Depuis tout temps (et toute guerre), même lorsque la coutume voulait que ce soit la mêlée du corps à corps qui décide du "sort des armes", les armées ont tenté de trouver tout projectile qui pouvait abréger le moment de la confrontation directe. Ainsi l'emploi de divers projectiles incendiaires, utilisés souvent dans le siège des villes, prend une nouvelle tournure lorsque les propriétés de la poudre sont découvertes. Avant d'aller plus en avant, signalons que le mot grenadier ne désigne pas (ou plus) (seulement) des soldats spécialisés dans l'emploi des grenades, mais surtout des membres des unités d'élite.
Le mot "grenade" est d'origine française et provient du fruit du même nom, en référence à la taille des premières grenades, et parce que les éclats de shrapnel rappelaient aux soldats les nombreuses graines du fruit. Toutes les grenades ne sont pas lancées à la main. Il existe depuis longtemps des grenades à fusil, et des lance-grenades.
Les grenades, en Occident, car dans d'autres contrées on connait la poudre bien avant, sont utilisées dès la fin du Moyen Age, surtout en Europe centrale sous des formes directes de projectiles creux et bourrés de poudre, apparentés aux bombes (appelées parfois bombines), lancés à la main, par des frondes ou des mousquets, après allumage de la mèche. Les soldats sont chargés de leur dangereux emploi sont des volontaires (plus ou moins contraints) combattant en "enfants perdus" en tête des colonnes d'attaque. Car il faut s'approcher relativement près de l'ennemi pour pouvoir faire de réels dégâts.
La première grenade connue vient de Chine sous la dynastie Song (960-1279), connue sous le nom de Zhen Tian Li. Les soldats confinaient de la poudre noire dans des récipients en céramique ou en métal. En 1044, un livre militaire, Wujing Zongyao (principes généraux du Classique de la guerre) décrit divers types d'armes à feu, dont le prototype des grenades à main moderne. A la même époque, les peuples orientaux des Croisade développent des modèles de grenades incendiaires et explosives en céramique. Leur utilisation peut faire appel à des soldats spécifiques aussi bien sur les champs de bataille que dans les sièges. Ces grenades peuvent aussi être lancées par des machines de guerre, dont une adaptation d'arbalète à main, ancêtre du lance-grenade. En 1221 apparaissent en Chine les premières grenades et obus en fonte, qui n'existent en Europe qu'en 1467. En l'espace de deux siècles, les Chinois découvrent le potentiel explosif que peuvent représenter les boulets de canon métalliques creux remplis de poudre.
Durant la Glorieuse Révolution d'Angleterre en 1688, des balles en fer de la forme de balles de cricket remplis de poudre noire et pourvues d'une mèche lente, sont pour la première fois utilisées contre les Jacobites.
Ces grenades ne sont pas très efficaces, surtout parce que leur rayon d'action n'est pas asse grand et que le système de mise à feu n'est pas au point (nombreux "accidents"). Leur utilisation est assez faible jusqu'au XIXe siècle, mais la grenade fait partie (de manière variable) de l'arsenal des unités d'élites connues sous le nom de grenadiers.
L'institution des grenadiers vient de France. Il semble que les grenades y sont utilisées pour la première fois en 1536 au siège d'Arles, mais c'est seulement en 1667 que chaque compagnie d'infanterie est dotée de quatre hommes (appelés grenadiers) spécialement entrainés au lancement des grenades à main. A partir de 1671, des régiments d'infanterie sont progressivement dotés d'une compagnie par bataillon. On confie aux grenadiers des tâches particulièrement difficiles et périlleuses. Aussi reçoivent-ils un équipement très diversifié, fusil, baïonnette, hache, sabre, grenadière (sac contenant une dizaine de grenades).
Cela exige des hommes forts, agiles et audacieux. Entre la quasi certitude d'y rester la plupart du temps (mais moins avec l'expérience...) et le prestige (et la richesse qui va avec) du "métier", les motivations sont diverses et variées... Vus leur courage et leur dextérité (surtout ceux qui reviennent...), les grenadiers sont très tôt considérés comme des soldats d'élite choisis pour leur robustesse et notamment leur haute taille, leur courage et leurs états de service. Les compagnies de grenadiers se recrutent dans les compagnies de fusiliers du bataillon et la charge de capitaine de grenadiers, non vénale, devient un moyen pour les militaires peu riches d'avancer en contournant l'obstacle de l'argent.
Les modifications survenues dès le règne de Louis XIV dans l'art militaire font abandonner l'emploi de la grenade par l'infanterie. La grenade est laissée aux troupes d'artillerie et de génie. Dès ce moment, les compagnies de grenadiers ont le même équipement que les compagnies de fusiliers dont elles se distinguent cependant par leur recrutement, leur solde plus élevée, quelques détails d'uniforme, des traditions (port de la moustache). Il faut un certain temps à propos de l'uniforme pour que les commandements s'aperçoivent de la gène de certains accoutrements réservés aux grenadiers (notamment le chapeau...), de la même façon qu'il lui faudra un certain temps pour s'apercevoir de la vulnérabilité des soldats de 1870-1871 due à la couleur de leur uniforme...
