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24 février 2016 3 24 /02 /février /2016 08:46

L'addiction n'est entré pleinement que relativement récemment dans la littérature psychanalytique.  Dans le monde anglo-saxon d'abord, puis francophone ensuite, les addictions sont l'objet d'études de plus en plus nombreuses.

Sigmund FREUD n'a consacré aucun texte à l'addiction. Il écrit dessus de manière éparse sans s'y étendre, même s'il le fait relativement tôt dans ses recherches. Il y fait allusion par exemple dans son étude sur l'hypnose (le besoin primitif. Il n'y a donc pas de modèle commun des addictions chez le fondateur de la psychanalyse. A de MOJILLA et S SHENTOUB recensent ses lignes éparses sur la question dans leur ouvrage Pour une psychanalyse de l'alcoolisme. Par contre, ses successeurs se sont, souvent de manière peu systématique, penché sur les addictions. On peut cité :

- Karl ABRAHAM (1908) fait une étude sur l'addiction à l'alcool.

- Sandor RADO (1933) met en relation les addictions avec une régression à l'enfance.

- Otto FENICHEL (1945) développe le concept d'addiction comme une régression à des stades infantiles, et les descriptions qu'il fait de l'alcool comme diluant du SurMoi sont particulièrement intéressantes.

- Herbert ROSENTHAL (1965) évoque les tableaux maniaco-dépressifs qui sous-tendent les addictions, et relie également cela au narcissisme pathologique du Self.

- Daniel WINNICOTT (1951) rattache les addictions à une pathologie de la transitionnalité. A l'occasion, l'objet transitionnel devient concret, est "fétichisé". 

David ROSENFELD écrit pour cerner l'addiction "non chimique" : "Un nouveau type d'adiction a pris une importance croissante dans le comportement des jeunes dépendants à l'égard des ordinateurs et des jeux video. Les personnages du jeu video, vus à l'écran, deviennent une projection des liens et fantames du monde intérieur du sujet. Ce processus peut se comparer à un gant retourné : au lieu d'être à l'intérieur du patient, l'esprit est évacué sur l'écran.

Il est des cas d'addiction aux jeux video qui se caractérisent par des niveaux très sévères de dépendance psychopathologique, au point de nécessiter parfois une hospitalisation en psychiatrie (2001). Dans des cas sévères, les patients sont incapables d'abandonner le jeu video et d'arrêter de jouer.

Voilà à quoi peut ressembler un modèle théorique visant à expliquer cette condition. Les personnages des jeux video sont vécus comme "concrétisations psychotiques", comme s'ils étaient de vraies personnes dans le monde intérieur ou la vie réelle du sujet. Dans ces jeux video où il est question de bagarres, d'attaques, d'exploisions, de haine, de batailles et de meurtre, il arrive souvent qu'un personnage cherche à se venger et que le patient ne puisse faire la part des choses entre l'imagination et la réalité. Cela le force à rester devant l'écran jusqu'à ce qu'il ait l'impression d'avoir neutralisé, vaincu ou tué les personnages vindicatifs ou persécuteurs du jeu.

Les adolescents qui ont ouvert le feu sur leurs camarades d'école ou des passants dans la rue (on va vu des meurtres de ce genre aux Etats-Unis, en Allemagne et en Argentine) étaient tous des jeunes qui parssaient parfois plus de dix heures par jour à regarder des jeux video extrêmement violents. Naturellement, entrent aussi en jeu des états psychopathologiques personnels très sévères et des pathologies familiales extrêmement graves."

 

     Mathilde SAÏET explique pourquoi Sigmund FREUD a peu écrit sur l'addiction. "Freud a souvent été considéré comme porteur "d'une tache aveugle" sur la question des addictions (J-P DESCOMBEY, notamment dans Freud et les toxiques. De la tache aveugle à la "théorie chimique", dans Topique, LVI, 1995). De par justement, sa propre addiction au tabac, mais surtout, en raison d'une culpabilité latente à propos de "l'épisode de la cocaïne" (E JONES). Freud, ayant entrepris une recherche de son action thérapeutique, l'avait en effet administrée à son ami/rival Ernst von FLEISHL afin de le désaccoutumer de son addiction à la morphine, ce qui entraina une intoxication chronique et hâta sa mort. C'est son collègue Karl KÖLLER qui poursuivit ses travaux et à qui l'on attribue la découverte des propriétés anesthésiques de la cocaïne. Cet "épisode" fut difficile à surmonter pour freud, à tel point que la cocaïne vint à hanter ses rêves : à plusieurs reprises, particulièrement dans le rêve de L'injection faite à Irma ou dans celui de la Monographie botanique, Freud est réticent à poursuivrre ses interprétations ou avertit le lecteur qu'il ne continuera pas dans cette direction. Le silence des psychanalystes jusqu'à un période récente vis-à-vis des addictions pourrait d'ailleurs s'expliquer (DESCOMBEY), par une forme de continuité de cette réticence freudienne première. les difficultés de classification nosographique, ainsi que celles rencontrés avec ce type de patients dans la cure (...) se sont chargées d'accentuer les réserves des psychanalystes quant à leur intérêt pour les addictions". Il faut dire aussi qu'à contrario l'étude plus ancienne des addictions par la psychiatrie américaine constitue un bon moyen pour elle d'éviter de discuter de sexualité comme paradigme de la vie personnelle, tout en abordant quantité de symptômes et de dysfonctionnements...

