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18 octobre 2012 4 18 /10 /octobre /2012 09:48

        Concept clé de toute stratégie, de toute défense et de nombreux conflits, l'ennemi, (tiré de Enemi, de 1080, de inimi au Xe siècle et du latin inimicus) est le nom employé pour désigner la personne qui déteste quelqu'un et qui cherche à lui nuire. Et par extension, la personne qui a de l'aversion, de l'éloignement pour quelqu'un. Il s'agit d'un concept focal de la pensée stratégique, comme le rappelle David CUMIN, "au sens où toute stratégie présuppose une relation d'hostilité (du latin hostis) - une relation ami-ennemi - au moins potentielle, gérée par l'autorité politique. La notion d'ennemi, qui recouvre plusieurs types concrets, est à la fois dialectique, objective et décisionnelle. Sa définition passe par l'examen des rapports qu'elle entretient avec la politique, la guerre, la paix, l'État ou le droit." Le maître de conférences à l'université Jean-Moulin à Lyon (Lyon III, CLESID) aborde tour à tour ces aspects dialectique, objectif et décisionnel.

 

Aspects dialectique, objectif et décisionnel

      Comme notion dialectique, la notion d'ennemi  permet d'identifier, de percevoir et de désigner soi et le monde et les relations entre soi et le monde, dans les deux sens : ce que nous percevons du monde et de l'autre et ce que l'autre perçoit de nous et de lui-même. "L'identification n'est pas univoque : on peut désigner l'ennemi, mais on peut aussi être désigné par l'ennemi et être contraint à l'hostilité. L'ennemi, puissance concrète, implique ainsi une interrelation, qui permet de reconnaître son identité propre, puisqu'on se définit par rapport à l'ennemi, celui qui menace notre forme d'existence, et puisque l'ennemi se définit par rapport à nous. D'où les questions clés de toute réflexion sur la défense. Qu'est-ce que notre forme d'existence? Qui la menace? Que devons-nous et voulons-nous protéger? Qui est l'ennemi?

     Comme notion objective, la notion d'ennemi recouvre une perception publique et non privée. "L'ennemi politique, ce n'est pas l'inimicus, c'est l'hostis, c'est-à-dire l'ennemi public, par l'ennemi privé ; en cela il n'implique aucune haine personnelle, car l'ennemi est un ennemi de la communauté. Il est l'étranger hostile, l'antagoniste, celui qui unit l'intention hostile et capacité de nuisance, militaire ou autre. La distinction ami-ennemi exprime ainsi un degré extrême de dissociation, dont les motifs, causes ou enjeux peuvent être de tous ordres, religieux, économique, social ou idéologique, lorsque ces oppositions religieuses, économiques, sociales ou idéologiques atteignent l'état polémique, c'est-à-dire le degré d'intensité qui provoque le regroupement ami-ennemi. Celui-ci fait survenir la perspective de l'épreuve de force, dont la possibilité ultime est la guerre. En cela, l'ennemi n'est ni le concurrent, ni l'adversaire, ni le rival, car il tire sa signification de sa relation permanente à l'éventualité réelle, mais non inéluctable de l'affrontement mortel."

     Comme notion décisionnelle, la notion d'ennemi résulte de l'altérité des protagonistes. "L'hostilité résulte de l'altérité des protagonistes dans le concret de tel conflit et de telle menace, et de la décision politique qui désigne l'ennemi. la relation ami-ennemi suppose en effet une décision des gouvernants, c'est-à-dire le choix de la confrontation - la volonté de ne pas céder à la menace ou à la volonté d'autrui. Ce choix s'accompagne le plus souvent d'une construction de l'"image de l'ennemi" à des fins de mobilisation des gouvernés (tenus de participer à la mise en oeuvre de l'hostilité) et de justification du conflit (avec les risques et sacrifices qu'il comporte nécessairement)."

 

Guerre et ennemi

    David CUMIN ajoute, entre autres, que "par rapport à la guerre, l'ennemi est le concept premier car l'hostilité est le présupposé de la guerre, acte de violence destiné à contraindre l'ennemi à exécuter notre volonté. L'hostilité n'implique pas la guerre, mais l'éventualité effective du combat ; la guerre, elle, ainsi que les autres moyens de coercition non militaires, impliquent l'hostilité puisque, si l'on s'en tient à la logique clausewitzienne, c'est elle qui donne sons sens à la belligérance ou à la coercition, non l'inverse. La guerre procède d'un degré extrême d'hostilité, dû à un conflit non dissuadé et non soluble pacifiquement (juridiquement ou arbitralement), portant sur des ressources, des territoires ou des valeurs, avec le plus souvent l'invocation d'un "droit" ou la contestation d'une "injustice". L'hostilité, elle, procède de l'opposition des intérêts, des institutions ou des valeurs entre les acteurs, donc d'un dissensus aigu, intérieur ou extérieur, transnational ou inter-étatique. Celui-ci peut porter sur l'ordre socio-politique interne, c'est-à-dire sur la légitimité de l'État, du régime ou du gouvernement ; dans ce cas, la relation ami-ennemi, propice à une situation de guerre civile avec ou sans interférences étrangères, procède du refus des gouvernés d'obéir aux gouvernants et/ou de l'incapacité des gouvernants à se faire obéir des gouvernés, du fait de la contestation du triple monopole de l'État (au sens général et non spécifique d'unité politique), celui du droit, de la force et de l'allégeance. Il peut porter sur l'ordre politico-territorial inter-étatique, c'est-à-dire sur la légitimité du statut des souverainetés ou des frontières ; dans ce cas, la relation ami-ennemi, propice à une situation de guerre étrangère avec ou sans divisions intestines, procède de l'échec des mécanismes internationaux - l'interdépendance économique, les coalitions politiques ou la dissuasion militaire - qui restreignent les intentions et/ou les capacités des puissances visant à modifier, le statut quo par la force et qui facilitent le règlement pacifique des conflits et/ou le changement pacifique des souverainetés ou des frontières. Il peut porter sur l'ordre économique international, c'est-à-dire sur la légitimité de l'appropriation, de la répartition et de l'exploitation des ressources au sens le plus large ; dans ce cas la relation ami-ennemi, propice à une situation de conflit inter-étatique voire transnational, procède de l'insuffisance des mécanismes de coopération, de régulation et de compromis entre les États et les entreprises au sein des marchés. (...)".

 

Le brouillage de la notion d'ennemi par la mondialisation

    A un moment de mondialisation caractérisée entre autres comme circulation accélérée des informations et des opinions sur toute la planète, quelle peut-être la possibilité de désignation d'un ennemi?

Au moment où l'Union Européenne est prise dans une logique d'approfondissement, discuter des ennemis héréditaires qu'ont connu pendant quelques siècles Espagnols, Français ou Allemands ne semble plus avoir aucun sens. Le débat est particulièrement vif (et sans doute angoissant d'une certaine manière) dans les instances chargées de politique de défense nationale, au moins chez les Européens et sans doute aussi chez les Américains du Nord (La Chine, les pays islamiques, comme ennemis?). L'époque est plutôt à des caractérisations d'adversaires loyaux dans des domaines très localisés, de partenaires-concurrents aux contours bien définis, au moment de la baisse d'influence (au moins au niveau symbolique) des États en ce qui concerne l'usage de la violence ou de la coercition. Bien entendu, il ne s'agit que d'une tendance générale, car en Afrique, en Asie ou en Amérique Latine, le qualificatif d'ennemi, apposé à des pays aux frontières parfois communes, a encore un sens profond.

   En tout cas, comme le demande Eric POURCEL, la France a-t-elle un ennemi? "Participer à une coalition militaire dans le cadre d'une opération de rétablissement ou de maintien de la paix (...) et, parfois, aussi au titre de la "responsabilité de protéger" incombant à la communauté internationale en raison de la violation répétée des droits de l'homme et du droit humanitaire (...) sous mandat, préalable ou non de l'ONU (...) est une chose ; c'est le respect de nos engagements. Porter assistance humanitaire en cas de catastrophe naturelle (...) ou technologique (...) en est encore une autre ; c'est un devoir d'assistance. Mais dans les deux cas, ces opérations extérieures ou de secours ne désignent pas un ennemi de la France. Pas même un ennemi de la communauté internationale, les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU ignorant volontairement ce mot pour constater des faits et qualifier juridiquement les atteintes à la paix et à la sécurité internationale (...). Aussi, depuis 1945, et si l'on fait abstraction subjectivement des ennemis atypiques, le Vietminh et le front de Libération national algérien qui se sont inscrits dans le cadre de guerres de décolonisation, la France n'a eu politiquement qu'un seul ennemi idéologique, qui a disparu avec l'effondrement de l'empire soviétique. La guerre d'Indochine et la guerre d'Algérie ne furent pas considérés par la France, au moment des faits, comme des guerres internationales mais comme respectivement des "opérations de pacification" et "de maintien de l'ordre", l'ennemi n'était pas en soi constitué en État.  En ces temps de contraintes budgétaires (nous rappelons que le format de l'armée de terre est réduit actuellement environ à 100 000 hommes...), d'augmentation du coût des équipements et de choix géostratégiques, il peut apparaître opportun de s'interroger sur une question fondamentale : la France a-t-elle un ennemi?  

 

Le terrorisme international rebat-il les cartes?

En France, poursuit le docteur en droit, aspirant commissaire de la Marine, "la tradition politico-diplomatique évite soigneusement l'utilisation de ce mot honni afin de ne pas insulter l'avenir. D'autres États comme les États-Unis n'hésitent pas à montrer du doigt l'ennemi, qu'il s'agisse de l'"Empire du mal" ou des États "voyous ou parias. Si, depuis l'attentat du 11 septembre 2001, les démocraties occidentales, à la suite des États-Unis, ont identifié une ennemi commun, le terrorisme islamique, on notera qu'il s'agit d'un ennemi générique, transnational et non étatique. (...)"

 L'auteur, comme beaucoup d'autres, se réfèrent toujours, en matière de réflexion sur la défense, à un sens très rattaché à l'existence des États et à leur mode d'agir. Il considère d'ailleurs, comme de plus en plus d'analystes, que le terrorisme ne relève pas de la défense nationale, mais de la sécurité au sens policier du mot.

"Pourquoi se poser une telle question? Les raisons sont multiples mais on peut les classer en deux groupes : identifier l'ennemi, c'est le connaître et c'est finalement se connaître afin d'être "cent fois victorieux" ; identifier l'ennemi, c'est pouvoir faire objectivement des choix capacitaires en adéquation avec la dynamique de politique étrangère et de défense et le respect de nos engagements internationaux (...). Identifier l'ennemi, c'est finalement, faire sien l'adage "Si vis pacem para bellum" qui suppose d'analyser les rapports de force du moment afin, ultima ratio, de pouvoir vaincre l'ennemi si la guerre s'impose à la France comme une réalité présente ou comme un futur inéluctable (imminent et inévitable) au sens d'une guerre préemptive. (...)".  En l'absence d'ennemi déclaré, peut-on identifier des ennemis potentiels? Selon quels critères? Les différents Livres Blancs de la défense insistent sans entrer dans des détails délicats pour identifier les États qui récusent le système de valeurs qui porte la France ou pour identifier les États qui sont susceptibles de porter atteintes aux intérêts vitaux de la France... Mais ici, vu l'état perturbé de la géopolitique d'en ce moment, difficile de faire des claires désignations. L'auteur passe en revue des critères qui, il n'y a pas si longtemps pouvait servir à désigner un ennemi :

- le critère géographique ;

- le critère historique ;

- le critère démographique ;

- le critère religieux ;

- le critère économique ;

- le critère financier ;

- le critère militaire...

pour conclure que "aucun des critères examinés ne suffit isolément à identifier un ennemi de la France mais leur recoupement permet de faire émerger deux tendances : la montée en puissance de la Chine et la politisation croissante de l'islam...

  Reste des ennemis de nos amis (dans le cadre des alliances et des traités de sécurité) et des ennemis non chois (dans le cas où la France est désignée comme l'ennemi, même si cela n'est pas forcément réciproque...). Il termine par une allusion à l'ennemi intérieur, tant il est vrai que dans ce monde aux inégalités sociales croissantes, c'est plutôt entre "communautés de pauvres" et "communautés de riches" que la notion d'ennemi pourrait se voir renouvelée...

 

Des mécanismes de la fabrication idéologique et politique de l'ennemi

   Pierre CONESA s'essaie à comprendre les mécanismes de la fabrication de l'ennemi et tente une typologie de l'ennemi. Lorsque l'on discute de cette manière, à la construction mentale de l'ennemi, vient immédiatement la conception de procédures de déconstruction de la notion d'ennemi. A moins, à l'inverse dans la réalité du déroulement des choses, que la force des destructions occasionnées par des conflits armés parfois très longs n'oblige à penser aux conséquences de la désignation d'un ennemi et à envisager d'autres relations avec ceux que l'on désigne ainsi...

  Faisant référence (à rebours) souvent à Carl SCHMITT, pour lequel la première fonction du politique est la désignation d'un ennemi, l'ancien directeur adjoint de la délégation aux Affaires stratégiques du ministère de la défense, analyse "comment se crée le rapport d'hostilité, comment se construit l'imaginaire avant d'aller guerroyer". Pour lui, qui puise dans l'histoire de nombreux exemples de construction de l'ennemi, dénoncées d'ailleurs de nos jours, "la belligérance trouve ses racines dans les réalités, mais aussi beaucoup dans des constructions idéologiques, des perceptions ou des incompréhensions.(...).

La relation stratégique, quand elle aboutit à la guerre, est un processus dialectique dans lequel l'action et l'image de l'un influencent l'image et l'action de l'autre". Le départ de beaucoup de ses réflexions se situe dans la situation dramatique dans laquelle se sont trouvés de nombreux thinks tank stratégiques dans la décennie 1990, lors de l'effondrement du "bloc soviétique". Ces strategists déboussolés et quasiment en chômage technique (chômage technique dont était menacé une grande partie des complexes militaro-industriels...) ont produit tout au long de cette décennie du concept et de l'ennemi qui, analysés avec le recul du temps, se révèlent étonnamment artificiels et circonstanciels. "Fabriquer de l'ennemi, écrit-il toujours, suppose diverses étapes : une idéologie stratégique donnée, un discours, des faiseurs d'opinion que nous appellerons des "marqueurs" et enfin des mécanismes de montée de la violence. Les "marqueurs d'ennemi" qu'il faudrait ajouter à la catégorie des marqueurs identitaires des sociologues, sont multiples et différents selon les types de conflits. Ce ne sont pas les plus fins analyses de la situation, mais les plus influents. Déroulède en France a plus pesé que Jaurès dans le premier conflit mondial ; Kipling et Pierre Loti ont largement convaincu l'opinion de la culture de l'impérialisme. Hollywood a produit quantité de westerns sur la conquête de l'Ouest, qui, longtemps a été vécue par les spectateurs comme une grandiose épopée fondatrice, alors qu'il s'agissait de l'extermination systématique des tribus indiennes. Ailleurs, on aurait parlé de propagande génocidaire, dans ce cas, on parle de genre cinématographique..." Pierre CONESA dresse une typologie, qu'il faudrait d'ailleurs peaufiner et approfondir :

- l'ennemi proche, le voisin avec lequel un différend frontalier crée le conflit qui se joue traditionnellement à deux. L'enjeu est un morceau de terre et la guerre une expropriation violente ;

- le rival planétaire, le concurrent dans la rivalité de deux puissances mondiale, comme pendant la Guerre froide ou la rivalité des impérialisme dans la course à la colonisation. La guerre est une manifestation de puissance et un acte cynique d'autorité sur une carte ;

- l'ennemi intime, l'Autre sur son territoire. commencée par des écrits et jamais déclaré, la guerre civile finit par le meurtre par anticipation : tuer avant d'être tuer ;

- le barbare, l'occupant qui considère la population occupée comme étant composée de sous-développés qui ne comprennent que la force. La répression est appelée pacification ;

- l'ennemi caché, la puissance occulte censée tirer les ficelles et maîtriser le sort de populations entières. Une psychose collective engendré par la "théorie du complot", base de l'antisémitisme, des coups d'États militaires en Amérique Latine contre les "communistes" ;

- le Mal, le Malin, que la guerre doit éradiquer. Les idéologies comme les religieux ont souvent recours à cette imagerie. La guerre est un vaste exorcisme ;

- l'ennemi conceptuel, construit par une hyperpuissance. C'est le seul à la mesure de l'unilatéralisme (américain). Le dominant n'a pas d'ennemi à sa mesure, il ne peut se battre que contre des concepts dans une lutte globale... et sans fin. C'est la "guerre globale contre la prolifération et le terrorisme", prophylaxie grandiose ;

- l'ennemi médiatique, qui fleurit dans le vide idéologique et stratégique de l'après-guerre Guerre froide, envahi par la médiatisation où l'image l'emporte sur le texte. Cette menace non stratégique est définie non par les institutions, mais essentiellement par des intellectuels médiatiques, des diasporas et/ou des humanitaires. Elle donne lieu à des actions militaires sans ennemi, avec l'envoi de casques bleus, qualifiée par Pierre CONESA, sans doute avec une grande exagération de "seconde armée" de la planète après celle des États-Unis.

    Même si cette typologie nous semble à grandement travailler, elle a le mérite de pointer un certain nombre d'éléments sociologiques, dont la manipulation de l'opinion n'est pas le moindre, et surtout d'amener à réfléchir sur les déconstructions de l'ennemi. "La plus importante originalité de notre époque est probablement la réconciliation de la France et de l'Allemagne après trois guerres dévastatrices entre deux ennemis qualifiés d'"héréditaires, elle n'a jamais été imitée par le Japon ni par aucun autre pays à la conscience lourde de massacres de masse. Le modèle de la réconciliation de deux ennemis traditionnels, malgré de nombreuses tentatives, n'a jamais été copié! La construction de l'Union européenne, qui progresse par la négociation, en abandonnant certaines des compétences les plus régaliennes qui soient, n'était possible qu'à ce prix et reste, elle aussi, encore largement unique. Entité sans ennemi, l'UE tente difficilement de construire une défense commune". On pourrait ajouter que la caractérisation "ennemi" suivant des critères (surtout) économiques a concerné en Europe bien plus la France et la Grande Bretagne que la France et l'Allemagne, en dépit des deux guerres mondiales (conception de l'État, rivalités coloniales, modèle culturel, désir historique d'Empire ...). ce qui montre par ailleurs la fragilité extrême de la construction idéologique de l'ennemi.

De même que l'on peut établir une typologie de l'ennemi, peut se concevoir une typologie de la déconstruction de l'ennemi : expiation, amnistie, aveu, mémoire commune, justice internationale, autant d'éléments dont des exemples historiques commencent à abonder, de l'Afrique du Sud, à l'Irlande du nord, en Espagne comme en Amérique Latine...

