement, que ce soit de façon directe ou indirecte. Le soldat est recruté, vêtu, armé, instruit ; il dort, mange, boit et marche uniquement en vue de combattre au bon moment, au bon endroit." . "La destruction des forces ennemies apparait donc toujours comme le moyen supérieur et le plus efficace devant lequel tous les autres doivent céder... La solution sanglante de la crise, l'effort tendant à l'anéantissement des forces ennemies, est le fils légitime de la guerre".
  C'est à partir de sa conception de la guerre absolue, celle qui guide l'ensemble des opérations militaires sans toutefois, à de rares exceptions près, y parvenir, que le stratégiste fonde toutes ses propositions théoriques et pratiques. En effet, pour lui, plus la guerre est conforme à sa forme abstraite, plus la guerre semble purement militaire - visant la destruction totale de l'ennemi et moins politique - moins proche du but politique de la guerre, l'exploitation des ressources de l'ennemi ou l'empêchement de cette exploitation. La guerre tend à l'escalade vers les extrêmes, la guerre absolue - qui n'est pas la guerre totale - constitue le point de référence de tous les combats. Mais la guerre réelle - même lorsqu'elle tend vers la guerre absolue - est une guerre entravée par toute une série de circonstances de temps et de lieu du terrain des batailles, les fameux facteurs du brouillard de la guerre sur lequel le stratégiste s'étend dans maints chapitres de "De la guerre". Et surtout la guerre réelle est subordonnée à des fins politiques. Ce que Carl Von CLAUSEWITZ veut faire comprendre, c'est que le choc des volontés de soumettre l'adversaire par la violence, mène à un anéantissement qui dépasse - et contredit - les buts de guerre. L'ascension aux extrêmes, dans le feu du combat, dans la peur et la haine des combattants, menace toujours les fins politiques de la guerre. "La bataille, par son  caractère décisif, semble dépasser l'objectif de la guerre. Dans son étude sur la guerre absolue, CLAUSEWITZ montre également que l'objectif militaire d'anéantissement de l'ennemi prend la place de l'objet final, du but politique" (H ROTHFELS)

      Un autre aspect de son oeuvre est représenté par sa distinction de l'attaque et de la défense. "Il s'agit évidemment d'une distinction classique (...). Mais CLAUSEWITZ l'incorpore à son analyse sur la nature de la guerre et lui donne un nouveau sens." "D'une part, il insiste beaucoup sur la défense, ce que nombre d'écrivains du XIXème siècle ont considéré comme une 'tache sombre" dans sa pensée. (...) (Il) se montre extrêmement sceptique sur (les) avantages et sur la supériorité morale de l'attaque. L'élément de surprise est de toute évidence important ; notamment en tactique ; mais pour CLAUSEWITZ, il l'est moins en stratégie. L'attaquant entame la partie mais le défenseur a tous les atouts de la dernière main". Il cherche à prouver que le faible a du moins une bonne chance de pouvoir résister à un ennemi puissant. Il peut le faire : la défense est "la forme la plus forte de la conduite de la guerre". Il analyse les rapport dialectique entre attaque et défense à partir d'un concept aujourd'hui très utilisé : celui du point culminant. "Si l'offensive stratégique ne parvient pas à une décision, la poussée en avant s'épuise inévitablement d'elle-même. Certaines des ressources morales et matérielles de l'attaquant augmentent au fur et à mesure de son avance, mais en général et pour plusieurs raisons, il est conduit à s'affaiblir. Au delà du point culminant, la marée se retourne et le contrecoup survient. La violence du contrecoup dépasse en général la force du choc initial." (Les maîtres de la stratégie).
Tout dépend du délicat jugement du commandement sur le moment et le lieu de ce point culminant. Les facteurs psychologiques et moraux se retournent souvent contre l'attaquant. Car la grande bataille implique la destruction du courage de l'ennemi plutôt que de ses soldats.

         C'est surtout entre 1870 et 1930 que l'oeuvre de Carl VON CLAUSEWITZ se trouve au coeur du débat stratégique. Notamment dans les armées françaises et allemandes qui interprètent la guerre absolue dans un sens d'anéantissement nécessaire des forces de l'adversaire, pour obtenir la victoire finale. La stratégie d'anéantissement de la Première Guerre Mondiale aboutit à ces batailles interminables de tranchées.
  Après une période de responsabilisation de cette interprétation sur le stratégiste prussien lui-même, apparaît ce que certains appellent le règne de la formule (1930-1990) (Benoît DURIEUX, colloque des écoles St Cyr Coetquidan, 2007). Après 1976 (Christophe WASINSKI), une reprise des concepts clausewitziens s'effectue notamment dans les milieux militaires américains où leurs discours reprend deux éléments clés :
- la soumission de la guerre à la politique, avec ce que cela représente en terme de répartition des pouvoirs civils et militaires dans l'appareil de défense.
- la trinité "paradoxale" : "la violence originelle de son élément, la haine et l'animosité, qu'il faut considérer comme une impulsion naturelle aveugle, puis le jeu des probabilités et du hasard qui font d'elle une libre activité de l'âme, et sa nature subordonnée d'instrument de la politique, par laquelle elle appartient à l'entendement pur. Le premier de ces trois aspects intéresse particulièrement le peuple, le second le commandant et son armée, et le troisième relève plutôt du gouvernement." (De la guerre).
   Au niveau opérationnel sont repris :
- le centre de gravité, qui désigne ce qui constitue la puissance de l'adversaire;
- le point culminant ;
- la chance, l'incertitude, la friction ;
- l'offensive et la défensive, dans la conception de bouclier fait de coups portés à l'ennemi.
- le génie et les forces morales.
 
