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31 juillet 2017 1 31 /07 /juillet /2017 12:40

        L'esthétique, dont le terme est assez récent (1904) et les premières chaires d'université (française, 1921 pour Victor BASCH) tout aussi récentes, a une histoire déjà très ancienne. L'étymologie renvoie d'ailleurs à la vieille source grecque et les débats dans les oeuvres de PLATON et d'ARISTOTE sont présentes dans bien des esprits. 

      Mikel DUFRESNE, conscient de ce l'esthétique est revendiquée par beaucoup d'auteurs (sans compter les praticiens...), tente de classer cette notion. "Dans la philosophie ou dans la science? On a résolu (ce problème) en ménageant les susceptibilités. La revue allemande s'appelle "Revue d'esthétique et de science générale de l'art" (où Etats-Unis, où les critiques d'art sont plus puissants que les philosophes, la revue homologue s'appelle "Revue d'esthétique et de critique d'art"). Au vrai, ce problème nous paraît aujourd'hui aussi faux que sa solution. Il était posé par l'avènement de la pensée positiviste, qui se croyait tenue de discréditer la philosophie pour célébrer la science. Mais le positivisme ne concevait que deux modèles de la science : les sciences formelles et les sciences de la nature. Aujourd'hui on est moins intransigeant : on accorde la dignité de science à tout discours rigoureux et fécond. ET ce que l'on oppose à la science, c'est le bavardage ou la rhétorique - par exemple de cette critique d'art qui sévit fans les journaux, alors que la véritable critique est une esthétique appliquée -, ce n'est pas de la philosophie. Car celle-ci est partout, et peu importe qu'on la discrédite en l'appelant idéologie : au commencement, sous la forme d'options et de présupposés méthodologiques qui font démarrer la recherche ; à la fin, parce que la réflexion veut approfondir, pour le fonder, ce qui a été entrepris." L'auteur se place surtout du point de vue philosophique et au lieu de "faire" de l'esthétique, entend tenter plutôt de dire ce qu'elle est. Ce faisant, il plonge dans les méandres de l'objet de l'esthétique et de ce qu'on appelle esthétique subjectiviste et esthétique objectiviste.

    Daniel CHARLES, pour répondre à la question de la définition de l'esthétique, ce qu'elle est, ce qu'elle n'est pas... invoque de son côté l'Histoire. Il est obligé de passer si l'on peut dire du simple au complexe, de l'Antiquité à l'époque contemporaine, ne serait-ce que parce que chaque époque est influencée par la précédente (ne serait-ce qu'en s'y opposant...) dans les critères de l'esthétique. Et que, même si on ne l'écrit pas assez, plus on se rapproche du temps présent, avec les progrès de la diffusion des connaissances et des moyens techniques pour faire savoir ce qu'on pense, les périodes apparaissent de plus en plus bavardes, à défaut d'être claires... Bien entendu, tout est compliqué par les réceptions successives des pensées précédentes, soit qu'on les exhume archéologiquement ou mentalement, soit que divers mouvements de censure et de redécouverte ne cessent d'agiter les populations, les savants et les autorités...

    L'objet de l'esthétique, rappelle Mikel DUFRESNE, étant donné que ce qui détermine l'objet, c'est la méthode qui se propose de le saisir, c'est le beau, l'idée du beau, dans le cadre d'une philosophie platonicienne ; mais depuis au moins KANT, cette idée est soit creuse, soit inaccessible, beau  est alors un prédicat qui qualifie les objets offerts à la perception... "D'où le piège tendu à l'esthétique ; car la sensibilité est subjective, rebelle au discours logique, impuissante à se justifier : l'esthétique doit toujours se défendre contre la tentation du pathos dans lequel sombre trop souvent une certaine critique". Il n'est pas difficile de voir ici qui l'auteur vise... 

