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9 septembre 2017 6 09 /09 /septembre /2017 10:12

   Le philosophe et sociologue allemand Georg SIMMEL écrit une sociologie atypique et hétérodoxe, abordant de nombreux sujets, de manière souvent transversale et plurididisciplinaire, et ne se rattache à aucune école. A partir de nombreuses observations et discussions lors de séminaires publics et privés (Université de Berlin de 1885 à 1901), il écrit sur plusieurs thèmes : l'argent, la mode, la parure, l'art, la ville, l'étranger, les pauvres, la secte, la sociabilité, l'individu, la société, l'interaction, le lien social, le conflit, son principal ouvrage demeurant Philosophie de l'argent (1900). Peu reconnu par les autorités universitaires officielles, il suscite toutefois l'intérêt de l'élite intellectuelle berlinoise. Il n'est nommé professeur à l'université de Strasbourg, ville allemande, qu'en 1914. 

    Alors qu'il influence les intellectuels de son époque et continue d'avoir une influence aujourd'hui (Max WEBER, Karl MANNHEIM, Alfred SCHUTZ, Raymond ARON, Erving GOFFMAN, Howard BERCKER, Anselm STRAUSS, Isaac JOSEPH...), sa pensée, critiquée par Emile DURKHEIM et Georg LUKACS, n'est redécouverte dans le monde francophone qu'à partir des années 1980. Il constitue une référence importante pour l'école sociologique de Chicago. 

    Il est, avec Max WEBER, une des figures les plus importantes de la sociologie allemande classique. Georg SIMMEL est surtout reconnu comme le promoteur de la sociologie "formelle", notion souvent mal comprise bien qu'elle soit bien acceptée dans les sciences sociales contemporaines. Mais il est d'abord, et c'est une priorité qu'il partage avec Max WEBER, un des pionniers de la sociologie de l'action.    

 

Une auto-présentation...

    Georg SIMMEL expose dans une "Autoprésentation inachevée" un résumé de sa philosophie, à la demande de son éditeur : 

"Je suis parti d'études épistémologiques et kantiennes qui allaient de pair avec des études historiques et sociologiques. Le premier résultat en fut le thème fondamental (développé dans Les problèmes de la philosophie de l'histoire) : que l'"histoire" signifie la mise en forme de l'événement immédiat, qu'on ne peut que vivre, d'après les a priori de l'esprit scientifique, de même que la "nature" signifie la mise en forme par les catégories de l'entendement de l'ensemble du matériau donné par les sens. 

Cette séparation entre forme et contenu du tableau historique, qui m'est venue de façon purement épistémologique, se prolongea ensuite chez moi en principe méthodique au sein d'une science particulière : j'acquis une nouvelle conception de la sociologie en séparant les formes de l'association de ses contenus, c'est-à-dire les pulsions, les buts, les contenus objectifs qui ne deviennent sociaux que lorsqu'ils sont assumés dans les interactions entre les individus ; j'ai développé ces genres d'interaction comme objet d'une sociologie pure dans mon livre.

Mais partant de cette signification sociologique de l'interaction, celle-ci prit peu à peu l'ampleur d'un principe métaphysique absolument global. La dissolution temporelle de tout ce qui est substantiel, absolu, éternel dans le flux des choses, dans la mutabilité historique, dans la réalité qui n'est plus que psychologique, me semble ne pouvoir être garantie contre un subjectivisme et un scepticisme sans bornes que si, à la place de ces valeurs substantielles fixes, on place l'interaction vivante des éléments, lesquels sont à leur tour soumis au même processus de dissolution à l'infini. Les concepts centraux de vérité, de valeur, d'objectivité, etc, se révélèrent à moi comme des interactions, comme les contenus d'un relativisme qui ne signifiait plus la dissolution sceptique de tout point fixe, mais bien au contraire leur assurance contre celles-ci par le biais d'une nouvelle conception de point fixe (voir Philosophie de l'argent).