   André GLUCKSMAN, auteur d'un ouvrage sur la guerre (Le discours de la guerre, 1968), présente le général prussien Von CLAUSEWITZ comme n'ayant "remporté que des batailles intellectuelles." A l'instar de MACHIAVEL, il tire des leçons générales de ses défaites politiques. "Certes, après la défaite de la Prusse et de ses alliés devant Napoléon (Iéna, 1816), il participe à l'édification de la nouvelle armée prussienne : ami de Gneisenau, collaborateur de Scharnhorst, il fait partie de l'équipe de "réformateurs" qui réorganise l'administration et l'armée. Cette partielle "révolution par en haut" avait pour but de faire de la Prusse le centre d'une guerre de libération nationale : morcelée en petites principautés, envahie par Napoléon, l'Allemagne devait conquérir par les armes son unité et sa liberté. Le compromis entre les réformateurs bourgeois et la monarchie fut éphémère ; c'est seulement après la mort de Clausewitz - et dans des conditions différentes - que l'armée prussienne devint l'instrument de l'unité allemande. Le fait d'armes le plus éclatant de Clausewitz est une trahison (il passe aux Russes pour combattre Napoléon, son propre roi et sa propre armée), son seul succès militaire est une négociation réussie (la reddition du corps prussien de la Grande Armée). Après 1815, inconnu, il ronge son frein, écrit De la guerre.
Ses vraies victoires seront posthumes mais éclatantes. Au XIXe siècle, l'état-major prussien applique ses leçons, mais également Engels qui fait partager son enthousiasme à Marx. Au XXe siècle, Jaurès reproche à l'état-major français de trop ignorer ce général prussien, tandis qu'en pleine guerre mondiale, Lénine annote soigneusement De la guerre (1915). Il se réclamera de cette autorité aux moments décisifs, lorsqu'il justifie sa rupture avec la IIe Internationale, établit sa stratégie insurrectionnelle, organise l'activité militaire et diplomatique du nouvel Etat soviétique. Après la Seconde Guerre mondiale, W. Hahlweg a montré comment les erreurs stratégiques des états-majors allemands (1914 et 1940) étaient liées à (voire justifiées par) une interprétation unilatérale et erronée de la leçon clausewitzienne. Les théoriciens de la stratégie nucléaire (dissuasion) retournent à Clausewitz, tandis que les marxistes montrent la filiation qui noue la guerre nationale et la guerre populaire, De la guerre (1831) et De la guerre prolongée (1938, Mao Zedong)."
   Le même auteur analyse ces textes qui diffuse une pensée quasi-universelle sur la guerre. "La pensée de Clausewitz n'est pas facile. Pourtant le style est aisé, tout jargon soigneusement banni, l'auteur élimine toute barrière infranchissable entre la théorie du stratège et la pratique du chef militaire." "Lorsque la théorie porte la lumière d'une réflexion essentiellement critique dans le champ de la guerre tout entier", elle parle d'une voix familière, son langage "côtoyant en quelque sorte l'action de la guerre, et l'examen critique n'étant en définitive que la réflexion qui précède l'action". Clausewitz déteste les faux savants pédants qui ont fait de la théorie la risée de tous les hommes d'action : "Cela n'aurait jamais pu se produire si, par un langage simple et en considérant naturellement les choses qui constituent la conduite de la guerre, la théorie s'était attachée à établir ce qui peut en être établi (...), si elle avait marché la main dans la main avec tous ceux qui sont chargés en campagne de diriger les affaires avec les ressources de leur propre esprit." Simple, l'expression chez Clausewitz est également précise, les seuls obstacles de vocabulaire rencontrés tiennent à l'imprécision équivoque des traductions.
La difficulté n'est pas de style, mais de construction. De la guerre pendant dix ans fut sans cesse remis en chantier, l'oeuvre est posthume, seule la rédaction des chapitres I et II du livre I était considérées comme définitive par l'auteur. Ils doivent être lus d'abord, avec le livre VIII qui fut également rédigé à la fin de la vie de Clausewitz, la compréhension de ces textes commande la lecture du reste de l'ouvrage. Faute de saisir la logique qui gouverne l'ensemble de l'oeuvre, on risque de vouloir tirer des recettes arbitraires de telle ou telle remarque isolée. Pour s'être ainsi fourvoyés, maints commentateurs ont manqué la cohérence de l'ensemble. Ils avaient pourtant été prévenus par l'auteur lui-même qui écrivait en préface : "L'investigation et l'observation, la philosophie et l'expérience ne doivent jamais se mépriser ni s'exclure mutuellement ; elles sont garantes l'une de l'autre. Les propositions du présent ouvrage et l'architecture serrée de leur nécessité interne reposent sur l'expérience, ou sur un concept de guerre lui-même comme point de repère extrême, de sorte qu'elles ne sont point sans fondement."
Cette "architecture serrée" doit nouer rationnellement les trois expériences fondamentales à partir desquelles raisonne Clausewitz : la révolution française a transformé la nature de la guerre, Napoléon la manière de la faire, les guerres populaires de défense (Espagne, Russie) ont introduit la réplique au Blietzkrieg napoléonien. La théorie clausewitzienne découvre l'unité de ces trois expériences. Entre divers types de guerres, comme entre adversaires aux motivations différentes, il y a quelque chose de commun : la guerre. La réflexion (théorie, stratégie) qui construit ce "concept de guerre" ne doit pas se confondre avec des réflexions (morales, politiques ou techniques) sur les différentes guerres : la réflexion stratégique est autonome, Clausewitz enseigne à penser la guerre en tant que guerre. Ce faisant, il découvre que la guerre n'est pas seulement pensable mais également maitrisable par un calcul stratégique évaluant la force de la défense, qui règle le cours de la guerre, lequel dépend à son tour de la mobilisation politique du peuple."(...)".


Carl Von CLAUSEWITZ, De la guerre, 1832-1838 (Les éditions de minuit, 1955) ; De la révolution à la restauration, Écrits et lettres de 1804 à 1831, Gallimard, 1976.

H. ROTHFELS, article CLAUSEWITZ, dans Les maîtres de la stratégie, tome 1, sous la direction d'Edward Mead EARLE, Editions Berger-Levrault, collection Stratégies, 1980. Raymond ARON, Penser la guerre, CLAUSEWITZ,  2 tomes, Gallimard, nrf, collection bibliothèque des sciences humaines, 1976. Sous la direction de Laure BARDIES et de Martin MOTTE, de la guerre? CLAUSEWITZ et la pensée stratégique contemporaine, Economica, fondation Saint-Cyr, collection Bibliothèque stratégique, 2008. André GLUCKSMAN, Clausewitz, dans Encyclopedia Universalis, 2014.
Il faut signaler également le livre de René GIRARD, Achever CLAUSEWITZ, carnets nord, 2007.

                                                                STRATEGUS
 
Complété le 10 février 2014. Relu le 24 octobre 2018.

  
 
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17 novembre 2008 1 17 /11 /novembre /2008 16:23
   On ne trouve guère de définition de la guerre dans les différents dictionnaires d'économie, tout juste une évocation brève du rôle des dépenses militaires dans le cadre des dépenses publiques, elles abondamment décrites. La guerre est généralement conçue comme une fonction extérieure au fonctionnement économique. De même d'ailleurs que les dépenses militaires.
  "Le fait notable de la production militaire moderne est qu'elle reste à l'extérieur (des forces de contrôle démocratique). Ainsi, elle est ignorée par la formation économiques dominante, avec quelques exceptions spécifiques, et par la plupart des recherches économiques ou des discussions formelles. Une très grande composante de l'activité économique actuelle, importante par ses commandes de ressources, pressante par ses implications sociales et politiques, est effectivement ignorée par les économistes modernes. Elle n'est pas incluse dans les modèles économiques agréés ; donc d'un point de vue académique, elle n'existe pas." (John Kenneth GALBRAITH).

   La plupart des études sur les relations entre Guerre et Économie se focalisent sur un versant ou un autre, en amont ou en aval, rarement dans les relations dynamiques entre l'une et l'autre. Soit il s'agit d'études portant sur les causes économiques des guerres, soit sur leurs conséquences. Les dépenses militaires, comme préparations à la guerre, sont pour la plupart négligées par les auteurs économiques.
 
    Pourtant quatre des plus grands auteurs des théories économiques ont tous plus ou moins discuté des relations entre guerre et économie sans en faire des éléments déterminants. Adam SMITH dans ses "Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776), Karl MARX et Friedrich ENGELS dans certains chapitres de "Le Capital" (1867-1894), John Maynard KEYNES dans ses "Conséquences économiques de la paix" (1919) et son "Comment financer la guerre?" (1940) et Joseph SCHUMPETER dans "Business Cycle" (1939) et "Capitalisme, Socialisme et Démocratie" évoquent parfois très précisément le rôle des dépenses militaires, les apports économiques des conquêtes militaires ou les productions de moyens de destruction. On évoquera aussi, pas seulement à la marge, le livre de Raymond ARON sur "La société industrielle et la guerre" (1959).
  Il faut signaler également Friedrich LIS, économiste américain, qui en 1857, choisit pour objet d'études, la puissance et pense globalement la richesse, qu'elle soit acquise en temps de paix ou en temps de guerre.
 
