Lorsqu'une armée est en campagne ou en cantonnement, les soldats ou les guerriers qui la composent restent des hommes (en majeure partie), avec leurs besoins physiologique et physique habituels. La sexualité faisant partie de ses besoins, il n'existe pas beaucoup de moyen de la satisfaire :
- Soit (et ce fut le cas dans la plus grande partie de l'Histoire) les hommes et les femmes voyagent ensemble, ne se séparant que lors des cambats. Les mutliples armées de peuples nomades ont dû connaitre cette manière de faire, facilitée en ce sens que lorsqu'une armée se déplaçait, c'est toute une ville qui le faisait, avec toute la populaition, les animaux, les tentes ou bois, le ravitaillement pour hommes et animaux, tous les services matériels et spirituel. A notez que dans le plan des camps romains, existent à la fois une organisation d'un système de santé et d'un système de prostitution. Dans la Grèce ancienne, on note également souvent un phénomène d'homosexualité rampante, cantonnée au temps à l'espace militaires, ce qui constitue aussi une solution qui présente certains avantages... l'interdiction par une morale - religieuse notamment ) de tels actes entre personnes du même sexe supprime évidemment cette solution-là...
- Soit les soldats ou guerriers assouvissent leur soif sexuelle chez les habitants des contrées qu'ils traversent, de préference chez les ennemis et encore plus chez les vaincus, mais ce n'est pas une obligation. Le récit des périples de conquête s'accompagnent presque toujours de scènes de viols isolés ou collectifs ;
- Soit les soldats, dans le cas d'armée régulière d'Etats sédentaires constitués, organisent, sous la vigilance des autorités supérieures leurs activités sexuelles. La prise de conscience des pertes et des inconvénients tactiques des maladies vénériennes amène plusieurs Etats à organiser autour des cantonnements ce que l'on a appelé pour le cas de la France, notamment dans les colonies, les bordels militaires de campagne (BMC), surveillés socialement et médicalement, le destin des prostituées de passage ou professionnelles n'étant pas bien entendu la préoccupation principale du commandement. A cet égard, on peut constater que suivant les dispositions morales des classes dominantes, des effets différents sont constatés suivant qu'elles adoptent une position de réglementation ou une position de prohibition. Une morale rigoriste prônant l'abstinence des soldats conduit tout droit à la propagation incontrôlée de maladies vénériennes par refus d'opérer les ajustements d'hygiène et de santé nécessaires. En niant les besoins sexuels, cette morale favorise le développement d'une prostitution clandestine incontrôlable.
Dans le domaine de la prostitution en milieu militaire, peu d'ouvrages ont été écrit et celui de Christian BENOIT comble en partie ce relatif vide. L'auteur se centre sur les deux derniers siècles et à la France, mais cela constitue déjà une somme considérable d'informations et de rééflexions. Comme il l'écrit, "la place prise par l'armée dans l'épisode du réglementarisme ne constitue qu'un chapitre de la longue histoire de la prostitution. Si même la prostitution n'est pas le plus vieux métier du monde, la première prostituée a sans doute connu le premier soldat. Depuis, ces deux êtres ne se sont jamais quittés et forment un couple solide. Le recours des militaires à la prostitution est une constante. L'ignorer conduit à des catastrophes sanitaires. Le développement de la prostitution non contrôlée a pour conséquence inéluctable l'irruption massive des maladies vénériennes, qui prive l'armée d'une partie de ses effectifs et amoindrit sa capacité opérationnelle. Les solutions préconiées par les bonnes âmes, comme l'éducation des jeunes garçons, pour détourner les soldats de tout commerce avec les prostituées, pour aventageuses qu'elles soient, sont inopérantes, car leur efficacité, perceptible à très long terme, reste à démontrer.