Construction et déconstruction de l'ennemi constituent proprement des enjeux stratégiques ; ces entreprises mènent à la guerre ou à la paix, selon des modalités complexes.

 

Peur des barbares et désignation de l'ennemi...

   Tzvetan TODOROV (1939-2017) réfléchit d'une certaine manière à la notion d'ennemi, dans ses écrits sur la peur des barbares. A défaut de pouvoir passer par la désignation nationale de l'ennemi, et à cause également  de sa véritable dévalorisation culturelle (à causes des ravages de la Seconde Guerre Mondiale, surtout en Europe), des esprits se rabattent sur la notion de barbare. Revenant en quelque sorte aux divisions mentales de l'Antiquité, où des peuples (surtout Grecs et Romains, mais aussi Perses...) stigmatisaient d'autres peuples comme transgressant les lois les plus fondamentales de la vie commune (sur le plus des moeurs familiales notamment), ayant des usages étranges, des écrits, officiels ou non, font de peuples présentant certaines différentes, les nouveaux barbares de notre temps. L'historien et essayiste analyse avec une certaine inquiétude un possible choc de civilisations entre l'Occident et l'Islam. Dans l'esprit de certaines minorités religieuses ou politiques, il existerait bien deux mondes, figés dans leurs différences historiques, culturelles, religieuses, voués à considérer l'autre comme le barbare.

Pour Tzvetan TODOROV, le dialogue est nécessaire entre membres d'aires de civilisations différentes, sinon l'on retourne directement à la peur des barbares. "Toute société (...)  est pluriculturelle. Il n'en r"este pas moins que de nos jours les contacts entre populations d'origine différente (en particulier dans les grandes villes), les migrations et les voyages, les échanges internationaux d'information sont plus intenses que jamais auparavant ; et il n'y a aucune raison que la tendance s'inverse. La bonne gestion de cette pluralité croissante impliquerait non d'assimiler les autres à la culture majoritaire mais de respecter les minorités et de les intégrer dans un cadre de lois et de valeurs civiques communes à tous. cet objectif-là est à la fois important, car il a trait à la vie de toute la collectivité, et accessible, dans la mesure où il ne touche pas à des coutumes adoptées dans la petite enfance, constitutives d'une identité de base, mais concerne des règles de vie dont on admet facilement qu'elles peuvent varier d'un pays à l'autre. Il ne s'agit pas d'enfermer les musulmans (car c'est cela finalement le sujet central de son livre sur les barbares) dans leur identité religieuse, mais de les traiter avec autant de respect que tous les autres membres de la communauté (...)". 

 

     S'il n'est plus possible ou plus difficile, dans le monde occidental (car beaucoup ailleurs, les vieux schémas résistent fortement) de désigner un ennemi, il est encore confortablement loisible de désigner des barbares. Avec ce que cela implique de potentiels comportements à la hauteur, même si la manipulation psychologique doit être plus sophistiquée. 

 

     

 

Tzvetan TODOROV, La peur des barbares, Au-delà du choc des civilisations, Robert Laffont, 2008. Eric POURCEL, La France a t-elle un ennemi?, dans Revue Défense Nationale, n° 753, Octobre 2012. David CUMIN, article Ennemi, dans Dictionnaire de la stratégie, PUF, 2000. Pierre CONESA, La fabrication de l'ennemi ou comment tuer avec sa conscience pour soi, Robert Laffont, 2011.

 

STRATEGUS

 

 

Complété le 13 novembre 2012. Complété le 16 août 2017 (voir aussi Tzetan TODOROV en septembre). Relu le 21 janvier 2021

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14 septembre 2012 5 14 /09 /septembre /2012 13:38

          Adressé à l'empereur Lucius VERUS quand il part en campagne contre les Parthes (162), ce recueil de ruses de guerre rassemble 900 récits d'historiens, principalement des périodes classique et hellénistique, comme autant de sources d'inspirations.

POLYEN (IIe siècle), orateur et écrivain grec venu de Macédoine, dont nous savons seulement qu'il est à l'époque peut-être rhéteur et avocat, compile en huit livres ces récits, plutôt dans l'ordre chronologique, sélectionnant ce qu'il lui semble, chez HÉRODOTE, THUCYDIDE, XÉNOPHON, POLYBE, DIODORE DE SICILE, PLUTARQUE, TITE-LIVE... , les plus instructifs. Il le fait dans une bonne connaissance des habitudes militaires des Parthes, que Rome combat sporadiquement alors depuis trois siècles. Des 900 récits, qui se centrent chacun sur un stratagème, 833 nous sont parvenus. Longtemps oubliés, ces textes ressortent (texte original du grec archaïsant si l'on considère l'époque à laquelle ils sont présentés) par la main de Michel APOSTOLIOS, copiste byzantin qui trouve refuge en Italie, vers 1422-1478. Après plusieurs passages de témoin, il est traduit en 1840 à la Bibliothèque Historique et Militaire dédiée à L'armée et à  la Garde Nationale de France, publiée par MM. Ch. LISKENNE et SAUVAN. Cette traduction est le fait de Don Gui-Alexis LOBINEAU, religieux bénédictin de la Congrégation de Saint-Maur, traduction qui sert encore de base de publication de nos jours. 

 

        Les huit livres comportent d'une dizaine à une centaine de chapitres (le livre 8 étant le plus long, le livre 3 le plus court), chaque chapitre étant la reprise des faits d'un stratège, qu'il soit légendaire ou ayant existé, en provenance d'un auteur ancien. 

 

        Le livre premier, par exemple, comporte des textes sur BACCHUS, PAN, HERCULE, THÉSÉE, DÉMOPHON, CRESPHONTE, CYPSÈLE, HELNÈS, TÉMÈNE, PROCLÈS, ACONÈS, THESSALE, MÉNÉLAÜS, CLÉOMÈNE, POLYDORE, LYCURGE, TYRTÉE, CODRUS, MÉLANTHE, SOLON, PISISTRATE, ARISTOGITON, POLYCRATE, ISTHIÉE, PITTAC, BIAS, GÉLON, THÉRON, HIÉRON, THÉMISTOCLE, ARISTIDE, LÉONIDAS, LÉOTYCHIDE, CIMON, MYRONIDE, PÉRICLÈS, CLÉON, BRASIDAS, NICIAS, ALCIBIADE, ARCHIDAME, GYLIPPE, HERMONCRATE, ETÉONIQUE, LYSANDRE, AGIS, TRASYLLE, CONON, XÉNOPHON.

    L'ensemble de ces textes est présente sur le site www.remacle.org. On peut trouver dans l'Anthologie mondiale de la stratégie, les textes sur EPAMINONDAS (livre 2, chapitre III), ALEXANDRE (livre 4, chapitre III)  et CÉSAR (livre 4, chapitre XXIII).

 

    Tout récemment, Benoit CLAY remanie la présentation des textes, inventoriant et compilant tous les paragraphes et toutes les anecdotes en trente leçons, en invitant un titre à chaque fois. Afin de sortir le texte du cercle des spécialistes d'histoire militaire de l'Antiquité, lesquels estiment souvent que leur valeur est parfoIs au moins égale à ceux que l'on peut ailleurs dans la littérature qui nous est parvenue, et de les rendre lisible auprès du public non spécialiste, Benoît CLAY rassemble ces textes en deux grandes rubriques, Stratagèmes politiques, puis Ruses diplomatiques.

Dans sa présentation, il constate que ces Stratagèmes "n'en finissent pas de déconcerter depuis trois siècles, car ils ne ressortissent pas au genre que devrait leur imposer le titre, celui du traité analytique et technique, comme l'ont fait avant lui plusieurs (...)". Il n'existe pas de démarcations bien franches entre la ruse et la tromperie la plus immorale, tant à la guerre, la seule règle est de gagner, et cela d'autant plus qu'il s'agit de Rome, qui n'admet pas de défaite, sous peine de mettre en danger toute sa structure impériale.

La totalité de l'ensemble est bien rendue par la préface de POLYEN au Livre VII : "Empereurs sacrés, Antonin et Vérus, je vous offre un septième livre des Stratagemata, où vous apprendrez ce qu'ont aussi pensé les Barbares. Il ne fait pas s'imaginer qu'ils manquent d'esprit. Ils ont de l'inventivité, du vice et du talent pour la fourberie ; il est bon de vous avertir, tout comme les généraux que vous enverrez contre eux quand vous leur ferez la guerre, de ne pas les mépriser comme des hommes sans finesse ni malice. Au contraire, leur plus grande spécialité consiste à tromper et à chercher des prétextes pour se parjurer. Et tout Barbare s'appuiera plus sur ce type de ruse que sur le courage et les armes. La précaution la plus sûre qu'on puisse donc prendre contre eux, est la méfiance, qui nous fera prévoir et découvrir leurs ruses et leurs pièges, en même temps que nous leur opposerons la force des armes."

     Ces leçons se dénomment alors : Corrompre, Se jouer des lois, Bluffer, Manipuler, Anticiper, Piéger, Frapper en secret, Trahir, Persuader, Diviser, Instrumentaliser l'athlétisme et le théâtre, Exploiter l'insécurité, Impressionner, Donner l'exemple, Conditionner pour les Stratagèmes politiques. Dissimuler, Tricher, Choisir ses ennemis, Discréditer, Tromper, Équilibrer, Dissuader, Noyauter, Gagner du temps, Surpasser ses alliés, Ménager ses ennemis, Faire diversion, Jouer sur les mots, Se parjurer, Savoir communiquer pour les Ruses diplomatiques.

A chaque leçon, le compilateur moderne, indique, pour chaque paragraphe assemblé avec d'autres, l'origine (le livre et le chapitre) dans la traduction de 1840.

 

POLYEN, Ruses diplomatiques et stratagèmes politiques, Mille.et.une.nuits, 2011. Traduction du grec ancien par Dom Gui-Alexis LOBINEAU, Établissement de l'édition, notes et postface de Benoit CLAY.

www.remacle.org. pour l'édition de 1840, par la librairie pour l'art militaire, tome III.

Anthologie mondiale de la stratégie, Des origines au nucléaire, Robert Laffont, collection Bouquins, 1991.

 

Relu le 10 janvier 2021

 

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12 septembre 2012 3 12 /09 /septembre /2012 09:48

    L'ouvrage de l'historien britannique Edward GIBBON (1737-1794), édité de nos jours en deux volumes, l'un concernant l'Empire romain de 96 à 582, l'autre l'Empire romain d'Orient de 455 à 1500, constitue un document de référence pour les historiens, même si sa thèse centrale n'est plus retenue comme seule hypothèse dans l'étude de la chute de l'Empire Romain.

Originellement publié en anglais de 1776 à 1788, en 6 volumes, cet ouvrage, essai historique imposant, reprend une question très présente en ces temps des Lumières, traitée entre autres par MONTESQUIEU, dans Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence. Il se situe dans l'ensemble des réflexions de ses contemporains sur les destinées de l'Empire britannique. Encore de nos jours, l'idée est très présente d'une chute plus ou moins brutale de l'Empire romain, alors qu'une historiographie récente (Paul VEYNE par exemple) a tendance à considérer une continuité entre l'Empire romain du Bas Empire et le Moyen-Age Occidental. La reprise par le christianisme de l'héritage intellectuel, juridique et administratif de l'Empire (présence dans la diplomatie vaticane d'efforts pour un Empire Romain Germanique...) amène à penser qu'elle ne serait pas étrangère au déclin de l'Empire antique. GIBBON argumente en faveur de la thèse centrale de la responsabilité des valeurs chrétiennes dans cet qu'il considère être une chute. Cette thèse d'ailleurs valu à cet ouvrage d'être attaqué et même parfois dans certains pays interdit.

 

     "Mon intention n'est pas de m'étendre sur la variété et sur l'importance du sujet que j'ai entrepris de traiter, écrit l'auteur dans sa préface en 1776, le mérite du choix ne servirait qu'à mettre dans un plus grand jour et à rendre moins pardonnable la faiblesse de l'exécution. Mais, en donnant au public cette première partie de l'Histoire du déclin et de la chute de l'Empire romain, je crois devoir expliquer en peu de mots la nature de cet ouvrage, et marquer les limites du plan que j'ai embrasser. 

On peut diviser en trois périodes les révolutions mémorables qui, dans le cours d'environ treize siècles, ont sapé le solide édifice de la grandeur romaine, et l'ont enfin renversé.

1. Ce fut dans le siècle de Trajan et des Antonins que la monarchie romaine, parvenue au dernier degré de sa force et de son accroissement, commença de pencher vers sa ruine. Ainsi, la première période s'étend depuis le règne de ces princes jusqu'à la destruction de l'empire romain d'Occident par les armes des Germains et des Scythes, souche grossière et sauvage des nations aujourd'hui les plus polies de l'Europe. Cette révolution extraordinaire, qui soumit Rome à un chef des Goths, fut accomplie dans les premières années du sixième siècle.

2. On peut fixer le commencement de la seconde période à celui du règne de Justinien, qui, par ses lois et par ses victoires, rendit à l'empire d'Orient un éclat passager. Elle renferme l'invasion des Lombards en Italie, la conquête des provinces romaines de l'Asie et de l'Afrique par les Arabes qui avaient embrassé la religion de Mahomet, la révolte du peuple romain contre les faibles souverains de Constantinople, et l'élévation de Charlemagne qui, en 800, fonda le second empire d'Occident, autrement l'Empire germanique.

3. La dernière et la plus longue de ces périodes contient environ six siècles et demi, depuis le renouvellement de l'empire en occident jusqu'à la prise de Constantinople par les Turcs et l'extinction de la race de ces princes dégénérés, qui se paraient des vains titres de César et d'Auguste, tandis que leurs domaines étaient circonscrits dans les murailles d'une seule ville, où l'on ne conservait même aucun vestige de la langue et des moeurs des anciens Romains. En essayant de rapporter les événements de cette période, on se verrait obligé de jeter un coup d'oeil sur l'histoire générale des croisades, considérées du moins comme ayant contribué à la chute de l'empire grec. Il serait difficile aussi d'interdire à la curiosité quelques recherches sur l'état où se trouvait la ville de Rome au milieu des ténèbres et de la confusion du Moyen Age."

L'auteur fait succéder sa Préface d'un Avertissement qui montre toute sa méticulosité dans la recherches des sources historiques. Si la plupart des auteurs de nos jours n'accordent plus guère d'attention à sa thèse centrale, ils suivent son modèle de curiosité et de précision dans l'utilisation des sources. Le lecteur attentif se référera d'ailleurs autant aux notes (abondantes) en fin de page qu'au contenu et à la tonalité du texte. 

     Revenant dans ses Observations générales, en fin de la première partie de son oeuvre, GIBBON écrit : "Comme le principal objet de la religion est le bonheur d'une vie future, on peut remarquer sans surprise et sans scandale que l'introduction, ou du moins l'abus, du christianisme eut quelque influence sur le déclin et sur la chute de l'empire des Romains. Le clergé prêchait avec succès la doctrine de la patience et de la pusillanimité.

Les vertus actives qui soutiennent la société étaient découragées, et les derniers débris de l'esprit militaire s'envelissaient dans les cloîtres. On consacrait sans scrupule aux usages de la charité ou de la dévotion une grande partie des richesses du public et des particuliers ; et la paye des soldats était prodiguée à une multitude oisive des deux sexes, qui n'avaient d'autres vertus que celles de l'abstinence et de la chasteté. La foi, le zèle, la curiosité et les passions plus mondaines de l'ambition et de l'envie, enflammaient les discordes théologiques. L'Église et l'État furent déchirés par des factions religieuses, dont les querelles étaient quelquefois sanglantes et toujours implacables. L'attention des empereurs abandonna les camps pour s'occuper des synodes ; une nouvelle espèce de tyrannie opprima le monde romain, et les sectes persécutées devinrent en secret ennemies de leur patrie. Cependant l'esprit de parti, quoique absurde et pernicieux, tend à réunir les hommes aussi bien qu'à les diviser : les évêques faisaient retentir dix-huit cent chaires des préceptes d'une soumission passive à l'autorité d'un souverain orthodoxe et légitime ; leurs fréquentes assemblées et leur continuelle correspondance maintenaient l'union des Églises éloignées, et l'alliance spirituelle des catholiques soutenaient l'influence bienfaisante de l'Évangile, qu'elle resserrait à la vérité dans d'étroites limites. Un siècle servile et efféminé adopta facilement la sainte indolence de la vie monastique ; mais si la superstition n'eût pas ouvert cet asile, les lâches romains auraient déserté l'étendard de la république par des motifs plus condamnables. On obéit sans peine à des préceptes religieux qui encouragent et sanctifient l'inclination des prosélytes ; mais on peut suivre et admirer la véritable influence du christianisme dans les effets salutaires, quoique imparfaits, qu'il produisit sur les Barbares du Nord. Si la conversion de Constantin précipita la décadence de l'Empire, sa religion victorieuse rompit du moins la violence de la chute en adoucissant la férocité des conquérants.

Cette effrayante révolution peut s'appliquer utilement à l'instruction de notre siècle : un patriote doit sans doute préférer et chercher exclusivement l'intérêt et la gloire de son pays natal ; mais il est permis à un philosophe d'étendre ses vues, et de considérer l'Europe entière comme une grande république, dont tous les habitants ont atteint à peu près au même degré de culture et de perfection. (...)".

 

     La lecture de ce long texte montre jusqu'à quel point on peut puiser sur les sources littéraires et peu d'auteurs après GIBBON se sont lancés dans une telle aventure. Modèle pour de nombreux historiens pour sa méthode, peu aujourd'hui partagent son point de vue. Pierre GRIMAL considère par exemple (La civilisation romaine, Flammarion, 1981) que "la civilisation romaine n'est pas morte, mais elle donne naissance à autre chose qu'elle-même, appelé à assurer sa survie"... 

     Maurice BARIDON, qui introduit son oeuvre en 1983, indique que la problématique chute de Rome/victoire du christianisme, mentionnée comme le Gibbon's problem par nombre d'auteurs anglo-saxons, mais non découverte par lui, est traitée avec "un luxe d'érudition et une conscience de la dimension politique des problèmes religieux qui font de lui l'historien d'une civilisation entière". Le Decline and Fall peut selon lui "être lu à trois niveaux : celui de la critique des sources - "quoi qu'on lise, il faut d'abord lire Gibbon" dit l'historien Syme - ; celui de la synthèse historique - "Gibbon's problem" - ; celui de la littérature pure - "Gibbon a décrit sur le mode épique ce que pensaient les Anglais du XVIIIe siècle" dit Tillyard. Les trois niveaux s'harmonisent si bien qu'ils ont fait le succès du livre (...)". 

 

 

Edward GIBBON (1737-1794), historien et homme politique britannique, convertit au catholicisme en 1753 et reconvertit au protestantisme cinq ans après, est aussi l'auteur d'autres ouvrages : Essai sur l'étude de la littérature (1761), Memoirs of my life (1796, posthume)...