      Pourtant, comme l'écrivent Jean-François DA GUZAN et Pascal LORIOT (Guerre et Économie), "l'influence de la guerre sur l'économie et pour le moins de la préparation de la guerre sur l'économie (a) globalement été la règle pendant environ 130 ans, c'est-à-dire de la guerre de Sécession à la fin de l'Union Soviétique."
   - La guerre constitue un vaste vol à main armée de richesses de tout ordre et en tant que telle, elle fait pratiquement partie de l'économie (après, un peu moins...) jusqu'à l'ère industrielle du XIXème siècle. D'ailleurs, le mercantilisme anglais ou français intégrait très bien les deux dimensions pacifiques et guerrières d'acquisition de ces richesses.
  - L'économie militaire constitue un état naturel de l'économie mondiale entre 1860 (pour ne pas dire un peu avant, juste après les guerres napoléoniennes par exemple) et 1990, des entreprises coloniales systématiques à la chute de l'Union Soviétique. Entre complexe militaro-industriel américain et stratocratie soviétique (pour emprunter un terme de Cornélius CASTORIADIS), une forte compétition eut lieu pour mettre en oeuvre dans les armées le meilleur de la technologie dans tous les domaines.
Mais malgré le fait que l'économie militaire ait le plus fort impact sur l'économie globale entre les dates citées (et malgré ce que ces auteurs en disent...), vu la persistance de fortes dépenses militaires, il fait bien constater qu'elle garde une importance certaine d'une manière constante dans les économies modernes, quel que soit l'état des relations internationales.
  - Pour divers économistes marxistes, mais pas seulement, la production de moyens de destruction et les destructions elles-mêmes, sont nécessaires au fonctionnement de l'économie capitaliste, que ce soit au niveau national ou mondial. (Ernst MANDEL (1923-1995), Rosa LUXEMBOURG (1871-1919), LENINE (1870-1924), Paul BARAN (1910-1964), Paul SWEEZY (1910-2004), Gunder FRANCK (1929-2005)).
  - Pour plusieurs économistes libéraux, au contraire, la guerre n'a plus de raison d'être, n'a plus d'avenir dans une société développée et constitue, au minimum, et surtout au niveau des dépenses improductives d'armements, une menace constante pour les progrès du système capitaliste, compris comme seul système viable. (Seymour MELMAN (1917-2004), Vilfredo PARETO (1848-1923), WALRAS (1834-1910), KEYNES (1883-1946)).

Sous la direction de Jean-François DAGUZAN et Pascal LOROT (institut Choiseul pour la politique international et la géoéconomie), Guerre et Economie, Ellipses, 2003. Edward Mead EARLE, Les maîtres de la stratégie, tome 1, Bibliothèque Berger-Levrault, collection Stratégies, 1980. Raymond ARON, La société industrielle et la guerre, Plon, 1959. Sous la direction de Jacques FONTANEL, Économistes de la paix, Presses Universitaires de Grenoble, 1993.

  N.B. Il existe une association - internationale - d'économistes réfléchissant sur les relations Économie, Guerre et Défense, fréquemment consultés par les instances internationales, dont l'ONU : Économistes de la paix (ECCAR) : Espace Europe, BP 47, 38040 GRENOBLE CEDEX 9.
 
Relu le 26 octobre 2018
 
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17 novembre 2008 1 17 /11 /novembre /2008 09:46
           L'existence même d'un état de guerre introduit des changements dans le politique économique des nations. Ceci est une perception assez générale de l'économie de guerre, exprimée par exemple dans le Dictionnaire d'Histoire Militaire d'André CORVISIER, par Raimondo LURAGHI.
  Cette perception un peu "extérieure" de la guerre dans l'économie évite de faire la recherche d'une origine ou d'éléments d'origine guerrière de l'économie, entre rapines et systèmes de dons. Pour en rester à une première approche, les changements introduits par l'état de guerre dans une marche économique "normale", sont, toujours selon Raimondo LURAGHI, de deux ordres, passifs et actifs.
 "Les changements passifs sont causés (...) par la simple existence de la guerre, laquelle influence de différentes façons toute la vie nationale. La seule présence de la guerre (sans prendre en considération le cas de pertes d'une partie du territoire national par invasion ennemie), suffit à influencer la production, les transports, le ravitaillement, aussi bien que l'offre et la demande - voire le marché -, la circulation monétaire et le revenu. C'est donc dans un milieu profondément altéré que le gouvernement du pays en guerre se trouve tout de suite obligé d'opérer, et ce milieu influence sa politique économique en tant qu'il exige une réponse immédiate par des mesures à prendre sans délai."
 Les changements actifs ou "engendrés par l'activité consciente de l'Etat" sont de deux sortes, interdépendants d'ailleurs, "Avant tout, il s'agit de réagir aux changements (passifs), de les endiguer, pour autant que possible éviter des effets qui, en endommageant sérieusement l'économie nationale, empêcheraient l'effort de guerre et, en démoralisant les citoyens, les assujettiraient à des tensions qui saperaient la résistance du front intérieur. Le premier problème (...) est d'assurer un ravitaillement plus ou moins régulier, en organisant des magasins de denrées de première nécessité, en contrôlant le marché alimentaire et en rationnant les vivres (...) et de s'assurer que les moyens de transport réservent une partie au moins de leur matériel roulant aux transports civils (...). Le deuxième problème est de concilier ce besoin avec la nécessité d'exercer le maximum  d'effort pour gagner la guerre. (...). C'est la mobilisation de toutes les ressources productives du pays en les amenant à soutenir l'effort de guerre, les ressources industrielles et agricoles, de même que les infrastructures de transports.
 L'auteur prend l'exemple de la guerre civile américaine de 1861-1865 pour étudier les différents éléments d'une économie de guerre. Il cite d'ailleurs comme conséquence qu'"on créa une gigantesque économie d'Etat, voire socialiste. ce fut une expérience d'une importance extrême pour l'avenir. En passant, on peut observer que l'organisation de l'économie de guerre marchait sur la voie de la centralisation et de l'étatisation, qui furent les bases des dictatures contemporaines."

       En fait, des économies de guerre se sont constitués déjà avant les différentes révolutions industrielles. Sans remonter à l'Antiquité, à l'Empire Romain, il suffit de jeter un oeil sur l'Europe,du XVIIème siècle, où selon Pierre LEON et ses collaborateurs (Histoire sociale et économique du monde) "progressivement, à partir de 1618, la plus grande partie de l'Europe entra dans un état de guerre." "Il y a le fait ponctuel, inéluctable des opérations militaires, des batailles, des sièges et des assauts de villes, des déplacements de troupes et des "gasts" divers perpétrés dans le plat pays. Plus largement, les Etats belligérants ont dû bander leurs forces pour soutenir l'effort, solliciter les ressources de leurs sujets, les orienter dans un seul but, fut-ce contre le vouloir profond des hommes, bref, imposer la cangue d'une économie de guerre. On devine, par tout ce qui a été dit du mécanisme des recettes et des dépenses des gouvernements, que l'ombre des mancenilliers s'est allongée, presque démesurément, sur les peuples".
  "Réorientation de l'économie. Elle s'imposait ipso facto aux contribuables. Sous deux aspects : l'obligation de travailler davantage ou de vendre plus pour payer l'impôt ; la restriction forcée des achats par la nécessité d'économiser dans le même but." "(...) l'Etat lui imprimait une autre marque en organisant la redistribution des revenus, et, d'abord, en se promouvant comme "grand entrepreneur" (...). Dans leur étude des mécanismes de l'économie de guerre, les auteurs se plaignant assez souvent du manque partiel de données économiques pour évaluer l'ampleur des affaires d'intendance des armées, comme de cerner de plus près le changement des structures économiques induites par la guerre. Ce qu'ils comprennent en tout cas, c'est que ces changements structurels perdurent après la guerre.
 Et c'est ce même phénomène, amplifié par les révolutions industrielles, qui se reproduisent après la Seconde Guerre Mondiale.

    Seymour MELMAN, dans ses études sur ce qu'il appelle "l'économie de guerre permanente", indique que le déclin relatif des Etats-Unis dans les années 1970, qu'il estimait bien engagé, est la conséquence du fonctionnement pendant 30 ans d'une économie de guerre façonnée sous le contrôle du gouvernement à côté du capitalisme civil. La nouvelle économie militaire étatisée, dont l'unique caractéristique inclue maximisation des coûts et subventions gouvernementales, a été construite au coeur même de l'économie, comme plateforme dominante dans le capitalisme américain. La compétence économique traditionnelle a été érodée par la direction étatique capitaliste qui élève une certaine inefficacité dans un dessein national, qui met hors de combat l'économie de marché. Cette vision, non perçue par les économistes dominants, hétérodoxe bien sûr, même au moment de la guerre du VietNam, se construit sur l'étude serrée des statistiques globales de l'économie américaine, notamment sur sa productivité, en même temps que sur l'étude des résultats financiers des entreprises engagées dans la production et de la recherche des armements, de même que sur l'attention constante accordée aux budgets militaires sur près de 50 ans.