Dans cette perspective une théorie de l'art est problématique, et il y a autant de théories pratiquement que de théoriciens, sans compter celles des praticiens, dont beaucoup refusent la théorisation de leur propre pratique... L'esthétique est le plutôt souvent une théorie de l'art. Elle vise les objets qui visent expressément à plaire, ou en tant cas à provoquer une réaction de plaisir ou de déplaisir. Là Mikel DUFRESNE, après avoir cité plusieurs points de vue, constate que "une première question nous arrête icic : si l'esthétique porte préférentiellement son attention sur l'art, puisque l'art est une praxis, ne va-t-elle pas être tentée de contrôler cette praxis? Si elle parvient à définir le beau, ne va-t-elle pas imposer sa définition aux artistes? Ne va-t-elle pas être normative autant que descriptive? (surtout pensons-nous si elle est enseignée dans des écoles d'art qui dressent des critères...) De fait elle l'a souvent été. Pour de mauvaises raisons parfois, si le dogmatique procède de l'esprit d'autorité des critiques, de la docilité du public qui s'en remet aux experts, ou de l'inertie des artistes qui restent fidèles aux valeurs sûres et rentables d'une tradition. Pour de meilleures raisons aussi, s'il est vrai que, comme l'a dit Kant, le jugement du goût ne peut être qu'il ne revendique l'universalité. Pourtant cette revendication n'implique nullement un dogmatique, puisque le jugement ne porte que sur un objet, et non sur un concept ou une règle. Affirmer la beauté, chaque fois unique, d'un objet singulier, ce n'est pas se recommander d'un canon, ni en commander un. De fait, l'esthétique aujourd'hui a renoncé à être normative ; en quoi elle s'est séparée de la critique, et surtout de celle qui ne cherche pas au moins à justifier son jugement. Cela n'implique point que l'esthéticien renonce à exercer son jugement ou ignore celui des autres ; bien au contraire, la normativité spontanée du goût devient un objet de sa réflexion. Mais l'esthétique fait la théorie de la normativité sans être elle-même normative. Elle est descriptive."  

Cette présentation amène quelques réflexions : à chaque civilisation et à chaque époque existe un conformisme esthétique érigé souvent en normativité. La civilisation égyptienne n'admet que les représentations en sculpture que de profit. Est-ce dû à la nature des matériaux et des outils employés? Ou n'existe-il pas toutefois une théorie de l'art de la sculpture approuvée par le Palais ou les religieux, contre laquelle déroger peut sans doute s'attirer quelques désagréments professionnels ou plus... De fait, le conflit s'exprime bien dans le passage par exemple d'une architecture médiévale romane à une architecture gothique, ne serait-ce que par l'entremise des rivalités entre sociétés de compagnons, chevilles ouvrières des églises et des cathédrales de l'époque... Les théories de l'art sont bien des expressions de conflits qui ont peu affaire finalement avec le goût? Qui trouve la Tour Eiffel belle, alors même que ses constructeurs ne visaient pas l'esthétique mais l'expression de puissance de la civilisation mécanique alors en pleine course? Les conflits nés de l'activité des voisinages d'une entreprise culturelle d'ampleur (regardez ce qui se passe avec la Bibliothèque Georges Pompidou, avec la Pyramide du Louvre...) lesquels n'hésitent pas à faire valoir un art pour défendre l'esthétique de leur quartier, le montrent bien. Les théories de l'art ne sont pas une aimable confrontation de points de vue élégamment exposés, ils sont aussi au centre de luttes aux aspects multiples, ce qui indique assez bien que l'appréhension du beau ne se situe pas uniquement au niveau de l'individu contemplant un objet, mais est affaire collective, culturelle, sociale, économique, politique... On dira aussi que les temps de contestations de ce qui parait beau à certaines classes sociales correspondent aussi à des temps de contestations de l'ordre social, les prémisses des critiques de l'art officiel étant souvent des signes avant-coureurs... De nos jours, s'il n'existe plus précisément de théorie normative de l'art, c'est bien parce l'ordre social n'est plus aussi stable ni aussi consensuel qu'auparavant, dans les périodes pré-modernes...

C'est ce qui en arrière-fond amène notre auteur, vus les divers changements historiques de l'esthétique, à faire appel plutôt qu'à une théorie qui serait vraie, à l'expérience esthétique, qui est, beaucoup de philosophes l'écrivent bien, affaire personnelle, individuelle autant que collective. Du coup exit une théorie admise de l'art. Place à l'esthétique subjectiviste.

     L'esthétique subjectiviste est d'abord, rappelle toujours Mikel DUFRESNE, "une réflexion sur la perception esthétique". Placée au début du XXème siècle sous l'égide de la psychologie, cherchant à spécifier l'attitude esthétique (Victor BASCH, Theodor LIPPS...), l'esthétique subjectiviste opère toujours un retour à l'être sauvage où le sujet et l'objet ne sont pas encore séparés, pour plus tard, avec BACHELARD par exemple se comprendre sous l'angle de la phénoménologie. Sous cet angle encore, "la conscience n'est pas souverainement donatrice de sens, elle reconnait un sens immanent à l'objet ; et du même coup l'analyse intentionnelle des fils qui se tissent entre la conscience et son corrélât doit être double : noétique nématique selon l'expression de Husserl ; et cette double analyse tend à cerner un état d'indistinction première entre le visible et le voyant, entre le réel et l'imaginaire." Notre auteur souligne le fait que cette esthétique là rencontre les même problèmes que les esthétiques objectivistes qui s'affirment par la suite. "D'une part, parce que le sujet qu'elle décrit est un sujet concret, donc historique : elle ne peut ignorer que toute perception, tout usage de l'objet esthétique sont orientés par une certaine culture qu'il appartient à la sociologie de l'art d'explorer. D'autre part, même si cette esthétique se vouait à décrire un regard d'avant l'histoire, encore anonyme et général, elle ne peut ignorer ce que ce regard vise (...)." 

