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4 novembre 2015 3 04 /11 /novembre /2015 12:31

Si le confucianisme impérial fait partie de l'histoire chinoise, le confucianisme moderne est plus un débat à l'intérieur d'une classe intellectuelle divisée et pour une fraction parfois importante persécutée par le pouvoir officiellement marxiste. Ce débat fait souvent l'impasse sur des siècles de domination de l'idéologie confucéenne qui fut pourtant dénoncée comme étant responsable du retard de la Chine par rapport à l'Occident.

Le confucianisme impérial, amalgame entre pensée légiste et pensée confucéenne, apparue sous les Han, se constitue sur une ambiguïté, car si la première est cultivée par les souverains, la seconde l'est surtout par les bureaucrates. John FAIRBANKS et Merle GOLDMAN expliquent que "le souverain maniait la carotte et le bâton des récompenses et des châtiments pour maintenir l'ordre dans le peuple. Mais les membres de l'administration avaient besoin de bien autre chose que des incitations pour donner le meilleur d'eux-mêmes. Les adeptes du confucianisme considéraient que l'observation exemplaire des rites conférait au souverain une certaine vertu (...) laquelle inclinait tout un chacun à accepter, soutenir et même vénérer son autorité. Si son ascendant moral et la civilité de son caractère venaient à manquer leur effet, le souverain pouvait toujours faire appel au châtiment et même à la répression militaire. L'usage de la violence était l'une des prérogatives du souverain, qu'elle fût dirigée contre le peuple ou contre les fonctionnaires de son administration. Mais, ne pouvant gouverner uniquement par la violence, il avait besoin de l'aide des confucianistes - en d'autres lieux, c'est vers les autorités religieuses que les autorités politiques se tournent - pour pouvoir manifester son souci constant d'agir moralement et avec bienveillance. Sans influence confucéenne, l'empereur observait jour après jour le rite et les cérémonies et c'était là sa fonction principale en tant que Fils du Ciel.

Pour eux (et pratiquement tous les auteurs qui écrivent sur l'histoire de la Chine), les limites de la doctrine confucéenne étaient apparues clairement dès le départ. CONFUCIUS avait pour ambition de former une élite d'hommes supérieurs, capables à la fois de s'assurer le respect du peuple et de guider la conduite du souverain. Ses priorités - loin de gouverner lui-même - étaient en premier lieu le rite, en second lieu l'humain. L'instruction n'arrivait qu'en troisième position. C'est par son exemple, de sa positon très importante, qu'il montrait la voie à ceux qui allaient devenir plus tard les fonctionnaires lettrés de l'ère impériale. La structure de la société chinoise en place, sa tâche n'était pas d'éduquer les masses, mais les souverains.

Les Han conservaient le mandat du Ciel en observant les rites du culte impérial,un culte qu'ils vouaient à leurs ancêtres de la famille Liu. La cosmologie qui y était attachée, et qui avait pour mérite de lier entre eux l'ensemble des phénomènes de l'expérience humaine, permit au confucianisme de jouer un rôle politique de plus en plus central en tant que doctrine officielle de l'Etat.

"L'antique cosmologie chinoise présente des différences frappantes, continuent nos auteurs, avec la pensée occidentale. Par exemple, il n'y avait chez les Anciens Chinois aucun mythe de la Création, aucun législateur suprême extérieur à notre monde, aucun cause première, pas même un big bang. (...). Cette conception s'écarte de la tendance invétéré que l'on observe partout ailleurs dans le monde, où l'existence d'une divinité surnaturelle est toujours supposée. (...). (...) la pensée des Han, telle que nous la trouvons transcrite dans les textes classiques, est bâtie à la fois sur un concept de l'homme qui envisage celui-ci comme une partie de la nature, et sur le concept d'une relation spéciale liant le souverain à ses ancêtres."

Ces deux concepts sont détruits, plus ou moins profondément, avec les événements qui donnent naissance à la société chinoise moderne. La crise environnementale, qui se fait sentir en Chine bien plus qu'ailleurs, et la crise politique née de la difficile cohabitation d'un régime politique autoritaire et d'un capitalisme plus ou moins bien contrôlé (de moins en moins d'ailleurs, si l'on en juge des fréquences affaires de corruption au plus haut niveau de l'Etat et des autorités régionales...), conduisent une partie de la classe intellectuelle à remettre en cause l'évolution partie (en fait mise à jour et exprimée socialement et politiquement) du Mouvement du 4 mai 1919. En remettant en avant une certain conception du confucianisme.

Mais les références divergent entre le confucianisme des dynasties Song (960-1279) et Ming (1368-1644), réputé pour ses envolées métaphysiques, largement pris en compte par ce qu'on a appelé le néo-confucianisme contemporain du XXème siècle et l'autre tradition, celle des Han (260 av JC-220 ap JC), en particulier celle dite du Guangyang, dont se réclame par exemple Jiang Qing (né en 1953), à la suite du grand lettré réformateur Kang Youwei (1858-1927).

