Le théologien de la période patristique (des Pères fondateurs) du christianisme ORIGÈNE est considéré par certains (comme Jean DANIÉLOU...) comme le plus important penseur chrétien avec saint AUGUSTIN. Exégèse biblique, théologien, rhétoricien, influencé entre autre par Ammonius SACCAS (qui est aussi le maitre de PLOTIN), il écrit sur le tard (la trentaine passée) une oeuvre considérable dont seulement une petite partie nous est parvenue. En contact avec de nombreux penseurs de son temps (païens, juifs...), il procède dans sa pensée beaucoup plus par propositions que par assertions.
Victime de persécutions et d'autodafés (pratique courante à l'époque), cette oeuvre influence pourtant la majeure partie du corpus chrétien jusqu'au Moyen Age (sans doute grâce aux multiples reprises et copies, pratique aussi courant à l'époque...). Après cette persécution, son oeuvre est réhabilitée rapidement, et par exemple Thomas d'AQUIN s'inspire de lui abondamment. L'origénisme est plus un ensemble de croyances et d'éruditions qui s'inspirent parfois de manière très lointaine de son oeuvre.
Figure dominante, avec AUGUSTIN, de la théologie chrétienne des cinq premiers siècles, ORIGÈNE est aussi de son vivant et plus tard, l'un des théologiens qui suscite les sentiments les plus vifs et les plus opposés (pour son oeuvre et aussi pour sa personnalité, ascétique et méprisant beaucoup le corps, car estimant que seule la vie spirituelle compte réellement). La dénonciation d'une courant de l'origénisme au IIème Concile de Constantinople de 553 entraine la condamnation d'Origine et la disparition d'une immense partie de son oeuvre.
Il ne subsiste qu'un petit quart de cette oeuvre, et une bonne partie des textes conservés n'est accessible qu dans des versions latines composées par RUFIN et JÉRÔME autour des années 400. Si l'on met de côté la correspondance (presque entièrement perdue) son oeuvre se divise en deux groupes :
- les travaux sur l'Ecriture (commentaires, homélies, scolies). Sous la forme de commentaires, d'homélies ou plus rarement de notes, ORIGÈNE explique la quasi-totalité de l'Ecriture, revenant même plusieurs fois sur le même livre biblique. D'après les témoignages anciens, il compose tout au long de sa vie littéraire, quelque 260 "tomes" (livres) de commentaires et près de 500 homélies. Il ne subsiste plus aujourd'hui que 31 tomes de commentaires et 205 homélies.
- les traités (théologiques, spirituels, apologétiques). La disparition de traités majeurs, controversés de son vivant (Des natures, Dialogue sur Candide, Stromales, De la résurrection) est plus grave que la perte de commentaires. Seuls l'ouvrage théologique principal d'ORIGINE, le traité Des principes, Peri Archon et sa vaste apologie du christianisme, le Contre Celse, nous sont parvenus.
Cette oeuvre s'adresse surtout aux érudits de son temps, aux chrétiens épris d'un perfectionnement tout à la fois intellectuel, moral et spirituel. Seuls ses homélies veulent édifier l'ensemble de la communauté. Ses attaques les plus vives (nous sommes là dans une période de vives polémiques, d'élaboration du corpus qui fait ensuite autorité au Moyen Age) et les plus constantes visent la gnose et le marcionisme, même s'il n'arrête pas de dialoguer avec les partisans de ces systèmes de pensée, comme il prend soin d'entretenir des relations intellectuelles avec les juifs, les platoniciens (dont fait partie SACCAS).