L'esthétique subjectiviste peut entreprendre de décrire une autre attitude esthétique, celle du créateur, et sans doute la littérature est bien plus emplie de considérations qui proviennent des artistes eux-mêmes (qu'ils soient confirmés ou... ratés), que d'analyse sociologiques... Les titres qui auto-définissent le génie, avec un zeste certain d'autosatisfaction et d'égocentrisme, rédigées par les "génies" eux-mêmes attirent bien plus l'attention du public (des publics...) que des oeuvres un peu plus austères qui s'efforcent de cerner les tenants et aboutissants de la perception des oeuvres... Par ailleurs, toutefois, la psychologie de la création est souvent, de nos jours une psychanalyse de l'artiste, réalisée par d'autres que des artistes. FREUD en donne plusieurs exemples frappants dans son oeuvre (Sur Léonard de Vinci par exemple). Dans le cadre de l'esthétique subjectiviste toujours, plusieurs auteurs abordent l'étude de la perception conjointement avec l'étude de la création... Ce domaine d'analyse permet plus de cerner sans doute où peuvent se trouver les multiples conflits d'interprétation d'une oeuvre et comment s'organisent les les coopérations et les conflits de perception entre eux et avec ceux des créateurs. Dans la lignée de L'esthétique comme science de l'expression et linguistique générale de B CROCE (1904), plusieurs auteurs veulent souligner, en phase avec une certaine évolution de l'art lui-même, les interactions des perceptions des créateurs et des spectateurs, notamment dans l'architecture, l'urbanisme, la hi-fi, la peinture, avec une certaine tentative de renouer avec un esprit perdu (plus ou moins mythique) de fête où le spectateur est aussi un acteur...

       C'est à un autre ordre d'idées que se rattache ce qu'on appelle l'esthétique objectiviste. Objectiviste en ce sens où l'on met l'accent sur une objectivité propre aux sciences positives. A l'univers intellectuel du positivisme du début du XXème siècle se substitue, s'oppose, se complète... également celui du structuralisme. Même si des approches ne se soucient guère d'acquérir le titre de science (sauf à se prévaloir d'une discipline universitaire), elles forment un faisceau convergeant de considérations.

Les premières oeuvres, rappelle toujours Mikel DUFRESNE, qui se réclament de la science de l'art (UTITZ, DESSOIR), sont bien plus philosophiques que scientifiques ; "elles reprennent d'ailleurs très largement les thèmes et les problèmes de l'Asthetik, et ne s'en distinguent que par la part plus grande qu'elles font à l'étude de l'objet." "Dessoir, poursuit-il, pourtant accuse la spécificité de la science de l'art en reprenant, après bien d'autres depuis Fechner, l'étude expérimentale de l'expérience esthétique. Aujourd'hui encore l'esthétique expérimentale ne cesse de solliciter les chercheurs, tel Robeert Franès, qui était vice-président d'une Association internationale d'esthétique expériementale fondée en 1965, implantée dans de très nombreux pays. Mais cette esthétique, comme déjà Lipps l'objectait à K¨lpe, semble n'étudier que ce qui est pré-esthétique : les conditions psychophysiologiques ou sociologiques de l'expérience esthétique plutôt que cette expérience elle-même. Sans doute d'ailleurs le reconnait-elle : elle se veut "psychologie de l'esthétique" (Francès, 1968), et non point esthétique à part entière. L'esthétique positive peut aussi se vouloir histoire, ou sociologie : là encore, plutôt que de l'objet même, elle est tentée de se vouer à l'étude des circonstances qui déterminent sa production ou sa consommation. Son approche de l'objet, si légitime et féconde qu'elle soit, reste alors une démarche indirecte : le souci de l'objectivité, s'il suscite le recours à des concepts et des procédures qui ont fait leurs preuves ailleurs, ne recommande pas autant l'abord direct de l'objet, qui impose d'élaborer une science ad hoc plutôt qu'une "science générale" ou des sciences de l'art." Ce qu'on appelle avec un peu de facilité le formalisme, soit l'analyse formelle des oeuvres, est composée par des auteurs et des écoles bien divers. Il s'agit alors, laissant de côté les conditions d'émergence des oeuvres, d'étudier comment les oeuvres produisent tels effets. 

