William (Billy) MITCHELL, général américain, pilote est un pionnier de l'aviation militaire, avec Giulio DOUHET et Hugh TRENCHARD. Partisan de la stratégie aérienne, il tente tout au long de sa carrière de faire de l'aviation une arme indépendante. Souvent en bute avec sa hiérarchie, il finit par être condamné par une cours martiale pour insubordination en 1925, malgré ses hauts faits durant la première guerre mondiale. C'est qu'il se heurte (et heurte par son caractère - mais c'est le lot des pilotes de cette époque...) à l'opposition de l'armée de terre et de la marine au projet d'une troisième arme autonome. Il est considéré par beaucoup aux Etats-Unis comme le Père de l'US Air Force créée en 1947 et est d'ailleurs réhabilité après sa mort.
Il prédit dès 1906 que les futurs conflits se joueraient dans les airs et non seulement au sol ou en mer. Instructeur et directeur adjoint (car l'armée de terre préfère ensuite l'un des siens pour le plus haut poste...) de l'arme Service en 1919, il influence toute une génération de futurs officiers qui servent ensuite durant la seconde guerre mondiale.
Ses théories portent à la fois sur les transformations stratégiques provoquées par l'invention de l'aéroplane et sur des questions de tactique, domaine où son expérience pendant la première guerre mondiale lui est précieuse. Sa doctrine apparait dans de nombreux articles et dans plusieurs ouvrages consacrés à l'aéronautique, parmi lesquels On Air Force (1921), Winged Défense (1925) et America, Air Power and the Pacific. Comme DOUHET, MITCHELL fait une synthèse cohérente des nombreuses théories sur la guerre aérienne qui émergent à cette époque. S'il n'est pas considéré comme le meilleur stratégiste en la matière, son activisme et sa propagande est bien plus efficace que ceux de ses "collègues" en Europe.
Visionnaire, il sait anticiper l'impact de l'aéronautique sur la société en général et est l'un des premiers à voir se profiler la menace japonaise. Sa passion exaltée pour l'aérien, compréhensible à une époque où le scepticisme ambiant et les intérêts des autres armes dominent, le pousse à affirmer que l'aviation devrait réduire les autres armes à un rôle auxiliaire. Par certains côtés, c'est un idéaliste qui voit dans l'aéronautique une instrument du progrès technique, mais aussi un moyen de faire progresser l'humanité tout entière. Cet idéalisme est curieusement partagé (par myopie et par méconnaissance de la dynamique des progrès techniques...) par de nombreux initiateurs de nouvelles armes depuis le XVIIIème siècle, la figure de Alfred NOBEL étant emblématique à cet égard...
Sa foi dans la technique, autre trait de ces inventeurs de génie myopes quant aux conséquences de leurs inventions, lui fait commettre l'erreur de croire que l'avion va transformer complètement toutes les données politico-stratégiques - au même moment, les pionniers de la mécanisation, comme l'Anglais FULLER, sont tout aussi persuadés que l'avenir de la guerre réside dans le char motorisé.
Adepte de l'offensive, convaincu de la nécessité du développement d'une nouvelle arme autonome, partisan des bombardements massifs démoralisants des populations entières, il ne commet toutefois pas l'erreur de DOUHET de préconiser un seul type d'appareil. Plus à l'aise dans le domaine technique que dans la stratégie, William MITCHELL préconise une coopération plus complexe entre forces armées différentes, et opte pour trois sortes d'avion de combat : chasseur, bombardier et attaquant au sol ou avec les navires opérant eux-mêmes de concert. Comme pour les avions destinés à l'attaque, chaque bombardier doit être appuyer par deux chasseurs.
Nombre d'écrivains militaires américaines, partisans de la puissance aérienne comme premier élément de l'organisation militaire, ont considéré la défense de leur continent comme la préoccupation militaire primordiale de leur pays. MITCHELL n'accepta jamais de pareilles restrictions et il chercha avant tout à analyser en termes généraux l'application de la puissance aérienne, avec un soutien minimum des forces de surface. Inlassablement, il défendit les routes aériennes arctiques entre les continents qui ont récemment (au milieu des années 1940) éveillé un vif intérêt dans le public et qui ont contribué, dans une grande mesure, au remplacement des cartes Mercator par les cartes à projection polaire. Il insista sans relâche sur la valeur que représentait une route transatlantique par le Groenland et l'Islande et sur ses possibilités d'utilisation d'un point de vue militaire, de même qu'il défendit, pour les mêmes raisons, les routes aériennes entre les Etats-Unis et l'Asie passant par l'Alaska et la Sibérie ou la par la chaîne des îles Aléoutiennes et Kouriles (point de friction avec l'URSS...). Tout au début de sa carrière militaire, il considérait déjà l'Alaska comme la clé de la suprématie militaire dans le Pacifique ; l'apparition de l'avion et sa puissance toujours plus grande confirmèrent ses convictions sur ce point. C'est à l'époque où le général MITCHELL était chef-adjoint de l'aviation militaire qu'un escadron de trois appareils, lancé autour du monde, traversa le Pacifique et l'Atlantique par la route jalonnée d'îles qu'il avait préconisée parce qu'elle représentait un avantage pour les Etats-unis et une menace pour leur sécurité. La ligne aérienne via le Groenland et l'Islande est aujourd'hui en service. L'installation des Japonais dans les îles Aléoutiennes à l'été 1942, où aucune base n'avait été établie en temps de paix, est une remarquable confirmation des prévisions de MITTCHEL sur les événements à venir, quoique l'opération semble avoir nécessité la participation d'un grand nombre de navires et d'être moins attachée aux objectifs aériens qu'il ne l'avait imaginé.
Nombre de ses prédictions se sont révélées justes. D'autres se réaliseront dans les prochaines années (l'article date de 1943...). Mais une grande partie des progrès techniques qui lui semblaient poindre à l'horizon ou même imminents à l'époque où il écrivait, sont encore loin, vingt ans après et malgré les études intensives entreprises, de se concrétiser (les concurrences entre armes ont en fait une influence certaine sur la vitesse de développement des différentes techniques...). Le général MITCHELL était extrêmement imaginatif, du point de vue technique comme tactique. Ce fut un créateur et il supportait difficilement les obstacles, mêmes réels et tenaces. D'avantage encore que DOUHET, il sut prévoir l'orientation des transformations futures, amis son optimisme souvent excessif sur la rapidité de cette évolution le rendit vulnérable, et le priva de certains de ses partisans. (Edward WARNER).
Alfred HUXLEY, Billy Mitchell : Crusader for Air Power, New Tork, 1964. Edouard WARNER, Douhet, Mittchell, Seversky : les théoriciens de la guerre aérien, dans Les Maitres de la stratégie, tome 2, Sous la direction de Edward Mead EARLE, Bibliothèque Berger-Levraut, 1982. Arnaud BLIN et Gérard CHALIAND, Dictionnaire de stratégie, Perrin, tempus, 2016. Extrait de Winged Defence. The Development and Possibilities of Modern Air Power-economic and military, New York et Londres, GP Putnam's Sons, 1925, Traduction de Catherine Ten SARKISSIAN, dans Anthologie mondiale de la stratégie, Robert Laffont, 1990. Serge GADAL, Théories américaines du bombardement stratégique (1917-1945), Astrée, 2015.