  Avec le même constat sur le déclin relatif de l'économie américaine, Ernst MANDEL indique dans ses livres sur l'économie capitaliste, les caractéristiques de ce qu'il nomme "le troisième âge du capitalisme". Celui-ci "est caractérisé par des difficultés croissantes de mise en valeur (surcapitalisation, suraccumulation). L'Etat tente de les surmonter, du moins en partie, en assurant à ces capitaux des possibilités supplémentaires d'investissements rentables (rendus rentables par la garantie du profit par l'Etat ou par des subventions) dans la sphère d'armement, "l'industrie de l'environnement", l'infrastructure, etc, à une échelle inconnue jusqu'alors. Le troisième âge du capitalisme est caractérisé par le fait que le système est de plus en plus sujet à des crises économiques et sociales explosives menaçant directement sa survie. Dans cette période, l'Etat a pour fonction première de "gérer et amortir les crises", d'assurer un nombre fortement élargi de "conditions générales de production", et de garantir une mise en valeur plus aisée des capitaux excédentaires."

     La fin de la guerre froide n'a pas diminué l'importance de cette économique de guerre devenue permanente, qui a trouvé dans d'autres conflits armés les moyens de se maintenir (Guerre du Golfe, Guerre américaine d'Irak...). Cette forme d'économie-guerre qui compense en quelque sorte l'ample diminution des effectifs militaires (suppression de la conscription dans de nombreux pays, remplacement par les armées professionnelles - par ailleurs pouvant être très coûteuses...) par l'augmentation des coûts de recherche-développement d'armements de plus en plus sophistiqués, qui s'alimente par des relations demeurées conflictuelles entre Etats, ne doit pas faire oublier une autre forme d'économie de guerre, entretenue par des guerres civiles qui se sont multipliées ces dernières années.
    Jean-Christophe RUFIN, dans son étude serrée de ces différents conflits armés, distingue des économies de guerre fermées et des économies de guerre ouvertes.
 "On peut parler d'économies fermées dans tous les cas où une force de guérilla ou de rébellion opère à l'intérieur d'un territoire sans disposer d'autres ressources que celles qu'elle peut se procurer sur place." De la guerre populaire prolongée de Mao Tsé-Toung (1935 et années suivantes) en Chine, au "foco" castriste en Amérique Latine, ces économies fermées constitues une expérience non renouvelable, selon l'auteur qui, "très sèchement", écrit que ces économies isolées ne sont pas efficaces pour une faire triompher une révolte politique.
 "Dans un monde où les Etats peuvent, chez eux, à peu près tout se permettre, la frontière demeure une protection (...). Si un mouvement armé parvient à installer des bases arrières dans un pays voisin de celui où il opère militairement, il se retrouve d'un coup moins vulnérable". L'auteur cite les maquisards vietcongs comme les guérilleros d'Amilcar CABRAL. Il s'étend longuement sur les "sanctuaires humanitaires" organisés par les organisations internationales para-étatiques ou non gouvernementales, de ces vastes camps de réfugiés qui peuvent alimenter, comme en Palestine, une guérilla efficace et usante. Il existe également des économies de production, notamment lorsque ces "sanctuaires humanitaires" ne suffisent plus à l'alimentation humaine et financière des guérillas, de production de drogues par exemple ou d'autres activités criminelles (au sens international) qui parfois ancrent les mouvements les plus idéologiques dans la criminalité pure et simple (phénomène de l'industrie d'otages touristiques par exemple).

    Economies de guerre étatique et économies de guerre civile entretiennent ensemble un climat de conflictualité, qui renforce les politiques étatiques dans le sens d'une perpétuation de recherches-développements et de production d'armements de toutes sortes (des plus simples aux plus sophistiqués). Et ces économies s'intègrent, notamment via les circuits financiers aux économies civiles avec lesquelles elles peuvent entretenir dans certains secteurs à haute plus-value technologique (aéronautique, nucléaire, nanotechnologies, informatique...) des liens très étroits, proches d'une synergie parfois activement recherchée.

Sous la direction d'André CORVISIER, Dictionnaire d'art et d'histoire militaires, PUF, 1988, entrée Economie de guerre, de Raimondo LURAGHI. Sous la direction de Pierre LEON, Histoire économique et sociale du monde, tome 2, Les hésitations de la croissance, 1580-1730, Armand Colin, 1978. Seymour MELMAN, The Permanent War Economy, American Capitalism in Decline, 1974. Ernst MANDEL,Le troisième âge du capitalisme, tome 3, Union Générale d'Editions, 10/18, 1976. Sous la direction de François JEAN et Jean-Christophe RUFIN, Economie des guerres civiles, Hachette, collection Pluriel, 1996.

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Relu le 26 octobre 2018
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13 novembre 2008 4 13 /11 /novembre /2008 15:18
           Stratégies économiques
 
   C'est avec le triomphe du capitalisme industriel et financier au XIXème siècle que vient tardivement d'ailleurs l'extension de la notion de stratégie au domaine économique.
  Karl MARX (1818-1883), le premier, pense l'économie stratégiquement, dans la notion de rapports de forces liés aux rapports de production (entre les différents types de production et les différents types d'entreprises) et aux rapports de classes sociales. La lutte des classes exige une stratégie de prise du pouvoir politique et économique pour la classe ouvrière. Mais les penseurs économiques comme Adam SMITH et David RICARDO ne s'intéressent qu'aux interactions entre une multitude d'agents économiques et il faut attendre l'oeuvre de Joseph SCHUMPETER (1883-1950) pour voir apparaître fortement cette extension de la stratégie à l'économie.

   Dans "Theory of Economic Development" (1908), Joseph SCHUMPETER introduit l'acteur central du système capitaliste : l'entrepreneur doté d'une stratégie de conquête du marché. Dans "Capitalisme, Socialisme et Démocratie" (1942), comme dans "Business Cycles" (1939),  il développe l'idée, au contraire des partisans smithiens et ricardiens de la libre concurrence, que seuls de grandes entreprises monopolistiques peuvent sauver le capitalisme de ses crises périodiques. Dotés d'une véritable stratégie à l'échelle régionale et internationale, ils sont les mieux placés pour diffuser l'innovation, prendre des risques et imposer les transformations nécessaires.
  Après la Seconde Guerre Mondiale, notamment avec les travaux de John Maynard KEYNES (1883-1946), qui dans sa "Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie" (1936), place au centre du jeu économique l'intervention de l'Etat pour réguler l'économie. Il s'agit bien de doter l'Etat d'une véritable stratégie économique, pour endiguer les crises et financer les guerres.
  De manière générale, ces économistes ne s'étendent pas sur le sens du mot stratégie, comme s'il faisait partie "de la nature des choses" que l'entrepreneur est d'une certaine manière le capitaine de son entreprise, qu'il régente comme une armée.

     Plus tard, la "science" économique introduit progressivement des idées et des concepts permettant de comprendre les situations stratégiques et même des questions directement stratégiques comme les approvisionnements en matières premières, et les allocations de ressources rares. Joe BAIN et Edih PENROSE (Theory of the growth of the firme, 1959) initient une branche du savoir en économie intitulée Industrial Organization, dont l'objet est d'étudier la croissance de la firme et la structure des marchés dans des situations de concurrence imparfaite. (Thierry de MONTBRIAL). il s'agit d'étudier les conditions de fixation de prix assurant une rente à long terme aussi élevée que possible. Le "marché contestable" de BAUMOL, PANZAR et WILLIG (1982) est le terrain à étudier pour analyser les "bonnes" stratégies des distributeurs de marchandises et de services pour empêcher les consommateurs de découvrir une fois pour toutes le prix le plus faible. La théorie moderne de l'Industrial Organization (J.TIROLE, "The theory of Industrial Organization, 1988) étudie les problèmes comme la "sélection adverse" en cas d'incertitude sur la qualité des produits, par la recherche des moyens d'orientation de l'information sur ceux-ci (publicité, marketing).

