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13 mai 2015 3 13 /05 /mai /2015 13:37

    Si Nicolas DELALANDE et Alexis SPIRE situe la construction de l'État fiscal entre la fin du XVIIIe siècle et le XIXe, et si André NEURISSE part plutôt de la fin du premier millénaire, en ce qui concerne la France ou l'Europe en tout cas, de nombreux éléments proviennent de l'expérience longue de l'Empire romain.

Une filiation dans les types d'impôts, dans les comportements face à l'impôt et jusqu'à la typologie des acteurs directement en contact dans le système fiscal, se repère entre les pratiques de l'empire romain et les pratiques contemporaines, même si des ruptures interviennent notamment à la fin du Bas empire (par l'introduction de nouvelles conceptions venues de l'Est et du nord) et à la fin de la Royauté (par l'abolition notamment des privilèges). Que ce soit pour décrire une histoire sociale de l'impôt ou simplement une histoire de la fiscalité, on ne peut faire l'impasse sur un certain nombre de constantes tenant tant à la psychologie des acteurs, à la dimension des territoires concernés, aux types d'impôts installés, aux contraintes pour définir l'assiette et les taux, aux conditions mêmes de la collecte... Les conflits observés de nos jours autour de l'impôt ressemblent fortement à ceux qui mettaient aux prises assujettis et collecteurs depuis que dans la profonde Antiquité, le prélèvement plus ou moins contraint et régulier remplace le pillage et la rapine..

  Un autre tournant doit d'ores et déjà mentionnés, celui du passage d'un État fiscal préoccupé avant tout de la qualité de son outil militaire et de ses capacités à mener des guerres à un État qui se dote d'une politique économique et fait de l'impôt un moyen de redistribution des richesses en faveur des moins lotis ou en faveur de la croissance des biens et services. Très tôt dans le XVIIe siècle, en Angleterre notamment, les gouvernants se préoccupent de plus en plus des impacts économiques des guerres et d'un "équilibre" entre dépenses et recettes dont dépend non seulement la force militaire mais la puissance économique de manière générale...

 

Sur un millénaire ou presque, de grands changements en France et en Europe...

   André NEURISSE présente de la manière suivante l'évolution de 987 à 1789 :

"A la fin du premier millénaire, règne une insécurité extrême (envahisseurs normands, bandes de pillards...) qui provoque la recherche de la protection des puissants châtelains. Il s'établit une hiérarchisation pyramidale descendant du seigneur, propriétaire du fief, au vassal, titulaire de l'arrière-fief, à l'arrière-vassal, détenteur de l'arrière-arrière fief, hiérarchie liée par l'hommage ou le pacte d'alliance, bases du régime féodal. L'effondrement de l'autorité royale aidant, cette situation favorise le détournement au profit des possesseurs de fief des décombres du système fiscal romain. Grâce à sa puissance spirituelle, l'Église réussit à faire officialiser un prélèvement que justifieraient les Écritures et dont elle bénéficiera, inaltéré, jusqu'à la Révolution. Mais bientôt, émergeront d'une part, la fiscalité royale, de manière permanente à partir du XVe siècle, d'autre part, les impositions autonomes des Villes, fortes d'une urbanisation de plus en plus poussée.

De diarchique autour de l'An Mil, la fiscalité devient quadriarchique à la veille de la Révolution. Cette longue évolution mérite d'être appréhendée selon trois optiques relatives au fondement des sources de l'impôt :

- la coutume (les droits seigneuriaux),

- le consensus (l'Église contribuable, les Villes et leurs taxes, les États Généraux délibérant),

- l'absolutisme (les dîmes ecclésiastiques et l'impôt royal). 

  La Révolution française marque, toujours pour André NEURISSE, le début d'une fiscalité indiciaire qui domine jusqu'à la veille de la Première Guerre Mondiale :

"Malgré les critiques et les oppositions dont il est l'objet, le système fiscal de la Royauté parait avoir devant lui de longues décennies. L'iniquité privilégiante de sa répartition, la vigueur parfois violente des méthodes de recouvrement semblent trouver palliatif avec cette étonnante longévité de 350 années d'absolutisme. Lorsqu'il convoque les États Généraux de 1789, le Roi est loin de penser que dîmes, droits seigneuriaux, impôts royaux peuvent être remis en question. Au reste, les États Généraux n'ont qu'un rôle consultatif et l'ordre du jour est circonscrit à la recherche des moyens de faire face aux déséquilibres des comptes publics, sans qu'il soit question d'évoquer les institutions en place, notamment les privilèges de la Noblesse et du Clergé. La réalité sera tout autre. Il suffira, en premier lieu, de quarante jours pour que les États Généraux se transforment en Assemblée Nationale et se dotent du pouvoir législatif (...). En second lieu, va se créer une situation irréversible sur le plan politique (...) que dans le domaine de la fiscalité, par la Déclaration des Droits de l'Homme du 26 août." Rappelons l'article XIV de ce texte : "Les citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes ou par leurs représentants la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi et d'un déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée." D'un seul coup "se trouve proclamé le consentement à l'impôt et, à deux battants, la porte s'ouvre au principe de la souveraineté fiscale de la Nation, principe que le Parlement avait évoqué dès 1787 et qui, dans le passé lointain, avait atteint de faite en 1355 pour entrer en 1439, dans un profond sommeil. Une ère nouvelle commence qui, désormais, persévérera en France, sous des formes, il est vrai, nuancées. Par la recherche de critères non discutables, la fiscalité nouvelle s'emploie à éviter tout arbitraire dans les méthodes d'imposition. Après quelques balbutiements caractérisés par l'inévitable utopie des périodes révolutionnaires, elle connaitra la stabilité sur des bases efficaces et rationnelles." 