 

Edward GIBBON, Histoire du déclin et de la chute de l'Empire romain ; tome 1:  Rome (de 96 à 582) ; tome 2 : Byzance (de 455 à 1500), Robert Laffont, collection Bouquins, 1987 (première édition : 1983), 1183 pages et 1270 pages. Chronologie et  bibliographie établies par Michel BARIDON, professeur d'anglais à l'Université de Dijon. Voir aussi Ecrits, sur le projet Gutenberg (www.gutenberg.org)

Francis HASKELL, Gibbon et l'histoire de l'art, dans De l'art et du goût, jadis et naguère, Gallimard, 1989.

 

Relu le 11 janvier 2021

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6 septembre 2012 4 06 /09 /septembre /2012 13:04

      Publius Flavius Vegetius Renatus VÉGÈCE (pour autant que la reconstitution de son nom est bonne), ni militaire ni médecin, est surtout un brillant compilateur, qui, en l'absence d'autres sources écrites qui couvrent tous les domaines qu'il aborde, dont les deux oeuvres, Epitoma rie militaris (ou De re militari) et Digesta artis mulomedicinae (ou Mulomedicina, médecine vétérinaire) constituent des références jusqu'à longtemps après le Moyen-Age. Nous ne savons rien, ou presque, de lui. Chrétien, haut fonctionnaire (vir illustris) certainement, ses compilations connurent un succès immédiat. 

 

     L'Epitoma rei militaris (Abrégé des questions militaires, est le plus connu des quelques traités consacrés à l'art de la guerre par des auteurs grecs ou latins parvenus jusqu'à nous. L'ouvrage, écrit entre 383 et 450, répond à la demande d'un empereur, Théodose (379-195) ou Valentinien II (383-393) qui désirait des suggestions pour rendre leur ancienne valeur aux armées romaines en complète décadence. VÉGÈCE reprend des écrits de son époque, alors disponibles, en provenance de ses prédécesseurs romains de toutes époques et dans les "constitutions" des anciens empereurs. Si bien qu'il est difficile de déterminer si les renseignements qu'on peut trouver dans son ouvrage concernent les armées du IIe siècle avant J-C. ou celles du IIe siècle après. Il en a rajouté d'autres qui concernent son temps et des remarques importantes, utiles à toute époque, dont on peut encore faire son profit en ce début du XXIe siècle, en particulier en ce qui concerne l'entraînement et le moral des troupes. (Joël LE GALL)

 

    L'ouvrage se présente comme un manuel pratique d'environ 120 pages réparties en 5 livres traitant de :

- l'enrôlement et l'entraînement des recrues ;

- l'ordonnance générale de la légion et la discipline des troupes ;

- les manoeuvres tactiques et les batailles ;

- l'attaque et la défense des places fortes ;

- la guerre navale, cette dernière partie, brève, étant considérée par certains auteurs comme une simple annexe.

 

  Il ne s'agit pas d'une description de l'armée romaine tardive, mais d'une proposition précise et circonstanciée sur les mesures à prendre pour sauver l'empire. VÉGÈCE y prône le retour aux usages ayant cours dans les légions de la grande époque. Mais le pouvoir n'y donne pas suite. 

  Le Livre III est le plus fourni de tous les autres et comprend dans le chapitre 25, une série de 30 maximes qui ont, plus que le reste, frappé les esprits et suscité les commentaires.

Il se compose ainsi de petits chapitres, sont examinés tour à la tour des éléments importants sur :

- De la taille des armées ;

- Du soin qu'on doit mettre à se pourvoir de grains et de fourrages et à les garder ;

- De la conduite qu'il faut tenir pour éviter les séditions ;

- Des précautions qu'on doit prendre en marchant dans le voisinage de l'ennemi ;

- Comment on établit un camp ;

- De ce qu'il faut considérer pour décider si l'on doit combattre par surprise et par ruse, ou à force ouverte ;

- De ce qu'il faut faire lorsque l'on a de nouveaux soldats ou d'anciens qui ont perdu l'usage des combats ;

- Des précautions qu'il faut prendre le jour d'une bataille ;

- Qu'il faut sonder les dispositions des soldats avant que de combattre ;

- Quel doit être l'ordre de bataille le plus propre à rendre une armée invincible ;

- Disposition de la cavalerie ;

- Par quels moyens en bataille rangée on peut résister à la valeur et aux ruses de l'ennemi ;

- Des différents ordres de bataille, et comment le plus faible en nombre et en forces peut remporter la victoire ;

- Qu'il faut faciliter une issue à l'ennemi enveloppé pour le défaire plus facilement ;

- Comment on se retire de devant l'ennemi si on n'a pas envie de combattre ;

- Du parti qu'il faut prendre en cas de déroute de tout au partie de l'armée...

    Dans le chapitre consacré aux maximes générales de la guerre, nous pouvons lire :

"Dans quelque guerre que ce soit, une expédition ne peut être avantageuse à l'un des partis, qu'elle ne soit désavantageuse ou préjudiciable à l'autre. Prenez donc garde de vous laisser attirer à quelque espèce de guerre favorable au parti contraire ; que votre utilité seule soit la règle de vos démarches. Faire les manoeuvres auxquelles l'ennemi voudrait vous engager, ce serait travailler de concert avec lui contre vous-même. De même, ce que vous aurez fait pour vous sera contre lui, s'il veut l'imiter. 

Plus vous aurez exercé et discipliné le soldat dans les quartiers, moins vous éprouverez de mauvais succès à la guerre. N'exposez jamais vos troupes en bataille rangée, que vous n'ayez tenté leur valeur par des escarmouches. Tachez de réduire l'ennemi par la disette, par la terreur de vos armes, par les surprises plutôt que par les combats ; parce que la fortune en décide le plus souvent que la valeur.

Il n'y a point de meilleurs projets que ceux dont on dérobe la connaissance à l'ennemi jusqu'au moment de l'exécution. Savoir saisir les occasions est un art encore plus utile à la guerre que la valeur. Détachez le plus d'ennemis que vous pourrez de leur parti, recevez bien ceux qui viendrons à vous ; car vous gagnerez plus à débaucher des soldats à l'ennemi qu'à les tuer. Il vaut mieux avoir plus de corps de réserve derrière l'armée, que de trop étendre son front de bataille. Celui qui juge sainement de ses forces et de celles de l'ennemi est rarement battu. La valeur l'emporte sur le nombre. Mais une position avantageuse l'emporte souvent sur la valeur. 

La nature produit peu d'hommes courageux par eux-mêmes ; l'art en forme un plus grand nombre. La même armée qui acquiert des forces dans l'exercice, les perd dans l'inaction. Ne menez jamais à une bataille rangée des soldats qui vous paraissent espérer la victoire. La nouveauté étonne l'ennemi ; les choses communes ne font plus d'impression. Qui laisse disperser ses troupes à la poursuite des fuyards, veut céder à l'ennemi la victoire qu'il avait gagnée.

Négliger le soin des subsistances, c'est s'exposer à être vaincu sans combattre.

Si vous l'emportez sur l'ennemi par le nombre et la valeur, vous pouvez disposer votre armée en carré long ; c'est le premier ordre de bataille,. Si au contraire, vous vous jugez le plus faible, attaquez par votre droite la gauche de l'ennemi ; c'est le second ordre. Si vous vous sentez très fort à votre gauche, faites-la tomber sur la droite ennemie ; c'est le troisième ordre. Si vos ailes sont également fortes, ébranlez les deux en même temps ; c'est le quatrième ordre. Si vous avez une bonne infanterie légère, ajoutez à la disposition précédente la précaution d'en couvrir le front en votre centre ; c'est le cinquième ordre. Si, ne comptant ni sur le nombre ni sur la valeur de vos troupes, vous vous trouvez dans la nécessité de combattre, chargez par votre droite, en refusant à l'ennemi toutes les autres parties de votre armée. Cette évolution, qui décrit la figure d'une broche, fait le sixième ordre. Ou bien couvrez l'une de vos ailes d'une montagne, d'une rivière, de la mer, ou de quelque autre retranchement, afin de pouvoir transporter plus de forces à votre aile découverte ; c'est le septième ordre. Selon que vous serez fort en infanterie ou en cavalerie, ménagez-vous un champ de bataille favorable à l'une ou à l'autre de ces armes ; et que le plus grand choc parte de celle des deux sur laquelle vous compterez le plus.

Si vous soupçonnez qu'il y ait des espions qui rôdent dans votre camp, ordonnez que tous vos soldats se retirent sous leurs tentes avant la nuit ; les espions seront bientôt découverts. Dès que vous saurez l'ennemi informé de vos projets, changez vos dispositions. Délibérez en plein conseil ce qu'il serait à propos de faire. Délibérez avec un petit nombre de gens de confiance ce qu'il serait encore mieux qu'on décidât seul.

La crainte et les châtiments corrigent les soldats dans leur quartiers. En campagne, l'espérance et les récompenses les rendent meilleurs.

Les grands généraux ne livrent jamais bataille s'ils n'y sont engagés par une occasion favorable, ou forcés par la nécessité.

(Flavius Végèce, instructions militaires, livre III, présenté par NACHIN, Editions Berger-Levrault, 1948).

 

      La postérité de ce texte se mesure aux traductions précoces en français (dès 1271), alors que CÉSAR ne l'a été qu'en 1473 par Jean DUCHESNE, pour le compte de Charles le Téméraire, VÉGÈCE fut le premier auteur militaire à être imprimé dès les années 1470. Du Ve au XVe siècle, de tous les auteurs classiques et médiévaux qui ont écrit sur la guerre, VÉGÈCE fut le plus célèbre. Sa fortune dans l'art militaire fut comparable à celle de Saint AUGUSTIN dans la philosophie et la théologie.

Dans son étude sur VÉGÈCE et la culture militaire au Moyen-Age, Philippe RICHARDOT précise quelle était l'utilité de De Re Militari au Moyen-Age. "La lecture de Végèce s'inscrivait dans un courant intellectuel qui voyait dans l'Antiquité la référence suprême, l'autorité même. Les auteurs anciens alimentaient la culture et la réflexion technique, politique, philosophique, théologique de ceux, clercs ou laïcs, qui étaient instruits dans les lettres latines et plus rarement grecques. Au XVe siècle, le roi Ferdinand d'Aragon trouva dans l'Histoire de la guerre gothique, du grec Procope, comment s'emparer de Milan en utilisant un aqueduc. La première traduction française du De Re Militari, vers 1272, résume parfaitement ce qu'attendaient les lecteurs médiévaux de Végèce. La miniature de présentation figure un Végèce en majesté qui déclare à des jouvenceaux : "Venez a moy senurs chevalers que volez avec honneur de chevalerie". L'honneur au sens pur du terme n'intéresse pas Végèce. Le De Re Militari n'est pas un traité de morale chevaleresque comme celui de Raymons Lulle (Livre de l'ordre de chevalerie, édition et traduction P Gifreu, Paris, La Différence, 1994). Pratique, il se préoccupe d'efficience et de discipline. Cependant, la victoire à la guerre n'est-elle pas l'honneur suprême, l'honneur de chevalerie?

Comment un traité militaire de l'Antiquité tardive a t-il pu rester d'actualité dix siècles après sa rédaction? Le chef de guerre médiéval croyait trouver chez Végèce une méthode permanente d'invincibilité, tout particulièrement résumée dans un chapitre du De Re Militari intitulé "règles générales de la guerre" (regulae bellorum generales). La permanence de ces règles excluait tout anachronisme. En 1805, le maréchal prince de Ligne déclarait : "C'est un livre d'or... Un dieu, dit Végèce, inspira la légion, et moi je dis qu'un dieu inpira Végèce". Napoléon lui-même possédait à Fontainebleau, un exemplaire de l'édition de 1806 du De Re Militari, aujourd'hui à la Bibliothèque nationale. On se doute que si de tels hommes lisent Végèce à l'époque où les armes à feu dominaient les champs de bataille, il y avait encore plus d'avantages à le lire aux temps où l'on combattait à l'épée et à la lance. Végèce fut longtemps in-surpassé. Aucun traité militaire médiéval ne vint remplacer le De Re Militari avant le XVe siècle. La morale voire la théologie intervenaient en principe dans la formation de l'élite des combattants - la chevalerie - qui formaient une caste rituelle, bientôt aristocratique. Végèce, qui valorisait l'effort, l'austérité, la discipline, était proche des conceptions monastiques, sans toutefois que l'on retrouve la trace de son influence dans les différentes règles cénobitiques. Le De Re Militari fut néanmoins compilé dans des recueils d'exempla et des sermons destinés aux nobles. L'Église a utilisé Végèce dans son entreprise de moralisation du guerrier. Cela rejoint les préoccupations témoignées par la "Trêve" ou la "Paix de Dieu" (...). Elle couvre des aspects proprement pratiques. L'Église s'intéressait à l'efficacité des hommes de guerre. La lecture de Végèce par les auteurs médiévaux est souvent déroutante pour des esprits contemporains, car leurs préoccupations étaient souvent autres. Guerriers, politiques, philosophes, théologiens et poètes avaient tous leur grille de lecture. Les thèmes d'étude liés au De Re Militari recouvrent une large part de l'univers intellectuel du Moyen-Age. Son influence va même au-delà du XVe siècle. En ce sens, il offre une clé pour comprendre cette vaste période dans un histoire à la fois culturelle et militaire."

 

Philippe RICHARDOT, Végèce et la culture militaire au Moyen-Age (Ve-XVe siècles), www.stratisc.org (institut de Stratégie Comparé). Flavius Végèce, dans Anthologie mondiale de la stratégie, Robert Laffont, 1990. Joël LE GALL, article Végèce, dans Dictionnaire d'art et d'histoire militaires, PUF, 1988.

 

STRATEGUS

 

Relu le 13 janvier 2021

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5 septembre 2012 3 05 /09 /septembre /2012 12:12

        Pour Edward LUTTWAK, on peut distinguer trois systèmes impériaux de sécurité du Ier siècle au IIIe siècle, selon une analyse systématique des données littéraires et archéologiques, données que ne possédaient pas forcément de nombreux auteurs antérieurs, comme GIBBON, pour son étude sur les causes de la chute de l'Empire Romain.

 

   Le système julio-claudien, le premier système impérial de sécurité, "était essentiellement celui de la république finissante, encore en vigueur au cours du Ier siècle de notre ère, sous cette forme particulière d'autocratie qu'est le principat". "Sous la république, les Romains résolvaient habituellement les problèmes de sécurité de leur empire en pleine croissance par l'expansion, mais celle-ci était hégémonique plus que territoriale. Les guerres et les victoires aboutissaient habituellement à un faible agrandissement territorial et en même temps à une extension encore plus lointaine de l'action diplomatique de Rome par le moyen de la clientèle. A la fin de la république cependant, une nouvelle politique fut élaborée par de nouvelles forces au pouvoir à Rome, et le rythme de l'expansion territoriale s'accéléra manifestement, atteignant son apogée sous Auguste. Auguste, de toute évidence, ne mit pas en pratique au cours de son règne ce qu'il prôna dans sa célèbre mise en garde posthume contre de nouvelles conquêtes, texte que Tacite rapporte (et contre lequel il s'élève vigoureusement). Sous ses ordres, des guerres de conquête furent menées dans toutes les directions ; elles se terminèrent par l'annexion de vastes territoires : les futures provinces de Mésie, de Pannonie, de Norique et de Rhétie ainsi que les Alpes cottiennes et maritimes. Ces deux dernières annexions étaient des mesures de sécurité sans cesses reportées contre des pillards, les Salasses qui s'attaquaient au trafic transalpin ; ailleurs, l'argument invoquant la sécurité n'était pas aussi valable. Cependant, l'annexion d'États-clients dociles et efficaces n'étaient pas dans les vues d'Auguste, sauf en dernier ressort : la Judée fut annexée en 6, mais uniquement parce qu'on n'avait pas trouvé dans la famille d'Hérode de successeurs valables - la Judée n'était pas une province qu'on pouvait confier à la légère à un de ces princes entreprenants d'Asie mineure.

Du fait de l'économie des forces du système, l'effectif des forces militaires d'Auguste était suffisant non seulement pour défendre l'empire, mais aussi pour permettre l'expansion ; à n'importe quel moment, on pouvait procéder à de grandes concentrations de troupes pour des guerres de conquête, en prélevant des forces habituellement déployées sur la frontière, même au prix de quelques risques. En 6, par exemple, sur un effectif légionnaire total de seulement vingt-huit légions, pas moins de douze purent purent être rassemblées pour l'offensive en Bohême qui devait amener la puissance romaine sur les bords de l'Elbe. De l'avis général, cette disproportion s'est avérée trop grande et a entrainé de grands risques, mais indubitablement le système était très souple. On admet que le but d'Auguste, même avant les grandes crises de 6 à 9 en Illyricum et en Germanie, s'était limité à l'établissement d'une frontière "scientifique" sur l'Elbe - une sorte de ligne "Hambourg-Prague-Vienne". Plus récemment, on a soutenu d'une manière convaincante qu'Auguste n'a personnellement jamais fixé cette limite, car il était toujours à la poursuite du rêve d'Alexandre - et de Rome : la conquête du monde . On a également souligné que les connaissances géographiques des Romains (et les connaissances démographiques) étaient encore si peu développées que même la conquête de la Chine leur semble possible. En tout cas, le système était parfaitement adapté à la poursuite de la politique d'expansion, et Claude dans la conquête de la Bretagne l'employa comme tel. Une nouvelle expansion était du domaine du possible tant qu'il y aurait des peuples et des cultures susceptibles d'être influencés par la "discussion armée" émanant de la puissance militaire romaine ; Rome en fit des clients sûrs, prenant à leur charge les problèmes de sécurité soulevés par l'expansion passée."

