Aviel GOODMAN, psychiatre américain à l'Institut de Psychiatrie du Minnesota (Greater Minneapolis St, Régionale Paul, United States) publie en 1990 dans British Journal of Addiction, un article qui fait référence aujourd'hui, sur la définition des addictions.
Sans valeur officielle, puisque les addictions n'ont pas encore de larges acceptions dans les manuels internationaux de classification des maladies, cette définition veut englober tous les cas d'addictions. Son auteur le fait dans l'intention de parvenir à une théorie globale satisfaisante sur la formation et le fonctionnement des addictions, dans une ample explication de ces phénomènes, avec l'intention d'élaborer des thérapeutiques adaptées difficiles aujourd'hui à trouver et/ou à mettre en oeuvre. Il existe pour lui de nombreuses addictions et actuellement beaucoup doivent être contrôlées pour entrer dans les classifications. Les grilles d'évaluation fleurissent, pour servir d'instruments de mesure objective, mais seules sont reconnues par les milieux scientifiques, comme addictions comportementales, celles du jeu pathologique et des achats compulsifs.
Une définition détaillée des comportements addictifs
GOODMAN présente les addictions de la manière suivante :
A/ Impossibilité de résister aux impulsions à réaliser ce type de comportement.
B/ Sensation croissante de tension précédant immédiatement le début du comportement.
C/ Plaisir ou soulagement pendant sa durée.
D/ Sensation de perte de contrôle pendant le comportement.
E/ Présence d'au moins 5 des 9 critères suivants :
1 - Préoccupation fréquente au sujet du comportement ou de sa préparation.
2 - Intensité et durée des épisodes plus importantes que souhaitées à l'origine.
3 - Tentatives répétées pour réduire, contrôler ou abandonner le comportement.
4 - Temps important consacré à préparer les épisodes, à les entreprendre, ou à s'en remettre.
5 - Survenue fréquente des épisodes lorsque le sujet doit accomplir des obligations professionnelles, scolaires ou universitaires, familiales ou sociales.
6 - Activités sociales, professionnelles ou récréatives majeures sacrifiées du fait du comportement.
7 - Perpétuation du comportement bien que le sujet sache qu'il cause ou aggrave un problème persistant ou récurrent d'ordre social, financier, psychologique ou physique.
8 - Tolérance marquée : besoin d'augmenter l'intensité ou la fréquence pour obtenir l'effet désiré, ou diminution de l'effet procuré par un comportement de même intensité.
9 - Agitation ou irritabilité en cas d'impossibilité de s'adonner au comportement.
F/ Certains éléments du syndrome ont duré plus d'un moins ou se sont répétés pendant une période plus longue.
De ces considérations, il propose une définition de l'addiction : un processus par lequel un comportement, qui peut fonctionner à la fois pour produire du plaisir et pour soulager un malaise intérieur, est utilisé sous un mode caractérisé par (1) l'échec répété dans le contrôle de ce comportement (impuissance) et (2) la persistance de ce comportement en dépit de conséquences négatives significatives (défaut de gestion).
La comparaison avec les positions du DSM
Ces critères sont objectivant et conformes à la perspective athéorique du DSM. Ils présentent toutefois, comme ceux du jeu pathologique ou de la dépendance à une substance, l'intérêt de tenter de faire une place à la subjectivité de la personne concernée : le sujet estime lui-même que cette conduite lui pose problème et il tente, sans succès, d'y mettre fin.
Partant des catégories de la DSM-III, malgré d'ailleurs la méthode d'exposition de la définition adoptée par l'auteur, celle-ci parvient à élargir singulièrement les perspectives d'analyses et à dépasser précisément l'aspect a-théorique des DSM. C'est sans doute une des raisons qui empêchent son adoption par les autorités internationales ou régionales... La comparaison des critères des DSM successifs et de ceux d'Aviel GOODMAN est assez parlante à cet égard. A travers cette tentative d'éclaircissement, l'auteur permet sans doute - mais cela est contrarié encore - un renouvellement de la vision de la souffrance psychique.
une évaluation du concept d'addiction
Dix ans après, Eric LONNIS, docteur en psychopathologie, fait l'évaluation de ce concept général d'addiction. Il estime que de l'article d'Aviel GOODMAN, c'est la définition qui a souvent été retenue, plutôt que ses implications théoriques et pratiques.
