Le critique littéraire, sémiologue, historien des idées et essayiste français d'origine bulgare Tzvetan TODOROV se consacre à partir des années 1980 surtout à l'histoire des idées, aux problèmes de la mémoire et au rapport à l'autre (altérité). Attaché à la démocratie libérale, son analyse de la vie commune s'inscrit dans une démarche à la fois anthropologique et historique. Que ce soit pour défendre les intellectuels russes pourchassés et plus largement une certaine culture russe ou pour soutenir les personnes victimes de la torture et de la violence politique (au centre Primo Levi par exemple), l'écrivain reste fidèle à un certain idéal démocratique.
On peut partager son oeuvre en deux grandes parties, un ensemble de textes consacrés à la littérature (fantastique, entre autres) et à la poésie (co-fondateur en 1970 de la revue Poétique), aux sciences du langage (auteur d'un Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage) puis, sans abandonner ces centres d'intérieur une partie nettement plus centrée sur l'histoire des idées, se situant en Européen (des Lumières) s'inspirant entre autres des oeuvres de ROUSSEAU, MONTESQUIEU, MONTAGNE, Benjamin CONSTANT et Jacques CAZOTTE.
On peut ranger dans la première partie sa Théorie de la littérature, textes des formalistes russes (1965), Littérature et Signification (1967), Introduction à la littérature fantastique (1970), Théories du symbole (1977), Les Genres du discours (1978), Mikhaïl Bakhtin, le principe dialogue (1981), La notion de littérature et autres essais (1987), Le Triomphe de l'artiste. La révolution et les artistes : 1917-1941 (2017)...
Dans la deuxième partie, citons La Conquête de l'Amérique ; la question de l'autre (1982), le Jardin imparfait : la pensée humaniste en France (1998), Mémoire du Mal, tentation du Bien (2000), le Nouveau Désordre mondial : réflexions d'un Européen (2003), L'Esprit des Lumières (2006), La peut des barbares : au-delà du choc des civilisations (2008), L'Espérience totalitaire : la signature humaine (2010), Les Ennemis intimes de la démocratie (2012), Insoumis (2015)...
Se définissant comme exilé enraciné en France, Tzetan TODOROV, mène de front plusieurs vies de chercheur et d'intellectuel, très sollicité à la fois en Europe et aux Etats-Unis. Il est, au cours de la décennie 1960, soit depuis son arrivée à Paris en 1963, l'un des principaux acteurs du structuralisme littéraire, en compagnie de Roland BARTHES, de Gérard GENETTE et d'autres. Ces intellectuels veulent donner à la critique littéraire un rang bien plus important que d'être une "causerie". C'est la période où il publie plusieurs études sur les genres du discours et nous avons une préférence bien subjective pour son Introduction à la littérature fantastique. Il fait connaitre en Occident les travaux de Mikhaïl BAKHTINE dont les textes ne paraissent que plusieurs décennies plus tard... Lorsqu'il enseigne à l'université de Yale aux Etats-Unis en 1967-1968, il est bien plus intéressé par les débats sur les droits civiques, la reconnaissance des droits des Noirs dans le Sud et les problèmes raciaux que par ceux de mai 68 à Paris. C'est à la fin des années 1970 qu'il commence à diversifier et élargie le champ de ses intérêt, devenu auteur d'essais dont certains connaissent un certain succès critique et public. Ses études sur les acteurs-auteurs des Lumières (Rousseau Frêle bonheur, 1985 ; Benjamin Constant : la passion démocratique, 1997, avec bien sûr L'Esprit des Lumières) soutiennent ses efforts, aux côtés de Luc FERRY, Pierre MANENT ou Alain RENAULT, pour promouvoir une tradition libérale. C'est dans le même esprit qu'aux côtés d'Edgar MORIN, Umberto ECO, Jean GOYTISOLO et de Hans Magnus ENZENSBERGER, entre autres, qu'il participe à la Lettre internationale, revue européenne publiée en quatre langues (1986-1991). (Philippe ROUSSIN)
Ses essais portent surtout sur l'altérité, le rapport à l'autre, de La Conquête de l'Amérique. La Question de l'autre (1982, à partir de conférences données au Mexique en 1977-1978), à Nous et les autres. la réflexion française sur la diversité humaine (1989, où il analyse la tradition qui va du début du XVIIIème au début du XXème siècle). Notons que cette réflexion se situe, sans s'y confondre, dans une certaine révision historiographie de la révolution française.
Sa réflexion (notamment sur le totalitarisme) le mène à son livre Insoumis (2015), où il met en exergue la "capacité de dire non quand tout le monde dit oui" et les combats de huit contemporains dont les formes morales d'engagement ont fini par jouer un rôle politique dans l'espace public : Germaine TILLION, Etty HILLESUM, PASTERNAK, SOLJENITSINE, MALCOLM X, MANDELA, Edwards SNOWDEN et David SHULMAN. Jusqu'à sa dernière oeuvre, il est préoccupé par la "nouvelle espère de mur apparue depuis quelques décennies" "particulièrement caractéristique de notre temps : c'est le mur anti-immigrés, destiner à empêcher les pauvres d'entraidants les pays riches pour y gagner mieux leur pain et y vivre plus décemment. Le plus spectaculaire, construit entre les Etats-Unis et le Mexique, coupe le continent en deux." (entretien accordé à Books en 2009).
Tzvetan TODOROV, La peur des barbares : au-delà du choc des civilisations, Robert Laffont, 2008 ; Les Ennemis intimes de la démocratie, Robert Laffont, 2012 ; Introduction à la littérature fantastique, Le Seuil, 1970 ; Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, avec Oswald DUCROT, Le Seuil, 1979.
Philippe ROUSSIN, Tzvestan Todorov : une vie de penseur européen, Les invités de Mediapart, février 2017.