     Ce premier système, considéré comme plus appartenant à la période républicaine est de caractère hégémonique. "Autour de ses provinces centrales, l'empire était de caractère hégémonique, avec des États-clients autonomes, responsables de l'exécution des desiderata de Rome et dont les ressources propres et l'obéissance pourvoyaient à la sécurité territoriale des provinces centrales. Aucune force militaire romaine n'est habituellement stationnée dans les États-clients ou les tribus clientes. Mais la stabilité du système exige un effort diplomatique constant, à la fois pour s'assurer que chaque client est toujours conscient de l'intégralité de la puissance romaine (alors qu'il est lui-même politiquement isolé) et aussi pour maintenir l'équilibre du système de la clientèle au plan interne (c'est-à-dire dynastique) et régional (c'est-à-dire entre clients). Les États-clients, grands et petits, sont maintenus en sujétion par l'idée qu'ils se font de la puissance de Rome, et cette force persuasive était complétée par des encouragements bénéfiques, en particulier des subsides. Avec ce système, les forces armées, que les clients perçoivent comme un bloc d'une puissance écrasante, sont effectivement réparties sur un vaste cercle autour de Rome. Mais ces troupes sont encore concentrées en armées comportant de nombreuses légions et ne sont pas affectées à la défense territoriale ; aussi, elles sont essentiellement mobiles et facilement re-déployables. La souplesse de l'organisation est telle que presque la moitié de l'armée peut être envoyée vers une seule province en rebellions (...) sans mettre en péril la sécurité du reste de l'empire. En l'absence de tels soulèvements, la souplesse se manifeste par l'existence d'une immense force militaire "disponible" qui peut être utilisée pour une expansion ultérieure là où le front reste "ouvert" comme en Germanie avant 9 ou en Bretagne sous Claude. A cause de son caractère hégémonique, la sphère de l'autorité impériale n'est limitée que par la distance à partir de laquelle les autres perçoivent la puissance romaine contraignant à l'obéissance. La portée de la puissance romaine, par conséquent, n'a pas besoin d'être proportionnelle aux dépenses militaires. L'extension ultérieure de l'empire, sous forme hégémonique, ne nécessite pas un accroissement des forces militaires en place. les nouveaux clients répondront à la même contrainte comme l'ont fait les autres avant eux, en entrant dans la sphère d'influence de l'empire. D'où l'économie des forces du système julio-claudien et aussi son efficacité. Mais c'était un système dont le but était d'accroître la sûreté de l'autorité de Rome plutôt que la sécurité du territoire impérial et celui des populations."

 

    Le système qui se met en place et qui perdure des Flaviens aux Sévères, résulte en grande partie des conséquences de la guerre civile. "Les forces expéditionnaires tirées de l'armée romaine, partout basées sur des positions fixes aux frontières, pouvaient avoir autant de puissance que les armées stratégiquement mobiles du commencement du principat. Une stratégie étudiée en vue d'une défense dissuasive - même si elle n'est en aucune façon une stratégie de "cordon" - ne pouvait bénéficier du très haut niveau de la puissance militaire "disponible" dans le système antérieur d'autorité hégémonique et d'armées mobiles. Tandis que, sous Néron, trois légions pouvaient être déployées en Judée, en 66, sans que cela entame le dispositif, l'armée de Trajan fut étirée presque jusqu'à la cassure en 116, et celle de Marc-Aurèle, encore plus, en 166. Plus tard, le manque de souplesse du système dut être compensé par le recrutement de deux nouvelles légions (...). La marge de sécurité du système était devenue dangereusement étroite." 'Tandis que les provinces formant le noyau de l'empire étaient fermement tenues par une poignée de légions, celles situées à la périphérie exigeaient un renforcement de leur défense (...). Cela indiquait un changement dans les instruments de la politique de sécurité, qui passait du système de la clientèle à un autre apparemment plus sûr, mais en fin de compte plus fragile, celui qui reposait sur l'emploi direct de la force militaire".    Edward LUTTWAK indique que la carte des trouvailles archéologiques montre que les différences individuelles de tempérament et de conception des empereurs, différences sur lesquelles insistent beaucoup d'autres auteurs, et pour lui de manière excessive, "n'ont nullement affecté la continuité de la politique impériale". Par déduction, il fait des hypothèses "sur l'influence qu'ont eues les idées politico-économiques de la romanisation sur le choix du tracé de la frontière". Assurer la protection contre les menaces d'invasion permet la formation d'une région prospère. le développement d'une agriculture productive, amène la prospérité, laquelle sert de base à une urbanisation, cette dernière permettant la romanisation. "Précisément, parce qu'il laisse de côté l'avantage, évident sur un plan militaire, qui est celui des frontières rectilignes, ce tronçon particulier du limes, plus que la plupart, démontre le caractère que possède la politique de Rome aux frontières : la création d'une société. Il existe donc un type cohérent de politique frontalière de Rome et une hiérarchie des priorités : d'abord la frontière doit permettre une mobilité stratégique entre les parties continentales de l'empire ; ensuite, on ne doit pas inclure des zones dont la nature ne se prête pas à une installation et à l'urbanisation et par conséquent à la Romanisation (telle l'Ecosse) ; enfin, on doit donc inclure des terres qui sont favorables à un établissement et par conséquent qui permettent d'accroître la puissance de l'empire en hommes et en ressources. Finalement, en tant que priorité secondaire, le tracé de la frontière doit, dans la mesure du possible, être court afin de réduire le personnel destiné à la surveillance patrouilles et avant-postes (...)". 

      Ce deuxième système n'est déjà plus hégémonique. "Le système d'Antonin, en vigueur sous une forme ou une autre depuis l'époque flavienne, après 69 jusqu'à la crise du milieu du IIIe siècle, est caractérisé par la territorialisation de l'empire et la réorientation de ses priorités. Des forces armées sont maintenant déployées partout pour assurer la tranquillité et par conséquent la prospérité des territoires proches des frontières et a fortiori de ceux de l'intérieur. La force militaire de l'empire et sa puissance sont désormais strictement proportionnels, puisque cette force est maintenant largement utilisée directement et non comme un instrument de persuasion politique. Les clients subsistent, mais ils sont beaucoup moins utiles que par le passé : la tâche de maintenir la sécurité territoriale a passé des clients faibles à des forces largement distribuées sur les frontières, tandis que les clients puissants ne peuvent plus être tolérés, puisque leur force peut maintenant dépasser dangereusement celles des armées impériales proches. Néanmoins, l'empire reste fort et l'essentiel de sa force est politique. Une réelle et croissante prospérité et une volonté de romanisation éliminent les dernières traces de l'indifférence  des indigènes et créent un appui solide à l'unité du régime. Face à des ennemis largement séparés les uns des autres à la périphérie, l'empire est toujours capable d'envoyer des forces écrasantes contre eux, puisque la tranquillité des provinces - et en certains endroits des infrastructures efficaces de frontière - permettent de maintenir une paix temporaire mêmes avec des forces aux frontières très réduites. Cette capacité offensive est d'abord utilisée comme instrument diplomatique : la menace de son emploi sert à garder les voisins de l'empire divisés - sinon forcément obéissante. Néanmoins, l'influence culturelle et économique de Rome sur l'existence des voisins de l'empire est elle-même créatrice d'une assise culturelle et politique commune susceptible de s'opposer à elle. Des hommes qui n'avaient rien en commun acquièrent maintenant les éléments d'une culture partagée par tous mais n'appartenant à personne. Au-delà du Rhin se constitue une fédération des peuples frontaliers qui va les souder en un redoutable conglomérat multi-tribal. Contrée sans répit par la force résultante des transformations culturelles, la diplomatie romaine, qui cherche à maintenir divisés les ennemis de l'empire, devient de moins en moins efficace et le système de défense des frontières, conçu en fonction de menaces de faible ampleur, ne peut lutter avec succès contre cette coalition."

 

 

    Le système de la défense en profondeur dans la période de la crise générale de l'Empire, découle de plusieurs facteurs au premier rang duquel l'auteur place la conjonction de désordres internes et des attaques d'ennemis (Sassanides qui se forment à ce moment-là, par exemple) à plusieurs frontières. "Il est évident que les réductions faites dans les forces provinciales qui gardaient les frontières afin de renforcer les forces armées centrales devaient toujours servir à assurer la sécurité politique à la puissance impériale. Mais elles ont inévitablement dégradé la sécurité quotidienne des populations. Aux derniers stades de l'effondrement de l'empire en Occident, il n'est pas rare de trouver des frontières entièrement dégarnies de leurs défenseurs pour augmenter les forces de combat centrales, comme cela arriva en 406 sous Stilicon, qui était engagé dans un conflit interne. Dans de tels cas, on laissait vraisemblablement le soin aux Barbares alliés de "défendre" la frontière ; c'était une réédition  négative des relations de clientèle du Ier siècle. De telles alliances étaient louées mais non achetées ; les représailles ne suffisaient pas à apporter la sécurité une fois que le facteur indispensable de dissuasion avait disparu. Les listes de la Notita, quelles que soient leurs dates exactes, donnent quelques indications sur la répartition des forces entre les secteurs de frontière et les forces de combat ; on a fait de nombreuses tentatives pour chiffrer cette répartition en s'appuyant sur des estimations variables touchant l'importance des unités. Ces estimations, provenant de sources et de méthodes très différentes (...) ont un point commun ; dans chaque cas, le pourcentage de limitanei est nettement plus fort en Orient, qui survécut à la crise du Ve siècle, qu'en Occident qui en souffrit. La conséquence est claire, de même que son lien avec la démonstration (...) de l'importance stratégique des forces de réserve dans un contexte de mobilité très lente. Le fait que la mobilité des ennemis de l'empire n'était manifestement pas plus grande est hors de propos, puisque la menace extérieure manquait de coordination. La mobilité relative n'avait pas d'importance. ce qui comptait, c'était la mobilité absolue des forces romaines déployées à l'arrière ; elle était beaucoup trop lente pour justifier le système dualiste pour des raisons militaires. Septime Sévère, devenu empereur, commanda ses armées contre des ennemis intérieurs et extérieurs, en Occident ou en Orient, alors qu'il n'avait aucune expérience du service actif avant de régner. (...). Les forces de combat du bas empire étaient bien plus importantes que celles du principat, mais même quand le comitatenses étaient répartis dans les réserves régionales. Il ne leur était pas possible d'avoir la mobilité stratégique convenable pour défendre par la dissuasion le territoire impérial : l'ennemi pouvait être intercepté et souvent vaincu, mais seulement après qu'il avait fait les pires destructions. D'un autre côté, les forces de combat centralisées pouvaient servir pour protéger la puissance des empereurs-soldats qui les commandaient ; c'est la seule missions que ces forces de combats continuèrent d'accomplir vraiment jusqu'à l'ultime fin. Mais les dommages infligés aux terres impériales, à la population et à la propriété privée s'accumulaient ; ils minèrent sans relâche la base logistique de l'empire et, sans relâche, ils rabaissèrent dans l'opinion publique la valeur du régime impérial". Edward LUTTWAK met finalement l'accent sur le fait que cette défense en profondeur fonctionnait, mais que la mobilité faible des troupes dans l'immensité de l'empire, ne permettait plus une véritable protection des populations. 

      Ce troisième système semble vouloir parer au plus pressé.  "Le troisième système naît pour répondre à cette inextricable combinaison de problèmes diplomatiques et militaires dont les conséquences devinrent manifestes dans la grande crise du IIIe siècle. Sous Dioclétien, une défense en profondeur mince mais structurée remplace la "défense élastique" de Gallien et le système précédent dans lequel des forces de combat ad hoc avaient combattu les coalitions de Barbares jusqu'à très loin à l'intérieur du territoire impérial. Comme celui d'Antonin, le nouveau système ne fournit par un volant disponible de puissance militaire, soit pour l'offensive, soit pour la coercition diplomatique, dissuasive ou contraignante. La différence est que le troisième système ne possède plus de capacité de "sursaut", puisque les ennemis de l'empire ne sont plus contraint à la défense par une tactique de défense en avant ; au lieu de cela, ils ne sont que contenus. Quand les forces destinées à contenir l'ennemi sont réduites à faire appel à des forces de combat ad hoc, le front est percé et ce qui reste du système d'Antonin, la capacité d'engendrer des symboles de puissance en vue d'exercer une pression politique, est perdue sans retour. Les relations diplomatiques avec des puissances extérieures doivent donc maintenant traduire le rapport local des forces - qui ne peuvent pas toujours favoriser  l'empire dans tous les secteurs de ses frontières."

 

     Malgré des limites méthodologiques et l'argumentation d'un mirage d'une stratégie romaine (émise notamment par WHITTAKER - Les frontières de l'empire romain, 1989 et ISAAC - The limits of Empire. The Roamn Army in the East, 1990) qui obligent tout de même à préciser certains aspects tels que l'appellation de frontière et la conception centralisée des conceptions stratégiques par un état-major (dont LUTTWAK ne prétend jamais qu'il existe réellement, du moins dans l'acception moderne), la conception de trois ou de plusieurs systèmes à vocation défensive est partagée par de nombreux autres auteurs.

Yvon GARLAN (La guerre dans l'Antiquité, 1972), P. LE ROUX (L'armée romaine et l'organisation des provinces ibériques (1982), partagent cette conception de la stratégie de l'empire romain. LUTTWAK systématise ces vues en s'appuyant sur de nouvelles données (archéologiques, épigraphiques...). Yann LE BOHEC met bien en évidence l'importance énorme de la logistique romaine durant les opérations, où rien n'est laissé au hasard. Ce dernier auteur indique que, tout au long des quatre siècles de notre ère considéré, "l'État romain a souvent agi à son gré, car il disposait de moyens importants. En premier lieu vient l'aspect psychologique : tout le monde sait ce que Rome veut, car sa politique est claire. En second lieu, il faut évoquer l'activité diplomatique ; les conférences et discussions jouent un grand rôle, mais secondaire par rapport à ce que peut la force de l'argent (Domitien avait préféré acheter les Daces, pour obtenir la paix, que combattre). De plus, les traités contiennent très souvent des clauses mentionnant des otages (ce point n'a d'ailleurs pas été très bien étudié) : les souverains qui veulent prouver leur bonne foi envoient quelques-uns de leurs parents à la cour impériale. Mais l'essentiel, pour assurer la sécurité de l'empire, ce sont les forces militaires, l'armée et les fortifications qu'elle a élevées.". Ce dernier auteur expose région par région les dispositifs mis en oeuvre, face à des ennemis variés, surtout entre le Nord (Bretagne), l'Est (la Germanie), le Sud-est (face aux Parthes, puis aux Sassanides), le Sud (Afrique).

 

Yann LE BOHEC, L'armée romaine, Picard, 2005. Edward LUTTWAK, La grande stratégie de l'empire romain, Economica/ISC, 2009. On trouve dans ce dernier ouvrage un état des arguments opposés à LUTTWAK  (et de leurs faiblesses...) d'Everett L. WHEELER.

 

STRATEGUS

 

Relu le 14 janvier 2021

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30 août 2012 4 30 /08 /août /2012 15:34

            Les sources écrites sur la stratégie ou les stratégies de l'Empire romain sont plutôt éparses, lorsqu'on considère la longueur de l'existence de la Rome antique.

Nous pouvons en faire une présentation de manière chronologique, de POLYBE à FLAVIUS VÉGÈCE :

 

- POLYBE (vers 202-120 av J-C.), Grec mis au service de Rome, participa à l'expédition de SCIPION en Espagne, dans le cadre des guerres entre Rome et Carthage. Grand voyageur, documenté, précis, POLYBE est considéré comme le grand historien de l'impérialisme romain. Il relate et analyse par exemple l'histoire du triomphe de Rome sur Carthage et l'expansion romaine dans l'Orient grec et hellénisé. La bataille de Cannes (216 av J-C.), relatée aussi par APPIEN et TITE-LIVE, est la plus belle victoire d'Hannibal. Elle est un classique, souvent médité, d'enveloppement par les ailes, et ceci malgré l'infériorité numérique des Carthaginois. 

Il a écrit un Éloge de Philopoemen (3 livres), un Traité de tactique, un Traité sur les régions équatoriales et une Guerre de numance, ouvrages perdus. D'Histoires (écrit pour la période entre 220 et 146, écrit en Grèce après 146), de quarante volumes, seuls cinq volumes nous sont parvenus en totalité.

(Le site www.mediterranee.org/histoire_romaine, met en ligne progressivement des extraits de cette  Histoire, rarement accessible, présentés là dans la traduction de JAC Buchon de 1836. Ce site met en ligne de nombreux textes de différents auteurs cités dans ce post ; On peut aussi consulter ces textes dans une traduction de Dom THUILLIER, Polybe, Histoires, Liskenne et Sauvan, Bibliothèque historique et militaire, 1836)

 

- JULES CÉSAR (vers 101-44 av J-C.) joua un rôle ambigu dans la conjuration de CATILINA. Triumvir avec POMPÉE et CRASSUS, Consul en 59, il mena campagne entre 57 et 50, en Belgique, en Gaule, en Angleterre et passa le Rhin et triompha en Gaule. Après la mort de CRASSUS, la guerre civile éclate entre les tenants de CÉSAR et POMPÉE (49 à 45). Avant de combattre POMPÉE, qui dispose de la maitrise de la mer, CÉSAR s'attaque aux légions pompéiennes d'Espagne (siège de Marseille). Il remporte en 48 la victoire décisive de Pharsale. En 47-46, il mène contre les Pompéiens la guerre en Afrique puis en Espagne. Il est le seul maître lorsqu'il est assassiné en 44. Homme politique à la tête stratégique, CÉSAR est célèbre en partie à cause de ses Commentaires. Mais La Guerre civile, dont il est soit l'auteur soit l'inspirateur direct, est également un ouvrage de valeur d'un point de vue militaire.

De ses divers écrits, seuls ses Commentaires nous sont parvenus. Les Commentaires sur la Guerre des Gaules relate la campagne de César en Gaule. Les Commentaires sur la Guerre civile relate la guerre entre lui et Pompée. Ces oeuvres constituent le modèle du genre des mémoires historiques, même si leur objectivité est très discutée par les historiens. Ils ont servi à la propagande politique de César. On lui attribue (mais ils ont été probablement été rédigés par Aulus HIRTIUS) : Sur la guerre d'Alexandrie, relatant sa campagne à Alexandrie ; Sur la guerre d'Afrique, celle en Afrique du Nord ; Sur la guerre d'Hispanie, sa campagne dans la péninsule.

(De nombreux textes de Jules César sont disponibles aux Éditions Les Belles Lettres, notamment La guerre civile, 1987 et La guerre des Gaules, 1984.)

 

- SALLUSTRE (vers 86-35 av J-C.) est, avec TACITE et CÉSAR, un des grands historiens romains dont la Conjuration de Catilina a quelque peu laissé dans l'ombre son remarquable récit de La guerre de Jugurtha (vers 40), modèle des écrits sur la guerre de guérilla, des tactiques du faible au fort et sur l'usage de la guerre d'usure et de harcèlement. Cette guerre dura de 110 à 104 av J-C. SALLUSTRE se trouvait dans le camp de CÉSAR lorsque éclata la guerre civile au début de 49. Il accompagna celui-ci en Afrique et devint, en 46, le premier gouverneur de la nouvelle province d'Afrique créée par CÉSAR. Après la mort de son protecteur, il s'éloigna de la politique et se consacra à ses écrits. La plus grande partie de ses Histoires est perdue, au moins avons-nous connaissance de leur existence. Premier en date des historiens latins - du moins en regard des écrits qui nous restent - SALLUSTRE se situe d'emblée, avec La guerre de Jugurtha, comme l'un des plus importants.