       Dans un Dictionnaire de la stratégie, Philippe DE WOOT, compte tenu de toutes ces études théoriques et de nombre d'applications pratiques, comme de l'activité des branches des directions d'entreprises chargées de proposer les modalités de l'activité productive, commerciale ou/et financière de celles-ci, propose une bonne définition de la stratégie dans le domaine économique.
"Dans un monde concurrentiel, la stratégie vise essentiellement à conduire l'évolution de l'entreprise en vue de développer sa performance et d'éviter son déclin par vieillissement, manque d'initiative, perte de la maîtrise commerciale, technologique ou économique. (Elle) peut être définie comme l'ensemble des manoeuvres qui permettent à l'entreprise de mener victorieusement la conquête concurrentielle de ses marchés. il s'agit d'un processus de décision et d'action, délibéré et anticipatif. C'est par lui que l'entreprise définit ses priorités, oriente ses forces, alloue - et ré alloue - ses ressources rares. c'est aussi par lui qu'elle fixe les buts à atteindre et les normes du succès ou de la victoire." Il s'agit d'obtenir le plus de profits possibles en un minimum de temps en engageant le minimum de ressources.
  Avec l'affaiblissement des Etats et la montée en puissance d'entreprises à la taille proprement gigantesque, la stratégie des entreprise est devenu tout un domaine où foisonnent les experts. Ceux-ci manient les données économiques dans ce qu'ils considèrent souvent comme une guerre. Ainsi, Dominique FONVIELLE (De la guerre économique...) définit le marché comme un terrain de bataille où doivent se mener précisément des combats plus ou moins décisifs, en vue d'absorber des entreprises rivales ou tout simplement de prendre leurs parts du marché. Fixant le cadre général de l'action où l'information prend une place centrale, il transpose les notions d'agresseur et d'agressé de l'Etat à la firme. Mieux, il croise ces notions dans une perspective où le rôle de l'agressé et de l'agresseur est joué par un Etat ou une firme face à une firme ou un Etat. S'il s'agit d'un Etat face à un autre Etat, la recherche du leadership économique et politique, par la diplomatie, l'action des services spéciaux, les réglementations sont la règle, avec les créations de tensions et la possibilité de passer à la guerre militaire. Un Etat face à une firme en fait la cible du service de renseignement, et l'objet de l'action des stratégies d'influence en appui de firmes concurrentes. S'il s'agit d'une firme face à une firme, l'espionnage industriel, les coups tordus des "officines" sont la règle, en dehors des actions classiques sur les prix et les quantités de marchandises et de biens, mais aussi une firme face à un Etat cherche à exercer une domination politique et financière sur un pays étranger, appuyée par les services spécialisés de son pays, la corruption et la dépendance politique, sans compter l'action directe de "lobbying" de la firme sur son propre Etat. On a l'habitude de raisonner comme si sur la scène internationale, ce sont les Etats qui constituent les acteurs principaux, les références obligées, mais dans la réalité, les grandes firmes peuvent tout aussi bien, dans certaines circonstances, avoir des stratégies propres à rivaliser avec les Etats, même ceux dont sont originaires ces firmes. Ces firmes, dans leur stratégie considèrent alors certains Etats comme leurs propres agents de développement.
Dans un tableau saisissant, Dominique FONVIELLE récapitule les forces et faiblesses des entreprises françaises en mettant en relief la société de l'information, les nouvelles menaces non militaires et les stratégies économiques nationales. On peut juste reprocher à celui-ci de continuer à prendre comme référent absolu la nationalité des entreprises, comme si l'entreprise France existait finalement, alors qu'on a affaire plutôt à des entreprises de toutes tailles qui agissent dans un espace multinational en jouant sur les différentes réglementations (sociales, économiques, culturelles)  pour produire les plus grands bénéfices. En fait, les critères de choix d'investissement des entreprises obéissent à des nécessités de surprise stratégique ou d'éducation du marché à des marchandises ou des services, de création ou de destruction de valeurs, de respect du code éthique (variable) et de la conformité (variable) des dirigeants d'entreprises aux orientations politiques nationales.

Sous la direction de Thierry DE MONTBRIAL et de Jean KLEIN, Dictionnaire de stratégie, PUF, 2000 - Article Stratégie et Stratégie des entreprises (Thierry de MONTBRIAL et Philippe DE WOOT. Sous la direction de Jean-Marie ALBERTINI et d'Ahmed SILEM, Comprendre les théories économiques, Editions du Seuil, 2001. Dominique FONVIELLE, De la guerre... économique, PUF, collection Défense et défis nouveaux, 2002.

                                                                             STRATEGUS
 
Relu le 31 octobre 2018
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12 novembre 2008 3 12 /11 /novembre /2008 15:49
           A l'heure où les médias semblent s'affoler au rythme des chutes des cours des Bourses, au moment où certains ministres et certains responsables d'entreprise clament qu'on ne pouvait prévoir une telle crise financière, la lecture du livre de Patrick ARTUS et de Marie-Paule VIRARD, paru en 2005, vient à point pour mettre en évidence une certaine médiocrité politique et une imprévoyance économique bien partagée.
       "Le capitalisme est-il en train de s'autodétruire? La question peut sembler saugrenue, voire provocatrice au moment même où les grandes entreprises de la planète, à commencer par les entreprises françaises, affichent des profits très élevés et distribuent des dividendes records à leurs actionnaires, tandis que les salariés voient leur pouvoir d'achat se réduire dans un climat où l'inquiétude grandit, dominée par la multiplication des délocalisations, la permanence d'un niveau de chômage élevé et de la précarité sous toutes ces formes. Et comme plus la croissance est molle, plus les profits explosent, rien d'étonnant à ce que le débat sur la légitimité d'un tel "partage" des richesses monte en puissance. Pourtant, c'est au moment où le capitalisme n'a jamais été aussi prospère, aussi dominateur, qu'il apparaît le plus vulnérable, et nous avec lui..."  Qui écrivent cette introduction alarmiste? Des révolutionnaires marxistes? Non, une journaliste rédactrice en chef du magazine Enjeux-Les Echos et le directeur des études économiques du Groupe Caisse d'épargne et de la Caisse des dépôts et consignations...
                
        Après le constat d'un état du capitalisme où les richesses affluent vers le capital au détriment du travail (entendez les traitements et salaires), où les bénéfices accumulés servent à alimenter des stratégies de conquêtes d'entreprises rivales, où il n'existe plus de projet réel d'investissement dans ce que certains appellent l'économie réelle, les auteurs préviennent qui veulent bien les entendre que celui-ci risque de s'effondrer de lui-même. Loin de faire une analyse de chute tendancielle accélérée des taux de profits, ils mettent en relief le fonctionnement financier des entreprises, où l'imagination comptable ne semble pas avoir de bornes.
      Les deux économistes proposent d'ailleurs une réforme profonde de la gestion de l'épargne et de nouvelles règles de "gouvernance" aux gérants comme aux régulateurs, qui permettraient d'éviter une nouvelle crise du capitalisme, avec des conséquences politiques et sociales beaucoup plus graves que celles des précédents éclatements de diverses "bulles" financières.
       L'intérêt de proposer la lecture d'un tel livre n'est pas de jouer aux "On vous l'avait bien dit..." mais de montrer une aspect - dans l'actualité - de conflits non seulement ici entre grandes entreprises et travailleurs, mais également entre nécessités économiques toujours présentes (l'investissement vers des secteurs productifs et générateurs de progrès économiques et sociaux) et stratégies financières à court terme.
 