Très attaché à un travail textuel et d'édition critique des Ecritures, notamment dans un constant repérage des différences entre le texte hébreu et la version grecque reçue par les chrétiens, ORIGÈNE, dans le prolongement de PHILON et de CLÉMENT D'ALEXANDRIE, défend et développe comme théologien et exégèse la conception d'un sens spirituel qui est son sens fondamental. Le lecteur, pour lui, doit recevoir l'esprit du Christ pour saisir, au-delà de la lettre du texte le sens que l'Esprit divin a déposé dans le texte. Il établit alors les règles permettant d'atteindre ce sens spirituel et toujours mystérieux qui se rapport au Dieu trinitaire, au monde intelligible et à la fin des temps. Il ne faut pas perdre de vue pour comprendre ORIGÈNE que le christianisme n'est pas encore sorti de sa perspective millénariste, apocalyptique, la venue du Messie préludant "presque" immédiat avec le jugement dernier... L'un de ces règles est l'interprétation de l'Ancien Testament par le Nouveau, lui-même rapporté à la personne et à la révélation du Christ. C'est d'ailleurs ce qui est enseigné dans les écoles catholiques jusqu'à récemment partout en matière d'éducation religieuse. Selon une autre règle, l'interprète doit mettre le passage qu'il étudie en relation avec l'ensemble de l'Ecriture : une méthode qui exige une attention rigoureuse aux mots du texte et à leurs emplois divers, pour en dégager le sens figuré ou allégorique, et qui repose sur le présupposé de l'unité de l'Ecriture - présupposé qui sera combattu pendant plus tard, des siècles plus tard... Bien qu'ORIGÈNE fasse de la découverte du sens spirituel l'objectif prioritaire de l'interprète, il ne néglige pourtant pas la quête du sens littéral ou historique : son exégèse se déploie le plus souvent sur le double niveau du sens littéral et du sens spirituel, même s'il arrive parfois de parler d'un troisième sens qu'il appelle "moral", et dont la spécificité n'est guère apparente. (Eric JUNON)
Peri Achon est un programme théologique sans précédent ni correspondant à la période patristique, qui se projette un peu paradoxalement, vu l'ambiance de l'époque et même certaines options affichées par lui (importance exclusive de la vie spirituelle, au détriment même des besoins terrestres). Il s'agit en effet de développer, à partir du symbole et la fois de l'Eglise et sur la base de l'Ecriture, une doctrine cohérence sur Dieu, l'homme et le monde. C'est déjà entrer dans un possible conflit avec d'autres penseurs et même Pères de l'Eglise, tant les esprits sont dans l'incertitude encore ; c'est aussi reprendre au compte d'un domaine spirituel toute une pensée philosophique antérieure au christianisme, qui ce peut attirer bien des foudres, tant le combat contre le paganisme ne semble pas du tout gagné durant la vie d'ORIGÈNE. Cette exigence de cohérence conduit d'ailleurs vite le théologien à formuler des hypothèses sujettes pour beaucoup à caution, dont surtout la préexistence des âmes, la succession des mondes jusqu'à ce que tous les esprits aient librement accompli leur conversion vers Dieu, l'identité entre l'état initial et l'état final dans la réparation en quelque sorte de la chute du péché originel... Son goût de la recherche cadre mal avec l'habituelle volonté d'imposer des vues définitives. Le système ainsi bâti par ORIGÈNE confère à la bonté de Dieu et à la liberté de l'homme un rôle décisif. Si la chute est due au mauvais emploi de leur liberté par les esprits créés, cette même liberté, éduquée et assistée par la providence divine, ramènera les hommes vers la contemplation stable du Dieu trinitaire.
Peri Archon constitue aussi une étape significative dans le développement de la doctrine trinitaire, notamment dans ses deux sections sur l'Esprit Saint, qui soulignent à la fois sa substance individuelle et se double fonction charismatique et gnoséologie. La christologie d'ORIGINE est complexe. A la fois subordonné et égal au Père, le Fils divin exerce une multitude de fonctions révélatrices et médiatrices qui sont indiquées par les diverses dénominations que l'Ecriture lui confère. D§s avant l'Incarnation, il a assumé une âme humaine qui n'a pas déchu. Son incarnation est salvatrice en ce sens qu'elle offre un modèle de volonté humaine parfaitement et librement soumise à Dieu. (Eric JUNON)
Le système qu'élabore ORIGÈNE est conflictuel. La connaissance et la contemplation de Dieu s'acquièrent par la compréhension spirituelle de l'Ecriture et par l'imitation du Logos incarné. Composé d'un esprit, d'un âme et d'un corps, l'homme est en lutte avec lui-même. L'âme, siège du libre arbitre, subit des passions : d'une part, elle est comme attirée par le corps ; mais d'autre part l'esprit, qui participe à l'Esprit divin, l'incite à se diriger vers Dieu. Ce combat ne se joue pas seulement à l'intérieur de l'homme ; il est en relation avec la lutte qui oppose les anges aux démons et derrière eux le Christ à Satan. L'ascèse, la prière, la pratique des vertus sont les armes qui permettent )à l'homme de soutenir victorieusement son combat. Mais l'arme décisive est la puissance, la lumière et l'amour que le Christ, l'image du Dieu invisible, apporte aux hommes quand il vient habiter et croire en eux. Le Christ rend ainsi l'homme participant à sa propre qualité d'image ; et le croyant se transforme progressivement en un spirituel et un parfait qui parvient à la contemplation de Dieu par l'union au Christ. La vision parfaite, toutefois, n'est pas accessible en ce monde. Si l'idéal d'ORIGÈNE est de type mystique, on ne trouve pas dans son oeuvre - celle qui nous est parvenue - l'attestation claire d'une expérience mystique ou d'une extase. (Eric JUNON).