La Conjuration de Catilina (-41) est le récit du complot de Catilina visant la prise du pouvoir, dénoncé par Cicéron. La guerre de Jugurtha rapporte cette guerre d'Afrique du Nord, entre 112 et 105 av J-C. Les Histoires, qui nous sont parvenues incomplètes, traitent de l'histoire de Rome entre Sylla (-78) et de la victoire de Pompée contre les pirates (-67). Elles ont toutefois fait l'objet d'un très important travail de reconstitution de la part de Charles de Brosses, premier président du Parlement de Bourgogne, publié en 1777 chez Frantin à Dijon.

(De nombreux textes sont disponibles à Les Belles Lettres ; 2003, pour La conjuration de Catilina, La Guerre de Jugurtha et fragments des histoires. Il existe une édition auparavant de La guerre de Jugurtha, traduction de F RICHARD, éditions Garnier-Flammarion, de 1968)

 

- TITE-LIVE (vers 59 av J-C.-17) se refusa à suivre une carrière politique et se consacra à une monumentale Histoire romaine qu'il commença sous l'empereur AUGUSTE. Il s'efforce d'y dresser un inventaire et un bilan de sept siècles. Oeuvre très inégale - avec des passages superbes (les guerres puniques se lisent comme un roman d'aventures, sans doute un peu trop...) -, elle s'arrête en l'an 9 av J-C. Divisée en quatre décades, l'oeuvre est incomplète, la seconde décade et une moitié de la quatrième ayant été perdues.

Son Histoire de Rome depuis sa fondation couvre 142 livres. Organisé en décades ou groupes de 10 livres, seuls 35 livres nous sont parvenus. 

(Nous pouvons trouver de nombreux textes au site http://remacle.org pour cet auteur et beaucoup d'autres. Histoire est disponible aussi par une traduction de A. BOURGERY, aux Éditions Hatier, de 1966.)

 

- FLAVIUS JOSÈPHE (vers 37-100) participa à la guerre des Juifs contre Rome (66-70) avant de se rendre à l'ennemi, enfreignant le serment collectif tenu par ses compagnons, ce qui explique sans doute en partie le dénigrement de ses opinions par la communauté juive pendant une très longue durée. Il est un témoin unique des dernières années de l'État juif, assistant dans le camp romain à la chute de Jérusalem et à la destruction du temple. La Guerre des Juifs couvre la période qui s'étend de 175 av J-C. à 73.

FALVIUS JOSÈPHE fut nommé gouverneur de Galilée. Outre La Guerre des Juifs (en 7 livres), nous avons encore de lui une Autobiographie, complément de La guerre des Juifs où il justifie son choix d'avoir suivi les Romains et Antiquités judaïques (en 20 livres), inspiré des Antiquités romaines de DENYS d'HALICARNASSE, adaptant l'histoire du peuple juif à la mentalité romaine. Si la première partie n'est qu'une adaptation de la Bible, les dix derniers livres constituent un document historique de tout premier plan. Ces Antiquités Juives sont suivies de Contre Apion (écrit en 95 sans doute), qui est une défense des traditions juives et une réponse aux judéophobes grecs.

(Les traductions des Oeuvres de Flavius Josèphe se trouvent aux Éditions de minuit pour la Guerre des Juifs, 1977 (traduction de Pierre SAVINEL), aux Éditions du Cerf pour les Antiquités Juives, 1992-2005, en 4 volumes et aux Belles Lettres pour Contre Apion, selon une traduction de L. BLUM)

 

- ONOSAUDER (Ier siècle), d'origine grecque, vécut sous les Antonin. Son traité Strategikos, est axé sur la science du chef d'armée. L'influence d'ONOSAUDER est sensible chez les stratèges byzantins, notamment dans la Tactica de LEON VI. Il fournit des informations pas couramment disponibles dans d'autres oeuvres anciennes sur les tactiques militaires grecs, notamment concernant l'usage de l'infanterie légère dans la bataille. ONOSANDER parait avoir quelques dettes à l'égard de XÉNOPHON.

(Strategikos, selon une traduction de GUICHARDI est disponible chez Liskenne et Sauvan, Bibliothèque historique et militaire, 1840)

 

- SEXTUS JULIUS FRONTIN (40-vers 106) fut prêteur urbain en 70, plusieurs fois Consul, et gouverneur de Bretagne de 75 à 78, années durant lesquelles il mena une campagne victorieuse contre les Silures. Il est l'auteur de Stratagematon, recueil de faits militaires, de notions sur la stratégie, la tactique et l'art des sièges qu'il écrivit en 88. C'est un ouvrage d'un caractère populaire et destiné à compléter un grand ouvrage théorique sur l'art militaire, ouvrage perdu. 

(Les stratagèmes est disponible également chez Liskenne et Sauvan, Bibliothèque historique et militaire, 1840, selon une traduction de Perrot d'ALANCOURT)

 

- PLUTARQUE (vers 46-120), d'origine grecque, vécut sous l'empereur TRAJAN et fut un contemporain de TACITE. Philosophe, historien et moraliste, son oeuvre est inégale mais Des hommes illustres (ou Vies parallèles des hommes illustres) (écrit entre 100 et 110) contient, des épisodes remarquables, comme celui de l'expédition de CRASSUS contre les Parthes (vers 54 av J-C.) mettant aux prises sur un terrain défavorable une cavalerie d'archers pratiquant le harcèlement et une infanterie lourde recherchant le choc. Jusqu'aux Mongols et au-delà, ce type de rencontre s'est maintes fois produite, même si, du côté des sédentaires, on est passé de l'usage de l'infanterie à celui de la cavalerie lourde. CRASSUS (vers 115-53 av J-C.), l'un des triumvirs avec POMPÉE et CÉSAR, gouverneur de Syrie, fit campagne contre MITHRIDATE, roi du Pont et TIGRANE, roi d'Arménie avant de s'avancer en Mésopotamie septentrionale contre les Parthes.

Les Vies parallèles rassemblent cinquante biographies, dont 46 sont présentées par paire, comparant un Grec et un Romain célèbres (Thésée et Romulus, Alexandre Le Grand et César, Démosthène et Cicéron)

(Vies, est disponible aux Belles Lettres, 1972, selon une traduction de Robert FLACELIÈRE et Émile CHAMBRY)

 

- TACITE (vers 55-vers 120), originaire des Gaules, fut Consul sous l'empereur NERVA, en 97, puis gouverneur en Asie de 110 à 113. La Vie d'Agricola, écrite en hommage à la mémoire de son beau-père, général de l'empereur DOMITIEN, date de 98. Dans sa Germanie, TACITE fait oeuvre d'ethnologue et décrit avec rigueur les caractéristiques militaires des Germains. Il publie les Annales - oeuvre de très loin supérieure aux Histoires - autour de 117. Malgré un côté volontiers moralisateur, son oeuvre ne manque pas d'aperçus de grande valeur sous l'angle qui nous intéresse.

La Germanie (ou Sur l'origine et le pays des Germains) se présente comme un petit ouvrage d'actualité au moment où TRAJAN fortifiait la frontière du Rhin. Cette description des différentes tribus vivant au nord du Rhin et du Danube, s'inspire nettement d'auteurs antérieurs comme TITE-LIVE ou PLINE l'Ancien. Les Annales (écrite en 110), au titre apocryphe, devait comporter 18 livres sont le contenu s'étend du début du règne de TIBÈRE (14) à la fin du règne de NÉRON (68). Seuls les livres 1 à 4 ont été entièrement conservés. 

(Histoires est disponible, d'après une traduction de P. WUILLEUMIER et de H. LE BONNIEC, PUF, 1987-1992, Les annales aux Éditions Flammarion, 1999.)

 

- FLAVIUS ARRIEN (vers 92-175), grec de l'Empire romain né en Asie Mineure, fut l'élève d'EPITECTE à Nicopolis (Épire). Il se mit au service de Rome et sa carrière se déroula essentiellement sous l'empereur HADRIEN (117-132). Proconsul en Espagne, puis représentant de l'empereur en Cappadoce (131-137), il fut aux marches de l'empire où il repoussa une invasion des Alains. L'Anabase (écrite plus de quatre siècles après les événements) relate l'épopée d'ALEXANDRE. celui-ci, entre 334 et 323 av. J-C., conquit l'Asie jusqu'en Inde du Nord. ARRIEN et XÉNOPHON sont deux écrivains militaires exceptionnels. ARRIEN fut également l'auteur d'un Traité de tactique.

(Histoire d'Alexandre, l'Anabase d'Alexandre Le Grand, selon une traduction de Pierre SAVINEL est disponible aux Éditions de Minuit, 1984)

 

- POLYEN (IIe siècle), historien grec né en Macédoine, vécut à Rome sous le règne de MARC AURÈLE. En 163, il écrit ses Stratagèmes dans lesquels il expose les ruses de guerre les plus célèbres des Grecs, des Romains et des "barbares". Cette compilation très inégale a le mérite de la recension... et d'être parvenue jusqu'à nous. Stratagèmes, adressé à Lucius VERUS lorsqu'il part en campagne contre les Parthes, se présente sous la forme de huit livres qui rassemblent environ 900 récits d'historien, perdus, particulièrement Éphore de Cumes et Nicolas de Damas.

(La traduction de son Strategematon est disponible dans le livre Ruses diplomatiques et stratagèmes politiques, publié aux Éditions Mille et une nuit, 2011 ; Autrement, toujours chez Liskenne et Sauvan, Bibliothèque historique et militaire, 1840, selon une traduction de Dom Gui-Alexis LOBINEAU)

 

- FLAVIUS VÉGÈCE (fin IVe siècle), vécut sans doute à Constantinople. Son Traité sur l'art militaire, dédié probablement à l'empereur THÉODOSE LE GRAND, récapitule l'ensemble du savoir romain et fournit une somme où l'on trouve l'héritage de CATON le censeur, Cornelius CÉLSUS, FRONTIN, Paternus et de bien d'autres. Ces instructions militaires firent autorité en Occident jusqu'au XIVe siècle, bien que parfois, elles manquent d'originalité et soit utilisées sans doute par d'autres auteurs comme... arguments d'autorité. Ainsi, MACHIAVEL, qui puise beaucoup dans le répertoire romain pour soutenir ses idées...

Il tenta d'entreprendre une synthèse en matière de stratégie, de tactique et de logistique romaines. Théoricien au style direct sur le champ de bataille, VÉGÈCE préconise pourtant le style indirect pour les manoeuvres préparatoires. A côté de son ouvrage sur la tactique militaire romaine, Epitoma rie militaris (ou De re militari), nous connaissons son ouvrage de médecine vétérinaire, Digesta artis mulomedicina (ou Mulomedicina).

De re militari (daté avec beaucoup d'incertitude vers 385-390) se présente comme un manuel pratique d'environ 120 pages réparties en 5 livres traitant respectivement de l'enrôlement et de l'entrainement des recrues, de l'ordonnance générale de la légion et de la discipline des troupes, des manoeuvres tactiques et des batailles, de l'attaque et de la défense des places fortes et de la guerre navale. Parfois la partie navale est considérée comme une simple annexe. Il ne s'agit pas d'une description de l'armée romaine, mais d'une proposition précise et circonstanciée, adressée à l'empereur, sur les mesures à prendre pour sauver l'empire du naufrage. A cette proposition de revenir aux usages de la grande époque, le pouvoir n'a pas donné suite. Il renseigne donc sur une période bien antérieure.

La célèbre maxime "Si vis pacem, para bellum" (si tu veux la paix, prépare la guerre) n'est pas réellement de VÉGÈCE, du moins dans ces termes précis. Celui-ci écrit, dans le prologue du livre III, sur la nécessité d'entrainer les troupes aux manoeuvres collectives en préalable de toute guerre et conclut : "... qui désire la paix se prépare donc à la guerre, qui aspire à la victoire s'applique à former ses soldats, qui recherche le succès du combat selon les règles et non au hasard." La première proposition fut paraphrasée par un commentateur bien intentionné en une maxime percutante qu'il laissa au crédit de VÉGÈCE. 

(Instructions militaires, présenté par NACHIN, est disponible aux Éditions Berger-Levrault, 1948 ; Institutions militaires - Rei Militaris Instituta, est disponible chez MacMay, 2010)

 

     Longtemps, la stratégie et l'histoire romaine nous sont connues uniquement par ces sources très éparses. L'ampleur des destructions à la fin de l'Empire romain explique sans doute que seuls des petits morceaux nous sont connus. Depuis le XIXe siècle et de façon accélérée depuis, nous bénéficions de connaissances tirées des fouilles de l'archéologie. Des épigraphies nombreuses peuvent être comparés aux écrits anciens. Et surtout, les découvertes de vestiges de villes romaines permettent de se faire une idée des avancées de la romanisation. Les indices de vie économique florissante indique des zones pacifiées à un siècle ou l'autre, donc l'ampleur véritable des réussites des différentes stratégies mises en oeuvre. 

    De plus, il faut tenir compte de véritables habitudes stratégiques qui se transmettent de génération en génération, dans les classes nobles de la société romaine. Les indications rapportées dans les écrits qui nous sont parvenus nous donnent une idée de l'ampleur de la littérature gréco-latine consacrée aux choses militaires. Ce que nous appelons pragmatisme de la stratégie ou des stratégies romaines provient peut-être aussi de notre méconnaissance des différents textes importants qui ont disparu.

 

    Joel LE GALL nous indique que "L'armée a toujours joué un rôle primordial dans l'histoire antique de Rome qui commence vers le milieu du VIIIe siècle avant J-C. et s'achève conventionnellement en 476 après J-C., terme ultime de l'empire d'Occident", tandis que l'empire d'Orient se prolonge beaucoup plus. "cette armée ne nous est vraiment connue qu'à partir du IIIe siècle avant J-C. ; c'est à cette époque que se sont fixées les traditions qui allaient faire d'elle, pendant de longs siècles, un instrument de guerre supérieur à tous les autres. Le corps de bataille était constitué par les légions, grandes unités d'infanterie recrutées uniquement parmi les citoyens romains, mais soutenues par des unités de non-citoyens fournissant des effectifs égaux ou supérieurs ; la cavalerie n'a joué qu'un rôle secondaire, jusqu'à la seconde moitié du IIIe siècle après J-C."

Aux IIIe et IIe siècles av J-C., les citoyens romains devaient le service militaire de 17 à 46 ans ; l'armée n'était pas permanente, mais pendant ces trente années, ils pouvaient être mobilisés pour un nombre de campagnes qui est souvent sujet à discussion (16, 6?). Normalement on mettait sur pied deux armées consulaires de deux légions chacune, auxquelles s'ajoutaient des contingents fournis par les (alliés), mais il était possible d'en lever pour la durée de la campagne qui n'était pas fixe : elle était décidée par le Sénat pour chaque campagne et l'armée parait avoir varié entre 4 200 et 5 000 fantassins auxquels s'ajoutaient 300 cavaliers : ces fantassins étaient répartis entre 30 manipules de deux centuries chacun." 

     Mais le système de recrutement (et de commandement) originel "a cessé de fonctionner normalement au cours du IIe siècle av J-C., parce que les campagnes devenaient trop longues et que le sort de Rome n'était plus mis en cause, mais seulement sa domination sur des pays lointains. A la fin du siècle, le consul Marius se résigna à accepter les engagements volontaires des prolétaires, c'est-à-dire des pauvres qui normalement n'étaient pas appelé jusqu'à cette époque, parce qu'ils ne pouvaient pas s'acheter leur équipement. Dès lors, les armées changèrent de caractère : elles devinrent des armées de semi-professionnels qui se souciaient surtout de se faire du butin et d'obtenir, à leur démobilisation, la concession d'un domaine foncier qui leur permettait de mener une vie aisée. Pour obtenir ces avantages, les soldats firent confiance à leurs généraux et les armées n'hésitèrent pas à s'opposer les unes aux autres dans des guerres civiles. (...) Après sa victoire décisive, Auguste réorganisa l'armée sur des bases nouvelles. ce fut désormais une armée permanente de professionnels : les légionnaire, tous citoyens romains, s'engageraient pour vingt ans ; les pérégrins (non-citoyens) pourraient s'engager dans des corps auxiliaires pour 25 ans. La garde de l'empereur serait assurée par 9 cohortes prétoriennes et la sécurité de la ville de Rome par trois cohortes urbaines formées de citoyens dans lesquelles la service serait de 13 ans. La solde serait plus forte pour les prétoriens que pour les légionnaires, pour les légionnaires que pour les auxiliaires. A leur libération, les soldats bénéficieraient d'avantage divers, en particulier les auxiliaires deviendraient citoyens romains. 

La légion du Haut-Empire comptait 6 000 fantassins et plus de 700 cavaliers ; elle était dotée d'une artillerie, servie par les légionnaires. Elle comptait toujours 30 manipules à 2 centuries, mais l'armement avait été unifié : tous les légionnaires combattaient normalement avec le pilum et le glaive, bien qu'ils eussent été capables d'utiliser aussi d'autres armes, les frondes en particulier ; ils portèrent d'abord des cotes de mailles, plus tard la cuirasse de bandes d'acier et le bouclier rectangulaire de forme de tuile (...). Les manipules étaient groupés par trois en cohortes, à raison d'un manipule de chaque ligne (...)."

"Dans la seconde moitié du IIIe siècle, les menaces accrues que les cavaliers barbares faisaient peser sur les frontières européennes de l'empire, particulièrement dans les régions danubiennes, conduisirent l'empereur Gallien (253-268) à donner plus d'importance à la cavalerie ; les détails de cette réforme sont encore peu clairs. En même temps les officiers généraux et supérieurs cessèrent d'être des sénateurs ou des chevaliers, ce furent de plus en plus des soldats de métiers, eux aussi. Bientôt il fallut fortifier les villes de l'intérieur dont la défense fut assurée tant bien que mal par des milices locales. Dioclétien (284-305) augmenta considérablement les effectifs, mais Constantin (306-337) réalisa une réforme plus profonde en distinguant une armée de couverture, statique et une armée de campagne, mobile commandée par des généraux en chef qui portèrent le titre de magistri ; les prétoriens durent supprimés et la garde personnelle de l'empereur fut assurée par de nouvelles unités, les protectores et les scholas.

Les unités du Bas-Empire furent à faible effectif : les légions n'avaient plus que la valeur d'une ancienne cohorte, l'armement fut allégé. L'armée fut de plus en plus recrutée chez les barbares, y compris les officiers et les généraux : on vit même des peuples barbares engagés collectivement sous les ordres de leurs chefs nationaux : ces peuples s'installèrent dans l'empire et devienrent finalement les maitres de l'empire d'Occident qui se trouva divisé entre des royaumes barbares tandis que l'empire d'Orient résistait mieux à cette pénétration et devenait l'Empire byzantin."

 

     Edward LUTTWAK étudie pour sa Grande stratégie de l'Empire romain, surtout la période du premier siècle de notre ère jusqu'au troisième.

