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28 mars 2015 6 28 /03 /mars /2015 14:55

    S'il existe une vraie valse des étiquettes, c'est bien dans le monde des économistes et des théories économiques. En effet, il est tout de même troublant - blagues (c'est-à-dire vraies incompétences) journalistiques mises à part -, de constater que dans le détail des réflexions économiques, le néo-libéralisme n'a pas grand chose à voir avec le libéralisme, ni le néo-keynésianisme avec les idées de KEYNES.

 

La confusion des modèles économiques

Pour le néo-keynésianisme, la volonté affichée de marier le libéralisme classique et le keynésianisme ramène en fait très en arrière dans la réflexion économique, à l'illusion de l'existence de l'équilibre général. John HICKS (1904-1989) tente de modéliser les idées keynésiennes dans un cadre purement classique, et à sa suite devant les apories d'une telle construction, l'école auto-dite néo-kyennésienne, se scinde en deux branches parfois abusivement qualifiées de complémentaires : celle de John HICKS lui-même qui postule que l'équilibre général est la règle en économie, le déséquilibre un cas exceptionnel, l'autre, avec Robert CLOWER (1926-2011) et Axel LEIJONHUFVUD (né en 1933) qui développe l'équilibre général comme un cas d'école, le déséquilibre étant au contraire la règle.

 Une sorte de macroéconomie néo-keynésienne s'élabore, soutenue par John HICKS toujours, avec le célèbre IS-LM (qui décrit l'impact de politiques budgétaires de demande sur le PIB) et surtout Paul SAMUELSON (1915-2009). Ce dernier écrit un manuel d'économie qui sert de base encore aujourd'hui (hélas!) d'apprentissage pour les étudiants en économie, dans l'éensemble du monde occidental. Il interprète la courbe de Philips avec Robert SOLOW (né en 1924) et formalise l'accélérateur keynésien, modèle en dotation factorielle pour expliquer le commerce international. Ces théoriciens font le lien entre fondements microéconomiques pour les agréger et former la macroéconomie usuellement utilisée. A noter que les étudiants qui continue ensuite dans cette voie d'études économiques peuvent apprendre plus tard, mais sans forcément l'assimiler, que d'autres auteurs critiquent tous ces modèles et démontent leur logique, dans des études critiques dont Steve KEEN rend compte (L'imposture économique). Mais au lieu de reprendre sur le métier à partir de la mise en évidence d'erreurs logiques et d'hypothèses erronées (un système économique est tout simplement le décalque et la somme de tous les comportements individuels), nombre d'auteurs poursuivent sur la même lancée, considérant pour acquis des bases dont la démonstration est bien fragile (quand celle-ci est réellement essayée!, rarement!).

C'est ainsi que se développent des variantes du modèle IS-LM, sur lesquelles se fondent des politiques économiques aux États-Unis et en Europe. Sur la croissance, l'économie industrielle, l'équilibre général, des théories s'élaborent, malgré leurs invalidations successives dans l'économie réelle. Par "corriger" ces modèles qui décidément sont revêches à prédire des situations économiques, d'autres élaborations sont présentées comme celles de Robert CLOWER (1965), Axel LEIJONHUFVUD (1967-1968), ou celles d'Edmond MALINVAUD (1977) et J-P. BÉNASSY (1976).  Leur dénominateur commun est la référence de l'équilibre général walsarien, élaboré en 1937, alors même que l'ensemble des travaux de KEYNES est de le réfuter et de le remplacer...

 

      Pour expliquer comment une théorie économie banalisée et devenue un lieu commun peut survivre même si ses hypothèses et ses développements sont sans prises avec la réalité, il faut se souvenir de deux choses avant tout :

- l'édition des théories économiques est soumise aux aléas de la politique et de la stratégie globale. Dans un contexte de guerre froide, il est difficile à KEYNES de présenter des réflexions qui flirtent souvent avec le marxisme ou y trouvent parfois des ressourcements ;

- la connaissance des réels travaux des économistes n'est pas générale. Il existe une grosse différence entre ce que l'on apprend aux étudiants de base économique, qui ne s'attardent pas dans leur cursus sur les théories et qui croient qu'elles ont été démontrées de manière solide et ce que les doctorants, obligés souvent d'aller au fond des choses, découvrent dans les bibliothèques spécialisées ou les écrits des auteurs de référence. Ainsi, il n'y a pas de continuité dans l'histoire réelle des théories économiques, seulement des aperçus éclairés suivant les circonstances politiques. Une certaine médiocrité journalistique (croissante à l'heure actuelle) fait le reste du brouillage intellectuel.

 

La fausse notion d'équilibre....

   C'est ce qu'explique (longuement) Steve KEEN. Tentant de cerner le coeur du problème, il écrit que "la macroéconomie, c'est-à-dire l'étude du comportement de l'économie dans son ensemble, était au départ un champ de recherches économiques indépendant de la micro-économie, c'est-à-dire de l'étude de marchés isolés." Ainsi la notion d'équilibre, indispensable pour fixer les cours (de la Bourse par exemple), ne serait-ce que pour, à la clôture des marchés, décider de la valeur des choses est étendue à une globalité bien plus complexe et bien plus mouvante. "Cependant, continue-t-il, avec une profonde ignorance des nombreux défauts de la microéconomie, les économistes redessinèrent la macroéconomie, non pas pour améliorer sa pertinence vis-à-vis de l'économie réelle, mais pour en faire une branche de la microéconomie. Aujourd'hui la macro-économie est fondée sur des propositions dont on a démontré le caractère intenable (...). Les germes de ce délabrement théorique étaient présents dès les travaux de Keynes et La théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie, du fait de son attachement encore trop fort envers la théories conventionnelle, puis le processus s'accéléra avec l'interprétation maginaliste douteuse des travaux de Keynes introduite de façon discutable par Hicks."