   La Grande Guerre remet sur le tapis le fonctionnement de la fiscalité alors suivie, surtout à la fin de celle-ci, une véritable fiscalité productive se met en place "Si les problèmes financiers n'ont pas influencé la durée de la Guerre de 1914-1918, dont on avait prédit pourtant qu'ils ne pouvaient pas ne pas l'écourter, ils ont néanmoins poussé à la rénovation de nos structures fiscales. La nécessité en a été confirmée par l'interventionnisme croissant des Pouvoirs Publics, secrétant des charges de plus en plus lourdes et exigeant des rentrées fiscales de plus en plus substantielles. Dans l'accompagnement de cette progression, la fiscalité est contrainte à l'ingéniosité pour obtenir équivalente productivité. Elle va tenter, pour l'impôt directe, qui se prélève mieux lorsqu'il est bien réparti, de cerner les facultés contributives individuelles en définissant l'assiette par l'appréhension du revenu réel et de les taxer équitablement par la progressivité des taux. Mais les nécessités vont surtout conduire à pousser les feux de la fiscalité indirecte au point de rendre taxable tout mouvement de production, de commercialisation, de consommation. Quant à la fiscalité locale, si elle met du temps à se débarrasser des méthodes indiciaires, elle fait preuve d'imagination dans l'extension de son domaine d'imposition." Le livre d'André NEURISSE est publié en 1996 et depuis, on peut dire que l'histoire fiscale s'est accélérée...

 

La rupture avec l'Ancien Régime

   Nicolas DELALANDE et Alexis SPIRE font débuter leur histoire sociale de l'impôt à la fin du XVIIIe siècle, la rupture avec l'Ancien Régime étant consommée, malgré les vaines tentatives des Restaurations. Ils relativisent toutefois les effets de la coupure de 1789 : "les révoltes paysannes contre l'impôt se prolongent jusque dans les années 1840, les taxes sur la consommation continuent de jouer un rôle prépondérant dans le financement de l'État, et l'administration ne s'autonomise (par rapport aux différents systèmes de fermage) et ne se professionnalise (il faut du temps pour former des fonctionnaires...) que très progressivement. La démocratisation de l'impôt et l'amélioration de l'efficacité bureaucratique sont dans un rapport de tension, ce qui explique une partie des déceptions républicaines à la fin du XIXe siècle."

Dans leur conclusion, les deux auteurs écrivent : "En dépit des nombreuses promesses de "grand soir fiscal", force est de constater que, depuis la Révolution française, la France a connu de multiples réformes mais jamais de complet bouleversement en matière de fiscalité. Après d'importants débats et de longues hésitations à la fin du XIXe siècle, le principe de la progressivité a finalement été adopté, d'abord en matière de droits de succession, puis pour l'imposition des revenus. Mais ce principe a mis du temps à s'imposer et reste, encore aujourd'hui, sujet à contestation. De même, il a fallu attendre plusieurs décennies pour que l'idée d'un impôt perçu par voie de déclaration soit acceptée. Lorsque celle-ci a été mise en oeuvre après la Première Guerre mondiale, elle ne concernait qu'une minorité de contribuables. Ce n'est qu'au fil des années que cet impôt déclaratif a pris de l'ampleur, entrant dans le quotidien de la plupart des ménages au cours des Trente Glorieuses. Finalement, en l'espace de deux siècles, l'impôt a connu deux grandes révolutions : l'une philosophique et politique, lorsque les hommes de 1789 consacrent l'égalité devant l'impôt ; l'autre, sociale et économique, à la faveur des deux conflits mondiaux qui ont transformé l'impôt en outil de redistribution. 

 

Un modèle remis en cause...

Durant les vingt dernières années du XXe siècle, ce modèle a été largement remis en cause, d'abord dans les pays anglo-saxons puis dans le reste du monde. Pour continuer à prélever une part importante du revenu national tout en préservant le consentement des contribuables, la plupart des pays développés ont privilégié le prélèvement à la source. En France, la montée en puissance de la contribution sociale généralisée en est une illustration. Dans le même temps, l'administration a entrepris de bouleverser la culture de ses agents, de façon à les mettre au service des contribuables. 

Mais, depuis la crise économique et financière qui a secouée a plupart des pays industrialisés en 2008 et 2009, l'envolée des déficits publics et l'aide apportée aux banques en difficulté ont contribué à relancer le débat sur la légitimité du recours à l'impôt. La transformation d'une crise financière en une crise des finances publiques a replacé du même coup la fiscalité au coeur des controverses sur la question sociale et l'avenir de nos sociétés. Le détour par une histoire sociale de l'impôt montre ce que les débats d'aujourd'hui doivent aux affrontements d'hier. La nouveauté est que la relation des citoyens à l'État ne peut plus se comprendre dans un cadre strictement national. Les débats qui ont jalonné l'histoire sociale de l'impôt (le contrôle des déclarations, la lutte contre la fraude, la professionnalisation de l'administration, etc) se posent désormais à une échelle européenne et internationale."

 

Nicolas DELALANDE et Alexis SPIRE, Histoire sociale de l'impôt, La Découverte, collection Repères, 2010. André NEURISSE, Histoire de la fiscalité en France, Economica, 1996.

 

ECONOMIUS

 

Relu le 19 janvier 2022

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