Jiang Qing (attention au homonymes!), connu pour ses critiques du néo-confucianisme, est ouvertement influencé par le libéralisme occidental, même si les influences ne se limitent pas à cela. De plein pied dans le débat actuel sur la démocratie en Chine contemporaine, il souligne l'importance de rétablir l'équilibre entre plusieurs sources de légitimité, accompagnant ses réflexions de propositions institutionnelles. "Le développement politique de la Chine, écrit-il, doit avoir pour horizon la voie royale, non la démocratie. Pourtant à l'époque moderne, le chemin parcouru a été tout autre et tous les courants de pensée politique ont eu pour indépassable horizon la démocratie. Nul besoin de nous étendre sur les libéraux qui se sont réclamés d'une "véritable démocratie" sur le style occidental. Le socialisme, quant-à lui, a prôné une démocratie socialiste opposée au modèle capitaliste. Le mouvement dit du "confucianisme contemporain", enfin, qui se donnait pour tâche de faire rayonner la culture traditionnelle, a fait de la démocratie cette "nouvelle royauté" devant être promue à partir d'un enseignement de sagesse. En réalité, si l'on dresse un panorama de la pensée chinoise contemporaine, on remarque que les Chinois ont perdu toute capacité de réfléchir aux questions politiques de manière autonome. Ou, pour dire les choses autrement, ils ne sont plus capables de se référer à leur propre culture pour réfléchir au politique. C'est bien là le drame de notre monde intellectuel! Or, c'est notre propre voie que nous devons emprunter, nous ne pouvons nous contenter de suivre l'Occident en nous reniant. La voie propre à notre culture, c'est "la politique de la Voie Royale" et c'est à elle qu'il faut recourir." Notons avec le traducteur Sébastien BILLIOUD que dans la plupart de ses écrits, le propos de Jiang Qing est souvent très virulent à l'encontre de l'Occident. Il condamne en réalité avant tout la modernité occidentale et les ravages qu'elle a selon lui provoqués en Chine, que ce soit à travers le marxisme (à l'égard duquel il tient cependant un propos nuancé) ou, surtout, aujourd'hui, le capitalisme. Des auteurs comme J. de MAISTRE et Edmond BURKE, ou plus récemment les néo-marxistes, trouvent grâce à ses yeux.

L'universitaire définit d'abord ce qu'il entend par "Voie Royale" et l'équilibre qu'il faut selon lui restaurer ou instaurer. "Au coeur de l'idée de Voie Royale, on trouve celle d'une "triple légitimité du pouvoir politique". (...). Indispensable pour unir "le ciel, la terre et les hommes". "Le "Ciel" fait référence à une légitimité transcendante et sacrée. Dans la culture chinoise, il évoque deux choses : d'une part, l'idée d'une intention ou volonté rectrice dotés d'une dimension personnelle, quoique cachée, et d'autre part l'idée d'une moralité naturelle possédant un caractère sacré et transcendant. La "terre" renvoie pour sa part à une légitimité dérivant de l'histoire et de la culture, car ces deux dernières s'ancrent dans un espace géographique déterminé. L'"homme" enfin, évoque une légitimité basée sur l'adhésion des gens et la volonté du peuple : ces éléments déterminent directement dans quelle mesure on obéit volontairement ou non à l'autorité ou au pouvoir politique. (...) Si l'on se réfère à la Voie royale, l'autorité de celui qui gouverne est donc attestée par le Ciel, l'histoire et le peuple. Elle consiste, autant que possible, à faire en sorte que le pouvoir de celui qui gouverne soit fondé en droit et que la simple obéissance du peuple se transforme en devoir. Si le pouvoir ne bénéficie pas simultanément de cette triple légitimité, son autorité en est fortement rabaissée : le peuple ne lui est pas pleinement loyal et ne le reconnait pas complètement ; une telle situation peut déboucher sur une crise. Dans de telles circonstances, l'ordre politique est menacé. C'est pour cette raison que la voie confucéenne s'attache tant à la question de la légitimité afin de créer un ordre politique harmonieux et stable sur le long terme. En utilisant des notions chinoises, on peut dire qu'il s'agit d'instituer, dans la durée, un ordre politique marqué par la paix et conforme aux circonstances, à l'ordre des choses, à la loi ou encore à la Voie." Pour Quig JIANG, il n'agit pas seulement de prôner trois légitimités mais de parvenir à un équilibre entre les trois.Il critique la conception de l'équilibre politique du système démocratique occidental, car elle n'est fondée que sur la "souveraineté du peuple", lequel tend à favoriser le court terme, la satisfaction des besoins immédiats, lesquels besoins s'expriment sans considérations sur le long terme. La volonté populaire, en l'occurence surtout celle qui s'exprime aux Etats-Unis signifie la pression de certains secteurs tirant leur puissance de cette demande à court terme, d'énergie, de biens de consommation, de loisirs. Lesquels tendent à ignorer ou à passer sous silence les divers inconvénients sur l'environnement de l'exploitation à outrance des ressources de toute sorte. Les intérêts et les désirs du peuple américain s'opposent au respect de la nature. De plus, la démocratie (américaine) souffre de la tare du manque de morale. A la source de ce manque de morale réside dans la séparation du politique et du religieux, fruit de la modernité occidentale. La légitimité a été transférée de Dieu à l'homme, sans considération du fait que les valeurs sacrées permettaient d'équilibrer les demandes de satisfaction à court terme, et notamment de respecter les équilibres naturels. "Du fait de la domination d'un seul type de légitimité, on ne peut, dans un régime démocratique, résoudre fondamentalement le problème environnemental."

