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1 février 2017 3 01 /02 /février /2017 10:01

    Jacques-Marie Émile LACAN, psychiatre et psychanalyste français, dont l'oeuvre penche nettement vers la philosophie, fréquente lors de sa longue carrière (dès ses études de médecine menées dans les années 1920) les milieux littéraires, notamment d'avant-garde surréaliste. De son texte sur le stade du miroir à ses Séminaires, ses interventions veulent refonder en quelque sorte le freudisme, notamment en reprenant les premières études du fondateur de la psychanalyse sur l'inconscient. Il le fait dans une approche structurale (mais pas à la manière de Claude LÉVY-STRAUSS, inventant son propre langage), très influencée (mais là encore en réinventant autre chose) par la linguistique de SAUSURRE. Il entend en même temps redéfinir les positions de l'analyste et de l'analysé pendant la cure psychanalytique, dans un contexte de luttes politico-professionnelles des milieux de la psychanalyse française. Notamment vers la fin de sa carrière, il est victime de ce que nous appellerions le complexe du gourou, sourcilleux sur sa propre position et gardien d'un nouvelle orthodoxie que peut avoir quelque peine à définir.

 

Jacques LACAN domine pendant trente ans la psychanalyse en France. Il la marque de son style ; il y laisse une trace ineffaçable. Aimé et haï, adoré et rejeté, il suit sa voie sans s'en écarter, ne laissant personne indifférent, s'imposant même à ceux qui ne voulaient pas de lui. Pour les psychanalystes, son oeuvre et sa pensée sont incontournables, quelles qu'en soient les contraintes, les difficultés, voire les limites. Il n'a pas seulement, comme les élèves de FREUD puis les analystes de la seconde génération tels que Mélanie KLEIN, Donald WINNICOTT et Wilfred BION, enrichi l psychanalyse d'un apport original et personnel. Il a été le seul à prendre et refondre dans son ensemble l'oeuvre du fondateur, et à lui rendre l'hommage de la cohérence des voies et des rigueurs auxquelles elle dut se plier pour produire et imposer l'existence de l'inconscient. Il fut le seul à se donner la double ambition de faire revivre une parole à ses yeux oubliée et trahie, et de tenter d'y égaler la sienne. (Patrick GUYOMARD)

  On peut discerner plusieurs étapes dans sa réflexion psychanalytique et philosophique sur l'inconscient. 

  Sa thèse de psychiatrie De la psychose paranoïaque dans ses rapport avec la personnalité réalisée en 1932, puis dans la foulée son article de 1933 dans le Minotaure "Motifs du crime paranoïaque" (article sur le crime des soeurs Papin), le rendent déjà célèbre, notamment dans les milieux surréalistes (René CREVEL, Salvador DALI). La première grande étape de sa réflexion est sa présentation lors du XIVème Congrès international de psychanalyse en 1936, du stade du miroir, communication reprise au XVIe Congrès en 1949. "Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je, telle qu'elle nous est révélée dans l'expérience psychanalytique (expérience qui nous oppose à toute philosophie issue directement du "Cogito"). Le Moi dans cette perspective n'est pas le sujet global ni le sujet de la connaissance, mais l'imago narcissique primaire. Le Moi témoigne de cette "furieuse passion, qui spécifie l'homme d'imprimer dans la réalité son image" et il "représente le centre de toutes les résistances à la cure des symptômes". Le Moi est donc, dans les premières formulations lancinantes, ce qui, loin de se former à partir de la réalité, s'oppose à elle. De ce premier texte naît l'opposition entre réalité psychique, réalité extérieure et réel. Il n'est pas question de retrouver la seconde topique freudienne (Ca, Moi et SurMoi), qui mène d'ailleurs tout droit, dans la cure à la mise en conformité du sujet avec la réalité extérieur, au conformisme personnel et social. Son article sur la "famille" paru dans l'Encyclopédie française, a une formulation dans une reprise de la théorie freudienne, toute personnelle.

Ce n'est qu'après-guerre, après un premier texte de 1945, Le temps logique et l'assertion de certitude anticipée, qu'il poursuit le déploiement de l'imaginaire inauguré en 1936. Ce texte souligne que le temps logique (qui s'oppose au "temps vécu" d'Eugène MINKOWSKI) manifeste la limite du temps de comprendre pour le sujet, et qu'il s'assure d'une certitude anticipée de lui-même par le moment de conclure, c'est-à-dire par un acte. Ce texte préfigure sans doute le maniement de la temporalité et de la durée des séances qui est, au début des années 1950, source de controverse au sein de la SEP, puis de l'API. Tout un débat avec la psychiatrie s'instaure, souvent à propos de l'analyse des troubles psychiques liés à la guerre. De multiples crises éclatent au sein des organisations de psychanalyse et Jean LACAN en est souvent un des acteurs essentiels.

