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25 avril 2015 6 25 /04 /avril /2015 13:32

  L'histoire depuis l'Antiquité nous apprend la réalité de l'impôt : ses fonctions, ses modalités, ses bénéficiaires et ses contributeurs existent bien avant l'État, même si État et fiscalité sont étroitement liés. André NEURISSE, docteur en droit et docteur d'État ès Sciences Économiques, rapporte la fiscalité à "l'ensemble des règles qui déterminent le quantum de cette part du revenu - ou du capital - qui a pour nom impôt et qui, par voie autoritaire, est transférée, sans contrepartie directe, des personnes physiques ou morales au profit de l'État ou des collectivités : régions, département ou communes (mais non point à celui d'organismes prIvés, tel la Chambre de Commerce, auquel cas, il s'agit de parafiscalité.").

De nos jours fortement codifié, la fiscalité ne l'a pas toujours été ainsi, et en tout cas pas si précisément et si minutieusement. Fiscalité proportionnelle ou progressive, sur le revenu, sur le capital, sur les transactions, elle peut être légale (au sens où elle découle d'une légalité étatique ou autre...) ou coutumière, indiciaire ou réelle, de quotité ou de répartition, directe ou indirecte. Le latin fiscus devrait en fait développer l'ensemble des phénomènes financiers concernant l'État et les collectivités publiques, mais il ne comprend plus, surtout dans les régions francophones, les mécanismes juridiques et comptables qui président à la transmutation de la recette en dépense (dans le monde anglo-saxon, cela apparait un peu moins restrictif, du moins à l'origine). Le même auteur indique que "quoi qu'il en soit, il ne peut y avoir fiscalité sans déséquilibre de puissance entre l'imposé et l'imposant, sans cette forme d'autorité de l'État (mais qui est devenue seulement celle de l'État, devons-nous préciser, car la fiscalité est l'affaire historiquement de multiples pouvoirs concurrents) qu'est le pouvoir d'imposer, lequel se mesure à la capacité d'édicter l'impôt et de le recouvrer. Réciproquement, la fiscalité nourrit la puissance publique en lui donnant les moyens de s'exercer. Impôt et État se trouvent indissolublement liés.3 Nous pouvons ajouter que Fiscalité, Recensement et État sont liés dans une dynamique qui les nourrit les uns et les autres. 

 

une histoire sociale de l'impôt à développer..

    Très peu d'études sur l'impôt sortent du cadre technique et de la description bureaucratique pour aborder les relations entre fiscalité et société. L'histoire fiscale est bien moins développé en France qu'aux États-Unis, en dehors de l'évocation étendue des différentes révoltes contre l'impôt, souvent intégrée dans une analyse plus globale des conflits entre différents pouvoirs politico-militaires. 

Nicolas DELALANDE et Alexis SPIRE tentent une Histoire sociale de l'impôt, centrée sur la période XVIIIIe-XXIe siècle et sur le cas français, à la suite d'un certain nombre d'auteurs qui, tout en faisant de l'impôt un véritable thème majeur de l'histoire sociale n'en font pas leur sujet principal d'études. Ainsi Norbert ELIAS, pour qui l'instauration d'un monopole fiscal constitue une étape essentielle dans la "sociogenèse de l'État (La dynamique de l'Occident, Calmann-Lévy, 1991), Max WEBER (Économie et société, Plon, 1971), Charle TILLY (La France conteste, de 1600 à nos jours, Fayard, 1986), GUÉRY (1984), HINCKER (1971). TOCQUEVILLE place la question fiscale au coeur de son analyse sur les rapports entre Ancien Régime et Révolution. 