"On peut distinguer trois systèmes différents concernant la sécurité de l'empire pour (cette) période. Nous pouvons parler de système au sens propre, car chacun intègre la diplomatie, les forces militaires, le réseau de routes et les fortifications pour un unique objectif." (Précisons nous-mêmes que ces routes ne reliaient pas les villes existantes entre elles, mais des positions stratégiques, en fonction du relief notamment, en dehors de préoccupations commerciales). De plus, le dispositif de chaque élément traduit la logique de l'ensemble. Le but de chaque système était de satisfaire un ensemble distinct de priorités, elles-mêmes le reflet de conceptions conjoncturelles de l'empire : expansion hégémonique pour le premier système, sécurité territoriale pour le deuxième, et finalement, dans des circonstances graves, la simple survie de la puissance impériale elle-même. Chaque système était fondé sur une combinaison différente de diplomatie, de force armée et d'infrastructures fixes, et chacun déterminait l'adoption de différentes méthodes opérationnelles, mais, plus fondamentalement, chaque système reflétait une vue du monde différentes et l'image que Rome se faisait d'elle-même."

      Le stratégiste distingue ainsi trois système :

- Les Romains de la République ont beaucoup conquis pour servir les intérêt d'un petit nombre, ceux qui vivaient à Rome - en fait, d'un nombre encore plus faible, ceux qui étaient le mieux placés pour diriger la politique. Pendant le premier siècle de notre ère, les idées romaines évoluèrent vers une conception de l'empire plus vaste et, à tout prendre, plus bienveillante ;

- Les hommes nés dans des contrées éloignées de Rome pouvaient s'appeler Romains et voir ce droit pleinement reconnu : les frontières étaient défendues efficacement pour sauvegarder la prospérité grandissante de tous, et pas uniquement celle des privilégiés ; d'où cet empire de millions d'hommes et non de quelques milliers ;

- Après la grande crise du IIIe siècle, la question de la sécurité devint une contrainte extrêmement lourde pour la société, une charge inégalement répartie, qui pouvait enrichir les nantis et ruiner les pauvres. les rouages de l'empire furent alors de plus en plus au service de l'État, avec les collecteurs d'impôts, les administrateurs et les soldats, plus utiles les uns aux autres qu'à la société en général. Même à ce moment-là, l'empire reçut des marques de fidélité de nombreux citoyens, car sans lui c'était le chaos. Quand ce ne fut plus ainsi et de que États barbares organisés, donc capables de prendre des mesures pour assurer leur sécurité, firent leur apparition sur des terres naguère romaines, alors le dernier système de sécurité impérial perdit son ultime soutien, la peur des hommes pour l'inconnu."

      Cette perspective, tracée volontairement en gros par l'auteur, résultent de la succession des trois systèmes décrits plus précisément :

- le système julio-claudien : États-clients et armées mobiles d'Auguste à Néron ;

- le système des Flaviens aux Sévères : Frontières "scientifiques" et défense dissuasive de Vespasien à Marc Aurèle ;

- le système de la défense en profondeur avec la grande crise du IIIe siècle et les nouvelles stratégies.

 

Gérard CHALIAND, Anthologie mondiale de la stratégie, Robert Laffont, Bouquins, 1991. Joel LE GALL, Rome, dans Dictionnaire d'art et d'histoire militaires, PUF, 1988. Edward LUTTWAK, La grande stratégie de l'empire romain, Economica/Institut de Stratégie Comparée, 2009.

 

STRATÉGUS

 

Relu le 30 décembre 2020

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28 août 2012 2 28 /08 /août /2012 12:56

        La formation impériale, conçu par Alain JOXE comme "cas général de la formation sociale concrète", à rebours de la conception habituelle d'un système mondial d'États-nations, permet de comprendre sans doute mieux,comment se forme et perdure des ensembles politiques cohérents. Il définit ce qu'il entend par là avant de fournir des illustrations historiques concrètes.

 

La formation impériale est un champ complexe de luttes de classes :

- Complexe parce que hétérogène, intégrant plusieurs champs de luttes de classes séparés qui sont d'anciennes formations concrètes et/ou de nouvelles formations concrètes faisant schisme.

Cette complexité provient à la fois de la présence d'unités militaires différentes et de la présence de plusieurs modes de production. Cela fait appel à la fois à une logique de conflits entre plusieurs unités porteuses d'armes et à une logique (d'inspiration marxiste) de conflits entre modes de production concurrents. L'articulation de ces conflits permet de comprendre pourquoi subsistent longtemps des modes de production inférieur (en productivité). L'articulation tributaire par exemple est plus efficace que celle du travail forcé pour dégager une "main-d'oeuvre salarié, du point de vue de la formation dominante, mais l'existence d'une masse servile, grossie au rythme des conquêtes peut camoufler un moment la possibilité d'emplois plus productifs de la main-d'oeuvre... "La stabilité d'un empire, toujours définissable en termes d'optimum de transition abortive (entendre par là un équilibre d'accélérations et de freinages de l'expansion des relations sociales), est combinée intelligemment ou du moins intelligiblement dans les sous-formations maintenues à l'état de compartiments étanches, au sein desquels se déroulent ainsi des luttes de classe locales hétérogènes à celles du voisin".... "l'émergence, peut-être aléatoires, du monde de production capitaliste comme mode de production de certaines formations concrètes (et surtout l'Angleterre du XVIIIe siècle) peut immédiatement être figurée comme combinaison de plusieurs formations concrètes avec leurs modes de production non capitalistes autour de l'Angleterre dans la formation impériale britannique et la "transition au monde de production capitaliste", des modes de production de ces diverses formations sous-impériales, comme à la fois l'enjeu des luttes de classes dans ce champ hétérogènes de luttes de classes et l'objet, à tous les niveaux de son hégémonie, de la gestion politico-économique de la classe dominante anglaise, l'origine de sa division entre conservateurs et libéraux, c'est-à-dire partisans du freinage ou de l'accélération du procès - en fonction de diverses configurations possibles de classes alliées et de classes-appuis, ici et là"...  ;

 

La formation impériale comme ensemble unifié

- Unifié par l'usage de la violence armée, par la conquête et la répression, par une organisation centrale étatique, et/ou la désorganisation et la révolte et la violence généralisée par la multiplication des groupes armés.

Cette unification n'est jamais une tâche terminée : elle s'opère par l'exercice de la violence ou la menace de cet exercice, la menace de mort plus ou moins bien orchestrée. Elle est d'autant moins susceptible de se terminer qu'il y a plus d'unités militaires ne servant pas les mêmes modes de production, les mêmes classes sociales. "L'unité par la violence en dernière instance suppose l'hétérogénéité mais l'expansion du mode de production le plus progressiste appuyé par le pouvoir impérial dans la formation concrète permet aussi d'arriver à une certaine homogénéisation, à l'égalisation relative des sous-formations entre elles et à la constitution d'un "noyau dur" du mode de production dominant permettant un bond en avant vers d'autres formations, permettant d'autres conquêtes". "La croissance de certains empires (romain, prussien, français) s'est faite ainsi par un processus de "conquêtes-homogénéisation-conquêtes nouvelles", mais au départ, il y a une formation ex-impériale sérieusement homogénéisée et militarisée, généralement par l'effet d'une menace de destruction militaire surmontée." Ce processus n'est pas plus caractéristique d'un mode de production ou d'un autre.

- Organisé par l'unification des luttes politiques, idéologiques et religieuses entre classes dirigeantes et par la division des classes appuis et des classes exploitées. 

La formation impériale est constamment organisée par l'unité des classes dirigeantes et la division des classes-appui et des classes exploitées, cette division étant entretenue plus ou moins consciemment par les classes dirigeantes. "La classe dominante de la formation impériale n'a le pouvoir économique et politique que parce qu'elle a réussi à nouer des inter-relations entre tous les groupes dominants de toutes les sous formations et à faire accepter, à ce niveau, une unité de critère dont le plus petit dénominateur commun est l'intérêt à la répression violence en dernière instance des différences espèces de couches exploitées qui existent dans les différents modes de production des différentes sous-formations sociales agrégées dans la formation impériale. cet accord minimal fonde l'unité du champ de lutte de classes en tant que champ de luttes des classes dominantes. Dans le cas où la péréquation des modes de production des différentes sous-formations est assez poussé et, où, par conséquents, il y a risque d'unification des couches exploitées, l'unité des classes dirigeantes pourrait être également ébranlée. Une des conditions du maintien du pouvoir des classes dirigeantes reste la division des couches exploitées, mais elle est alors obtenue sur le plan de l'espace sociétal unifié et non plus par l'entretien de sécessions spatiales virtuelles." L'hégémonie, au sens de GRAMSCI, passe par la constitution et la reproduction de classes-appui et de classes-rempart dont la division est soigneusement entretenue, dans le cas des empires à longévité importante et qui serve non seulement à protéger le pouvoir des forces populaires, mais à les diviser, en particulier grâce au processus politique de la représentation du système démocratique bourgeois. Pour ce qui concerne le cas des empires modernes. Pour ce qui concerne les empires antiques, il s'agit d'une manipulation constante du système démocratique également, mais dans des cadres autres, comme le Sénat romain ou l'Assemblée grecque. C'est la raison pour laquelle nous attachons autant d'importance, dans l'évolution de l'empire romain aux différentes campagnes militaires et aux conditions des débats à Rome, débats qui se déroulent entre membres citoyens d'un Empire de plus en plus étendu...

Pour clarifier son point de vue, même si cette sociologie de défense se construit au fur et à mesure, Alain JOXE écrit qu'on "est habitué à considérer la "formation impériale" comme un conglomérat géographique de formations géographiques. C'est là le trait général dans l'histoire précapitaliste, mais c'est un trait "agraire". Nous devons plutôt considérer aujourd'hui que le pouvoir de classes qui s'exerce sur les fractions divisées de la bourgeoisie, soutenues par des fragments différenciés de classes-appui et de classes exploitées transcrit en dehors de l'espace géographique la structure impériale type. Les partis classistes  du système bourgeois jouent le même rôle que les "nations vaincues transformées en provinces" dans le système impérial traditionnel. Le jeu militaire et civil sur ces ensembles fractionnés représente l'essentiel du savoir politique de classe depuis l'Antiquité. On peut l'appeler un art de la fortification sociale, pour reprendre une métaphore chère à Gramsci. Face à cet art, il reste évidemment aux classes exploitées de mettre au point unes "poliorcétique sociale", c'est-à-dire l'art du siège et la science de la contre-fortification et de l'assaut des remparts du pouvoir de classe, cette métaphore ne suppose nullement qu'il s'agisse là d'actions violentes." ;

 

La formation impériale comme ensemble "ouvert"

- Ouvert, du fait de sa division, sur l'ensemble de l'environnement.

Reprenant la conception marxiste de formation sociale, Alain JOXE estime qu'il faut remplacer la définition selon laquelle elle "consiste en une chevauchement de plusieurs modes de production dont elle détient le rôle dominant" (selon POULANTZAS, dans Pouvoir politique et classes sociales, Maspéro, 1968) par "une combinaison de formations sociales dont l'une joue le rôle hégémonique par son mode de production supérieur et/ou dirigeant par son mode de destruction supérieur". Il écrit que "la clôture concrète de la formation concrète ne saurait (...) être composée (en dehors d'insularité géographique "absolue", c'est-à-dire relative à un certain état des techniques de transport) que de pratiques concrètes d'acteurs sociaux concrets agissant pour clore cette formation concrète (isolationnistes) et n'y parvenant pas dans certains cas ; ou au contraire, agissant pour ouvrir cette formation concrète pour lui adjoindre d'autres formations ou pour les englober ("conquérants") ou pour faire englober la formation par une autre ("traîtres")." Le sociologue de la défense veut faire comprendre que les acteurs au sein d'un ensemble politique ne cessent de se combattre pour fermer ou ouvrir un espace donné, selon leurs intérêts et selon leurs calculs pour l'emporter. La clôture politique, institutionnalisée souvent, n'est jamais parfaite, parce que précisément cette clôture n'est pas acceptée par tous les acteurs. Certains ont tout à perdre, que ce soit dans les classes dominantes ou dans les classes exploitées, dans une clôture parfaite. "En termes de défense populaire (lorsque l'auteur rédige Le rempart social, nous sommes dans une période où l'on discute beaucoup de défense populaire, les années 1970), la lutte idéologique est, avant tout lutte pour dévoiler les nécessaires ouvertures de la formation impériale et les ouvertures des sous-formations entre elles, et de les définir comme vulnérabilités potentielles du systèmes de domination".

 

  Mais que sont ces sous-formations auxquelles Alain JOXE fait souvent mention? L'effort de théorisation sur la formation impériale oblige à préciser cela. Et l'auteur le fait par l'exemple du système des États contemporains. "Au cours de leur période de formation, il existait au-dessous de l'assiette géographique des États, de véritables formations concrètes "régionales" : États féodaux, grands apanages, provinces d'États en France, où régnèrent des féodalités locales en lutte avec des bourgeoisies, inégalement placées sous la protection-domination de la monarchie et, qui, lorsque le mode de production devint partout le mode de production capitaliste, conservèrent de leurs franchises d'origine des rôles diversement autonomes dans le cycle de reproduction élargi du capital ; tendant à se comporter presque en "bourgeoisies nationales" au sein d'un empire libéral. Bref, modes de production locaux, champs spécifiques de luttes de classes, théâtre politique local, il y a des sous-formations au sein de la formation élémentaire française, pourtant tête d'un empire. Au sein de ces sous-formation elles-mêmes, il n'est pas difficile de distinguer  de nouveau, une structure complexe hétérogène de type impérial, telle région, telle ville, constituant le noyau impérial et telle autre région, la périphérie. Là aussi, les modes de production des formations périphériques ne sont pas les mêmes que celui de la formation centrale et "résistent" éventuellement à la lutte de la classe dirigeante de la formation centrale pour imposer son mode de production. Dans la formation française, système de systèmes, la Vendée reste féodale et royaliste comme formation sociale, c'est-à-dire lutte contre l'unitarisme jacobin qui tend à homogénéiser la structure impériale interne par la conquête militaire des sous-formations dont le mode de production est trop dissemblable de celle du centre. On voit que pour arriver à l'échelle d'une "formation sociale élémentaire", il faut descendre assez bas dans l'échelle régionale, à celle que la géographie humaine française a appelé le "pays". On peut saisit que les luttes sociales se déroulent dans des ensembles relativement séparés, tandis que d'autres luttes sociales peuvent opposer des éléments de ces ensembles séparés à d'autres éléments qui se considèrent comme centraux... et dépositaires du pouvoir impérial. Les luttes économiques de tous ces sous-formations sont inséparables, sans s'y confondre, loin de là, des luttes entre acteurs militaires.

 

Comment les Empires "réussissent" ou "échouent"?

   Dans ces conditions, comment situer les empires qui "réussissent" de ceux qui "échouent"? C'est dans l'analyse de l'histoire du système international tel que nous le connaissons que l'on peut trouver. Il n'existe pas d'empire universel et il semble bien que sa formation soit très compliquée. Il n'a jamais existé non plus d'empire éternel, car au mieux (ou au pire), se font face de grands empires rivaux qui prennent la forme d'ensembles politiques à peu près fermés. "La fétichisation des conditions particulières de quelques États-nations européens, leur constitution en ces monades caractérisées comme le plus nec ultra de la cohésion politico-sociale, parce que capables de mener furieusement deux guerres mondiales avec des armées de civils, s'explique par l'étrange configuration des empires capitalistes rivaux, si on les compare avec celle des empires précapitalistes : toutes les têtes de formation impériales sont groupées en Europe et tous les empires dispersés, imbriqués dans le reste du monde." "Cette conformation géographique nouvelle s'explique parfaitement par le développement de l'industrie et du commerce international (et non plus le vol des surplus de la terre) comme principale source de surplus dans une formation donnée, par les progrès dans les transports maritimes, et par l'indifférenciation relative de l'espace et des distances géographiques qui découlent de tous cela." Au moment où l'auteur écrit, il apparaît qu'"il y a contradiction entre deux types de formes concrètes de pouvoir développées par les bourgeoisie au stade actuel : l'État-nation, et le conglomérat transnational qui agit à l'échelle de l'Empire américain." 

     En fin de compte, la formation impériale évolue sans cesse, et n'existe que pour autant que le jeu des multiples conflits en son sein et autour de lui, ne met pas en cause des équilibres fondamentaux, malgré les multiples destructions - économiques ou militaires - qui peuvent exister tout le temps de son existence. De manière sans doute paradoxale, ce n'est qu'à la fin des différentes paix impériales, pax romania, pax britanica, pax americana... que l'on peut rendre compte de la persistance jusque là de ces équilibres fondamentaux. Une des conditions du "succès" d'une formation impériale est qu'elle permet ce jeu de conflits se continuer sans affecter son existence. L'étude de ces équilibres fondamentaux, qui régissent les relations entre agents économiques et acteurs militaires dans des relations croisées complexes, pour des empires concrets ayant existé ou existant, permet seule de concevoir une sociologie de défense opératoire... c'est-à-dire en fin de compte une sociologie au service de protagonistes. La connaissance de l'art de produire comme celle de l'art de détruire est constamment recherchée, surtout par les classes dominantes, et depuis peu, par des classes exploitées. La connaissance des processus de destruction des systèmes capitalistes  est au coeur de la préoccupation d'un auteur comme Alain JOXE.

 

   Ce dernier écrit plus tard, que ce que  "l'empire a de particulier, par rapport à la société en général, c'est que l'articulation trans-organisationnelle y est fournie par l'application de la violence, mise en forme à chaque échelon. La menace de destruction y sert de ciment à la construction, non pas comme un état de la matière (pour qui la menace est simplement la fragilité) mais comme un action de la hiérarchie instituée."

 

Trois couples de formes impériales

Dans son étude sur les origines de la guerre, il décrit ce qu'il appelle les "trois couples de formes impériales", en faisant très peu référence aux problématiques marxistes.

"Les itinéraires conquérants, jalonnés de bataille, ont mené à une délimitation de l'Empire romain comme articulation de la menace de mort sur l'économie. On voit toujours le critère du militaire s'imposer au critère logistique en même temps que le critère logistique s'impose au militaire, dans cette fameuse dialectique du racket et de la poule aux oeufs d'or. Mais il faut distinguer entre des formes. Celles-ci s'étagent comme trois embranchements dichotomiques dans la généalogie de l'État : distinguer, d'une part, entre noyau pluriel et zone pionnière unifiées ; d'autre part, entre État délinquant et État logistique ; enfin entre l'Empire par le parasitage des stocks et l'Empire par le parasitage des flux. Ces trois formes se sont harmonisées dans l'Empire de Rome. Le seront-elles dans l'Empire américain?"