Au regard du passé, la solution réglementariste a les faveurs de l'armée, qui fait toujours le choix de contrôler la prostitution à destination de ses hommes plutôt que d'ignorer la question, en particulier en campagne. Son souci constant est de maîtriser la situation, celle-là comme toutes les autres, l'action militaire étant globale et l'autorité du chef indivise. Son attachement à la prostitution contrôlée se double d'une lutte contre la prolifération de la prostitution clandestine, qui lui apparait toujours comme la source intarissable de la maladie. Cette attitude s'observe aussi dans les armées étrangères, comme celles qui ont combattu ou séjourné sur le sol français." A noter que si l'autorité militaire accédite en quelque sorte certaines maisons de protitution, elle ferme très souvent les yeux sur le destin et le recrutement des prostituées, sauf si cela crée des troubles sans ses propres plans de campagne.
"Les hommes jeunes et en bonne santé qui forment les armées et qui côtoient la mort parfois de façon quotidienne assouvissent leurs désirs sexuels avec les prostituées, souvent les seules femmes qu'ils ont l'occasion de rencontrer. Leur situation particulière dans la nation est régie par une multitude de règles strictes, et nombreuses sont les autorités qui veillent à leur application. Ainsi s'explique la somme de documents de toute nature qui permet de tracer la silhouette d'un client des prostituées, de connaître ses habitudes, d'approcher ses goûts, d'appréhender ses rapports avec les filles, de suivre sa contamination. Rare occasion de savoir qui et comment se comporte cet homme souvent inexistant dans l'histoire de la prostitution, faute de moyen de le connaitre.
Aborder la question du seul point de vue des hommes serait n'en voir qu'une face. A une histoire de la prostitution dont profitent les soldats répond une recherche sur les femmes qui sont mises à leur disposition. Dans le Nord occupé pendant la Première Guerre mondiale ou dans toute la France pendant la Seconde, les Allemands ont recours aux prostituées françaises, avec un système très réglementé, tant ils craignent la maladie. La Wehrmacht met en place un réseau de maisons closes à l'intention de ses troupes dès le début de l'Occupation et établit une réglementation de plus en plus répressive pour retirer de la société les femmes déclarées sources de contagion. L'armée américaine au cours des deux guerres mondiales, fait de même appel aux Françaises pour la satisfaction de ses hommes, des clandestines pour la plupart, l'accès aux maisons de tolérance contrôlée leur étant interdit."
L'auteur s'attache aux parcours des soldats et des prostituées aux XIXe et XXe siècle en France, après avoir très brièvement évoqué les situations antérieures (sous l'Ancien Régime notamment). Ce qui l'intéresse surtout, ce sont les diverses modalités de cette prostitution réglementée, de même que les vécus des uns et des autres. Toutes les réglementations n'empêchent pas l'existence d'une prostitution clandestine, mais elles la limitent dans le temps et dans l'espace. D'établissements en quartiers réservés, les zones de prostitution sont souvent strictement délimitées. Des temps (permissions notamment) sont aménagés pour permettre les relations sexuelles des soldats. L'auteur indique bien également que malgré tout, même dans les établissements réglementés, peuvenet survenir de maultiples "accidents" contagieux. S'il décrit minutieusement, suivant les situations (armées en campagne en France ou dans les colonies, dans les pays occupés...), il fait la part des failles du système, et pour le moins, il serait difficile de ne pas le faire dans des théâtres d'opérations sujets à de nombreuses destructions et de nombreuses désorganisations...
Puisant dans les archives de préfectures de police, des brigades mondaines, des services de santé des armées, s'inspirant de nombreux ouvrages écrits sur la prostitution (civile surtout) dont on peut trouver une large liste en fin d'ouvrage, Christian BENOIT fait là oeuvre de pionnier. Fruit de dix ans de recherche, ce livre fait revivre ce couple inséparable, la putain et le soldat.
Christian BENOIT, Histoire d'un couple inséparable, Le soldat et la putain, Editions Pierre de Taillac, 2013, 670 pages.