     L'éditeur présente ce livre de la manière suivante : "... Dans ce livre décapant et remarquable de clarté, les auteurs n'y vont pas par quatre chemins pour qualifier ce paradoxe : c'est au moment où le capitalisme n'a jamais été aussi prospère qu'il apparait le plus vulnérable, et nous avec lui. Parce qu'il s'agit  d'un capitalisme sans projet ; qui ne fait rien d'utile de ses milliards, qui n'investit pas, qui ne prépare pas l'avenir. Et face au malaise social, les gouvernements ne traitent le plus souvent que les symptômes, faute de prendre en compte le fond du problème. Ce problème, c'est l'absurdité du comportement des grands investisseurs, qui exigent des entreprises des résultats beaucoup trop élevés. Du coup, elles privilégient le rendement à trois mois plutôt que l'investissement à long terme, quitte à délocaliser, à faire pression sur les salaires et à renoncer à créer des emplois ici et maintenant. Voilà pourquoi il est urgent, expliquent les auteurs, de réformer profondément la gestion de l'épargne, d'imposer de nouvelles règles de gouvernance aux gérants comme aux régulateurs. Faute de quoi on n'évitera pas une nouvelle crise du capitalisme, avec toutes ses conséquences politiques et sociales."
 
    Dans Alternatives Economiques n°242, de décembre 2005, nous pouvons lire la critique de Christian CHAVAGNEUX : "Indéniablement, il se passe quelque chose chez les économistes français. Les ouvrages où ils annoncent, dénoncent, le dysfonctionnement du capitalisme contemporain se multiplient. La critique est féroce et semble paraitre comme le nouveau consensus, une victoire indéniable pour des auteurs comme Robert Boyer ou Michel Aglietta, dont les travaux nous alertaient depuis un moment sur le sujet. Que l'on en juge : nous présentions ici, le mois dernier,  le livre de Jean Peyrelevade (le capitalisme total) et on trouvera dans les pages qui suivent la présentation d'Elie Cohen (le nouvel âge du capitalisme). Mais le plus radical, venant d'économistes plutôt orthodoxes, est sans nul doute le livre que viennent de publier Patrick Artus et Marie-Paule Virard. La logique froide du raisonnement économique y est appliquée, mais présentée dans un style percutant et clair, pour dénoncer les rouages du piège à croissance faible dans lequel une bonne partie de l'Europe, dont la France, est tombée. Au départ, il y a le constat de la croissance rapide des profits des entreprises, des dividendes distribués aux actionnaires, des rémunérations accordées aux dirigeants et des retraites en or massif que se prépare tout ce beau monde. En face, les salaires stagnent, donc la demande, donc l'investissement, donc la croissance, donc les créations d'emplois manquent, donc le chômage augmente, poids supplémentaires pour compresser les salaires. On vous avait prévenu : la logique économique est implacable. Et comme quelques centaines de millions de Chinois et d'Indiens se sont mis en tête de nous tailler les croupières, les entreprises délocalisent pour baisser leurs coûts (et cette menace renforce la pression sur les salaires) ou engagent quelques investissements de productivité (d'où de faibles créations d'emplois). Malheureusement, les secteurs de haute technologie restent les moins bien lotis, et une bonne partie de l'Europe accumule un retard difficilement rattrapable en ce domaine. Résultat : le capitalisme français - car c'est bien de celui-là  dont il s'agit plus que du capitalisme en général - est un capitalisme sans projet, de croissance molle, mais qui finira par s'écrouler. Face à cela, le livre est riche de conseils sur les mauvaises réponses à éviter. Par exemple, relancer la consommation en augmentant la participation (les salariés des PME n'en touchent pratiquement pas, et ce sont les salariés les plus riches qui en bénéficient le plus) ou en engageant une hausse généralisée des salaires (problème de compétitivé, et le travail non qualifié est déjà cher, avancent les auteurs). Dans le même temps, les exemples proposés de modèles qui réussissent (Royaume Uni, Suède, Espagne) doivent leur succès à des augmentations de salaires qui suivent celles de la productivité, ou à des créations d'emplois. Bref, Patrick Artus et Marie-Paul Virard aimeraient bien que les entreprises s'engagent moins dans une course au rendement financier et nourrissent plutôt la demande en redistribuant à leurs salariés les plus qualifiés une partie de leurs profits et en investissant, au lieu d'amasser des trésors. Pour les salariés les moins qualifiés, ils réclament d'aller plus loin dans la prime pour l'emploi : ses effets macroéconomiques restent encore trop faibles (...) alors qu'elle est une bonne incitation au retour à l'emploi. Comment y arriver? Les nouvelles règles de la gouvernance d'entreprise ne le permettront pas : elles sont inadaptées. Et les nouvelles normes comptables mises en oeuvre depuis le début de l'année dans les sociétés côtées ne font qu'aggraver les choses. La conclusion du livre renvoie piteusement "à la responsabilité de chacun des acteurs", autant dire aux calendes grecques. Mais comme chacun sait, les économistes ne font pas de politique..."
 

 

 

 

 
   Patrick ARTUS (né en 1951), économiste français et directeur de la recherche et des études de NATIXIS, professeur associé à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, membre du Cercle des économistes, qui écrit régulièrement des chroniques et points de vue (Le Monde, Alternatives économiques, Challenge, Les Echos...), est l'auteur de nombreux ouvrages : Le choix du Système de retraites (Economica, 1999) ; La nouvelle économie (La Découverte, 2001) ; La France peut se ressaisir (Economica, 2004) ; Macroéconomie (Economica, 2005) ; Les incendiaires - Les banques centrales dépassées par la globalisation (Perrin, 2007)  ; Globalisation, le pire est à venir (avec Marie-Paule VIRARD, La Découverte, 2008) ; Est-il trop tard pour sauver l'Amérique. (avec Marie-Paule VIRARD, La Découverte, 2009) ; Sorties de crise. Ce que l'on ne vous dit pas (avec Olivier PASTRÉ, Editions Perrin, 2009) ; La France sans ses usines (avec Marie-Paule VIRARD, Fayard, 2011)....
 
   Marie-Paule VIRARD, rédacteur en chef du magazine Enjeux-Les Echos est l'auteure d'autres ouvrages : On comprend mieux le monde à travers l'économie (avec Patrick ARTUS, Pearson Eduction, 2008) ; La finance mène t-elle le monde? (Larousse, 2008) ; Le roman des grands patrons (Flammarion, 2001)...

Patrick ARTUS, Marie-Paule VIRARD, Le capitalisme est en train de s'autodétruire, La Découverte, collection Cahiers libres, 2005, 143 pages.
 
 
Complété le 20 octobre 2012. Relu le 31 octobre 2018.
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12 novembre 2008 3 12 /11 /novembre /2008 15:18
      Présentation générale de deux rapports de l'UNESCO sur la violence

             Établi en 1980, le recueil de ces travaux réalisés sous l'égide de l'UNESCO, organisme spécialisé en matière culture de l'ONU, provient d'un processus toujours en cours de recherches pluridisciplinaires et internationales sur la violence. Ce programme de recherches d'experts sur l'étude des causes de la violence débute dès 1975 et se poursuit avec la publication en 2005 d'un second recueil d'études (La violence et ses causes : où en sommes-nous?).
     Comme l'écrit, dans ce rapport d'étape en quelque sorte, le chef d'alors de la section de la philosophie et des sciences humaines de l'UNESCO, "Sur la base d'un échange de vues aussi large que possible, les différentes contributions du présent ouvrage incitent d'abord à établir, dans ses grandes lignes, une grille d'analyse des nouvelles formes de la violence qui prenne pleinement en compte les évolutions récentes et le fasse dans une perspective interdisciplinaire, en particulier dans les domaines de compétence de l'UNESCO (éducation, science, culture, communication et information). Il sera ensuite nécessaire d'identifier les thèmes clefs et prioritaires qui méritent d'être approfondis, notamment pour cerner les conséquences qu'auront à moyen et long terme les nouvelles formes de la violence et définir les besoins les plus urgents en matière de recherche. Enfin, il nous incombe d'identifier les personnes et les institutions les plus aptes à aborder ces thèmes dans une perspective interdisciplinaire. la violence est-elle un processus individuel ou collectif? Comment se fait éventuellement le passage de l'un à l'autre? S'agit-il d'un état ou d'un mécanisme?"
   