Ce principe cosmique et épistémologique du relativisme, qui substitue à l'unité substantielle et abstraite de la représentation du monde l'unité organique de l'interaction, est lié à mon notion personnelle de la métaphysique que expose dans les pages suivantes." (dans Sous la direction de GASSEN K. et LANDMANN M., Livre de remerciements pour Georg Simmel, Duncker & Hublot, Berlin, 1958)

   

La perception de la sociologie des années 1980-1990

     Il faut bien comprendre que les principes qu'il formule, et en cela nous nous démarquons un peu de sa pensée, sont peu compatibles avec les mouvements d'idées qui, comme le structuralisme et le néo-marxisme, ont exercé une influence importante en France entre 1960 et la fin des années 1970.

Mais en dehors de ce démarquage notamment avec une certaine phraséologie marxiste, le principal obstacle à la diffusion de sa pensée réside dans son caractère interdisciplinaire, réelle difficulté à une époque lorsque dans les universités françaises notamment, on opère entre disciplines des séparations tranchées doublées de rivalités professionnelles. Certains de ses livres comme les problèmes de philosophie  de l'histoire (1892) et une partie de Questions fondamentales de la sociologie (1908) concernent la philosophie des sciences sociales. D'autres, comme la Philosophie de l'argent, traitent de sujets microsociologiques, en ignorant d'ailleurs les frontières entre sociologie et économie. Plusieurs de ses ouvrages enfin, ceux qui sont les plus connus, tel!vent plutôt de ce qu'on appelle aujourd'hui la psychologie sociale. C'est essentiellement sur ces essais microsociologiques que l'influence de SIMMEL s'est appuyée aux Etats-Unis, alors que son succès dans la France dans l'entre-deux-guerres était surtout dû à ses travaux épistémologiques qui ont pour objet le problème de l'explication en histoire.

Mais la notion la plus marquante de l'oeuvre de SIMMEL est celle de sociologie "de la forme" ou de "sociologie formelle". Pour cerner cette notion, nous explique Raymond BOUDON, qui figure parmi les sociologues trop contents de trouver en lui un théoricien non suspect de marxisme, "il faut en premier lieu prendre conscience de son origine kantienne. De même que la connaissance des phénomènes naturels n'est possible, selon Kant, que parce que l'esprit y projette des formes (par exemple l'espace et le temps), de même la connaissance des phénomènes sociaux n'est possible, selon Simmel, qu'à partir du moment où le sociologue organise le réel à l'aide de systèmes de catégories ou de modèles. Sans ces modèles, les faits sociaux constituent un univers chaotique sans signification pour l'esprit, exactement comme pour Kant l'expérience du réel se réduirait à une "rhapsodie de sensations", si elle n'était organisée par les "formes" de la connaissance. Utilisant un autre vocabulaire, Simmel exprime ici une idée voisine de celle qui transparait dans une notion centrale de la pensée de Max Weber : un type idéal est en effet également une construction mentale, une catégorie, qui permet d'interroger la réalité sociale. 

Selon Simmel, cette conception néo-kantienne s'applique aussi bien à la recherche historique qu'à la sociologie. Ni l'historien ni le sociologue ne peuvent faire parler les faits auxquels ils s'intéressent sans projeter des "formes" dans la réalité. Mais cela ne signifie pas que la sociologie soit indistincte de l'histoire. Simmel est au contraire convaincu qu'il peut exister une connaissance du social intemporelle. Il soutient, plus exactement, qu'on peut émettre sur le social des propositions intéressantes et vérifiables - scientifiques en un mot - bien qu'elles ne se réfèrent à aucun contexte spatio-temporel déterminé. Ainsi, on observe que lorsqu'un groupe d'intérêt atteint une certaine taille, celui-ci est souvent "représenté" par une minorité, un groupe de faible dimension ayant davantage de liberté de mouvement, de facilité pour se réunir, d'efficacité et de précision dans ses actes. (...)." Il s'agit d'identifier et d'analyser des modèles susceptibles d'illustrations multiples. 