Une deuxième étape de son oeuvre débute avec en 1953 avec la conférence à Rome sur la "Fonction de la parole dans l'expérience psychanalytique et relation du champ psychanalytique au langage". L'opposition langage-parole et l'écoute d'une parole anhistorique qui dépasse le sujet rejoint les conceptions de HEIDEGGER dont il vient de traduire Logos. De sa thèse en 1932 jusqu'en 1953, LACAN lit les textes de FREUD de façon non systématique, et il se détache de lui en dégageant le Moi du système perception-conscience pour le constituer comme imaginaire avec le stade du miroir. A l'automne 1953, son séminaire porte sur une réévaluation de l'oeuvre de FREUD dont de nombreux livres et articles ne sont alors accessibles qu'en anglais ou en allemand. Constatant que la pensée de FREUD est la plus perpétuellement ouverte à la révision (ne contredisant pas en cela ce qu'en disait le fondateur de la psychanalyse), il commence par les "Ecrits techniques" qui concernent la cure. Durant dix ans (jusqu'en 1963 où il est exclu définitivement de l'API), il s'y attache. 

Le changement de lieu (à l'Ecole Normale Supérieure) s'allie avec un changement de style et de contenu. Le public des séminaires étant plus nombreux et plus intellectuel, il abandonne son retour à FREUD pour développer davantage sa propre pensée. De 1963 à 1969, avec notamment le Sénimaire, Livre XI, "Les Quatre Concepts fondamentaux de la psychanalyse" (Inconscient, répétition, transfert et pulsion). Il formalise ses propres concepts : le sujet barré, l'objet a et l'Autre, l'Autre du langage et aussi l'Autre scène, la scène du rêve et de l'Inconscient. Il fonde seul en 1964 l'Ecole freudienne de Paris (EFP) dont le nombre de membres explose (de 100 à 600).

En 1966, après son premier voyage aux Etats-Unis, parait Ecrits, livre volumineux de 924 pages dans laquelle il rassemble l'essentiel de ses articles, qui lui permet de conquérir le grand public.

En novembre 1969, Jacques LACAN ouvre son Séminaire sur "l'envers de la psychanalyse", marqué par la contestation universitaire de Mai 68, par la production de quatre discours : discours du maitre, discours de l'universitaire, discours de l'hystérique, discours de l'analyste. Ces quatre discours anticipent son concept du anathème de 1971 (série de conférences sur le "Savoir du psychanalyste" à l'hôpital Saint-Anne). Il y revient en 1972 dans le Séminaire "Encore", avec le graphe de la sexuation. Cette écriture de mode algébrique qu'il invente et fait fructifier, permet selon lui, la transmission de la psychanalyse et lève l'incompatibilité marquée dans les 4 discours entre le discours de l'universitaire et le discours de l'analyste. Cela permet de cautionner le développement de la psychanalyse à l'université. La dernière orientation soutien l'équivalence des trois coordonnées : Symbolique, Imaginaire et Réel, dans le Séminaire "RSI" Livre XXII, en 1973-1974, à partir du "noeud borroméen", figure topologique de trois anneaux où chacun tient les deux autres dans une circularité réciproque. 

Pris dans les conflits théoriques et politiques au sein de l'EFP, qu'il dissout d'ailleurs abruptement en 1980, son travail perd de sa consistance en même temps qu'il est de plus en plus isolé dans le monde académique. 

  Jacques LACAN, pour Patrick GUYOMARD, "fut un homme de parole, - la parole de l'analyste, qu'il souhaitait rompu à son exercice et dont elle est l'unique ressort, lui qui "se distingue en ce qu'il fait d'une fonction commune à tous les hommes un usage qui n'est pas à la portée de tout le monde, quand il porte la parole". Contre toutes les objectivations et réductions de la parole à un pur usage d'information, il n'a cessé d'en rappeler la valeur constituante pour le sujet et pour toute vérité définissable dans le champ de l'inconscient. Sa parole fut aussi celle de l'enseignant du "séminaire", où, semaine après semaine, il sut avec génie donner vie - parfois redonner vie - à la psychanalyse. Plusieurs générations d'analystes s'y formèrent, suivant le maitre au long de ses déplacements. Son audience dépassa largement le cercle de ses auditeurs. On doit à cet enseignement - tout autant qu'à la publication, somme toute tardive, des Ecrits - que, pour beaucoup, il soit impossible de penser sans la psychanalyse."