"Si la question des addictions n'a pas été directement abordée par Freud - le terme, d'ailleurs, n'a pas de traduction littérale en allemand -, on peut quand même identifier l'utilisation de certains termes qui s'y rapportent. Ainsi, dans "Le traitement psychique", Freud évoque les "habitudes morbides" qui regroupent l'alcoolimse, le morphinomanie et les aberrations sexuelles, selon une conception conforme à celle de son époque. Il emploiera par la suite plusieurs termes comprenant la racine wohnen, notifiant quelque chose de quotidien et de familier, devenu habituel, ordinaire. Le terme qui se rapprocherait le plus aujourd'hui de l'adjectif "addictif" serait issu de cette racine wohnon, souvent traduite par "accoutumance", au sens du terme anglais habituation (JACQUET et RIGAUD, Propos critiques sur les notions d'addiction et de conduites de dépendance - entre lieu commun et chimère, dans Dépendance et conduites de dépendance, sous la direction de Daniel BAILLY et Jean-Luc VENISSE, Masson, 1994). Freud utilisera également les termes Abhängigkeit, la "dépendance" à proprement parler, ainsi que Sucht (...), terme pouvant assez bien définir en allemand les procédés addictifs - d'ailleurs, parfois traduit par "addiction" - et qu'il est possible de transcrire en français par les termes "besoin", "appétit", "passion", "addiction", et enfin "dépendance", sans que cette dépendance renvoie à un besoin pshysiologique, mais qui correspondrait plus à une forme d'appétence, dont l'absence d'assouvissement expose au malaise. Il reste le terme le plus proche de celui d'adiction, en particulier pour définir les figures cliniques qui composent aujourd'hui le spectre addictif. Ainsi, Süchtigkeit révèle l'existence  d'un processus addictif pris dans un sens plus large que celui qu'on réserve habituellement aux toxiques. Les "habitudes morbides" désignent une première tentative de regroupement de différentes dépendances, alors que les termes Sucht et Anhängigkeit servent plutôt à définir la dépendance en tant que processus. On notera que le terme Anhängigkeit, littéralement, "prendre à" et renvoyant à l'expression populaire française "être accro", est surtout employé par freud dans le registre du lien maternel (...). 

On ne trouve pas de véritable modèle commun des addictions chez Freud, qui cherche davantage à en indiquer les différentes fonctions. Pourtant, certains questionnements seront précurseurs de ceux qui recouvrent la clinique contemporaine : s'agit-il d'une dépendance à des produits externes qui empoisonnent le corps ou d'une addiction à des états mentaux immatériels, à des activités? Dans La Malaise dans la culture, l'inteoxication par introduction d'une substance est ainsi définie comme un état de plaisir analogue à celui qu'on peut trouver dans l'état de manie. On voit que, même si la notion d'addiction est absente de l'oeuvre freudienne, les réflexions qui jalonnent ses textes peuvent servir de prémisses aux théorisations actuelles."

    Dans le courant psychanalytique très divers actuel,  Mathilde SAÏET indique plusieurs thèmes faisant l'objet d'études soutenues :

- La dépendance originelle (J-L PEDINIELLI, Corps et dépendance, dans Dépendances et conduites de dépendance, Masson, 1994 ; inspiré par WINICOTT, Joyce MCDOUGALL, Théâtre du Je, Gallimard, 1982 ; Philippe GUTON, Pratiques de l'incorporation, dans Adolescence II, 1984) ;

- Le besoin (P AULAGNIER, Les destins du plaisir, PUF, 1979 ; F GANTHERET, La haine en son principe, dans Revue française de psychanalyse, n°33, 1986...). Pour J LAPLANCHE, les processus vitaux sont d'emblée infestés par l'ordre sexuel. Le rbattement sur le besoin serait un tentative (désespérée) de "désexualisation du corps" (voir aussi PEDNIELLI, op cit) pour que, réduit à l'état de simple besoin, celui-ci ne puisse exister qu'en fonction de l'intensité d'une sensation.

- Une quête d'indépendance (Philippe JEAMMET, Psychopathologie des conduites de dépendance et d'addiction à l'adolescence, dans Cliniques méditerranéennes, n°47-48, 1995) ; Odile LESOURNE, Le grand fumeur et sa passion, PUF, 1984 ; Bertrand BRUSSET, Psychopathologie de l'anoxerie mentale, Dunod, 1998). La fuite de la confrontation avec l'autre dans une pratique, la fuite devant l'insupportable de la dépendance psychique extérieure dans un objet "auto-administré". La conduite addictive, en tant que quête d'affranchissement de la dépendance affective, induit une autre forme de dépendance qui en prend le relais et la renforce paradoxalement, dans un processus circulaire (BRUSSET). 

- Destructivité et fantames ordaliques (Markos ZAFIROPOULOS, L'inconscient toxique. Surmoi, dépendance et figures du cauchemar, dans l'Inconscient toxique, sous la direction de ZAFIROPOULOS, CONDAMIN et OLLIVIER, Anthropos, 2001 ; Aimé CHARLES-NICOLAS, Addiction : passion et ordalie, Le psychanalyste à l'écoute du toxicomane, sous la direction de Jean BERGERET, Dunod, 1981 ; Marc VALLEUR, Les chemins de l'arodalie, dans Topique, n°107, 2009).

- Un acte-symptôme. L'addiction comme solution psychosomatique plutôt que solution psychique à la souffrance. 

- L'adolescence. Les addictions s'inscrivent au coeur de l'adolescence. Représentant une rupture nécessaire envers la dépendance aux objets parentaux, dont la procimité est devenue dangereuse du fait de l'avènement de la puberté et d'une réactivation oedipienne, certains auteurs considèrent l'adolescence, dans son ensemble, comme un processus d'aménagement de la dépendance (voir ainsi P JEAMMET et P AULAGNIER, op cit).

 

Mathilde SAÏET, Les addictions, PUF, Que sais-je?, 2015. David ROSENFELD, addiction "non chimique", dans Dictionnaire international de la psychanalyse, Grand Pluriel, Hachette Littératures, 2005.

 

PSYCHUS

     

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