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1 février 2016 1 01 /02 /février /2016 13:33

     Tombé dans l'oubli jusqu'à très récemment, L'économiste et sociologue allemand Werner SOMBART, à son époque rival et égale sommité dans le monde intellectuel que Max WEBER, figure de la "Jeune école historique" du premier quart du XXe siècle, est parfois considéré  (voir Stéphane FRANÇOIS) comme une figure de la Révolution conservatrice allemande, mais bien plus un lecteur et commentateur assidu de l'oeuvre de Karl MARX.

D'abord considéré comme d'extrême gauche, ce marxien éminent ne peut accéder à de grands postes universitaires. Son oeuvre maitresse, Le Capitalisme moderne de 1902 parut en 6 volumes, dédaigné (c'est logique) par les économistes néo-classiques, est aujourd'hui un classique aux ramifications nombreuses, l'École des Annales (Fernand BRAUDEL) par exemple.

Sa plus longue carrière d'enseignant en sociologie, de 1917 à 1940, avec une chaire à l'Université de Berlin (jusqu'en 1931), est marquée par plusieurs ouvrages rassemblés dans son recueil posthume de 1956, Noo-Soziologie.

       Durant la République de Weimar, Werner SOMBART est séduit momentanément, comme nombre de socialistes allemands, par l'anticapitalisme antisémite et l'anticommunisme du NSDAP (national-SOCIALISTE, ne l'oublions pas). Les Juifs et le capitalisme moderne  de 1902 - le pendant de l'éthique protestante et l'esprit du capitalisme de Max WEBER - précède pourtant dans un ton philosémite son livre d'anthropologie de 1938, Vom Menschen, clairement anti-nazi.

Son accointance avec le régime nazi (acceptation du serment à Hitler, acceptation du programme universitaire...) - parfois comparée avec celle de Martin HEIDEGGER et de Carl SCHMITT a longtemps empêché que l'on considère ses oeuvres, pourtant interdites par ce même régime. 

On assiste aujourd'hui à une reconsidération de son oeuvre, longtemps freinée par une non traduction en anglais, empêchée par une question de droits détenus par l'Université de Princeton (il y aurait d'ailleurs beaucoup à écrire sur les conflits littéraires à coup de blocage de droits d'éditions...). Son Capitalisme Moderne inspire beaucoup, même si beaucoup de détails ont été mis en cause. des éléments majeurs de son oeuvre économique sont revalidés (place de la comptabilité, études de la ville..). Son concept de destruction créatrice, élément majeur de la théorie de l'innovation de Joseph SHCUMPETER comme ses considérations critiques sur le capitalisme financier, repris par Erik REINERT, en sont quelque-uns. Jacques ATTALI reprend à son compte certaines de ses réflexions de Les Juifs et la vie économique de 1911 pour son propre ouvrage Les Juifs, le monde et l'argent (2002). 

 

      Jean-Claude LAMBERTI explique les positions de Werner SOMBART, par rapport aux apports de Karl MARX : "En 1894, lorsque parut le troisième volume du Capital de Marx, Sombart publie une critique très admirative qui lui valut les sympathie d'Engels. Mais en 1896, son livre intitulé Socialisme et mouvement social au XIXe siècle contient des critiques fort vives du socialisme en général et du marxisme en particulier. L'ouvrage connut un grand succès et fut traduit en 24 langues. La dixième édition, publiée en 1924 sous le titre Le Socialisme prolétarien, reproduit ces critiques alors que dans le tome III du Capitalisme moderne (deuxième édition en 1927, traduction française : L'Apogée du capitalisme), il présentait son oeuvre comme la continuation, et, en un sens, comme le plein achèvement de celle de Marx. Sombart a dit lui-même avoir trouvé dans l'oeuvre de ce dernier le point de départ de ses travaux personnels, mais il l'a corrigé autant qu'il l'a prolongé. Il a été influencé aussi par Wilhelm Dilthey, par Eduard Bernstein, par Max Weber avec lequel il fonda, en 1903, les Archiv fûr Sozialwissenschaft und Sozialpolitik, ainsi que par Gustav Schmöller, l'éminent représentant de l'école historique allemande, qui fut son maître à Berlin. On peut donc au total considérer à la suite de Schumpeter, que Sombart eut des liens d'affiliation intellectuelle également forts avec Karl Marx et avec l'école historique allemande."