En effet, il présentait en 1990 un concept sur-organisateur afin de faire face à deux décalages soulignés au début de son article :
- le décalage entre la prévalence importante des troubles addictifs (alcoolisme et autres substances psychoactives, jeu pathologique et autres troubles à composante addictive) dans la population et la faiblesse de l'implication des psychiatres et des psychologues dans ces problèmes, tant au pla théorique que pratique. Le concept d'addiction a reçu de nombreuses critiques : absence de déinition ou définition imprécise ou trop large au point de lui faire perdre toute valeur pragmatique. Sans compter les multiples connotations morales négatives (vice, mauvaise habitude...) ;
- le décalage entre le monde scientifique de la psychiatrie/psychologie et le développement aus USA d'un mouvement culturel majeur ("addictionnologie en douze étapes"), animé par d'anciens addictés, notamment anciens alcooliques.
Cette situation est un handicap pour comprendre et développer le traitement des troubles addictifs et son article a pour but d'intégrer les deux systèmes de pensée (des psychiatres/psychologues et culture) en proposant une définition scientifique de l'addiction suivant les deux critères de la scientificité : posséder une signification précise et rattachée à un cadre scientifique et ne pas faire redondance avec d'autres termes déjà utilisés.
Le rapprochement entre addiction et dépendance et compulsion
Aviel GOODMAN lui-même, tout en posant que les critères conduisent à une définition de l'addiction "spécifique, significative et ancrée dans le réseau conceptuel de la psychiatrie scientifique", reconnait que certaines modifications devront sans doute être apportées dans l'organisation des critères, leur formulation, leur caractère obligatoire ou encore leur nombre minimum requis pour le diagnostic. En ce qui concerne la non-redondance, il rapproche son concept d'addiction de ceux de dépendance et de compulsion. L'originalité du concept d'addiction est de faire la synthèse, justement, entre dépendance (renforcement positif du comportement) et la compulsion (renforcement négatif sur la base d'un état interne aversif).
"Si la définition de ce concept d'addiction a eu le succès que l'on connait, écrit notre auteur, les implications pratiques et théoriques du concept ont eu moins de retentissement (en tout cas en France). Au plan des traitements de l'addiction, GOODMAN doutait de l'efficacité de ceux qui ne prennent pas en compte à la fois la dépendance et la compulsion. Les deux types de processus, les renforcements négatifs, devraient être conjugués dans le traitement : d'une part, traiter l'inconfort interne (par la pharmacologie - ce qui va dans le sens des traitements de substitution actuels - et/ou la psychothérapie ; d'autre part, et ce qui est plus original, Goodman proposait "d'encourager chez l'individu le développement de moyens plus sains et adaptatifs pour combler les besoins jusque-là satisfaits par l'addiction" (référence est faite aux seules approches groupales de type 12 étapes, support ou thérapie).(...).
Addiction et personnalité de l'individu
Les implications théoriques (qu'il) dégage sont particulièrement intéressantes. Pour l'auteur l'addiction "représente un ensemble de relations entre un mode de comportement et certains autres processus ou aspects de la personne". Il ajoute que "ce n'est pas le type de comportement, sa fréquence ou son acceptabilité sociale qui détermine s'il est ou non une addiction (mais) c'est comment ce mode de comportement est relié et affecte la vie de l'individu, selon les critères diagnostiques spécifiés". (Il va) plus loin encore en indiquant qu'il ne propose "pas seulement une définition de l'addiction, mais aussi une modification dans la façon dont certains troubles psychiatriques sont conceptuellement organisés". Et il suggère la création d'une nouvelle catégorie nosographique : les "troubles addictifs" (regroupant les troublés liés à l'utilisation d'une substance psychoactive, les troubles du contrôle des impulsions, les troubles du comportement alimentaire et d'autres syndromes comportementaux correspondants aux critères définis dans l'addiction).
