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12 avril 2016 2 12 /04 /avril /2016 13:12

     Il existe une différence entre des groupes militants qui se mettent à filmer des luttes - ce n'est ni leur vocation de faire du cinéma et ne le font qu'occasionnellement - et des réalisateurs permettant techniquement d'en faire, qui n'en font sans doute pas souvent, qui ne militent pas principalement, mais font de la fabrication des métrages leur métier. Dans leur filmographie, les films militants peuvent prendre une plus ou moins grande place.

   Ainsi les groupes Medvedkine constituent une expérience sociale audiovisuelle menée par des réalisateurs et techniciens du cinéma militant avec des ouvriers de la région de Besançon et de Sochaux entre 1967 et 1974. Le nom des deux groupes a été choisi en hommage au travail du réalisateur soviétique Alexandre Ivanovitch MEDVEDKINE (1900-1989).

 

Le ciné-train...

Ce dernier est l'inventeur du ciné-train, un véritable train aménagé pour la réalisation de court-métrage. ce film travers toute l'Union Soviétique en 1932 afin d'y filmer la population laborieuse des villes et des campagnes. Les films sont tournés et montés immédiatement pour les projeter à la population dès le lendemain. Cette expérience lui donne l'idée de son film Le bonheur (1934), petite comédie paysanne. Il réalise ensuite plusieurs films de fiction dont Un printemps mouvementé (1956), considéré somme un échec par la critique. Après cela, Alexandre MEDVEDKINE se détourne du cinéma de fiction pour ne plus faire que des documentaires de propagande, pour lesquels il reçoit de nombreux prix dans son pays. Ses documentaires de campagne tournés dans les années 1920 ont une influence énorme sur le cinéma indépendant des années 1960 dans le monde : des groupes Medvedkine sont créés dans beaucoup de pays d'Europe occidentale, d'Afrique et d'Amérique Latine.

 

De nombreux réalisateurs face aux luttes...

      Beaucoup de cinéastes s'inspirent de ses travaux. Ainsi Chris MARKER, qui, à la demande des ouvriers de Besançon en grève, met à leur disposition en 1967 son savoir et son expérience, pour développer l'animation culturelle autour des luttes. Cinéaste expérimental, il filme de l'intérieur la grève des Rhhodiaceta en faisant participer les ouvriers eux-mêmes à la mise en scène et à la fabrication du film. A bientôt, j'espère sort en salle un an plus tard et cette expérience suscite beaucoup de vocations dans la fabrication de films militants par des militants. Plusieurs films sortent ensuite jusqu'en 1971. 

Un autre groupe se forme à Sochaux où il aide également un groupe informel formé autour de Pol CÉBE et de Bruno MUEL. Beaucoup plus sous l'influence de la dynamique de Mai 68, les militants tournent et produisent Sochaux, le 11 juin 1968, ainsi que plusieurs autres à la suite jusqu'en 1975. 

 

Filmer mais aussi distribuer...

     La volonté de maitriser la distribution de ces films, la grande majorité des courts métrages, conduisent plusieurs d'entre les particaipants de cette expérience, avec l'aide encore de Chris MARKER, à former une société de distribution qui existe toujours, Iskra. On retrouve dans beaucoup d'endroits dans le monde, de la part des groupes militants faisant des films militants , la volonté d'assurer la distribution de leurs oeuvres, de maitriser - avec une analyse théorique (souvent anticapitaliste) à la clé ou pas - de bout en bout toute la chaîne du film : fabrication avec des moyens artisanaux, contrôle du montage, assurance de distribution... le tout dans une ambiance plus ou moins festive, où la rentabilité est le tout dernier de leurs soucis. Pour Iskra, l'activité de cette coopérative doit beaucoup au travail de plusieurs cinéastes, dont certains travaillent pour d'autres types de films par ailleurs, et surtout à celle qui en fut la cheville ouvrière, même au moment les plus sombres : Inger SERVOLIN. Au départ; il n'y avait qu'un groupe d'amis, ensuite il y eut Slon (1968-1973), puis Iskra (à la fin de 1973), et puis toujours Iskra (qui redémarre en 1985), comme le raconte Guy GAUTHIER : "Les anciens films sont en dépôt et circulent encore, de nouveaux s'y ajoutent chaque année, enregistrant les tendance d'un increvable cinéma militant, fidèle reflet des problèmes du jour. reflet aussi des moments de faveur ou d'indifférence qui rythment de façon pas toujours explicable l'histoire en dents de scie du militantisme cinématographique (surtout à gauche et à l'extrême gauche, mais aussi sans étiquette précise, autre que celle de faire triompher une lutte ouvrière ou paysanne, environnementale, antinucléaire, antimilitariste, libertaire, précisons-le nous-mêmes...). Iskra continue, avec Inger Servolin, toujours fidèle au poste, Viviane Aquilli, et quelques animateurs tout aussi fidèles."  Son catalogue de films, toujours disponibles, s'avère diversifié et dense. 

 

Conflits contre le système, conflits à l'intérieur des groupes militants...