"En définitive, poursuit Raymond BOUDON, la notion simmelienne de sociologie "formelle" préfigure de manière explicite la notion moderne de modèle. Un modèle est une représentation idéalisée dont on présume qu'elle peut permettre de mieux comprendre certaines situations réelles, à condition de prendre conscience des simplifications que sa construction introduit. Il possède la double propriété d'être général - dans la mesure où il peut s'appliquer à des contextes spatio-temporels divers - et idéal - pour autant qu'il ne s'applique textuellement à aucune réalité concrète. Il faut donc bien prendre soin de distinguer la notion de modèle de celle de loi. Une loi est une proposition qui a l'ambition de représenter un énoncé empirique (alors que le modèle se veut idéal) et d'être de validité universelle (alors qu'un modèle prétend seulement s'appliquer à une pluralité de situations et avoir ainsi une valeur générale). Simmel est parfaitement conscient de la distinction entre ce que nous appelons "modèle" et ce qu'il appelle "forme", d'une part, et ce qu'on désigne communément par la notion de "loi" d'autre part : "la manie de vouloir absolument trouver des "lois" de la vie sociale, écrit-il, est simplement un retour au credo philosophique des anciens métaphysiciens : toute connaissance doit être absolument universelle et nécessaire."

La sociologie "formelle" de Simmel tourne ainsi complètement le dos à la sociologie durkheimienne, dont un des objectifs principaux est, au contraire, de déterminer des lois empiriques et universelles. Aussi n'est-il pas étonnant que la réaction de Durkheim (Texte, Minuit, tome 1 13 sqq.) à la notion simellienne  de sociologie "formelle" soit un chef-d'oeuvre de méconnaissance et d'incompréhension."

Il n'y a là dans le mot "modèle" aucune sens mathématique. SIMMEL ne facilite pas pour autant la tâche du lecteur, désignant indistinctement les constructions mentales, qui permettent au sociologue d'analyser la réalité sociale, et les constructions qui sont le produit de l'interaction sociale...

Il découle de ce qui précède que l'histoire est toujours une reconstruction par laquelle l'historien rend le réel compréhensible en y projetant des "formes". Le réalisme est une position intenable, celui-ci tend à vouloir reconstruire l'activité de milliers d'individus, comme dans le cas d'un champ de bataille, aussi bien que la volonté de découvrir des "lois", régularités macroscopiques. Il ne peut y avoir que des régularités microscopiques, psychologiques, et l'on voit là ce qui séduit Raymond BOUDON et beaucoup d'autres, plus ou moins partisans de l'individualisme méthodologique... Mais on voit bien dans les oeuvres de SIMMEL qu'il s'agit plus d'une attitude criticiste et relativiste face à l'explication historique. La connaissance historique peut être scientifique, à la condition de prendre toujours conscience de ses limites et de ne pas prétendre ni à la reproduction du réel, ni à une rationalisation du devenir historique par la mise en évidence d'introuvables régularités empiriques au niveau macroscopique.

Dans le détail toutefois, on voit bien des similitudes, dans La philosophie de l'argent par exemple, entre des développements de SIMMEL et ceux de DURKHEIM (avec La division du travail...). Mais SIMMEL reste au niveau d'une grande quantité de modèles partiels, mettant en évidence un nombre important de conséquences ou d'effets de l'apparition de l'argent, sans systématiser l'ensemble, à l'inverse de DURKHEIM qui recherche une loi dynamique de l'ensemble. Pour autant, contrairement à certaines lectures américaines, SIMMEL ne tombe pas dans un psychologisme ou même n'entend pas faire oeuvre de psychologie de la vie quotidienne. Il s'agit plus d'établir, comme Max WEBER, une sociologie de l'action, qui concurrence d'ailleurs la sociologie durkheimienne, la sociologie marxiste ou la sociologie structuraliste (Raymond BOUDON).

 

Une diffusion tardive en France

      Georg SIMMEL ne rencontre pas un grand écho en France, en bute aux reproches des partisans de DURKHEIM qui lui reprochent le caractère philosophique et psychologique de ses théories, tandis que sa sociologie connait une diffusion plus large en Italie, en Russie et surtout aux Etats-Unis.