Nous pouvons reprendre ces trois "couples" :

- Noyau pluriel et zone pionnière unifiée : "On a relevé que, dans l'histoire des Empires, c'est la domination, la centralisation et la menace de mort, qui l'emportent toujours sur la liberté, le pluralisme et la négociation ; même au cours du processus de désintégration de chaque phase final, le retour au pluriel est rarement autre chose que la redéfinition d'un pouvoir central menaçant, prédateur à une échelle plus réduite (les royaumes barbares). Cela s'explique du fait de la supériorité presque constante des techniques de destruction sur les techniques de production. En outre, les "zones pionnières unifiées" des civilisations plurielles (Akkad, Assyrie, Qin, Rome, l'Amérique) qui sont plus rationnelles dans le perfectionnement des techniques militaires, le sont souvent aussi dans la standardisation des techniques de production, ce qui permet un bond de production même sans créativité supérieure. Les zones pionnières, ainsi, possèdent des atouts militaires et économiques face aux noyaux pluriels qui n'ont plus que des atouts économiques. Elles dominent sans cesse l'histoire et constituent les sources de l'impérium. Toutefois si la science permet, et d'ailleurs exige sous peine de mort, que les techniques de production l'emportent désormais sur les techniques de destruction, la prééminence des zones pionnières unifiées pourrait s'éteindre.

- L'État-racket et l'État logistique : "Dans les  Empires ainsi formés, le paradigme du racket, de "l'État délinquant", du parasitage actif violent des surplus en stocks, l'emporte structurellement sur l'État logistique productiviste, redistributeur et gestionnaire. L'Assyrie l'emporte sur l'Égypte. Rome sur l'Étrurie. En outre, l'État délinquant est le seul à connaître un cycle de croissance et d'extension visant l'Empire du Monde, car la conquête est le seul exutoire, la seule application constructive d'une supériorité technique en matière de destruction. Pour les nations productivistes, il vaut toujours mieux, à un moment donné de l'équilibre des forces, se soumettre et subventionner l'envoi de la violence prédatrice vers d'autres horizons que de se faire tuer jusqu'au dernier.

Accepter la domination est aussi un calcul stratégique. En effet, l'État-racket conquérant et prédateur "entre en possession" et doit, dès lors, gérer sa proie avec une certaine rationalité logistique. En supprimant la piraterie et les guerres internes de l'inde, l'Angleterre extrait de son Empire un maximum de prélèvements. L'Amérique lance le Plan Marshall sur l'Europe conquise et détruite. Mais l'étouffement de la poule aux oeufs d'or, cette tactique primaire, irréfléchie, qui se trouve toujours quelque part à la source du système de la prédation externe, se retourne en fin de cycle sur l'intérieur. Les exactions militaires, le développement parasitaire d'un fiscalité destinée à nourrir une bureaucratie prédatrice, tels sont les avatars, les réincarnations du code du racket dans l'Empire, une fois la conquête arrivée à ses limites. En cas de baisse de la production (par sécheresse, inondation ou manque de main-d'oeuvre), le maintien forcé du niveau de prélèvement se trouve inclus dans le code de fonctionnement de l'empire, car celui-ci est un système de régulation, non du système économique, mais du système de prédation. C'est ce qu'on voit fonctionner au Bas-Empire, mais aussi en URSS Brejnevienne (...)".

- Parasitage des stocks et Empire continental, parasitage des flux et Empire maritime. C'est une manière inventée pour échapper à la responsabilité de la conquête. "Cette échappatoire a été découverte au cours des siècles par les "Empires maritimes" qu'il faudrait appeler plutôt " les Empires du no man's land" puisqu'ils s'organisent en général autour des grands espaces arides non appropriables (mers ou déserts ou déserts métaphoriques des marchés boursiers) où seule la distance en délais de livraison structure les solidarités entre mafias "côtières" et confréries de "transporteurs". Pour Athènes, Carthage, Venise, Londres et New York, le racket opère aux frontières des sociétés logistiques, par le contact des ports, et la domination des flux, et la conquête du "hinterland" n'est pas requise (sauf à considérer l'Empire lui-même comme un espace quasi maritime où l'on ne contrôlera que certains ports et des îles). La domination des flux qui traversent le "no man's land", par contre, est indispensable. Elle est nécessaire et suffisante, éventuellement, pour tuer successivement plusieurs poules aux oeufs d'or situées dans le "hinterland" des ports, mais sans en périr soi-même, si l'on prend soin de découvrir à temps d'autres gisements ou d'admettre des temps de jachère. La tentation d'élargir le hinterland pour sécuriser la base d'opérations existe évidemment toujours. Athènes a une politique en Béotie, Carthage en Afrique, Venise sur terre ferme, Londres structure le Royaume Uni. Si l'Empire maritime est basé sur une île ou une presqu'île, les limites de sa conquête territoriale minimale sont proposées par la nature. La tentative de contrôler plus que les ports et de conquérir le hinterland existe aussi et peut mettre fin au racket du no man's land en obligeant l'Empire a devenir responsable logistique de sa conquête (...).

L'Empire de Rome a su combiner politiquement la conquête de la terre ferme et celle du "no man's land" méditerranéen ; économiquement, l'État-racket et la gestion logistique des centres de productivité ; militairement, le collage de divers types d'entreprises hétérogènes et l'homogénéisation des statuts civiques. (...) Les Empires moyen-orientaux du carrefour des trois continents reproduisaient avant Rome le schéma du prédateur montagnard ou nomade se jetant sur les zones de productivité des trois empires hydrauliques de l'Euphrate, du Nil et de l'Indus. Dans la mesure où il a su combiner les caractères prédateurs de l'Empire terrestre et de l'Empire maritime le cycle du pouvoir impérial romain a été plus long que celui de tous les Empires qui l'avaient précédé. La forme même de la Méditerranée purgée de pirates permettait de rendre internes une partie des flux entre économies hétérogènes. C'est un Empire composite géré comme un assolement et permettant de relayer le prélèvement sur les stocks par des prélèvements sur les flux et d'admettre et même de subventionner parfois la reconstitution des systèmes de production pillés. Cette gestion prudente concerne non seulement des gisements de productivité agricole, comme l'Afrique ou l'Égypte, où les garnisons étaient d'ailleurs faibles, mais aussi des "gisements de soldats" (des paysanneries libres), outil nécessaire à la reproduction des légions et donc à la production des esclaves, instruments d'une forme particulière de productivité. L'effondrement de l'Empire romain en Occident est une préalable plus important pour nous que tout autre cycle antique, car Rome est le dernier Empire universel européen avant la colonisation du monde par l'Europe et l'avènement du capitalisme et de la science. L'anarchie post romaine est bien le terreau sur lequel s'est développé, au Moyen Age, le mode d'articulation de la violence du marché et de l'État qui caractérise le monde contemporain. La reconstitution de la forme d'Empire dans les conditions du développement industriel capitaliste est une reconstitution à mémoire : l'Empire composite romain poursuit sa carrière dans l'imaginaire du pouvoir mondial capitaliste. Il peut encore servir à interroger l'actualité."

 

      Dans ce dernier développement, qui prépare dans l'esprit de son auteur les considérations sur l'archaïsme de l'Empire du monde contemporain et plus loin la problématique de l'Empire du désordre, nous voyons se profiler une certaine réponse à notre interrogation d'origine sur les conditions de succès et d'échec des empires. Mais, nous l'avons remarqué, il n'y a plus l'articulation entre luttes des classes et processus violents de conquêtes. Seule la dimension stratégique du point de vue de pouvoir dominant, dans cette exposition, est examinée. Non bien sûr que le projet d'articuler à la fois luttes sociales et processus violents, luttes économiques et luttes militaires, soit abandonné, mais il faut tout de même constater que du fait même de l'effondrement de toute une idéologie socialiste, qui suit l'effondrement de régimes qui s'en réclamaient faussement, cette articulation n'est plus développée avec autant de force et de détails.

 

Alain JOXE, Voyage aux sources de la guerre, PUF, 1991 ; Le rempart social, Galilée, 1979.

 

STRATEGUS

 

Relu le 2 janvier 2021

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27 août 2012 1 27 /08 /août /2012 13:31

       L'épaisseur historique de l'Empire Romain oblige la plupart des auteurs à traiter l'ensemble des stratégies et tactiques militaires mises en oeuvre par les Romains dans un tout global, même s'il existe finalement peu d'écrits théoriques. La longévité de cet Empire peut amener même à parler de "grande stratégie impériale", malgré l'hétérogénéité des situations, de sa fondation à sa chute. En fait la richesse d'écrits historiques, la quantité énormes d'actes administratifs concernant les armées, le prestige à l'extérieur de ce bloc politique qui semble avoir toujours existé aux yeux des contemporains, le jeu original des institutions politiques, sociales, économiques et militaires, tout cela légitime en grande partie cette approche. 

  Néanmoins, pour Hervé COUTEAU-BÉGARIE, "la pensée stratégique suppose une tournure d'esprit tournée vers l'abstraction. Les Grecs et les Byzantins ont fabriqué une littérature stratégique parce qu'ils étaient passionnés de controverses philosophiques ou théologiques. Les romains n'en ont guère écrit parce qu'ils étaient essentiellement pratiques."

 

Une approche pragmatique de la stratégie

     Cette approche pragmatique des Romains fait qu'ils n'ont pas produit, à quelques exceptions près, l'équivalent de l'oeuvre stratégique grecque qui les précède. "Certes, la supériorité tactique et stratégique des légions romaines pendant des siècles n'auraient pas été possible sans une doctrine militaire structurée, écrit encore Hervé COUTEAU-BÉGARIE sur la pensée stratégique romaine. Mais celle-ci est d'abord le fruit d'une pratique : Polybe rapporte que les candidats à des fonctions publiques devaient avoir participé à dix campagnes avant de solliciter les suffrages de leurs concitoyens. L'expérience ainsi acquise est restée largement informelle et ne semble pas avoir donné lieu à une littérature spécialisée abondante."

   Il décrit ainsi la maigre littérature produite, distinguant nettement une littérature de stratégie opérationnelle d'une littérature historique :

"Il existe cependant quelques traités de tactique et de stratégie. Au IIe siècle av J-C., Caton, le célèbre censeur, a rédigé un De Re militari, dont il ne reste rien. Polybe a écrit une Taktika, aujourd'hui perdue,  comme le traité de Paternus que Végèce a utilisé, sinon partiellement recopié. L'auteur le plus important du Haut Empire est Frontinus, dit Frontin, gouverneur de Bretagne, auteur d'un commentaire militaire d'Homère et d'un traité militaire qui sont perdus, mais que Végèce a utilisés au IVe siècle. N'a survécu de lui qu'un recueil de Strategemata, rédigé entre 84 et 88, qui constituait un appendice au traité perdu : 583 stratagèmes rigoureusement organisés en sept livres, dans un but pédagogique et pratique, avec une claire distinction entre les stratagèmes et la stratégie ; leur rayonnement sera durable."

La maigre matière retrouvée qui a pu traversé les siècles, emplie souvent de références à des ouvrages perdus suggère toutefois sans doute plus de systématisation dans l'art de la stratégie qu'on ne le reconnaît souvent. Il faut compter avec les massives destructions d'écrits sous le Bas Empire et pendant la période des royaumes barbares, dans les désordres violents qui traversent alors tous les mondes connus... Sans oublier une certaine constance dramatique dans la destruction volontaire, hors batailles et hors pillages, des écrits jugés contraires aux croyances de l'époque...

"Arrien est l'héritier, poursuit l'auteur du Traité de stratégie, des tacticiens grecs, "mais aussi consul vers 130 : son Ars Tactica oppose la tactique grecque et macédonienne à la tactique romaine. (...) Après Frontin, Arrien, Polyen et, un peu plus tardif, Jules l'Africain (...) cette tradition gréco-romaine s'interrompt : il va s'écouler trois siècles "pour lesquels nous ne connaissons ni nom, ni oeuvre de stratégistes. Il y a lieu de s'étonner de ce manque total de curiosité à l'égard de la littérature militaire (surtout en cette période de guerres et d'invasions récurrentes!). A moins que, en l'absence de tout progrès de la technique, sinon de tout changement des usages militaires, la littérature ancienne n'ait suffi aux lecteurs. Brian CAMPBELL (auteur de nombreux ouvrages sur l'Empire romain) incrimine la structure du commandement qui faisait obstacle à la constitution d'une caste d'officiers généraux bien préparés : "Les Romains n'avaient pas d'académie militaire, pas de processus institutionnalisé de formation en discipline, en tactique et en stratégie, ni de moyens systématiques d'évaluation des candidats aux hauts grades.". Mais, avec Hervé COUTEAU-BÉGARIE, nous doutons de cette explication.

"C'est en Occident qu'on voit apparaître, à la fin du IVe siècle, un véritable essai militaire, le De Re militari, dit aussi Epitoma Rei militariq (abrégé des questions militaires), de Flavius Vegetius Renatus, dit Végèce, compilation consciencieuse de tous ses prédécesseurs qui se propose de remédier à une décadence militaire évidente. (...) Végèce est l'auteur militaire le plus important que nous ait légué l'antiquité occidentale." Il a fondé, selon Bruno COLSON (L'Art de la guerre de Machiavel à Clausewitz, Presses Universitaires de Namur, 1999), "la tradition occidentale des "principes de la guerre"".

 

Une importante succession d'historiens romains.... qui met en évidence le rôle du stratège...

    La deuxième branche de la théorie militaire romaine est constituée par les historiens, "de loin, la plus abondante en volume, c'est également celle que l'on lit le plus souvent. Le modèle est Polybe, compagnon de Scipion Émilien, vainqueur de Carthage dans la troisième guerre punique. (...) Mais Polybe est d'abord de tradition grecque."

Après lui, Hervé COUTEAU-BÉGARIE cite Jules César, puis dans la période impériale, TACITE, TITE-LIVE, TRAJAN...

    C'est cependant dans toute cette période grecque et gréco-romaine que naît véritablement la stratégie chez les Anciens : "C'est à Athènes qu'apparaît, au Ve siècle avec J-C., la fonction de stratège. Les tribus élisent dix stratèges. Ils forment un collège au sein duquel un chef (...) peut s'imposer à ses collègues. Mais tous ont vocation à conduire l'armée, ou une partie de l'armée, même si une spécialisation tend progressivement à s'opérer : le stratège des hoplites commande l'armée en compagne, le stratège du territoire est chargé de la défense de l'Attique, les deux stratèges du Pirée assurent la défense côtière, le stratège des symmories veille à l'armement de la flotte et les cinq autres sont affectés à des missions ad hoc. Après Alexandre le Grand, l'institution des stratèges subsiste dans les royaumes hellénistiques, mais sous une forme plus territoriale (les stratèges de nommes - de province) et elle perd de son importance, malgré les titres ronflants dont ses titulaires sont affublés : l'un est stratège, épistratège et syngenès, l'autre est stratège et archisomatophylaque."

"Autant la fonction de stratège est bien assurée, autant l'idée de stratégie parait floue et il n'est pas certain que cette ambiguïté soit entièrement imputable aux lacunes de notre documentation. Le mot stratagema apparaît dans le deuxième quart du IVe siècle av J-C., mais il ne se trouve qu'une seule fois chez Xénophon et la première définition connue est de plusieurs siècles postérieure, on la doit à l'apologiste chrétien Clément d'Alexandrie (IIe siècle). La strategika apparaît à peu près à la même époque, Demetrios de Phalère (fin du ive siècle av J-C.) compose une Strategika. Les deux termes sont synonymes, sans connotation de tromperie, mais ils semblent restés d'emploi peu courant ; on ne les trouve ni chez Hérodote, ni chez Thucydide. Ils n'en continuent pas moins à cheminer et à s'écarter progressivement l'un de l'autre.

A partir de Polybe et des historiens du Ier siècle av J-C., stratagema est lié à l'idée de ruse et de tromperie, tandis que strategika est relatif à l'office du général, même s'ils restent synonymes chez plusieurs auteurs, notamment Onosander. Le verbe strategeo acquiert un sens plus précis qu'être général : chez Onosander, il signifie manoeuvrer.

     Le moment romain est essentiel pour la transmission de tout cet héritage grec. "C'est dans cet état que les Romains latinisent les deux concepts, durant le Ier siècle avant J-C., Cicéron parle de stratagema dans une lettre datée du 10 mai 51 av J-C/, le terme va progressivement supplanter ses concurrents latins (solletia, dolus, ars, astutia...). Un siècle plus tard, Frontin distingue, "malgré l'analogie naturelle de ces deux choses, les stratagèmes d'avec la stratégie. Car tout ce que la prévoyance, l'habileté, la grandeur d'âme, la constance, peuvent inspirer à un général, forme la matière de la stratégie en général ; et tout fait particulier qui pourra être rangé sous un des chefs sera un stratagème." Mais cette acception reste exceptionnelle. L'approche dominante est organique et concrète : la strategia est la préfecture militaire, le strategus le chef d'armée. D'un point de vue théorique, les Romains parlent plutôt de science militaire ou science de la chose militaire, qui inclut la stratégie."

 

"Une" stratégie romaine?

      La longévité de la ville (fondée vers 750 av. J-C.), entité politique indépendante vers 475 avant J-C., fondatrice d'un Empire qui homogénéise un ensemble géographique autour de la Méditerranée et bien au-delà, habituellement découpé en Haut Empire (27 avant J-C.-161) et en Bas Empire (284-395) avant sa fin  en une longue crise qui aboutit au Ve siècle, suscite nombre d'interrogations. Y-a-t-il pour autant une grande stratégie romaine qui est appliquée sous cette République, ce Haut et ce Bas Empire, malgré la diversité des situations et la variété des protagonistes en présence?

    Edward Nicolae LUTTWAK (né en 1942 en Roumanie), l'un des spécialistes américains de stratégie et de géopolitique les plus réputés dans le monde entier, le pense.

"Dans les annales de notre civilisation, la réussite de Rome reste entièrement inégalée dans le domaine de la grande stratégie et même ses leçons ne sont pas rendues caduques par deux millénaires de changements technologiques" (Introduction à La grande stratégie de l'Empire romain, première édition). Il compare le contexte de ces époques à la nôtre, où règne un état de guerre permanente sans conflit décisif, la volonté de concilier au mieux les impératifs de la sécurité et l'économie des forces, pour reprendre les termes de Pierre LAEDERICH. "Pour les Romains, écrit le stratégiste, comme pour nous, le but idéal de la conduite diplomatico-stratégique était d'assurer la survie de la civilisation sans porter atteinte à la vitalité économique et sans compromettre l'évolution de l'ordre politique". Le succès de l'Empire romain est lié à la "constante subordination des priorités tactiques, des idéaux martiaux et des instincts guerriers au but politique (...). Avant tout, les Romains se rendirent compte que l'élément prédominant de la puissance n'était pas matériel mais psychologique - résultant de l'idée que les autres se faisaient de la force romaine plutôt que de l'usage de celle-ci". C'est le manque de légions pour tenir un périmètre impérial immense qui a contraint Rome à définir une "grande stratégie" limitant le recours direct à la force militaire.