"A partir du modèle IS-LM de Hicks, la machine était en branle pour éliminer les nouveautés apportées par la macroéconomie et pour restaurer l'énoncé central de l'économie pré-keynésienne qui prévalait avant la crise de 1929 ; un marché économique ne peut pas connaitre de dépression." Ce professeur d'économie et de finance tente d'expliquer le caractère erroné des modèles IS-LM et DSGE, dérivés de concepts microéconomiques déjà suspects et appliqués à la macroéconomie, faisant de cette dernière, ce qui peut paraitre un comble, une branche de la microéconomie... KEYNES, dans ses études économiques, critique d'abord la "loi de Say", selon laquelle toute offre crée sa propre demande, idée critiquée d'ailleurs auparavant par MARX. La "loi de Walras", simple prolongement de la "loi de Say", est fausse dans une économie reposant sur le crédit.

Pour Steve KEEN, les critiques de MARX et de KEYNES envers l'économie conventionnelle de leur époque s'appliquent encore aujourd'hui à la théorie moderne. Il déconstruit la réinterprétation hicksienne d'un Keyne "marginaliste", en racontant au passage comment KEYNES a édulcoré ses premiers travaux pour rendre présentables ses propositions de réforme économique. Avant la Grande Récession que nous vivons actuellement, les économistes néoclassiques étaient confiants dans l'idée qu'ils avaient réussi à réconcilier KEYNES avec WALRAS, ce qui les rendaient optimistes pour le futur de l'économie. Il dénonce l'erreur réductionniste maintenue parmi les économistes classiques qui fait de la macroéconomie une simple application de "principes généraux" de la microéconomie.

 

Un conflit (souvent dissimulé) des idées

    Au lieu dans la réalité économique d'avoir une sorte de réconciliation, il y a un véritable conflit des idées, dissimulé par la doxa officielle. Au lieu d'un système d'équilibre, se font voir, au travers même des conditions de son fonctionnement, les véritables facettes du capitalisme. C'est si vrai qu'à lire certains ouvrages qui font référence également à Léon WALRAS et à son grand admirateur, John HICKS, qui se réclament d'une théorie néo-classique, n'hésitent pas, sous le couvert d'un "néo-keynésianisme" de développer des idées très proches des néo-libéraux. Et avec eux, ils prônent le désengagement économique des États, perturbateurs des équilibres économiques. Ils réagissent tous contre les contestations de MARX et de KEYNES des vertus d'un capitalisme "libéré". Même si leurs familles intellectuelles (néo-classiques et néo-keynésianismes) se conçoivent parfois comme concurrentes, rivales, voire adversaires dans le détail des programmes économiques qu'ils proposent, il existe entre leurs démarches des parentés fortes attestées par le recours aux mêmes sources. C'est ainsi, par exemple, que l'on considère que le premier économiste néo-classique est l'Anglais William Stanley JEVONS (1835-1882), auteur en 1871 d'une Théorie de l'économie politique, voit ses idées initiées dans le champ universitaire par le Français Léon WALRAS (1834-1910), qui enseigne à Lausanne, l'Anglais Alfred MARSHALL (1842-1924), enseignant à Cambridge, et l'Autrichien Carl MENGER (1840-1921), fondateur de l'école autrichienne. 

Ayant adopté les mathématiques comme langage, l'économiste néo-classique construit son raisonnement selon la méthode scientifique usuelle qui se déroule en trois étapes :

- l'identification des acteurs de l'économie et des paramètres qui caractérisent leurs actions ;

- la formulation de liens mathématiques entre ces paramètres, les uns dits comptables correspondant à des relations tenant à la définition même de ces paramètres et rappelant la démarche axiomatique des sciences exactes, les autres dits théoriques, correspondant au résultat de la réflexion analytique de l'économiste ;

- la vérification empirique de la validité des liens théoriques en les confrontant par le biais de la statistique à la réalité historique, mécanisme de vérification qui peut être assimilé à l'expérience du physicien. (Jean-Marc DANIEL).

   C'est précisément la présentation constante de cette scientificité qui, sous un amas de calculs mathématiques, peut impressionner le public et les étudiants qui ne vérifieront pas la validité ou l'invalidité des prémisses ou premières hypothèses à la base de tout l'édifice théorique.  C'est toujours la recherche des conditions d'équilibre des marchés qui est le centre de leur démarche. Néo-classiques et néo-keynésiens sont mû par la même croyance en l'existence d'un possible équilibre durable entre offre et demande des différents marchés, et John HICKS intervient précisément là où la réalité historique invite à penser le contraire, en faisant la synthèse du keynésianisme et de la théorie néo-classique. De Oskar LANGE (1904-1965) à George STIGLER (1911-1991), des générations d'économistes s'efforcent de faire passer la "science économique" comme aussi fiable que les sciences physiques. Malgré les travaux du Français Gérard DEBREU (1921-2004), la question fondamentale de la convergence vers l'équilibre n'est pas résolue.

 

 

Steve KEEN, L'imposture économique, Les éditions de l'atelier, 2014. Jean-Marc DANIEL, Théorie néo-classique, dans Encyclopedia universalis, 2014.

 

ECONOMIUS

 

Relu le 19 décembre 2021

 

 

 

 

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