C'est dans le fil-droit de ce système qu'il faut comprendre l'attitude d'ORIGÈNE concernant la présence des chrétiens dans les armées de l'Empire Romain, souvent invoquée par les auteurs pacifistes. C'est parce que l'insertion dans l'armée et la guerre conduit l'homme à se préoccuper plus de son corps que de son âme, que cette participation est plutôt dénoncée. Encore ne l'est-elle pas, sans doute par prudence, mais aussi parce que le combat contre le paganisme et la préservation de l'Empire chrétien constituent pour beaucoup une priorité, pas clairement défendue, du moins dans les écrits d'ORIGÈNE qui - encore une fois, nous reste...
Ce qui nous trouble également pour connaitre le fond de la pensée du théologien, c'est l'invasion que constitue l'origénisme dans la compréhension de son oeuvre. Cet origénisme s'éloigne parfois considérablement de ce que nous savons de son oeuvre. Si on considère que Peri Archon se trouve au centre des débats qui agitent le monde chrétien, c'est aussi par méconnaissance des autres oeuvres.
En tout cas, les mises en cause - et sans doute aussi sur ses opinions sur la participation des chrétiens à la défense de l'Empire Romain, qui n'est pas, rappelons-le, quand il vit, encore officiellement un Empire chrétien - les plus vives se déroulent selon Eric JUNON, entre le IVème et le VIème siècle, au moment où précisément existe l'Empire chrétien, après donc sa mort.
Sont classés parmi les admirateurs nuancés au enthousiastes du théologien alexandrin, EUSÈBE DE CÉSARÉE, ATHANASE, HILAIRE, DIDYME, BASILE DE CÉSARÉE, GRÉGOIRE DE NAZIANCE, GRÉGOIRE DE NYSSE, EVAGRE, AMBROISE( qui lui demande de réagir contre CELSE), RUFIN et JÉRÔME (dans un premier temps). Du côté des adversaires, on positionne MÉTHODE D'OLYMPE, EUSTACHE D'ANTIOCHE, PIERRE D'ALEXANDRIE, ÉPIPHANE, THÉOPHILE D'ALEXANDRIE et JÉRÔME (dans un second temps).
En fait, comme le signale Eric JUNOD, les controverses de ces époques ne sont pas d'un accès facile. Elles mettent en cause des éléments du système d'ORIGÈNE mais aussi des éléments étrangers voire contraires. Le point culminant de cette controverse est la conversion spectaculaire de JÉRÔME à la cause de l'antiorigénisme (autour de 400) et en orient la double condamnation d'ORIGÈNE et des origénistes au milieu du VIème siècle.
La pensée d'ORIGÈNE ne fait pas que marquer le travail allégorique et la réflexion théologique des siècles ultérieurs. Elle s'est aussi développée à l'intérieur des cercles monastiques attirés par les aspects rigoristes de sa doctrine (monastères d'Egypte, de Nitrie et des Kellia). C'est dans le milieu des moines de de Nitrie et des Kellia que s'élabore sous la plume de EVAGRE DE PONTIQUE (346-199) un véritable système théologique (Centuries gnostiques), articulé sur des hypothèses relatives à la création des intelligences par Dieu et à la restauration finale de l'unité première. Dans la première moitié du VIème siècle, cet origénisme évagrien trouve des partisans parmi les moines de Palestine. JUSTINIEN sévit contre eux et condamne (543 et 553) cet origénisme qui doit plus à EVAGRE qu'à ORIGÈNE. Conséquence directe de cette condamnation : la perte de la plus grande partie de l'oeuvre du théologien alexandrin.
Grâce à HILAIRE, AMBROISE DE MILAN et JÉRÔME, la méthode exégétique origénienne a été introduite en Occident et a marqué toute l'exégèse médiévale. Surtout, grâce aux nombreuses pages d'AMBROISE consacrées à commenter le Cantique des cantiques à l'aide d'ORIGÈNE, la piété médiévale est profondément influencée par la mystique orégénienne, jusqu'à BERNARD DE CLAIRVAUX ou THÉRÈSE D'AVILA.
Redécouvert à la Renaissance notamment par LORENZO VALLA et ERASME, son oeuvre suscite toutes les réserves de LUTHER. Plus récemment, au milieu du XXème siècle, l'oeuvre, la pensée, la méthode d'ORIGÈNE sont remis au premier plan par des théologiens (LUBAC, H. RAHNER, BALTHAZAR) appelés à jouer un rôle décisif dans le renouveau de la théologie catholique.
ORIGÈNE, Contre Celse, 5 tomes, Cerf, 1967-1976 ; Traité des principes, 5 tomes, Cerf, 1978-1984. Quantités d'homéies ont été traduites également aux éditions du Cerf, dans la collection "Source chrétiennes".
Jean DANIÉLOU, Origène, 1948, réédition en 2012 aux éditions du Cerf. Eric JUNOD, Origène, dans Dictionnaire critique de théologie, sous la direction de Jean-Yves LACOSTE, PU, collection quadrige, 1998. Pierre HADOT, Origine et origénisme, dans Encyclopedia Universalis, 2014.