Le nom de grenadier réservé à diverses unités d'élite, dès 1679, Louis XIV crée pour la garde du roi une compagnie de grenadiers à cheval de 50 hommes tirés de l'élite des régiments de cavalerie. Les bataillons de milice ont également leur compagnie de grenadiers. En 1745, celles-ci sont regroupées en bataillons de grenadiers royaux dont l'élite est conservée à la paix d'Aix-le-Chapelle pour former le régiment de grenadiers de France. Les grenadiers royaux sont remplacés dans leur bataillon d'origine par des compagnies de grenadiers postiches qui leur servent de réserve.
A la Révolution, ces unités particulières sont supprimées, mais une compagnie de grenadiers est maintenue dans chaque bataillon d'infanterie et est introduite dans les bataillons de gardes nationales. La garde du Directoire se compose de deux compagnies de grenadiers, une à pied, l'autre à cheval. Dans l'armée d'Italie, le général Bonaparte organise quatre bataillons de grenadiers. Il en dote la garde consulaire. La garde impériale a un régime puis une division de grenadiers à pied et un régiment de grenadiers à cheval. A la Restauration, on ne conserve que les grenadiers à cheval, mais la garde du Second Empire comporte 3 régiments de grenadiers à pied. Il ne fait pas voir dans ces changements seulement des considérations militaires (efficacité), mais aussi des considérations politiques, dans la mesure où l'armée de la Révolution, comme celle de l'Empire est composée d'éléments idéologiquement "impurs" pour des yeux royalistes. Précisément, l'élite de l'élite de l'armée française, au fil des ans, est marquée par un esprit de loyauté particulière aux idéaux issus de la Révolution...
En France les grenadiers de la garde disparaissent en 1870, mais les compagnies de grenadiers de régiments de ligne ont été supprimées par la loi Niel en 1868, en même temps que les compagnies de voltigeurs créées sous le Premier Empire. Ces soldats d'élite sont remplacés par les soldats de première classe répartis dans toutes les compagnies. En effet, des critiques s'étaient élevées contre la constitution de ces unités d'élite qui écrémaient les troupes de leurs meilleurs éléments. Maurice de Saxe avait déjà exprimé l'avis qu'on les exposait trop facilement et inutilement. Plus tard, à l'inverse, on reproche à leurs chefs de les ménager en leur épargnant les fatigues courantes de la vie militaire et de les tenir trop en réserve.
L'institution des grenadiers est imitée dans toute l'Europe. L''évolution est la même qu'en France. Par tradition, l'appellation de grenadier est conservée jusqu'à nos jours à un certain nombre de régiments des armées allemande, anglaise, russe...
En 1915, les bouleversements survenus dans l'art de la guerre ramènent l'emploi des grenades lancées à la main ou avec le fusil. dans chaque section d'infanterie, des soldats sont à nouveau affectés à l'emploi de cette arme, mais sans qu'il y ait spécialisation et constitution de corps d'élite. De manière générale, durant la Première guerre mondiale, les armées de la Triple-Entente et de la Triple-Alliance n'ont que de faibles stocks de grenades. Les troupes improvisent des grenades (parfois une simple boite de conserve emplie de poudre et dotée d'une mèche). Ce n'est qu'après la grande guerre que se développent de manière industrielle la fabrication et le déploiement de divers types de grenades : Mills Bomb britannique (première grenade à fragmentation moderne), Stielhandgranate allemande (charge explosive contenue dans une boite métallique montée sur un manche en bois creux), cocktail Molotov russe (arme artisanale composée surtout d'une bouteille en verre remplei en partie de liquide inflammable).
On distingue des grenades défensives (plus destructive que l'autre car entouré d'un matériau qui se fragmente à la détonation) et offensives (de plus courte portée, surpression générée par la quantité importante d'explosif), Grenades à fragmentation, à surpression, à percussion, Grenades fumigènes, lacrymogènes, incendiaires, incapacitantes, de désencerclement (non-létale), et plus tard encore, grenades anti-char...
L'emploi de la grenade (à la main ou à l'aide d'un fusil lance-grenade) est répartit ensuite chez tous les combattants et devient même un mode habituel sous la Seconde guerre mondiale pour se débarrasser des "nids" d'ennemis rassemblés ou de "nids" de mitrailleuses, notamment pendant la seconde guerre mondiale.
André CORVISIER, Grenadiers, dans Dictionnaire d'art et d'histoire militaires, PUF, 1988.
ARMUS
Relu le 11 mars 2022