Jean-François CASTA présente les critiques de la théorie positive de la comptabilité comme se déployant dans deus axes, après avoir mobilisé pendant plusieurs décennies une part importante de la recherche nord-américaine. Si les résultats concordent grosso modo en milieu anglophone comme en milieu francophone, de nombreuses études empiriques ne recouvrent pas exactement les temes de la théorie. L'Ecole de Rochester fait l'objet de critiques de plus en plus virulentes dans les années 1980, sur deux plans, au plan de l'objet d'études et au plan épistémologique.
Au plan de l'objet d'études, CHRISTENSON (1983) critique le fait qu'on a affaire plutôt en une sociologie (le terme est péjoratif sous sa plume) qu'en une étude scientifique réelle. L'objet de la théorie positive de la comptabilité n'est pas jugé pertinent. Les recherches devraient plutôt porter sur les faits comptables, les états financiers. WATTS et ZIMMERMAN lui répondent (à bon droit, nous semble t-il) qu'il ne pourrait y avoir de fait comptable indépendamment des comptables et des dirigeants, ces acteurs préférant certaines méthodes de comptabilité à d'autres en fonction de leurs intérêts.
Au plan épistémologique, WATTS et ZIMMERMAN prônent un positivisme radical qui repose sur une conception de la "théorie" issue des sciences "dures" (entendre les sciences mathématiques et physiques par exemple) et emprunte sa modélisation aux sciences économiques. "Se référant à l'individualisme méthodologique, écrit Jean-François CASTA, l'Ecole de Rochester recourt à une acception particulièrement restrictive de la recherche positive, tant au plan de la modélisation économique sous-jacente que d'une mise en oeuvre très quantitativiste des vérifications empiriques. Il en résulte une déperdition de sens ainsi qu'un appauvrissement de la portée des conclusions relatives aux comportements comptables. Ce phénomène est amplifié par la pauvreté de l'instrumentalisation des variables explicatives traduisant les concepts sous-jacents au modèle." A l'opposé du positivisme, les tenants de l'épistémologie constructiviste considèrent que la connaissance scientifique relève d'un processus, et d'un processus social. COLASSE ( A quoi sert la recherche comptable? Des fonctions de chercheur en comptabilité, Revue française de Comptabilité, n°264, 1995) pose alors la question de la nature de la "réalité" comptable. Enfin, la nature des hypothèses est influencée fortement par des mécanismes de régulation des contrats spécifiques à l'environnement des Etats-Unis. Difficile d'étendre les conclusions des différentes études à des entreprises familiales, à forte concentration de pouvoir économique ou à l'état différent des mécanismes d'intéressement des dirigeants aux résultats des entreprises, sans compter les différentes influences de la fiscalité sur les pratiques comptables, la place de l'Etat dans l'économie, etc...
Thomas JEANJEAN, de l'Université de Paris Dauphine, expose les critiques à l'encontre de la théorie positive de la comptabilité, suivant trois pôles :
- les critiques relatives à la posture épistémologique et à l'objet d'étude désignés par WATTS et ZIMMERMAN, qui remettent en causes la validité et la pertinence de la démarche positive ;
- les critique tenant au cadre théorique utilisé par l'école de Rochester (hypothèses de comportement des agents, contingence du contexte culturel américain...), qui modulent ses conclusions selon l'environnement culturel ;
- les limites quant à la mise en oeuvre de la validation des hypothèses élaborées. Il s'agit alors de s'intéresser à la manière de vérifier ces hypothèses.
Sur les critiques épistémologique de la théorie positive, dite souvent théorie politico-contractuelle, certains auteurs (CHRISTENSON, The methodology of positive accounting, The accounting review, volume LVIII, NUMÉRO 1, 1983) estiment que cette théorie n'est pas une théorie comptable et que les recherchent devraient se cantonner à la comptabilité comme système mathématique. A cela des auteurs comme JENSEN (Organization theory and methodology, The acconuting review, volume LVIII, numéro 2, 1983) pensent, que la théorie positive fait partie de la théorie des organisations, et à ce titre fait partie des sciences sociales. D'autres pensent qu'il faudrait mettre l'accent sur les interdépendances entre les recherches prescriptives (normatives...) et les recherches empiriques.