     Cette volonté de maitrise du message politique et idéologique n'est pas simplement issu du caractère militant des films, ni du fait que souvent des combats idéologiques assez durs traversent parfois les groupes ou mouvement qui les fabriquent, mais aussi par le fait même que ce message est en opposition et avec les idées dominantes dans la société et avec une conception même de la production et de la diffusion des films. Alors que le système capitaliste a tendance à détruire des moyens de production et des façons de faire pour les remplacer par d'autres, ces militants exigent, au nom de la démocratie et souvent du peuple, le respect même de conditions de vie décentes des travailleurs, quel que soient leurs activités. Dotés d'un discours anti-capitaliste adapté aux circonstances (centrales nucléaires menaçant l'environnement et accroissant la concentration des pouvoirs ou extension de camps militaires au détriment des conditions de vie agricoles), ces militants défendent des conceptions politiques souvent bien précises et entendent faire acte d'une pédagogie elle-même souvent sujet à débats. Alors que dans le paysage audio-visuel, la demande de spectacle influe sur la production des films, que le distributeur guide le contenu des films et que l'attente de profit prime sur les qualités  et les intentions des scénarios, alors aussi que le cinéma est oeuvre collective dominée par une idéologie de consensus favorable au capitalisme, il s'agit de faire en sorte que le message offensif et précis reste, du début des scripts à la distribution, qu'il atteigne son objectif de mobilisation et non d'anesthésie ou de relaxation, que ce soit en direction d'autres militants, d'autres travailleurs ou du public le plus large. Il y a sur le fond une opposition entre la nature de ces films militants - c'est pourquoi parfois ils peuvent paraitre ennuyeux car ils requièrent beaucoup d'attention! - et celle des films de spectacle.

    Monique MARTINEAU indique les divers changements intervenus dans les motivations, la composition de groupes militants et les techniques de réalisation des films, lors du renouveau du cinéma militant lors dans années 2000. Il s'assigne toujours d'un "mission de contre-information, d'intervention et de mobilisation" (HENNEBELLE) en faveur des plus démunis. participants à une utopie audiovisuelle, critiques de cinéma, universitaires chevronnés cotoient toujours de jeunes chercheurs, de nouveaux militants. Mais leurs orientations et domaines d'intervention ont changé. Après quelques âges d'or comme à l'époque du Front populaire, les révoltes de mai 68 et la vague de grèves marquent son réveil. Ensuite, dans les années 1980, marqué par la réhabilitation des entreprises et des entrepreneurs, seuls quelques obstinés poursuivent l'aventure. la décennie 1990 est plus favorable avec l'ouverture de la télévision et de certaines institutions à la réflexion sur le travail et les travailleurs. Certains cinéastes militants atteignent enfin le grand public avec les chaines nationales : Jean-Michel CARRÉ avec Femmes de Fleury. "Autour de l'année 1995, une nouvelle forme de mouvement social émerge et se partage en trois courants. Le premier occupe le devant de la scène en octobre-novembre, avec la grève des cheminots pour la défense de leur retraite et du service public. Au soulèvement des jeunes refusant en 1968 de devenir les chiens de garde d'une économie prospère succède celui d'adultes assurés de leur emploi, mais inquiets pour leurs vieux jours et soucieux de défendre les acquis sociaux de la Libération. Le deuxième courant, à travers une multitude d'associations, lutte aux côtés de tous les victimes de l'insécurité sociale, les "sans" (sans-papiers, sans logement, sans travail). Le troisième, né en France en 1998, combat certaines orientations de la mondialisation avec ATTAC (...). ce courant s'inscrit dans la dynamique internationale depuis 2001 par le forum social mondial de Porto Alegre au Brésil. En 2003 y émerge le désir de passer de l'antimondialisation à l'altermondialisation. 

Ce triple mouvement social adopte plus souvent un fonctionnement horizontal, en réseau, que la discipline verticale, chère aux partis léninistes. Les médias, notamment les télévisions, lui sont bien plus ouverts qu'avant 1981. Pourtant, en cas d'urgence (...), on revient à des tournages militants : cheminots en grève, chômeurs en marche, sans-papiers en lutte sont à nouveau devant et derrière les caméras."

    De multiples manifestations culturelles (cinémathèques, associations d'étudiants, festivals) permettent à de nombreux films de trouver un public plus large que celui des groupes militants eux-mêmes. Plus, à travers l'éclosion-explosion du marché documentaire, de nombreux cinéastes  sont à l'écoute d'un cinéma militant dont ils empruntent parfois la tonalité ou certains contenus de leurs discours. La double pression des difficultés économiques croissantes et la crise de l'environnement y sont pour beaucoup. Il s'agit pour certains cinéastes de communiquer, fût-ce à travers de belles images, leur prise de conscience.

    De la conservation des anciens films militants (conservation d'une mémoire éparse) à l'ouverture du marché documentaire, tout un champ d'activité mobilisent beaucoup d'acteurs. L'explosion de la video révolutionne d'un autre côté les modes de fabrication et les possibilités de diffusion (notamment via Internet) de nombreux films de toute sorte (de tout métrage et de toute... qualité!) permettent la diffusion d'idées - avec un langage (politique) bien plus adapté au grand public - qui jusque là resteraient confinées aux militants. Au déclin d'un militantisme politique, visible autant dans les partis traditionnels que dans les groupes les plus contestataires, répond une montée plus forte d'un autre militantisme, social, sociétal, environnemental, de consommateurs aussi... Si le discours apparait moins offensif et anticapitaliste, il pénètre, de manière thématique, dans l'ensemble de la population, lentement et preuves à l'appui des multiples nuisances sociales, politiques, environnemtales, pour une prise de conscience très large et très diffuse, relayée même par des fractions de l'opinion publique indifférentes ou hostiles à la remise en cause du système dans son ensemble.

 

Monique MARTINEAU, Cinéma militant : le retour!, dans Cinémaction, le cinéma militant reprend le travail, Corlet/Télérama, 2004. Guy GAUTHIER, de Slon à Iskra, Ibid. 

 

FILMUS

 

Relu le 22 avril 2022. Encore une fois, demande de témoignages et de commentaires..

 

 

 

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