Edward LUTTWAK reprend les définition de la grande stratégie émises par Liddell HART : la grande stratégie exprime l'idée de politique en cours d'exécution, la stratégie est l'application est l'application de la grande stratégie à un niveau moins élevé - l'art de distribuer et de mettre en oeuvre les moyens militaires pour accomplir les fins du politique. La tactique est l'application de la stratégie à un niveau inférieur. "Nous pouvons parler, écrit-il, de systèmes au sens propre, car chacun intègre la diplomatie, les forces militaires, le réseau de routes et de fortifications pour un unique objectif. De plus, le dispositif de chaque élément traduit la logique de l'ensemble. Le but de chaque système était de satisfaire un ensemble distinct de priorités, elles-mêmes le reflet de conceptions conjoncturelles de l'empire : expansion hégémonique pour le premier système, sécurité territoriale pour le deuxième, et finalement, dans des circonstances graves, la simple survie de la puissance impériale elle-même. Chaque système était fondé sur une combinaison différente de diplomatie, de force armée et d'infrastructures fixes, et chacun déterminait l'adoption de différentes méthodes opérationnelles, mais plus fondamentalement, chaque système reflétait une vue du monde différente et l'image que Rome se faisait d'elle-même." 

Son analyse, proprement révolutionnaire, est la première analyse générale de l'empire romain et nombre d'auteurs spécialistes du monde romain l'ont accusé de forcer la réalité : F. MILLAR (Emperors, Frontiers and Foreign Relations, 31 BC to AD 378, Britannia, 1982), C. R. WHITTAKER (Les Frontières de l'Empire romain, édition française, 1989) et B. ISAAC (The limits of Empire. The Roman Army in the East, Oxford, 1990). Les Romains, pensent-ils, ne disposaient pas d'une information suffisante, notamment géographique, pour avoir une véritable réflexion stratégique. D'autres spécialistes, par contre, comme C. M. WELLS (Review of Luttwak, The Grand Strategy of the Roman Empire, Americai Journal of Philology, 1978) ou S. L. DYSON (the Creation of the Roman Frontier, princeotn, 1985) estiment qu'il peut avoir raison sur certaines périodes de l'Empire

L'argument récurrent des adversaires à la thèse de Edward LUTTWAK est bien entendu l'absence de réflexion stratégique globale dans les sources qui nous sont parvenues. Il prend acte de ce fait, mais si la conceptualisation est absente des sources, faut-il en conclure que ce qu'elle aide à décrire n'a jamais existé. il s'attaque à ce qu'il appelle l'analyse systémique moderne : "Les Romains n'avaient apparemment pas besoin d'un Clausewitz pour soumettre leur énergie militaire à l'exigence des buts politiques ; il semble qu'ils n'avaient pas non plus besoin des techniques analytiques modernes. Ignorant la nouvelle science de l'analyse systémique, il conçurent et réalisèrent en revanche des dispositifs importants et complexes de sécurité qui alliaient en un tout cohérent et avec succès le déploiement des troupes, les défenses fixes, le réseau routier et les transmissions. Dans le domaine plus abstrait de la stratégie, il est évident que, soit par l'intelligence, soit par l'intuition traditionnelle, les Romains comprirent toutes les subtilités de la dissuasion, mais aussi ses limites."

Même pour les stratégies grecques et byzantines, il faut compléter la lecture des "traités de stratégie" par celle des historiens anciens et par une étude des autres sources (épigraphie notamment) pour les approcher réellement. Les écrits qui nous sont parvenus des sources administratives et des débats au Sénat romain constituent aussi une source d'informations précieuses. "Au fond, conclue Pierre LAEDERICH dans la Préface de l'étude de LUTTWAK, "les spécialistes qui accusèrent Luttwak de n'avoir pas lu les sources anciennes les avaient-ils eux-mêmes bien comprises? On peut retrouver chez d'autres historiens de Rome témoignage d'une vision élaborée et cohérente de la stratégie impériale (Dion CASSIUS, Ammien MARCELLIN) (...)". 

 

Edward LUTTWAK, La grande stratégie de l'Empire romain, deuxième édition revue et préfacée par Pierre LAEDERICH, Economica, Bibliothèque stratégique/Institut de Stratégie Comparée, 2009. Paul PETIT, Histoire générale de l'Empire romain, en trois volumes, Seuil, 1974. Hervé COUTEAU-BEGARIE, Traité de stratégie, Economica/Institut de stratégie comparée, 2002.

 

STRATEGUS

 

Relu et corrigé le 3 janvier 2021

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28 mai 2012 1 28 /05 /mai /2012 11:57

         Le professeur émérite de philosophie à l'Université hébraïque de Jérusalem, actif dans la mouvance pacifiste israélienne, nous propose de réfléchir à l'essence du compromis, sur les paix justes et injustes.

Être capable de faire des compromis est une grande vertu politique, particulièrement lorsqu'il s'agit de sauver la paix. Mais il existe, selon lui, des limites morales à l'acceptation des compromis. Ces limites, il tente de les définir en faisant appel à une vaste série d'exemples historiques, tirés du XXe siècle, de l'accord de Munich au pacte germano-soviétique en passant par les négociations de paix entre Palestiniens et Israéliens. Il puise largement pour cette réflexion dans l'histoire de la seconde guerre mondiale. Avishai MARGALIT, déjà auteur de La société décente, de L'Occidentalisme et de L'Éthique du souvenir, propose une méditation approfondie et originale sur la nature même du compromis politique, son ambiguïté morale intrinsèque et ses implications toujours lourdes de conséquences. 

             En écho aux propos d'Albert EINSTEIN sur une mise en garde des compromis pourris, il considère que "des compromis ne sont pas autorisés, y compris au nom de la paix. D'autres compromis devraient être conclus au cas par cas, à la condition de se pencher sur le détail de chacun : ils devraient être jugés en fonction de leur mérite propre. Seuls des compromis pourris devraient être écartés sur la base de principes généraux. (...) Cet ouvrage est en quête d'une paix, juste une paix, plutôt que d'une paix juste. La paix peut être justifiée sans être juste."

Bien qu'il préfère bien entendu une paix juste et durable (paix durable parce que juste), il garde tout le long de son ouvrage le regard sur cette paix qui mérite un compromis, même si par ailleurs elle puise tolérer des injustices. Au fil des phrases, une certaine ambiguïté dans le propos demeure, même si à plusieurs reprises, il affirme ne pas souscrire à l'adage "un compris pauvre est préférable à une action en justice riche". Fort partisan des compromis, même dans la considération lucide des conséquences de certains accords et traités, l'auteur entend bien définir un compromis politique pourri. "je vois un compromis politique pourri comme un accord consistant à instaurer ou maintenir en place un régime inhumain, un régime de cruauté et d'humiliation, enfin un régime qui ne traite pas les êtres humains comme des êtres humains. Tout au long du livre, j'ai recours au terme "inhumain" pour définir les manifestations extrêmes de cette façon de ne pas traiter les humains comme des humains. Entendre par ce terme un comportement cruel, sauvage et barbare ne met en évidence qu'un élément du mot "inhumain" tel que je l'utilise ; l'humiliation en constitue une autre élément. (...)".

         

     Le paradigme de l'inhumain étant puisé dans le régime nazi, mais aussi dans le Congo belge de Léopold II, il pense que "le concept de compromis devrait (...) occuper une place centrale dans la micro-moralité (qui a à voir avec les interactions entre individus) tout autant que dans la macro-moralité (qui a à voir avec les unités politiques)."

L'auteur regrette que "le concept de compromis n'est ni au centre du débat philosophique, ni même considéré comme secondaire. Une des raisons pour lesquelles le compromis n'apparaît pas comme un thème philosophique réside dans le préjugé philosophique en faveur de la théorie idéale. Le compromis semble malpropre, fait de la triste étoffe de la politique politicienne au jour le jour. il semble très différent de la théorie idéale de la micro- ou macro-moralité. Il est vrai que la théorie idéale concerne les normes et les idéaux, pas les deuxièmes meilleurs. Mais faire disparaître le compromis de la théorie morale équivaut à faire disparaître la friction de la physique, à affirmer qu'elle relève de l'ingénierie." Il estime d'ailleurs que la tension entre la paix et la justice induit cet état de fait. "Tout le monde n'est pas d'accord pour dire que la paix et la justice peuvent entrer en collision. L'idée que la paix est partie constitutive de la justice et, par conséquent, une composante essentielle de la justice - plus de paix, plus de justice - constitue une objection à ce postulat". Il existe également une oscillation entre une paix juste et une paix durable, de même qu'il existe des guerres justes qui devraient être préférées à des situations de paix injustes à l'extrême.

               C'est ce souci de l'extrême qui le motive dans la réflexion qui l'expose, extrême d'un État "inhumain", extrême du refus du compromis, motivé par le rêve d'une société idéale ou d'un objectif plus "modeste" (comme la conquête ou la préservation de lieux saints). C'est peut-être ce souci de l'extrême, qui l'amène autant à condamner le régime nazi et les traités que l'on pouvait conclure avec lui, à refuser des traités qui entraînent des situations inhumaines (le partage de l'Europe entre Est et Ouest comme le transfert de force de populations entières dont certaines étaient vouées à une mort certaine) qu'à "relativiser" d'autres régimes, d'autres traités... Si l'on peut remarquer son estimation du régime stalinien qu'il distingue soigneusement du marxisme en tant que philosophie, et même de tout ce qui a été entrepris à l'Est, on ne peut que regretter aussi le peu d'évocations qu'il fait des injustices sociales qui perdurent sur le long terme.

C'est qu'il estime, dans le débat sur les paix justes et les guerres justes, que la violence ne constitue pas dans tous les cas forcément la meilleure voie de construire une société plus juste. Son souci de refuser une attitude conduite uniquement par le rêve (qui conduit à refuser tout compromis), sans un regard suffisant sur les réalités, le conduit à accepter une paix durable, dans un compromis qui accepte des injustices, "dont la suppression n'est pas censée être poursuivie par la violence, mais qui néanmoins ont en elles le potentiel de dégénérer en guerre." Il a le souci non seulement d'arrêter la guerre, mais de le faire sur un mode qui ne permette pas de la reprendre ultérieurement.

Mêlé à la nécessité de refuser la décontextualisation de certains événements, ce qui conduit souvent à les instrumentaliser, et au-delà de vraiment démêler ce qui ressort du nécessaire absolu du confort accessoire dans la négociation des traités (de la seconde guerre mondiale), ce souci, nul doute influencé par la situation au Moyen-Orient, est de bien comprendre les éléments de la décision, de la conclusion et de la réalisation de ceux-ci. Les traités, ces compromis pourris ou non, doivent être compris non seulement à travers leurs textes, mais surtout à travers les implications qu'ils entraînent dans la réalité. Le deuxième chapitre sur les variétés des compromis est certainement l'un des plus intéressant qui nous est été donner de lire sur le compromis.

        La volonté d'aborder tous ces sujets de manière dynamique, dans un style très éloigné d'un récit comme d'un manuel de philosophie morale, fait de se livre un ouvrage à lire attentivement, tant il conduit de manière très subtile, très progressive, à petites touches, comme dans le réel, à caractériser et à condamner tous les compromis pourris.

 

Avishai MARGALIT, Du compromis et des compromis pourris. Réflexion sur les paix justes et injustes, Denoël, 2012 (traduction de l'anglais par Frédéric JOLY, On Compromise and Rotten Compromises, Princeton university Press, 2010), 260 pages.

 

Relu le 19 novembre 2020

 

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7 mars 2012 3 07 /03 /mars /2012 16:22

     Depuis 1981, chaque année, les éditions La Découverte, proposait un état du monde, annuaire économique géopolitique mondial : trier, orienter, ouvrir des pistes par une méthode originale combinant les approches économiques, géographiques, démographiques, politiques et stratégiques était l'objectif d'une équipe et d'auteurs, à chaque fois renouvelés, pour aider à la compréhension de l'histoire en marche. Même si depuis 2007, la formule n'est plus celle d'un annuaire statistique - comme si l'équipe de rédaction a pris acte d'une fiabilité de moins en moins grande des statistiques, préférant les analyses plus qualitatives - L'état du monde garde l'ambition de proposer des analyses de fond, moins événementielles qu'autrefois, qui en fait un outil précieux. L'édition annuelle se centre désormais sur un seul thème.

   Toujours en version imprimée, l'état du monde, constitue chaque année un moment éditorial salué par la presse. Il était disponible de 2003 à 2006 sous la forme d'un CD-Rom, mais il n'est plus produit sous cette forme aujourd'hui.

Le site des éditions La découverte propose une Encyclopédie de l'état du monde, qui regroupe tous les articles parus à ce jour (plus de 8 000 article, 40 000 données statistiques, avec leur appareil critique en plus, 11 chronologies thématiques 1987-2011...).

 

    L'état du monde se présentait, sur plus de 600 pages, en trois parties : d'abord des articles présentant de manière globale les mutations en cours, puis une présentation analytique des événements, avec beaucoup de cartes, de tous les pays de la planète, puis une annexe particulièrement dense. Désormais, l'édition, toujours annuelle, se réduit à 250 pages, reflet sans doute d'une crise de l'édition sur papier. 

 

   L'édition 2012, intitulée Nouveaux acteurs, Nouvelle donne, dirigée par Bertrand BADIE, spécialiste de géopolitique à Science Po et Dominique VIDAL, spécialiste du Moyen Orient  ambitionne d'examiner les modalités d'action des "nouveaux acteurs" qui émergent dans un contexte de "nouvelle donne" où l'hyper puissance américaine se trouve en perte de vitesse alors que les printemps arabes induisent de profonds changements dans l'ordre social établi. Le projet des contributeurs de l'ouvrage est de prendre la mesure de la déstabilisation du monde et des rééquilibrages qu'elle implique, en procédant à un questionnement des révolutions, conflits, guerres économiques, et autres phénomènes de reconstruction identitaire qui offrent au champ des internationalistes des éléments d'analyse très pertinents. Organisé en trois parties, l'ouvrage mobilise, comme d'habitude, plusieurs mains, cette fois pour vingt-huit sessions au coeur desquelles l'Afrique apparaît être toutefois la grande absente, abstraction faite des "printemps arabes", dont Jean-Marie CLÉRY dresse explicitement l'anatomie. Sur la centralité de l'ouvrage, l'on constate que les auteurs s'efforcent de dresser un bilan des grandes mutations politiques, économiques, sociales, diplomatiques, technologiques et environnementales de la planète en 2011. Bien entendu, l'intérêt d'un ouvrage comme celui-ci, et comme les précédents, est son ambition de vouloir donner un instantané de la marche du monde, ce qui soulève bien des difficultés : sélection des priorités, profondeurs des approches, problèmes de distanciation par rapport à la médiatisation d'un événement... (Les mêmes problèmes qu'une autre collection, nettement moins orientée à gauche..., plus centrée sur la France, d'une autre maison d'édition Larousse/France Inter (Le Journal de l'année).

 

    L'édition 2016, toujours sous la direction de Bertrand BADIE et Dominique VIDAL, se centre sur "Un monde d'inégalité", en trois parties : décryptages, pour appréhender les inégalités, les relier avec une société internationale fortement hiérarchisée, dans le cadre d'une mondialisation libérale ; états des lieux où diverses inégalités sont examinées (le développement, la santé, la faim, les migrations, l'urbanisation, les dégradations environnementales) ; d'un continent à l'autre, où sont analysées les situations de plusieurs régions du monde sur les cinq continents. Des cartes, graphiques et statistiques complètent les différentes analyses. 

 

    L'édition 2020, qui fera sans doute date, porte sur la Fin du leadership américain? Sous la direction de Bertrand BADIE et de Dominique VIDAL, cet état du monde, toujours disponible tant sur papier que dans sa version électronique, reprend les moments d'expression de ce leadership depuis 1945. "En 1945, les États-Unis paraissent imbattables. Détenteurs exclusifs de l'arme atomique jusqu'en 1949, ils semblent dominer totalement le monde, à travers le plan Marshall puis la création de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), ils endossent le rôle de leader. Ils contrôlent le quart du commerce mondial et produisent la moitié de ce qu'ils consomment. Le contraste est grand avec la situation actuelle. Il est vrai qu'entre-temps, les registres de puissance se sont diversifiés, les interventions militaires ont perdu de leur efficacité, et la mondialisation a définitivement brouillé les pistes, nouant des relations d'interdépendances inédites. On est ainsi passé, en quelques soixante-dix ans, d'un système quasi hégémonique à un système apolaire, fragmenté par une importante dynamique nationaliste, notamment depuis l'élection de Donald Trump. Après avoir retracé l'histoire de la domination américaine du XIXe siècle à nos jours, les auteurs en mesurent la portée et les potentielles failles dans les domaines militaire, politico-diplomatique, commercial, économique, scientifique et culturel. Enfin, l'analyse des rapports de Washington avec Pékin, Moscou, Bruxelles, Tel-Aviv, Riyad, Téhéran, etc. ou de ses prises de position face au défin climatique interroge sur la puissance réelle des États-Unis, dans un monde complexe où cartes et stouts se redistribuent à grande vitesse."

   

   L'étudiant, le militant, le citoyen trouve toujours matière à informations et réflexions, surtout s'il parcourt, sur un même thème ou une même zone géographique, voire un même pays, les éditions précédentes. On se rend alors compte que depuis 1981, les auteurs ne s'en tirent pas si mal, malgré les actualités brûlantes successives qui peuvent masquer d'autres évolutions décisives. 

 

    Plusieurs "état" entrent dans la même catégorie d'ouvrages-dictionnaires sur lesquels on peut toujours revenir :

- l'état des régions françaises, maintenant intégré à l'état de la France, publié depuis 1992, qui dresse un portrait social, culturel, économique et politique du pays ;

- la collection Atlas des peuples, qui depuis le début des années 1990 propose des exposés clairs sur des réalités complexes (Atlas des peuples d'Europe occidentale, Atlas des peuples d'Asie méridionale et orientale, par exemple) ;

- les guides de l'état du monde, collection lancée en 2007, destinés aux voyageurs soucieux de comprendre le pays qu'ils vont découvrir ou qu'ils souhaitent mieux connaitre, autrement qu'à travers des guides touristiques aseptisés...

   A signaler aussi un Etat des Etats-Unis, sous la direction de Annie LENNKH et Marie-France TOINET, en 1990, et que nous aimerions bien voir être suivi par un autre une vingtaine d'années plus tard... 

    Régulièrement parait désormais également l'état du monde junior.

 

L'état du monde, La Découverte. www.editionsladecouverte.fr

 

Complété le 14 février 2016. Complété le 1 novembre 2020

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