Est-ce l'effet d'un complexe de gourou ou l'effet de la substance même de la pensée, mais en tout cas son oeuvre est de lecture difficile. Il faut sans doute d'abord se pénétrer de son vocabulaire pour la comprendre et en comprendre la portée. Il n'est pas certain que cette oeuvre soit restituable aujourd'hui dans le sens exact que l'aurait voulu Jacques LACAN, mais y en avait-il un figé? Une des grandes difficultés est que son "parler" dans les Séminaires est difficile à retranscrire dans un écrit, lui-même avant cette réalité pour qualifier parfois ses Ecrits d'"illisibles"... Ce style de causerie le rapproche de celui utilisé par les philosophes, notamment dans l'Antiquité : comment retranscrire en langage théorique une causerie où entrent parfois des considérations agressives entre maitre et participants aux Séminaires...

  Jean-Pierre CLÉRO estime que la pensée de Jacques LACAN s'insère dans la réciprocité "qui fait que la philosophie est autant et peut-être davantage travaillée par la psychanalyse qu'elle ne la travaille." Son originalité "se marque mieux dans l'empreinte qu'il impose, sous le masque de la "lecture", à plusieurs notions déjà existantes, qu'elles soient essentiellement philosophiques ou que la philosophie les partage avec la psychiatrie." Contrairement à HUSSERL qui entendait assigner aux sciences de l'homme des limites à la définition des valeurs,qui resterait selon lui du domaine de la philosophie, LACAN, bien plus que FREUD, passe outre et c'est sans doute lorsqu'il le fait qu'il écrit les pages les plus intéressantes et les plus saisissantes pour le philosophe.

Chaque concept, chaque méthode, chaque mot introduit par FREUD est repensé et, notamment dans la conception de l'inconscient, par la psychanalyse comme la philosophie lacaniennes, l'oeuvre de pensée sur l'homme en général s'en trouve renouvelée, enrichie, et parfois bouleversée. En tout cas, avec LACAN on n'est plus dans une problématique de mise en conformité de l'inconscient, voulant frayer un chemin au principe de plaisir, au principe de réalité que la société veut imposé à ses membres. On est bien plus dans une conflictualité où la perception de la réalité et la réalité elle-même constitue eux-mêmes des enjeux. 

Jacques LACAN, De la psychose paranoiaque dans ses rapports avec la personnalité, Le Seuil, 1932, réédition 1975 ; Ecrits, Le Seuil, 1966, réédition 1999. Toujours aux Editions Le Seuil : Télévision, 1973 ; Le Séminaire, Livre I : Les Ecrits techniques de Freud, 1975 ; Livre II : Le Moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse, 1978 ; Livre III : Les psychoses, 1981 ; Livre IV : L'Ethique de la psychanalyse, 1986 ; Livre VIII : Le Transfert, 1991 ; Livre XI : Les Quatre Concepts fondamentaux de la psychanalyse, 1973 ; Livre XVII : L'Envers de la psychanalyse, 1991 ; Livre XX : Encore, 1975 ; Autres Ecrits, Le Seuil, 2001. Voir aussi les inédits sur le site www.aelf.fr. 

A noter que les Ecrits sont la partie la plus aboutie et condensée de la pensée de LACAN, tandis que les séminaires montrent la pensée en action, avec des avancées, des reculs et des hésitations. La pire manière sans doute pour étudier la pensée de Jacques LACAN est de commencer par les Séminaires : cela peut embrouiller l'esprit, mais en même temps, c'est la partie la plus fructueuse pour philosopher soi-même... Enfin, des versions différences peuvent apparaitre dans les différents sites Internet, car elles sont souvent tirées d'enregistrements ou de notes de cours...

Patrick GUYOMARD, Jacques Lacan, dans Encyclopedia Universalis, 2014. Jean-Pierre CLÉRO, Lacan, dans Vocabulaire des Philosophes, tome IV, philosophie contemporaine, Ellipses, 2002. Jacques SÉDAT, Lacan, dans Dictionnaire international de la psychanalyse, Tome 1, Hachette littératures, collection Grand Pluriel, 2005.

 

 

 

 

 

 

 

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