On peut distinguer parmi les recherches qui portent sur la période contemporaine, le courant Finanzsoziologie qui s'attache plus à l'étude des finances publiques qu'au rôle politique de l'impôt, avec Rudolf GOLDSCHEID (1917) et Joseph SCHUMPETER (1918). Leurs travaux sont remis à jour par le courant de "sociologie fiscale" aux États-Unis développé à la fin des années 1980, avec l'ambition d'analyser l'influence de l'impôt sur l'organisation économique, la structure sociale, l'évolution des nations (MARTIN et ses collaborateurs, 2009). En France, cette approche sociologique ne bénéficie toujours pas du succès connu outre-Atlantique. Le seul ouvrage de référence qui réinscrit l'histoire de l'impôt au coeur de l'histoire politique  et sociale contemporaine semble être celui de l'économiste Thomas PIKETTY (2001) qui montre le rôle que peut jouer l'impôt dans la réduction des inégalités ou dans la reproduction des patrimoines et des hauts revenus. 

  Pour se remettre en perspective les véritables ressorts de la fiscalité, il faut se reporter sans doute aux temps où précisément l'État (et même l'idée de l'État) n'existe pas encore, où l'écriture permet à des générations de scribes de conserver trace des patrimoines et où, des tribus uniquement concernés par le produit de pillages immédiats, émerge un ensemble de puissances, plutôt sédentaires, soucieuses de faire durer leur pouvoir. C'est surtout au sein d'empires, capables de générer une bureaucratie et un corps militaire compétent en matière de contrôle de territoire, que se développent des techniques d'expropriation de richesses, techniques qui jouent subtilement d'un certain assentiment des populations ainsi dépossédées, voire de leur consentement, en échange de protections souvent réduites au départ à interventions contre des invasions ou des troubles internes. La fiscalité, souvent, n'est qu'un élément de la véritable technologie de domination développée par des empires qui mêlent à la fois pouvoirs guerriers, pouvoirs religieux et pouvoirs économiques (connaissance des techniques agricoles par exemple...). Elle n'est qu'un outil déployé de manière parfois alternative à la destruction/rapine pure et simple (ou même à la mise en esclavage), de manière intermittente (où les prélèvements sont souvent faits en cascades, d'un "responsable" de village  aux collecteurs impériaux ou royaux, tous les dix ou quinze ans), en nature (prélèvement de richesses agricoles et d'éléments de la population, ne serait-ce que pour construire les armées) ou en numéraire (plus rarement dans les premiers temps, à l'exception des produits des mines)... Il faut attendre sans doute des empires durables pour voir se déployer une administration parfois multiforme et ramifiée en de nombreux points du territoire : assyrien, babylonien, égyptien, romain, sans oublier le fait que certains durent moins longtemps que d'autres, même s'ils ont le temps de développer une sorte de droit fiscal, par exemple l'es empires juif et étrusque. Souvent d'ailleurs, les techniques fiscales se diffusent par prélèvement chez les populations vaincues des lettrés et des techniciens hautement qualifiés vers les administrations des peuples vainqueurs (les différents systèmes de l'esclavage dans l'Antiquité s'y prête merveilleusement...).

   Une fois que l'intention affichée d'organiser un véritable prélèvement de richesses à long terme sans destructions des biens des population anciennement ennemie, se pose la question des moyens de le faire... Or, il est particulièrement difficile pour la puissance victorieuse, dans des moments où les recensements des biens et des personnes ne sont pas encore suffisamment développés et où la nomadité n'a pas encore disparu, de faire ces prélèvements lui-même. Le plus souvent est confiée à des membres des anciennes aristocraties abaissées par la défaite de faire ce prélèvement pour le compte des vainqueurs et même lorsque les populations sont plus ou moins assimilées, les notables locaux sont mis à contribution. Ces prélèvements sont réalisés en deux temps : les responsables locaux collectent le produit de l'impôt et le restitue ensuite aux puissances auxquels ils sont plus ou moins assujettis, le tout avec prise de gages (souvent sous forme d'otages) par la puissance victorieuse parmi ces notables locaux. Ce système en deux temps se retrouve un peu partout et perdure même lorsque l'assimilation est complète. Sans être des fonctionnaires au sens moderne à proprement parler, ces collecteurs d'impôts prélèvent avec prise de charges parfois héréditaires. Ces familles, ces clans opèrent souvent en avançant eux-mêmes les fonds à la puissance centrale et en se remboursant sur les assujettis à l'impôt, gardant le surplus pour eux. Suivant le niveau de contrôle opéré par la puissance centrale, des abus peuvent être effectués. Tant que ces abus ne la gênent pas, surtout tant qu'ils ne génèrent pas une puissance capable de la contrer, la puissance central ferme les yeux. Jusqu'au moment où des révoltes éclatent, révoltes paysanne souvent violentes et révoltes urbaines, mettant parfois en question l'appartenance des villes à la puissance centrale. La longue histoire des villes européennes par exemple, est l'histoire d'une autonomisation par l'intermédiaire de la maitrise des modalités fiscales.

