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26 décembre 2015 6 26 /12 /décembre /2015 10:36

       Philippe LOREC, haut fonctionnaire au ministère de l'Économie, des Finances et de l'industrie, s'excuse presque des opportunités économiques offertes par les sorties de conflits armés avant de détailler quelques unes d'entre elles. Auparavant, il situe le cadre général de ces conflits dont certains veulent sortir plusieurs acteurs. "Chaque conflit présente des particularités qui font que sa résolution nécessitera un montage politique et économique et un jeu d'acteurs différents. La reconstruction d'un pays est un processus général, dynamique et intermédiaire qui demande l'intervention de multiples catégories d'acteurs, ensemble ou séparément."

    Il distingue quatre phénomènes qui modifient profondément la gestion des sorties de conflits armés :

- le passage de l'unilatéralisme au multilatéralisme. "Depuis la Seconde guerre mondiale, la reconstruction des pays sortant de guerre était essentiellement un processus unilatéral ayant pour principal bailleur de fonds les États-Unis. Ces derniers ont assuré, du plan Marshall, destiné à l'Europe, aux négociations de Camp David, la majeure partie des financements et des aides. Cet effort a permis d'assurer une certaine stabilité politique mondiale mais surtout d'asseoir l'influence et la suprématie économique et politique des États-Unis pendant plus de cinquante ans." Notons que cette logique suit celle des mandats de la SDN et de l'ONU, même si le colonialisme européen est beaucoup moins subtil (à caractère à la fois économique, politique et culturel) que la politique des États-Unis (axée surtout sur le stratégique et l'économique). "Cependant, depuis 20 ans, on assiste à l'arrivée de nouveaux bailleurs de fonds, car aucun pays, même les États-Unis, ne peut plus actuellement assumer à lui seul un tel rôle, en raison du nombre de conflits et de la difficulté et de l'énormité croissante de la tâche. Elle se traduit par l'apparition d'alliances multilatérales diverses, larges et hétérogènes, composées de forces tantôt coopératives tantôt concurrentes."

- la complexité des mécanismes internationaux s'ajoute aux difficultés rencontrées au niveau local.

- la multiplication des acteurs locaux et internationaux, notamment la société civile, augmente les risques de dispersion et d'inefficacité des aides.

- l'élaboration d'une doctrine qui se construit et s'affine progressivement à la suite des expériences : "la sortie de crise nécessite, de façon concomitante, le rétablissement d'une gouvernance locale et le soutien aux logiques classiques de reconstruction des infrastructures et de l'économie. Depuis moins de 10 ans, la gestion des conflits a beaucoup évolué sur le terrain et ne se cantonne plus aux traditionnelles opérations de maintien de la paix."

  Il faut prendre en compte, écrit toujours notre auteur, dans les dispositifs des évolutions suivantes :

- la dimension civile des crises est devenue prépondérante.

- les rapports de force sur le terrain sont de plus en plus affirmés entre les différentes grandes puissances et sont marqués par une forme d'asymétrie entre les logiques militaires des Occidentaux et les solutions civiles déployées sur le terrain.

- les dimensions multinationales et unilatérales des opérations sont désormais pensées avec une architecture civile.

- les marchés à la clef, contrairement aux idées reçues, ne sont pas immédiatement "rentables", à l'exception des pays possédant des ressources naturelles importantes. Ils nécessitent des investissements préalables non négligeables et s'avèrent souvent risqués. La plupart des entreprises au regard des dernières opérations ne réfléchissent plus en "retour sur investissement" mais en "retour sur présence ou sur image".

Notons que dans un monde régit par les préoccupations à court terme (profits espérés au début de la stabilisation) et par les représentations médiatiques, le "retour sur investissement" ne semble pas une préoccupation réelle des investisseurs. Cela explique souvent la faiblesse précisément de ces investissements en comparaison des besoins globaux sur le terrain et une certaine concentration des moyens sur des secteurs ou des territoires à vocation stratégique (de défense ou économique).

    Pour les grandes puissances, la sortie de conflit armé devient le nouveau terrain de confrontation des stratégies d'influence, de compétition et de pouvoir. Le tout est d'obtenir de bonnes positions dès le début du conflit. L'intervention sur place, camouflée ou ouverte, souvent en faveur d'un camp ou d'un autre, permet d'orienter déjà les prémisses de la sortie du conflit. Le mandat international est alors un dispositif, qui sanctionne bien des efforts diplomatiques et parfois militaires, très efficace pour devancer ses concurrents. Enfin, la fin du conflit est l'occasion d'une redistribution des cartes avec notamment l'arrivée de nouveaux acteurs. Il en résulte des atouts compétitifs majeurs pour certains États tout au long du processus de rétablissement d'une stabilité sur le terrain. Les aides internationales peuvent en effet devenir de formidables opportunités pour les pays en sortie de crise, du point de vue de certains acteurs (souvent pas de tous...). Pour les intervenants désireux de rétablir durablement la "paix", il s'agit de veiller ou de modifier dans un sens favorable les équilibres du pays, de limiter les risques d'une reconstruction et d'une transition vers une économie de marchés mal maîtrisée. Notons que l'idéologie libérale des pays intervenants se centrent sur la question de la qualité de ces marchés et n'entendent pas favoriser un leadership d'État affirmé (notamment par la mise en oeuvre d'une planification qui exigerait quelques nationalisations). Il faut aussi, d'après ces mêmes intervenants, passer d'une logique d'assistanat à une logique de coopération.

 

Philippe LOREC, Enjeux et opportunités des sorties de conflits, dans Guerre et Économie, Sous la direction de Jean-François DAGUZAN et Pascal LOROT, Ellipses, 2003.

 

STRATEGUS

 

Relu le 18 février 2022

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