Goodman fait ici l'hypothèse audacieuse que "des modes similaires dans les manifestations comportementales de troubles addictifs variés (...) reflètent des similarités pour certaines variables de la personnalité et/ou biologiques, qui peuvent ou non être mesurées par les instruments actuellement disponibles." Il ajoute que "les troubles addictifs pourraient être décrits avec plus de précision, non comme une variété d'addictions, mais comme un processus addictif de base sous-jacent, qui peut s'exprimer dans une ou plusieurs des diverses manifestations comportementales." C'est l'amorce d'une "approche intégrative".
Gestion hédonique et solution addictive
Le psychiatre américain aborde l'addiction sous l'angle de la gestion hédonique et de la solution addictive : "Les êtres humains développent des moyens adaptatifs de gestion de leurs émotions et de satisfaction de leurs besoins, mais lorsque certains facteurs interfèrent avec ces processus, l'individu apprend à éviter d'être submergé par les émotions et les besoins insatisfaits, en consommant des substances (...) ou en s'engageant dans quelques activités gratifiantes (sexualité, vol à l'étalage, etc)." A partir de là, une addiction va correspondre à "une dépendance compulsive à une (apparemment auto-initiée et auto-contrôlée) action destinée à réguler l'état interne. GOODMAN propose d'étendre la problématique des diverses drogues à des comportements divers, allant jusqu'à suggérer des rapports systémiques entre ces actions par "la flexibilité de pouvoir basculer entre des actions variées, ou de les combiner entre elles, selon les besoins et limites de la situation".
"Les implications pratiques, poursuit Eric LOONIS, d'un tel modèle, en matière de traitement de la personne addictée sont "qu'il ne faut plus seulement prendre en compte le comportement addictif, mais aussi le processus addictif sous-jacent". GOODMAN suggère trois processus en interaction dans tout traitement efficace :
1 - "améliorer la prise de conscience des sentiments internes, des besoins, des conflits interpersonnels et des croyances ;"
2 - améliorer la gestion hédonique en "encourageant le développement de moyens plus sains et adaptatifs de gérer les sentiments, satisfaire les besoins et résoudre les conflits internes ;"
3 - "développer des apprentissages de stratégies comportementales dans le contrôle de l'abstinence". "
Des perspectives larges
Aviel GOODMAN n'est pas un partisan de l'abstinence absolue (c'est d'ailleurs dans la vie un bon vivant...) ; pour lui, ce traitement doit être réaliser selon la personne.
On voit bien que la perspective tracée va nettement plus loin que les cadres actuels de la psychiatrie américaine... Pourtant, de nombreux travaux supportent ces considérations : l'article de GOODMAN n'est pas isolé : études sur les désafférentations (BEXTON, HERON, SCOTT, 1954 ; SCOTT, BREXTON, HERON, DOAN, 1959, AZIMA, LEMIEUX, FERN, 1962), celles de neurobiologie comportementale (KOOB, 1996 ; KOOB, LE MOAL, 1997 ; MARKOU, KOOB, 1991) et celles sur la recherche de sensation (ZUCKERMAN, 1979, 1983, 1994 ; APTER, 1989, 1992); qui soutiennent l'idée d'une addictivité générale, basée sur une gestion hédonique (BROWN, 1997), impliquant des stratégies de recherche de sensation et de contrôle des états psychologiques.
Eric LOONIS cite ses propres travaux sur une théorie générale de l'addiction (LOONIS, 1997, 1998, 1999 ; LOONIS, SZTULMAN, 1998 ; LOONIS, APTER, 2000 ; LOONIS, APTER, SZTULMAN, 2000) "qui ont permis de formaliser le visionnaire underlying addictive process de GOODMAN et de poser un principe d'addictivité générale, un système d'actions basé sur le principe de la double fonction des activités et une écologie de l'action, l'ensemble annonçant ce que nous suggérons d'appeler une "hédonologie" (voir Eric LOONIS, Notre cerveau est un drogué, vers une théorie générale des addictions, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 1997), comme science et modèle de la gestion hédonique."
Aviel GOODMAN, Addiction : Definition and Implications, British Journal of Addiction n°85, 1990. Eric LOONIS, L'article d'Aviel Goodman : 10 ans après, Academia sur le site academia.edu.
Relu le 6 mars 2022