        En 1917, SIMMEL publie Les Questions fondamentales de la sociologie, où il reformule ses thèses et une typologie distinguant sociologie générale et sociologie "pure" ou "formelle". La même année parait Le Traité de Sociologie générale de PARETO et le début des travaux de WEBER intitulés Economie et Société, consacrés aux concepts fondamentaux de la sociologie. C'est aussi l'année de la mort de DURKHEIM. SIMMEL reprend ses thèses du début de son oeuvre : l'étude des formes sociales est la conséquence d'une construction intellectuelle des objets de la science. C'est l'intention de connaissance, le point de vue, qui délimite l'objet. WEBER défend cette position perspectiviste dès son article sur l'Objectivité de la connaissance dans les sciences et la politique sociale (1904).

On peut écrire sans danger que la première guerre mondiale, en regard du débat foisonnant autour du développement de la sociologie en Europe constitue bien le suicide de toute une intelligentsia et de toute une façon de penser le monde. Le coup d'arrêt au développement culturel et intellectuel que constitue la première guerre a d'ailleurs été bien pressenti par de nombreux auteurs de cette nouvelle discipline. Il faudra attendre longtemps (après la seconde guerre mondiale en fait) pour que renaissance un débat de cette ampleur et que l'Europe retrouve un rang occupé (en grande partie encore aujourd'hui) par les Etats-Unis. 

Jean-Pierre DURAND et Robert WEIL présentent cette reformulation : "Georg Simmel affirme sa théorie des actions réciproques en montrant qu'il faut analyser non seulement celles qui sont objectivantes dans des figures uniformes comme l'Etat, la famille... mais aussi les formes de socialisation qui e glissent en-dessous, qui relient sans cesse d'heure en heure les individus et dont les premières ne sont que des consolidations.

Ansi la méthode sociologique inaugure une troisième voie, entre l'explication traditionnelle qui impute les formes sociales au génie d'individus particuliers et celle qui les attribue à des forces transcendantes (Dieu, héros, nature). Cette méthode génétique est d'ailleurs propre aux sciences de l'esprit (économie politique, histoire de la culture, éthique, théologie), thèse défendue par Simmel, dès 1908 (Sociologie).

Dans ce cadre il réinterprété également le matérialisme historique. Le conditionnement économique est seulement la "manifestation d'une orientation fondamentale qui aurait également trouvé son expression dans un certain art et dans une certaine pratique politique sans que l'une ait immédiatement conditionné l'autre (...). La forme économique n'est, elle aussi, qu'une "superstructure" par rapport aux relations et transformations de la structure purement sociologique, qui représentent la dernière instance historique et qui doit façonner les autres contenus de l'existence dans un certain parallélisme avec la structure économique". Cette démarche constitue le premier cercle de problèmes de la sociologie, à savoir le conditionnement social des diverses sphères de la vie : économique, politique, spirituelle, etc.

Cette vision est unilatérale et ne doit pas faire oublier d'autres dimensions possibles inhérentes à la nature des choses (il y a ne logique de l'art, de la science, de la religion, etc.). Ainsi se constitue un autre cercle d'analyse sociologique.

Par une abstraction supplémentaire on aboutit à la sociologie générale en étudiant les traits communs des réalités qui en découlent dans un groupe social, par exemple les étapes des évolutions historique : Simmel fait référence à la loi des trois états d'Auguste Comte mais aussi à F. Tannise et son thème du passage de la communauté organique à la coexistence mécanique.

Enfin, le dernier cercle est lié à une autre direction de l'abstraction, la description des formes que prennent les actions réciproques des individus. Cette sociologie pure ou normale, "science de la société", le plus étroit et le plus vrai du terme de "société" se donne pour objectif de décrire la production des formes de socialisation. Dans le flux du vécu opère comme un principe de différenciation et d'individuation". 