 

Des cas documentés dans l'Antiquité

   Les cas les plus documentés pour la fiscalité dans l'Antiquité sont à l'heure actuelle ceux des empires grec, égyptien (sous les Ptolémées, après la conquête d'Alexandre Le Grand) et surtout romain, source d'inspiration ensuite pour les fiscalités au "Moyen-Age"...

    Pour la Grèce, Léopold MIGEOTTE indique que dans les cités grecques, et notamment dans la période classique (Ve-Ier siècles av J-C.) (car avant les impôts sont peu nombreux), où la citoyenneté est très liée à la capacité de contribuer, dans une sorte d'impôt, aux constructions, à l'approvisionnement, à la guerre et à la défense, et à la rémunération des fonctionnaires et des esclaves publics, comme aux contributions extérieures (tributs ou autres dûs à des rois ou des cités), l'impôt occupe une place importante mais ni constante (dans le temps, vus les instabilités politiques et les opérations militaires fréquentes) ni uniforme (selon la cité), ni pérennisée (beaucoup d'impôts ne durent que cinq, dix ou quinze ans...). Comptent dans les finances publics beaucoup plus les apports du commerce et... des guerres (pillages), bien plus que des productions réalisées sur place. C'est dans la répartition des revenus du commerce et des guerres que se trouve le plus "calculé" la contribution aux finances de la Cité.

 Sinon, "la distinction entre revenus ordinaires et ressources extraordinaires éclaire un trait fondamental de la gestion des cités. Également utile est la distinction entre droits, taxes, impôts, capitations... que les Grecs confondent généralement sous le terme générique de télé. Cette rubrique ne présente, elle non pluis, ni hiérarchie ni pondération. "

En ce qui concerne les revenus ordinaires, les cités "possèdent et louent ou concèdent à des particuliers des biens immeubles, parmi lesquels on peut ranger les biens sacrés : terres, fermes, maisons, boutiques, mines, carrières, salines... Elles perçoivent des droits de douane (souvent du cinquantième au 2%) sur les marchandises importées ou exportées, des droits d'usage sur les latrines et les bains publics, les emplacements commerciaux de l'agora, les prés communaux ou la pêche, des droits de passage, d'ancrage ou de consultation (des oracles par exemples). Elles encaissent des amendes et le produit des biens confisqués. Les taxes indirectes sont particulièrement nombreuses, notamment sur les ventes, les loyers et les affranchissements d'esclaves. Plus souvent qu'on ne croit, les cités imposent directement les biens privés comme les terres comme les terres, les maisons, les esclaves, les troupeaux, les bêtes de somme et les ruchers, ainsi que les produits de l'artisanat et de la terre (...) parfois en nature ou sous forme de dîme. Des professions comme l'artisanat ou des catégories de personnes comme les métèques peuvent payer une capitation. Enfin, les riches citoyens sont mis à contribution dans les charges exécutives et les liturgies, devant ajouter de leur poche aux fonds publics disponibles, par exemple pour les vaisseaux de guerre, les choeurs ou les fêtes. Les impôts fonciers sont sans doute plus répandus dans les cités rurales, les droits de douane et les taxes de vente plus fructueux dans les cités ouvertes au commerce ou attirant des pèlerins, des artistes, des athlètes et des curieux. Plusieurs sanctuaires sont particulièrement riches grâce aux donations des particuliers et des rois, aux prémices et aux parts de butin, aux recettes de troncs et des consultations d'oracles, aux ventes de prêtrises et de peaux des bêtes sacrifiées. Beaucoup de dons en argent se constituent en fondations dont les revenus doivent assurer des célébrations particulières, qui ont ainsi leur autonomie financière, tandis que d'autres sont simplement thésaurisés.