"Son oeuvre éclaire les faits économiques par leur genèse historique et leurs fonctions dans les diverses périodes de la civilisation. Mais les historiens ont remarqué que le goût de Sombart pour les vastes synthèses l'éloignait souvent de l'histoire économique proprement dite et les économistes, d'autre part, ont observé qu'il ne s'est guère soucié de faire progresser la théorie économique. Il a, en réalité, examiné, à la lumière de l'histoire, les faits économiques et sociaux avec le souci d'en tirer des conclusions très générales. On pourrait le considérer (...) comme un sociologue des systèmes économiques. (...)."

"L'interrogation principale de Sombart a porté sur les origines, le sens et l'avenir du capitalisme, comme en témoigne sa grande oeuvre Le capitalisme moderne, ainsi que Les Juifs et la vie économique !1911) et le remarquable ouvrage de 1913, Le bourgeois, contribution à l'histoire morale et intellectuelle de l'homme économique moderne. Ces deux derniers ouvrages (...) ont nourri une polémique avec Max Weber, car Sombart, en opposition à la thèse exprimée dans L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme, situe à Florence, à la fin du XIVe siècle, la formation de l'esprit bourgeois, composante essentielle de l'esprit capitaliste, au même titre que l'esprit d'entreprise.

Pour Sombart, le système capitaliste introduit les idées de rationalisation dans la vie économique et il repose sur l'appétit du gain mais il faut distinguer plusieurs périodes dans l'histoire du capitalisme : le capitalisme primitif (qui prend fin avec la révolution industrielle), puis le haut capitalisme (de 1760-70 à la première guerre mondiale) et enfin le capitalisme tardif. Avec le temps, l'esprit bourgeois s'est affirmé de plus en plus tandis que l'esprit d'entreprise a perdu de son dynamisme (...). Face à un capitalisme encore jeune, Marx, a noté Sombart, était plein d'espoir car il lui reconnaissait encore des possibilités ; celles-ci étant à peu près toutes extériorisées, Sombart pense pouvoir traiter du capitalisme avec plus de sobriété et de rigueur scientifique. Il constate que ce capitalisme vieilli est plus ouvert que le premier aux revendications de justice sociale. Son oeuvre débouche ainsi sur la perspective d'une économie planifiée, orientée vers une sorte de socialisme beaucoup moins prolétarien que national."

   Freddy Raphael, dans Les cahiers du Centre de Recherches historiques (1988), décrit dans toute leur ampleur les relations entre Werner SOMBART et Max WEBER. Pour lui la controverse entre les deux auteurs relève du faux débat, dans la mesure où ils ne discutent pas de la même chose : SOMBART recherche les origines historiques du capitalisme (l'Italie du Moyen-Age, influence par les idées juives sur le commerce et la fabrication) tandis que WEBER recherche plus les fondements moraux de celui qui émerge à la Renaissance et qui marque le plus (l'éthique protestante) la forme du capitalisme moderne... N'empêche que sur l'un ou l'autre sujet, les divergences ne manquent pas quand on rapproche les oeuvres des deux auteurs...

 

Werner SOMBART, Le bourgeois. Contributions à l'histoire morale et intellectuelle de l'homme économique moderne (1913), traduction en français de S. JANKÉLÉVICH (1928) ; The Jews and Modern Capitalism (1911), traduction en anglais de M EPSTEIN (1913), Batoche Books, 2001 ; Le socialisme allemand. Une théorie nouvelle de la société, avant-propos et traduction en français de G. WELTER, Éditions Payot, 1938 ; Le socialisme et le mouvement social au XIXe siècle, V. Giard et E. Brière, libraires-éditeurs, 1898. Ces ouvrages sont disponibles librement sur le portail Les classiques en sciences sociales, www. uqac.ca. On lira aussi en français, L'Apogée du capitalisme, traduction de S. JANKÉLÉVICH, Payoy, 1932.

Freddy RAPHAEL, Werner Sombart et Max Weber, Les Cahiers du Centre de recherches Historiques, 1988. Jean-Claude LAMBERTI, Sombart Werner, dans Encyclopedia Universalis, 2015.

 

Relu le 18 mars 2022

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