Dans les flottes des pays les plus puissants de la planète, les sous-marins constituent une pièce maitresse de la maitrise des mers et de leur flotte. Parmi les vaisseaux en mer, ce sont ceux-ci dont la technologie est la plus cachée aux adversaires et aux alliés. Même lorsque après la seconde guerre mondiale, les États-Unis et l'URSS cédèrent à leurs alliés - selon une habitude de leur confier des bâtiments et leurs technologique à moitié obsolète, ce qu'ils acceptent car ils partent de beaucoup plus loin - de nombreux sous-marins, la technologie sous-marine demeure un domaine très réservé. Posséder des sous-marins, encore à l'heure actuelle, ce n'est pas, rappelle Franck MAIRE, du pôle du Centre d'études stratégiques de la Marine français (CESM) maitriser complètement leur maniement et leur opérationnalité.
"Si la dissémination, écrit-il, des vecteurs et de leur armement est bien réelle, celle des transferts de technologie et de la capacité de les mettre en oeuvre reste encore mesurée, en particulier dans les domaines de la propulsion - notamment nucléaire - et des armements."
Pour beaucoup d'analystes, dont notre auteur, le sous-marin est un outil puissant et polyvalent, ce qui ne change pas beaucoup de la situation de la seconde guerre mondiale, mais dont les missions "se sont considérablement étendues depuis les années 1970. Capable d'évoluer en milieu adverse au plus près de la cible grâce à sa discrétion, il est un moyen aussi bien adapté au temps de paix qu'aux crises ou conflits. Le sous-marin, poursuit-il, constitue en effet une excellente plate-forme de renseignement multi-domaine : électromagnétique, acoustique, optique ou humain (mise en oeuvre de forces spéciales) et remplit des missions d'information, de surveillance, de reconnaissance (ISR). Dès le temps de paix, il participe ainsi à la stratégie navale d'un Etat par son pouvoir dissuasif et sa présence possible dans une zone d'intérêt." Du fait de sa discrétion, un adversaire ne peut pas savoir si oui un non un sous-marin rôde dans les parages de ses côtes.
"En temps de crise ou de guerre, le sous-marin devient l'arme du combat naval par excellence. Il est l'instrument privilégié des opérations d'interdiction maritime (Sea Denial), contribue à celle de contrôle des mers (Sea Control) et fait aujourd'hui partie de la panoplie des vecteurs de projection de puissance vers la terre. Il participe ainsi à des actions vers la terre par frappes de missiles ou peut venir en soutien d'actions de forces spéciales."
Sous-marins nucléaires et sous-marins classiques
Il faut toujours distinguer les sous-marins classiques des sous-marins nucléaires. Ces derniers types se subdivisent en sous-marin nucléaire d'attaque (SNA), c'est-à-dire propulsé par des moteurs utilisant l'énergie nucléaire et en sous-marin nucléaire lanceurs d'engins (SNLE), c'est-à-dire également à propulsion nucléaire mais également lanceurs d'engins nucléaires. Ces derniers participent à la dissuasion nucléaire. Le "club nucléaire" des États mettant en oeuvre une composante de dissuasion nucléaire par vecteur sous-marin est très restreint. Seules comptent là 6 puissances : les cinq "habituels", soit les États-Unis, la Russie, la France, le Royaume-Uni, la France et la Chine, auxquels s'est ajouté récemment début 2016, l'Inde. Cette dernière possède un navire équipé de missiles de croisière à tête nucléaire, en attendant l'entrée en service d'un missile balistique (K4) pouvant frapper à 3 500 kilomètres. Ce sous-marin "indigène", en grande partie inspiré des productions russes, est un hybride entre le SNA et le SNLE (missiles classiques et nucléaires). Israêl et le Pakistan, de leurs côtés, peuvent potentiellement mettre en oeuvre des missiles de croisière à tête nucléaire à partir de sous-marins à propulsion conventionnelle.
Comme l'écrit toujours Franck MAIRE, "l'ampleur (coûts et technologies) et la durée des programmes de conception, de construction et de formation d'une composante de SNLE rendent faible la probabilité d'évolution de l'ordre de bataille mondial dans ce domaine".
Officiellement (ce qui veut dire chiffres à prendre avec grande prudence), l'évolution de la flotte sous-marine (à partir de chiffres 2014 de la DGA - Délégation Générale à l'Armement française) permet de constater que 42 marines sur 172 sont dotées de sous-marins de combat, ce qui représente 484 navires armées au total, loin des quelques 980 qui équipaient 43 marines en 1988. Certains États n'en possèdent plus (Albanie, Cuba, Bulgarie, Danemark, Libye, Ukraine...), d'autres s'en sont dotés (Iran, Corée, Singapour, Malaisie, Vietnam). D'autres pays sont en passe d'en acquérir comme le Bengla Desh et la Birmanie. En fait, si le nombre de pays disposant de sous-marins croit, notamment hors UE et hors OTAN, le nombre des ceux-ci décroit. Il y a bien dissémination, mais avec des écarts de technologie très importants. Plus les pays "moyens" veulent réduire cet écart... moins ils déploient de navires. D'autre part, trois pays de l'OTAN, États-Unis, Royaume-Uni et France n'ont plus de sous-marins conventionnels. Tous par conséquent sont à propulsion nucléaire.
Décrivant les évolutions des forces sous-marines, Franck MAIRE écrit encore que "les nations dotées de SNA ont toutes entamée le renouvellement de leur ordre de bataille. Les Virginia américains, Astute britanniques, Yasen russes, Suffren français et Shang chinois seront les sous-marins d'attaque des flottes océaniques du XXIe siècle. Pour l'Inde, il faudra attendre les premiers retours d'expérience de déploiements de l'Arihant. Quant au Brésil, son premier SNA est programmé pour une mise sur cale en 2025."
Pour les sous-marins conventionnels, la dissémination devrait se poursuivre, notamment en Asie, sous trois traits marquants :
- l'adoption de manière plus intense de la propulsion anaérobie, système de propulsion qui, sans égaler les performances du nucléaire, étend considérablement l'endurance des sous-marins en plongée ;
- l'extension des achats de navires de seconde main, notamment de la part des puissances mineures ;
- l'arrivée, sur le marché de l'exportation, tant est si forte l'évolution du commerce dans ce domaine militaire, de deux nouveaux compétiteurs qui s'ajoutent au quatre "historiques" (DKMS, DCNS, Kockums et Amirauté) : la Corée du Sud (HHI/DSME) et le Japon (MHI/KHI).
il faut compter aussi avec la prolifération des systèmes de missiles de croisière navals à changement de milieu (frappe vers la terre et anti-navires) qui montre l'attrait de plus en plus vif de solutions de dissuasion du faible au fort qui, même sans tête nucléaire (il existe de bons explosifs conventionnels...), peuvent remettre en cause les équilibres géostratégiques actuels.
Franck MAIRE, La place du sous-marin dans les opérations navales de demain, Diplomatie Les grands dossiers n°33 (Géopolitique des mers et des océans), Juin-Juillet 2016.
Relu le 22 juin 2022