"Dans le processus, écrit-il encore, à travers lequel les pays non-occidentaux, ont à l'époque moderne établi des régimes démocratiques, l'hégémonie accordée à la volonté populaire a conduit à écarter une autre légitimité, issue de la culture et de l'histoire." En se focalisant sur ces pays et sur la Chiné en particulier, l'universitaire n'ignore pas que dans les pays occidentaux, l'hégémonie de la volonté populaire provient d'une culture et d'une histoire autre, et que pas conséquent, les aspects négatifs qu'il constate dans son pays proviennent d'une très grande différence dans la tradition historique. Et qu'à vouloir tout simplement copier l'Occident, les impasses de tout ordre s'accumulent. S'il prône la Voie Royale, qui peut (mais pas obligatoirement) être une source de réflexion en Occident, c'est pour dépasser et abandonner la démocratie en Chine surtout, et d'abord. Cela ne signifie pas refuser la démocratie mais de refuser son hégémonie. "Sil la Voie royale est supérieure à la démocratie, c'est parce qu'elle s'oppose à la domination d'un type de légitimité, mais elle ne s'oppose nullement à la prise en compte de la volonté populaire."

Comment concrètement cette Voie Royale peut-elle se mettre en place? Il s'agit non pas de revenir aux institutions impériales de la période Han, car les circonstances ont changé. Cette Voie royale peut se traduire par un système parlementaire. "L'exécutif en émanera et sera responsable devant lui. Le parlement sera trilatéral et chaque chambre incarnera un type de légitimité. La "chambre des confucéens" représentera la légitimité transcendante et sacrée. Celle du "peuple" traduira la volonté populaire. Enfin, la "chambre de l'essence du pays" incarnera la légitimité de la culture et de l'histoire. La composition de la "chambre des confucéens" reposera sur un système de recommandations et de nominations : celle de "la chambre du peuple" sera le fruit de l'élection, à la fois au suffrage universel et via des collèges socioprofessionnels ; quant à la "chambre de l'essence du pays", elle procèdera d'un système de désignation intégrant notamment une dimension héréditaire.(...)". Des critiques se sont élevées contre ce système, mais l'accent est parfois mis sur les mécanismes (à trouver) qui permettraient de réguler les conflits de pouvoir inévitables entre les trois "chambres". Un tel système fait craindre l'instabilité politique que précisément l'auteur voudrait éviter pour pouvoir résoudre notamment les problèmes environnementaux.

Le traducteur écrit dans une note que "L'intelligence de la critique de la démocratie présentés ici par Jiang Qing demande que l'on prête attention à un double registre de son discours. Ainsi la critique du "désir" dans l'univers démocratique peut se référer de manière assez prévisible à une sociologie ou philosophie politique qui opposerait l'irrationalité des intérêts particuliers à la formation de la volonté générale ou à l'obtention du bien commun de la cité. Mais la perspective qui se veut confucéenne de l'auteur lui fait donner également à la notion de "désir" comme "désir humain", une acception métaphysique bien précise, trouvant sa source dans le néo-confucianisme qui s'affirme à partir des Song. Dans l'interprétation dualiste, mais dynamique, qu'en donne Zhu Xi (1130-1200), les "désirs humains" s'opposent aux "principes célestes ou naturels" : les seconds sont les vertus constantes qu'il s'agit de cultiver (humanité, sens du juste, etc.) pour contrôler ou réduire les premiers, assimilés à des inclinations égoïstes, confuses, voire potentiellement perverses (selon une perspective où l'on reconnait une influence bouddhiste). La légitimité que l'auteur prétend trouver dans la "voie du ciel" est aussi au fondement de ces principes ou valeurs constantes auxquelles il peut donner, selon le contexte, une dimension plus ou moins religieuse. La "Voie du ciel" n'est autre que cet ordre à la fois naturel et moral que la "voie de l'homme" est appelée à accomplir."

Qing Jiang, Le confucianisme de la "Voie royale", direction pour le politique en Chine contemporaine, Traduction de Sébastien BILLIOUD, Extrême-Orient Extrême-Occident, n°31, 2009, dans le dossier Regards sur le politique en Chine aujourd'hui. John King FAIRBANK et Merle GOLDMAN, Histoire de la Chine, Texto, Editions Taillandier, 2013.

PHILIUS

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