        Malgré la lourdeur et l'aspect un peu laborieux - probablement pour des raisons diplomatiques complexes - des différents travaux publiés par l'UNESCO (une monumentale et un peu indigeste "Histoire de l'humanité" a été élaborée dans les années 1960), le contenu des contributions incluses dans les deux rapports de 1980 et de 2005, avec la liberté d'expression permise à ses auteurs, possède le grand mérite de tracer des perspectives sérieuses de recherches non dénuées d'ailleurs d'applications pratiques dans différents pays.
   Dans cette même perspective, l'UNESCO organise dans le cadre d'une "Décennie de la culture de paix et de non-violence, 2001-2010" de multiples manifestations culturelles.

      L'ouvrage de 1980 comporte trois parties :
- Transdisciplinarité et causalité multiple ;
- Individus et sociétés : sciences sociales et disciplines normatives sur la violence ;
- Violence économique et sociale.
    Ces parties sont à mettre en regard à celles de l'ouvrage de 2005 :
- Nouvelles formes de violence et tentatives de réponses aux nouveaux défis ; Typologie des formes de violence ; Causes et sources de la violence ;
 - Violences extrêmes, terrorisme, crise du politique ;
 - Violence, fanatisme, sacrifice ;
 - Violence et corruption.
   
      Les textes de 2005 font plus référence qu'en 1980 à des problèmes concrets. Cette volonté de cerner les évolutions des formes de violence en allant aux réalités actuelles tranche avec l'aspect très théorique des textes du premier ouvrage, lesquels étaient d'ailleurs nettement plus longs.
 
 


La violence et ses causes, UNESCO, 1980, 287 pages ; La violence et ses causes : où en sommes-nous?; Economica, UNESCO, collection Défis, 2005, 144 pages.

                                                                                                    SOCIUS
 
Relu le 31 octobre 2018. Il semble bien que les réductions des ressources de l'UNESCO dans la décennie 2010 aient contracté l'effort de recherches de l'organisation internationale sur la violence...
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11 novembre 2008 2 11 /11 /novembre /2008 16:06
 
      Publié en France en 1968, ce livre iconoclaste à bien des égards se présente (ironiquement?) comme un "rapport sur l'utilité des guerres" qui aurait été commandité par le gouvernement américain et élaboré par quinze experts dans la perspective de faire face à une "situation de paix permanente".
     Destiné donc, le jure l'économiste J.K. GALBRAITH, à analyser les conséquences de l'absence de guerre dans toute une série de domaines - économiques, politiques, sociaux et culturels - le "rapport" étudie les fonctions de la guerre de manière extrêmement froide, on en jugera à la lecture très aisée de deux centaines de pages d'un texte  assez aéré.  On y trouve par exemple des considérations sur la guerre en tant que facteur de libération sociale (elle procure les réajustements nécessaires aux critères du comportement social civique), en tant que stabilisateur des conflits entre générations et en tant que clarificateur des idéologies...
       Les fonctions économiques de la guerre sont particulièrement étudiées dans ce rapport, celle-ci étant considérée comme régulatrices d'un système économique sujet à des crises régulières.
  
     Le grand mérite de ce "rapport" est de mettre l'accent sur les fonctions non militaires de la guerre, notamment sur les aspects curatifs à propos des conflits sociaux, et à son corollaire immédiat sur la fonction étatique de contrôle social des citoyens. Dans sa seconde partie, il examine d'ailleurs les substituts à ces fonctions non militaires, dans la situation particulière angoissante d'une prolongation indéfinie de la paix. Pour l'économie, il préconise "une consommation de richesses, à des fins totalement non productives, d'un niveau comparable à celui des dépenses militaires telles que les rendent nécessaires l'ampleur et la complexité de chaque société". Dans le domaine politique, un "substitut durable posant en principe l'existence d'une menace externe d'ordre général pesant sur chaque société, menace d'une nature et d'une intensité suffisantes pour exiger, d'une part, l'organisation, de l'autre, l'acceptation d'une autorité politique." En écologie, il faut trouver un moyen de contrôle démographique de l'espèce humaine aussi performant que la guerre... On le comprend, le "rapport", tout en mettant en garde les responsables politiques contre certaines conséquences catastrophiques de la paix, est loin de faire des propositions concrètes et précises, ce que l'on peut déplorer, si l'on garde le ton général de l'ouvrage...
 
     En quatrième de couverture, on peut lire cette introduction : "Quinze experts réunis en secret par le gouvernement américain "d'examiner avec réalisme les problèmes qui se poseraient aux États-Unis si une situation de "paix permanente" se produisait? Ont-ils été également chargés de préparer un programme de gouvernement pour le cas où cette hypothèse viendrait à se réaliser? Et leurs travaux ont-ils vraiment eu pour conclusion qu'une situation de paix permanente présenterait pour "la stabilité de la société" de tels dangers qu'ils en sont venus à envisager le maintien du "système fondé sur la guerre" comme préférable à celui qui serait fondé sur la paix?
La lecture de ce rapport laisse le problème entier. Oeuvre de pure imagination ou monumentale indiscrétion? Dans sa préface J. K. GALBRAITH déclare "garantir l'authenticité de ce document, dans la mesure où il peut être fait confiance en sa parole et sa bonne foi". Le sérieux de l'argumentation, la précision des raisonnements, la froideur, le manque de subjectivité, le détachement absolu de toute idée ou sentiment préconçu font de ce rapport un document passionnant par son intelligence et terrifiant par son cynisme. Il est comme l'annonce d'une nouvelle civilisation : celle où les questions de vie et de mort ne dépendront plus du coeur des hommes mais des circuits des machines à penser."
Il est à noter que dans ses conclusions, le Rapport propose une méthodologie pour une Agence de Recherches sur la Guerre et la Paix, orientée vers l'exploration dans tous les domaines évoqués de substituts aux bienfaits apportés par la guerre...  vu que "malheureusement" l'état de guerre semble devoir prendre fin...
 


     Rapport sur l'utilité des guerres, La paix indésirable?, Préface de H McLandres, pseudonyme de J.K GALBRAITH, Introduction de Léonard LEWIN, Calmann-Lévy, 1968, 209 pages. Traduction de l'ouvrage américain "Report from iron mountain on the possibility and desirability of peace", paru en 1967 chez Leonard C.LEWIN.
 
Complété le 1er novembre 2018
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11 novembre 2008 2 11 /11 /novembre /2008 15:37
   Plusieurs approches sont possibles lorsque l'on veut déterminer les influences économiques sur la conduite ou l'existence des guerres et inversement les causes et les conséquences économiques des guerres.
Ou même plus généralement encore sur toutes les relations entre Économie et Guerre.

