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18 avril 2017 2 18 /04 /avril /2017 12:56

   A la suite de Michel VILLEY, parce que l'on est d'accord avec ses interrogations ou au contraire que l'on est en désaccord avec sa vision des choses du droit, on peut se poser la question du statut d'une philosophie du droit. Ce statut, affirmé par certains qui voudraient absolument distinguer droit et morale et encore plus droit et politique, ne peut pas se justifier en faisant l'impasse sur l'origine de la constitution de tous ces corpus de droit construits dans l'Histoire : la nécessité de trouver un terrain d'entente dans des conflits qui autrement ne peuvent se régler (en fait à court terme, car cela perdure ensuite génération après génération) que par la violence.

   Que ce soit sous l'empire total des lois édictées par un pouvoir législatif bien délimité ou que ce soit dans la dynamique de jurisprudences, dynamique dans laquelle les juges jouent le premier rôle, le droit, ou plutôt sa philosophie oscille entre réflexion philosophique sur le droit et la discipline qui entend l'expliquer et réflexion de type normatif sur ce que le droit devrait être. Etant donné que les deux démarches peuvent s'interpénétrer, jusqu'à d'ailleurs, pour le meilleur ou pour le pire, étendre sur un très large champ leur domaine, relevant autant de la philosophie politique que d'une épistémologie distincte. Les situations varient dans le monde moderne suivant le pays d'où on analyse. Les cas des Etats-Unis et de la France par exemple divergent grandement dans la répartition des rôles entre pouvoirs politiques et pouvoirs juridiques.

  La France, comme l'explique Otto PFERSMANN, professeur à l'Université de Paris 1, se caractérise pour le droit dans une certaine faiblesse institutionnelle (enseignement), une indétermination disciplinaire (la philosophie du droit étant disséminée entre un grand nombre de disciplines), reflet d'un éclatement des théories du droit. "D'une manière encore plus fondamentale, écrit-il, on peut observer une certaine permanence d'une conception aristotélicienne et phronétique (prudentielle au sens aristotélicien) du droit chez les juristes. Il s'agit là d'une conception selon laquelle le droit ne serait pas susceptible d'une analyse scientifique, mais uniquement d'un traitement prudente ou artistique : ou bien il s'agit d'une préoccupation pratique tributaire du moment juste et inanalysable ou de la production d'une oeuvre (littéraire) caractérisée par sa réussite au regard du public et également insusceptible d'une analyse en termes généraux caractérisant la science. Le tropisme artistique-prudentiel du discours juridique universitaire lui permet de se soustraire à la critique, aux exigences de la rigueur formelle du raisonnement et à toute articulation avec un domaine scientifique (par exemple avec les sciences du langage). Ainsi paradoxalement, une position philosophique confusément transportée et perpétuée, permet-elle d'échapper à une discussion philosophique sur la nature de l'objet et des méthodes permettant d'accéder à sa connaissance." 

Il s'agit, pour notre auteur, d'un domaine "méthodologiquement problématique", que cette philosophie du droit français. Ceci étant aggravé par le caractère épigonal de la production juridique française, que met en évidence par exemple, sa difficulté d'adaptation à un droit européen en formation... Cette situation dérive plus ou moins directement de positions divergentes des théories qui s'opposent sur la scène internationale. A travers parfois des circonvolutions rhétoriques permettant à des juristes de s'appuyer pour une même doctrine ou interprétation de doctrine sur des théories radicalement opposées... Dans le cas des juristes français qui s'interdisent de confronter les décisions aux données qui les régissent, et qui mettent en avant plus des stratégies déclaratoires dans des débats juridiques concrets que des raisonnements reposant sur ce que disent réellement les textes. "SI le juge constitutionnel affirme par exemple, écrit-il, que la Constitution contient un principe de "dignité humaine", alors la Constitution contient un principe de "dignité humaine", même si la Constitution française ne contient en fait, contrairement à la Constitution allemande, nullement un tel principe." Ce genre de stratégie déclaratoire s'appuie sur deux théories radicalement opposées.

- L'une est principalement importée des Etats-Unis, en tout cas dans sa forme contemporaine, la théorie de la "seule solution juste" élaborée par Ronald DWORKIN (1931-2013), philosophe américain, spécialiste de la philosophie du droit, qui cherchait à fournir un appui philosophique à la jurisprudence - alors - progressiste de la Cour Suprême américaine : selon lui les principes existent parce que le juge s'y réfère et leurs applications existent parce qu'il les élabore... Cela vient de la tradition qui donne aux juges, suivant une hiérarchie très savante, le pouvoir de dire le droit et d'orienter les solutions aux multiples conflits qu'on leur soumet.

- L'autre, élaborée en France, part d'une critique radicale de toute idée de solution unique. C'est celle de l'école dominante dans le paysage universitaire français, l'oeuvre de Michel TROPER (né en 1938), juriste et professeur de droit à l'Université Paris X,  et de l'école dite de la "théorie réaliste de l'interprétation".

