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20 février 2017 1 20 /02 /février /2017 07:51

      Le philosophe et historien du droit Michel VILLEY développe une conception du droit conservatrice, s'opposant par certains aspects à l'école de KELSEN, soucieuse surtout de faire redécouvrir le droit à travers une analyse historique de son évolution. Il défend ainsi une notion de droit très proche de celle théorisée par ARISTOTE dans l'Ethique à Nicomaque (livre V), qui distingue deux notions de justice :

- une justice générale, "somme de toutes les vertus", qui caractérise le bon citoyen en général : courageux, honnête, véridique, solidaire, etc

- une justice particulière, vertu à part entière, qui consiste à attribuer à chacun sa part.

Pour le philosophe français, c'est la justice particulière qui correspond au droit proprement dit. la justice générale se confond avec la morale, ce qui est visé par une bonne législation.

Pour lui, la notion aristotélicienne du droit est pleinement recueillie dans le droit roman, sa grande thèse historique étant qu'à l'ère chrétienne, la théologie a presque totalement absorbé le droit, en ramenant celui-ci à la morale. Au "juste" d'ARISTOTE, entendu comme partage, comme attribution, il oppose la "loi", au sens de la torah biblique, qui définit des règles de conduite. Le théologien qui a le plus influencé le droit, et cette  vision ne lui est pas propre, même si le jugement qu'il lui porte est particulier, est Saint AUGUSTIN (voir La Cité de Dieu). Au seuil de l'époque moderne, SUAREZ transmet cette conception à la modernité. Thomas d'AQUIN, en revanche, maintient parfaitement la distinction (Somme théologique) : lorsqu'il traite de la loi, il n'expose pas une théorie du droit, mais écrit michel VILLEY, "toute l'économie du salut, la manière dont Dieu dirige la "conduite" des hommes dans l'histoire, vers leurs fins dernières". En revanche, l'esprit d'ARISTOTE et du droit romain anime les questions consacrées au droit, au seuil du traité de la justice. C'est ce qu'il expose dans Critique de la pensée juridique moderne (1985). En fin de compte, c'est l'héritage de la pensée chrétienne de la loi qui a exercé la plus profonde influence sur les penseurs modernes du droit, de HOBBES à KELSEN. 

Face à cela, Michel VILLEY se pose en défenseur du droit naturel classique, même si sa pensée est parfois mal comprise. C'est qu'il ne donne pas à l'expression "droit naturel" le même sens que ses contemporains. Au-delà, beaucoup contestent son analyse historique de la  formation de la pensée juridique, sur une scission fondamentale entre le droit naturel classique et la pensée moderne, introduite dans la pensée de Guillaume d'OCCAM. Sa méthode d'analyse non plus ne recueille pas l'adhésion de la majorité des historiens. Son conservatisme est philosophique : il tient à la conviction que la justice ne peut se réaliser que dans des choix et des partages toujours particuliers, effectués dans le concret des circonstances. Du coup, il rejette touts les formes d'utopie prônant un système juste, se remettant à un ordonnancement général, global, autoritaire, censé garantir un justice universelle.

      Sa philosophie du droit, et notamment à propos des dartois de l'homme, peut s'énoncer suivant les points suivants :

- Le droit est un art qui prétend réaliser la justice particulière, laquelle suppose donner à chacun ce qui lui revient. Ce que l'on poursuit, c'est la répartition, non pas l'utilité ni la vérité ; mais la répartition des biens externes.

- Le droit est une relation sociale, non pas attribut d'une personne, non pas droit subjectif : c'est comme le dit ARISTOTE, "le bien d'un autre", c'est une proportion, une répartition entre deux personnes.

- La matière de l'art juridique, saint THOMAS en livre le profil, à partir d'ARISTOTE, à partir de l'idée de choses mesurables, extérieures, et susceptibles d'être réparties. Ainsi pour VILLEY, le droit procède selon deux opérations : la répartition, dont traite la justice distributive ; et les changements, fonction de la justice commutative. Ces actions nécessiteront un contexte politique, et ne peuvent se développer qu'imparfaitement dans le contexte familial ou international. Il n'est pas question pour lui d'appliquer l'idée juive de la Torah, qui conduira à identifier le droit à la loi, comme le fera HOBBES au XVIIIème siècle. De la même manière, va apparaître, dans la modernité, un concept ayant une racine individualiste, celui de droit subjectif, qui commence à se manifester déjà au XIVème siècle, et qui est synonyme de liberté.

- Les droits de l'homme sont un concept équivoque, propre à la modernité et qui favorise le passage du ius à la loi - qui est le droit objectif, formé d'un ensemble de de lois. La modernité, siège des droits de l'homme, contient un idée systématique du droit. (Gregorio Peces-Barba MARTINEZ, fondateur de l'institut des droits de l'homme de Madrid, auteur de la Théorie générale des droits fondamentaux, Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence, 2004)

     On peut penser que nombre de conservateurs peuvent utiliser sa pensée pour refuser toute évolution de la société vers précisément la justice, notamment sociale, sous prétexte de sauvegarder les libertés individuelles...

  De ses Recherches sur la littérature didactique du droit romain (1945) et ses Leçons d'histoire de la philosophie du droit (1962), aux Questions de saint Thomas sur le droit et la politique (1987), en passant par La formation de la pensée juridique moderne (1975), Seize essais de philosophie du droit (1985), Michel VILLEY renouvelle l'histoire du droit, même si par la suite, ce renouvellement ne suit pas forcément sa ligne conservatrice. Par ses enseignements également à l'université de Strasbourg puis de Paris, son influence s'étend à des générations de romanistes et de philosophes du droit. Stéphane RIALS, Yan THOMAS, Chantal DELSOL, Vincent DESCOMBES, Henri LEPAGE, sont inspirés de manière diverse par sa pensée, parfois en en contestant les fondements.

 

Michel VILLEY, Leçons d'histoire de la philosophie du droit, 2ème édition, Dalloz, 1962 ; La formation de la pensée juridique moderne, Montchrétien, 1975, réédition PUF, collectif Quadrige, 2003 ; Seize essais de philosophie du droit, Dalloz, 1969 ; Critique de la pensée juridique moderne, Dalloz, 1985 ; Le droit romain, PUF, collection Que sais-je?; Questions de saint Thomas sur le droit et la politique, PUF, 1987.

Stéphane RIALS, Villey et ses idoles. Petite introduction à la philosophie du droit de Michel Villey. Gregorio Peces-Barba MARTINEZ, Michel Villey et les droits de l'homme, Cairn.Info.

 

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