          L'une d'elles peut essayer de confronter directement la pensée militaire ou stratégique à la pensée économique. C'est cette approche par exemple que tente Christian SCHMIDT (Penser la guerre, penser l'économie) en repérant les auteurs majeurs de stratégie qui réfléchissent sur l'économie ou à l'inverse les auteurs économiques majeurs qui intègrent la guerre dans leur doctrine. Il en dégage surtout trois, sur lesquels on aura l'occasion de revenir : Adam SMITH (La richesse des nations, 1776), Francis EDGEWORTH (Mathematical Psychics, 1881) et Jacques Antoine GUIBERT (Essai général de tactique, 1770).
           Une autre est de chercher les implications concernant la guerre (ou leur préparation) parmi les quatre grands courants économiques, à partir d'une lecture des théories économiques d'Adam SMITH, de Karl MARX, de John Maynard KEYNES et de Joseph Aloys SCHUMPETER. Non seulement à partir des écrits fondateurs, de l'utilisation pratique de ces écrits, mais aussi sur les théories et les attendus pratiques de leurs continuateurs, qui s'en écartent parfois plus ou moins. Rares sont les auteurs, comme Edmund SILBERNER ou Armelle LE BRAS-CHOPARD, qui explorent ces relations entre doctrines économiques et guerre.
           Une autre encore est de choisir une certaine profondeur historique, à la manière de Gaston BOUTHOUL (Traité de Polémologie) pour déterminer à la fois les causes et les conséquences économiques des guerres.
           Un approche plus contemporaine vise à comprendre comment les différents éléments d'une économie nationale, ou régionale, ou même de l'ensemble de l'économie planétaire, évoluent en fonction des dépenses militaires. Calculs économétriques et maniement (parfois délicat) des statistiques économiques sont les instruments d'une telle approche, comme celle que mène Jacques FONTANEL (L'économie des armes);
  
    Ces différentes approches peuvent être complétées par la prise en compte de la sociologie des doctrines et des pratiques économiques, à savoir la recherche des intérêts et des motivations personnels et collectifs de ces pensées économiques. L'influence des divers conflits sociaux et politiques permet de comprendre comment et pourquoi certaines idées sur les relations Économie et Guerre possèdent une influence plus ou moins importante sur les pratiques économiques.

     D'ores et déjà, on peut discerner plusieurs courants dominants en ce qui concerne la pensée économique et la guerre.
Deux options de présentation de dynamiques entre dépenses militaires, guerre et économie se confrontent constamment et traversent souvent les différents courants de la pensée économique. L'une prétend opérer un examen "objectif" des faits en mettant en évidence les effets bénéfiques des dépenses militaires sur la vitalité économique, voire les effets bénéfiques des guerres sur les progrès techniques et scientifiques. L'autre dénie ces effets, surtout sur le long terme, démontrant l'impact négatif des dépenses d'armement ou d'entretien des armées sur l'économie globale, notamment sur le moyen et le long terme et dénonce l'impact négatif des guerres sur la nature même des civilisations induites par celles-ci, que ce soit chez les vainqueurs ou chez les vaincus.
   Les débats entre ces deux options recoupent en grande partie les clivages entre militaristes et pacifistes - avec de très grandes nuances - dans presque toutes les formations politiques comme dans tous les grands courants d'opinion.

Christian SCHMIDT, Penser la guerre, penser l'économie, Editions Odile Jacob, 1991. Jacques FONTANEL, L'économie des armes, la Découverte/maspéro, 1983. Jean-Marie ALBERTINI et Ahmed SILEM, Comprendre les théories économiques, Editions du Seuil, collection Points Economie, 2001. Georges DUBY, Guerriers et paysans VIIe-XIIe siècle, premier essor de l'économie européenne, Editions Gallimard, nrf, bibliothèque des histoires, 1973. Gaston BOUTHOUL, Traité de Polémologie, Sociologie des guerres, Bibliothèque scientifique Payot, 1991. Edmund SILBERNER, La guerre et la paix dans l'histoire des doctrines économiques, Editions Sirey, 1957. Armelle LE BRAS-CHOPARD, La guerre, Théories et idéologies, Montchrestien, 1994.

                                                                                        ECONOMIUS
 
Relu le 2 novembre 2018
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10 novembre 2008 1 10 /11 /novembre /2008 13:56

       Stratégies civiles de défense

          Bien que minoritaires et à l'état de recherches, mais pouvant être tout-à fait mises sur le même plan que les spéculations stratégiques nucléaires des différents stratégistes, impulsées surtout par des parties de sociétés civiles occidentales, les stratégies civiles de défense dérivent au départ surtout des différentes campagnes de désobéissance civile massive, menées notamment en Inde au début du XXème siècle dans sa lutte pour l'accession à l'indépendance.
      Pour reprendre les termes d'"un état de la question" datant de 1985 et décrit par Jean-Marie MULLER, il s'agit d'établir à côté ou en alternative d'une stratégie militaire hégémlonique - envahissante pour certains - un ou plusieurs modèles de stratégie civile, basée surtout sur l'intervention d'organismes civils et de citoyens dans la défense de territoire, mais surtout dans celle d'un modèle de société démocratique et décentralisée. Ces modèles, issus également des différentes expériences des résistances à l'occupant nazi pendant la Seconde Guerre Mondiale, font appel à des principes généraux utilisés aussi pour la stratégie militaire (conduite par l'instance politique légitime des opérations de défense, recherche de combat décisif) mais plus largement à la diffusion dans la population en général des moyens et des volontés de défense, qui ne soient plus confiés à des organismes spécialisés parfois coupés de l'ensemble de la société.
            Il s'agit selon plusieurs chercheurs, présents surtout dans les pays anglo-saxons (Theodor EBERT, Johan NIEZING, Gene SHARP, Michael RANDLE, Adam ROBERTS, Wilhelm NOLTE, Christian MELLON, Jacques SEMELIN, Jean VAN LIERDE...) d'élaborer une dissuasion et une défense civiles à la fois efficaces et garantes des valeurs démocratiques, contre une invasion ou un coup d'Etat. Pour reprendre les termes de Gene SHARP (Université de Harvard, Boston, Etats-Unis), "ce que nous voulons, c'est proposer un système de dissuasion et de défense pour les pays d'Europe occidentale par des moyens qui produisent le maximum de sécurité et le minimum de destruction et de pertes en vie humaines et qui aient également des conséquences bénéfiques à long terme pour les peuples européens.". La plupart des études mettent l'accent sur l'appui mutuel entre citoyens de différents Etats, même potentiellement belligérants, pour mettre en échec des activités guerrières ou anti-démocratiques.
Pour Christian MELLON, il s'agit de crédibiliser une dissuasion civile en accroissant pour un adversaire potentiel les risques d'augmentation des coûts et des réductions des profits espérés, par des préparatifs de résistance militaire (risque de consommation de forces au-delà de ce que peut rapporter l'agression) et des préparatifs de résistance civile (réduction de possibilités de contrôle de la société convoitée). Certains chercheurs (en France et en Belgique par exemple) optent pour une stratégie non-violente de défense, par substitution progressive à la défense armée actuelle, dans un processus de transarmement.

        La plupart de ces recherches s'effectuent dans le contexte d'une guerre froide persistante (scénarios d'invasion soviétique...) et aujourd'hui, nombre d'entre elles se situent dans une perspective plus large d'une stratégie de paix, incluant la pacification (en termes réels) de pays déchirés par une guerre civile (ex-Yougoslavie par exemple).

Actes du Colloque international de Strasbourg de novembre 1985, Les stratégies civiles de défense, Institut de Recherche sur la Résolution Non-violente des Conflits (IRNC). Jean-Marie MULLER, Stratégie de l'action non-violente, Editions Fayard, 1972. Robert J BURROWES, The strategy of nonviolent defense, a gandhian approach, State University of New-York Press, 1996.
 
STRATEGUS
 
Relu le 2 novembre 2018. A noter que depuis la fin de la guerre froide, et surtout le début des années 2000, et la réduction des crédits de recherche théorique pour la défense comme de l'affaiblissement des différentes composantes de la mouvance pacifiste et non-violence, en Europe occidentale en tout cas, la recherche sur les stratégies civiles de défense n'a guère progressé... Et surtout en tout cas ne s'inscrit plus dans une perspective de changement global des sociétés.
 
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