Otto PERSMANN toujours explique que "alors que les théories nomativistes et les théories réalistes se présentent comme indifférentes par rapport au contenu du droit que tant les unes que les autres entendent analyser de la manière la plus objective possible et donc sans confondre des positions normatives subjectives avec l'objet normatif qu'est le droit positif, d'autres écoles se préoccupent principalement du contenu des normes." Il estime qu'il s'agit là plus de philosophie politique que d'analyse du droit, ce qu'on penser, selon nous, relever plus d'une "conscience professionnelle", d'une "justification de statut et de pouvoir" que d'une véritable philosophie, qui ne se comprendrait pas de se fier uniquement à la forme des doctrines...

Notre auteur, dont nous ne partageons pas trop la démarche, entend faire "comprendre l'intérêt et les difficultés d'une telle position". Il cite les travaux d'Olivier BEAUD (né en 1958), juriste et spécialiste de droit constitutionnel, qui développe un essentialisme juridique s'inspirant parfois de Carl SCHMITT. Sa position fondamentale consiste dans l'idée que certains objets juridiques auraient par eux-mêmes une nature déterminée et non modifiable. "Ainsi, il existerait par exemple la "souveraineté" quoi qu'on en dise la constitution ou un autre texte - par exemple international -, elle se situerait au-dessus de la Constitution. Il s'ensuivrait que la France n'aurait pas pu ratifier le Traité de Maastricht si ce n'est pas l'intervention du peuple en tant que constituant souverain. Ce raisonnement est indépendant des dispositions du droit positif et s'impose à lui. En ce sens, la démarche d'Olivier Beaud reprend à son compte les positions fondamentales du droit naturel - moins pour dire que le contenu du droit pourrait être déduit de données non juridiques (naturelles) que pour saisir et développer la nature intrinsèque de données juridiques en quelque sorte originaires. Il serait naturellement assez simple de faire observer que le Traité de Maastricht a pourtant bien été ratifié sans l'intervention du peuple en tant que "constituant souverain" - ce qui serait de toute façon difficile puisqu'une telle instance n'est prévue nulle part - et qu'il ne viendrait probablement à l'idée de personne d'affirmer que ce traité serait juridiquement nul et non avenu ou qu'il serait entaché d'un caractère juridiquement fautif - en effet, en vertu de quoi et avec quelles conséquences? Un tel argument, certes pertinent dans une perspective normativité, ne rendrait toutefois guère justice à cette variante de naturalisme essentialiste - pour problématique qu'elle soit par ailleurs. Cette démarche montre en effet un intérêt peu développé dans d'autres pays pour des macrostructures juridiques, considérées en dehors de leur contexte nécessairement contingent. L'essentialisme d'un droit selon lui insaisissable par les théories positivistes et relevant du monde et des conceptions ds "anciens" avait été en son temps la préoccupation de Michel Villey. Le néo-essentialisme d'Olivier Beaud est revanche plutôt moderne. Il se heurte comme son ancêtre à la difficulté de concilier ses très riches analyses d'entités juridiques intemporelles avec l'analyse d'un droit positif qui organise son propre changement."

  En fait, comme l'écrit Christian ATIAS, professeur agrégé des Universités, "aucune définition du droit ne peut faire l'économie de la préoccupation de sa légitimité ; le droit donne raison, en livrant ses raisons. En s'efforçant de détacher le droit de la religion, de la métaphysique, de la morale, des théoriciens ont cru le libérer aussi de se tourment. Le droit doit s'imposer au moins globalement et pour partie ; le droit doit être accepté, reçu comme tel par ceux-là même qui n'en respectent pas toujours les exigences. Il peut l'être parce qu'il est considéré comme venant d'une divinité, c'est-à-dire d'une autorité et d'un pouvoir supérieurs et incontestables. Il peut l'être par sa correspondance à une tradition populaire ou corporative. Il peut l'être parce que les solutions de droit sont consacrées dans des formes caractéristiques, après une délibération publique permettant aux différents courants d'opinion de s'exprimer. "L'adhésion silencieuse est  indispensable pour légiférer" (J Carbonnier, Droit et passion du droit sous la Vème République, Flammarion, 1996), voire pour réguler. L'époque contemporaine en offre la confirmation. Les juristes s'épuisent à retrouver la légitimité perdue. La loi tente de se dépasser elle-même ; elle se commande à elle-même et s'engage. Elle se reconnait contrainte de respecter ce qu'elle ne peut méconnaitre : "la loi assure la primauté de la personne".

    La quête sans fin de normes supérieure, voire la recherche d'une légitimité d'un droit qui remonterait à la plus grande ancienneté ou encore la recherche d'un fondement qui ferait un droit simplement soucieux de la répartition de biens extérieurs à la personne; reste vaine. Des réponses avancées par certains escamotent un aspects essentiel de la difficulté ; on ne peut faire l'impasse sur le contenu du droit, ce qu'il veut légitimer en termes de morale, de politique ou d'économie...

 

Christian ATIAS, Philosophie du droit, PUF, 2016. Otto PFERSMANN, Après Michel Villey, la philosophie du droit aujourd'hui, dans La philosophie en France aujourd'hui, sous la direction de Yves Charles ZARKA, PUF, 2015.

 

JURIDICUS

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