  Il s'agit alors de comprendre l'oeuvre, sa structure, son sens même : de nombreux esthéticiens comme VIOLLET-LE-DUC, LALO, Etienne SOURIAU ou encore RIEGI, WOLFFLIN, PANOFSKY ou FRANCASTEL, s'y attachent tout au long d'écrits, qui, par ailleurs, se répondent   souvent sans se recouvrir complètement. Il s'agit de cerner, et ce n'est guère facile car la création artistique n'est ni figée ni friande de frontières, comment un bas-relief, un film, une peinture, par une distribution des couleurs, par une organisation de l'espace provoquent un effet. Interviennent alors la phénoménologie et la sémiologie comme moyen d'atteindre la manière dont ces oeuvrent agissent. Cerner la valeur d'une oeuvre apparait en filigramme des préoccupations des auteurs, d'une manière qui se veut scientifique, c'est-à-dire prenant en compte toutes ses caractéristiques agissantes. Si une oeuvre, de quelques disciplines artistique qu'elle soit, possède un impact propre, comme appartenant aussi à un ensemble d'oeuvres (souvent définies ainsi par l'artiste), l'esthétique ne renonce jamais au jugement de goût, même si l'auteur avertit qu'il s'efforce de ne pas le faire. Et d'ailleurs, s'il n'y avait pas expression du jugement de goût, sans doute l'intérêt d'étudier ce que l'un ou l'autre appelle oeuvre perdrait-il beaucoup... La réflexion amène à aborder des points fondamentaux, qui ne sont souvent observés que très partiellement, tant les considérations technico-artistiques l'emportent : d'où vient que l'homme soit capable du jugement de goût? D'où vient que la nature même lui offre de la beauté? Impossible si l'on pousse plus loin la réflexion d'éviter des questions philosophiques premières. Du coup, l'on tombe également sur le pourquoi des différents accords et désaccords sur une oeuvre. Sur la combinaison des conflits et coopérations qui font considérer oeuvre comme oeuvre. Comme souvent, l'effet de perspective aide beaucoup : les codes perspectifs varient d'une civilisation à l'autre, et cela se voit seulement lorsqu'il y a contact entre elles.... Quelque chose de beau peu être considéré comme laid par ailleurs. Si vous trouvez belle l'architecture antique, sans doute réviseriez-vous cette considération si vous saviez que ces bâtiments étaient systématiquement recouvertes d'une couleur rouge foncée (ocre)... Et la musique écossaise (biniou..) apparait-elle harmonieuse aux oreilles latines? On pourrait multiplier les exemples...

Comme l'écrit Mikel DUFRESNE, quand il s'interroge philosophiquement sur l'esthétique, "l'expérience esthétique, parce qu'elle est une perception comblée et heureuse jusqu'à l'aliénation du sujet dans l'objet, nous invite à concevoir une indifférenciation originaire de l'homme et du monde, une présence antérieure à toute représentation, un état sauvage de l'être du sens, avant que la conscience ne se sépare pour le recueillir. Ensuite, l'art, qui nous reconduit à l'origine de la perception, nous parle peut-être aussi de l'origine du monde. (...). SI le plaisir que nous prenons aux beautés naturelles vient de ce qu'elles attestent la complaisance de la nature à l'égard de notre pouvoir de connaitre, comme di Kant, le plaisir que nous prenons à l'art, lorsqu'il ressuscite les vieux mythes, comme Freud le montre de Shakespeare, vient de ce qu'il libère en nous des images immémoriales ; et ce retour au fondement est peut-être aussi, comme à notre insu, une leçon de sagesse."

L'auteur semble bien conclure sur l'impossibilité d'une science de l'art qui permette de comprendre les tenants et aboutissants des oeuvres artistiques. Pas sûr que ce soit une bonne manière de conclure. Comprendre comment se font les oeuvres et comment elles agissent sur nos perceptions constituent, à travers les divergences constatées en chemin parmi les hommes, constitue tout de même un apport, ne serait-ce que sous la forme d'avertissement à ne pas se laisser systématiquement éblouir (surtout dans un monde où la manipulation marchande semble constituer un alpha et un oméga existentiels...) par les oeuvres, pour comprendre maints conflits, pour éviter certaines perceptions, et pour renforcer au contraire les coopérations indispensables... Quoi qu'il en soit, on continue d'écrire sur les oeuvres, sur leur sens, sur leur impact et c'est tout mieux, tant que la recherche esthétique n'est pas trop obérée par des considérations purement commerciales ou idéologiques (n'oubliez pas les écrits nationaux-socialistes sur l'art...). Les points de vue dans l'histoire aident beaucoup dans ce sens et le regard sur ce qu'en écrit Daniel CHARLES n'est pas dénué d'intérêt. 

 

ARTUS

 

 

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