Des auteurs critiques sur le cadre théorique estiment que la critique est que la notion d'utilité "classique" utilisée est uniquement fonction de la richesse du manager, or les actionnaires possèdent un poids de plus en plus important dans l'économie. La théorie met en avant les incitations à manipuler les chiffres comptables, mais des mécanismes limitent les possibilités d'expression de l'opportunisme des agents. Les "prédictions classiques" de la théorie positive reposent sur une spécification particulière de la fonction reliant l'incitation (l'utilité du manager) au stimuli (la rémunération, la dette...), une monotonie stricte. Or, cette relation dépend beaucoup du contexte culturel, très variable. Les prédictions présentées ne sont valides, apparemment, que dans des cas extrêmes pour les hypothèses de la dette et des coûts politiques et dans le cas "classique" (la performance moyenne) pour l'hypothèse de la rémunération. On peut remarquer que l'argumentaire de beaucoup d'auteurs est sous-tendu par le caractère automatisant de la technique comptable elle-même - ce que beaucoup semblent espérer... - or la présence de possibilité de variations dans l'attributions (compte de bilan et compte d'exercice) des chiffres est là pour donner un caractère de validité sur nombreuses d'observations sociologiques. Un grand nombre d'études portent sur l'articulation entre prédictions et anticipations, estimations des données du marché et des capacités de l'entreprise. Il est possible que dans une situation de brouillage permanent dans le fonctionnement du capitalisme financier, beaucoup de managers tentent de se fier à un caractère "automatique" de la comptabilité, se réfugiant derrière une "réalité" chiffrée sur laquelle on ne peut agir réellement qu'à court terme.
BOLAND et GORDON (Crictizing positive accounting theory, Comptemporacy accoounting research, volmue 9, 1992) remarquent que les critiques les plus pertinentes portent sur le cadre conceptuel de la théorie positive. Notamment,une adaptation de la problématique de la théorie de l'agence au contexte européen semble nécessaire. De même, une explicitation des anticipations et du comprtement des agents est souhaitable.
Sur les critiques quant à la validité des hypothèses, les premières études ont cherché à étudier les prédictions sur une méthode comptable particulière. Face aux limites de cette approche, ZMIJENEWSKI et HAGERMAN (An icome strategy approach to the positive theory of accounting standard setting/choise, Journal of accounting and Economics, volume 3, 1981) ont proposé de tester les hypothèses sur un protefeuille de méthodes comptables. A la suite de HEALY (The effect of bonus schemes on accounting decisions, Journal of accounting and economics, volume 7, 1985), la variable explicative aujourd'hui très utilisée est le calcul des accruals discrétionnaires (il s'agit de la différence entre le résultat net et le flux de trésorie d'exploitation - cash flow from operations). Enfin, des études récentes mettent en avant la distribution des résultats comme révélateur d'une gestion de cette variable. Les critiques de la mise en oeuvre de la théorie positive sont essentiellement liées au phénomène de réduction instrumentale. Il n'est pas certain que les résultats empiriques obtenus soient révélateurs des hypothèses générées par l'école de Rochester en raison de la pauvreté des variables numériques retenues. Pour Thomas JEANJEAN, un effort particulier doit porter sur les méthodes de validation, sur deux dimensions : l'instrumentalisation des variables et la définition des liens entre les différentes variables afin de mieux modéliser les comportements des managers et leurs déterminants.
Thomas JEANJEAN, La théorie positive de la comptabilité : une revue des critique, cahier 99 - 12 du CEREG, Université Paris Dauphine. Jean-François CASTA, Théorie positive de la comptabilité, HAL, 2009.