En cas d'urgence, les ressources extraordinaires sont plus ou moins prévues à l'avance selon les cités. Leopold MIGEOTTE indique aussi, après avoir mentionné l'importance des réquisitions et saisies, confiscations et emprunts forcés d'une part et du produit des conquêtes réalisées d'autre part, que "s'il est arrivé à des cités de contribuer à l'emploi et à l'activité économique, aucune n'a jamais voulu favoriser la croissance économique ni voucrir des domaines comme la santé ou l'éducation. Considérant leurs finances avant tout sous l'angle fiscal, elles sont soucieuses d'équilibrer leurs dépenses et leurs revenus. Mais raisonner en termes de budget ne peut rendre compte de toute la réalité, à cause de la variété et de la souplesse des ressources extraordinaires. Certes, une guerre, un séisme ou une famine peuvent causer des désastres dont les cités ne se remettent que lentement. Mais les impôts exceptionnels, les emprunts, les souscriptions et surtout l'évergétisme ont permis à la plupart de surmonter les pires difficultés. On le voit, leur équilibre financier repose largement sur le dévouement des plus riches, bob gré mal gré, et sur les largesses des rois. Cette façon de gérer le quotidien et même l'imprévu reflète une mentalité et en peut être simplement taxée d'incurie."

  Bien au contraire, dirions-nous, mais la documentation dans l'Antiquité nous oblige à la prudence, les finances publiques des cités grecques constituent comme une charnière entre les pratiques et les représentations des empires précédents et celles qui vont se développer dans la foulée des conquêtes macédoniennes. Auparavant, le pragmatisme l'emporte sur la précision et... l'éthique. Ensuite, on cherche davantage à faire de l'économie publique. On peut mesurer en outre que les "performances" des empires (en terme de stabilité, de durée et d'étendue...) peuvent dépendre d'un réseau stabilisé et d'une "fonction publique" nombreuse, bien rémunérée, intéressée à la rentrée fiscale, et fidélisée par toutes sortes de moyens. Moment charnière également, la venue de la prédominance d'une économie monétaire sur les autres à l'intérieur d'un même espace... Enfin, le système fiscal se double toujours d'un système de dettes à directions multiples et en cascades. Du coup, notamment à l'occasion de révoltes ou de révolutions, comme de naissances et de morts de souverains, la remise pure et simple (l'annulation) des dettes provoque une sorte de remise à plat du système fiscal. Bien entendu, il faut compter aussi avec certaines annexions de territoire qui provoquent des changements de fiscalité (alourdissement ou au contraire allègement)... Ce qui fait que dans l'Antiquité, le maitre mot de la fiscalité serait plutôt l'instabilité, à part des périodes, souvent qualifiées "d'âge d'or" où les administrations peuvent, un temps stabilisées, faire entrer des recettes et pourvoir régulièrement aux dépenses...

 

Léopold MIGEOTTE, Finances publiques (Grèce), dans Dictionnaire de l'Antiquité, Sous la direction de Jean LECLANT, PUF, 2005. Nicolas DELALANDE et Alexis SPIRE, Histoire sociale de l'impôt, La Découverte, 2010. André NEURISSE, Histoire de la fiscalité en France, Economica, 1996.

 

ECONOMIUS

   

Relu le 31 décembre 2021

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