 

Une re-situation de l'oeuvre de SIMMEL

    Frédéric VANDENBERGHE et beaucoup d'auteurs en sociologie à partir des années 2000 n'acceptent la présentation proche de l'individualisme méthodologique qui en a été faite dans les milieux universitaires dans les années 1980-1990. Ils entendent revenir à une re-situation dans le contexte de la naissance et de l'élaboration de l'oeuvre de SIMMEL. Ainsi, parmi les fondateurs de la sociologie, SIMMEL est avec TARDE le plus philosophique de tous. "Non pas parce qu'il ne peut s'empêcher, écrit VANDENBERGHE de philosopher ou parce qu'il puise constamment dans le patrimoine philosophique de l'humanité, traitant Platon, Kant, Goethe, Hegel, Marx, Nietzsche et Bergson comme des interlocuteurs privilégiés, mais parce que sa sociologie, tout comme son épistémologie, son esthétique et son éthique d'ailleurs, ne prennent tout leur sens que si elles sont prises, interprétées et comprises à l'intérieur du cadre philosophique, voire proprement métaphysique, qui les englobe et leur donne leur unité. (...) En replaçant Simmel dans la tradition sociologique allemande, entre Marx et Weber, (il entend) rétablir la dimension critique de son oeuvre. la notion de critique étant entendue ici aussi bien au sens kantien d'analyse des conditions de possibilité de la connaissance qu'au sens marxiste de recherche inspirée par ce que Habermas appelait autrefois l'"intérêt de la connaissance émancipation". (Il) s'efforce (avec d'autres) de penser avec Simmel (et Weber) contre un marxisme dogmatique, toujours enclin à hypostasier son propre point de vue, et, avec Marx, contre un vitalisme d'obédience nietzschéenne qui enfonce l'irrationalité de la société capitaliste dans les profondeurs irrationnelles de la vie.(...) Contre les philosophies hégélo-marxistes et autres théories causalités de l'histoire qui réduisent celle-ci à un simple "spectacle de marionnettes", Simmel avance une sociologie compréhensive ou interprétative de l'action et des acteurs historiques."

"En transformant très kantiennement les principes premiers (comme le matérialisme et l'idéalisme, l'individualisme et le holisme) en principes régulation, Simmel fait valoir le pluralisme méthodologique contre toutes les formes possibles de réductionnisme - du marxiste à l'individualisme méthodologique. Inspiré par une tentative pour dépasser les oppositions unilatérales dans une dialectique sans synthèse, ce corrélativisme ou relativisme épistémologique permet de développer une approche véritablement multidimensionnelle du social, capable de prendre en compte à la fois les structures et l'action et de comprendre l'une en fonction de l'autre."

 

Redécouverte : entre critiques et valorisations

    Juste après sa disparition, alors qu'il jouit depuis les années 1890 une reconnaissance depuis les années 1890 en dehors de l'Allemagne, où il persiste à se placer intellectuellement en dehors du système universitaire et qu'il y reçoit assez tardivement cette reconnaissance, sa philosophie tombe dans l'oubli. Son oeuvre devient un puits d'où l'on puise, thème après thème, de manière parcellaire, sans jamais le citer. Il y aurait d'ailleurs toute une étude à faire sur les raisons pour lesquelles les héritiers spirituels d'une facette ou d'une autre de son oeuvre, ne le cite pratiquement jamais. Ses élèves Ernst BLOCH et Georg LUKACS portent une part de responsabilité dans la "censure" de SIMMEL, du fait qu'ils jouent un rôle important dans le développement de la philosophie en Allemagne après la deuxième guerre mondiale. 

Pour LUKACS, qui s'oriente vers le marxisme des années 1920, nie la valeur de sa pensée, considérée comme bourgeoise. Et son opinion joue sans doute un rôle chez ceux qui oppose SIMMMEL au marxisme, notamment en France, alors même que dans l'oeuvre du philosophe et sociologue allemand les références aux travaux de Karl MARX sont nombreuses. Qualifiant sa philosophie d'idéaliste et de subjective, et exprimant trop l'idéologie individualiste de la bourgeoisie, il communique sa perception à ADORNO, et malgré les vues de BENJAMIN, l'École de Francfort a tendance à dévaloriser l'oeuvre de SIMMEL. 

Pour Ernst BLOCH, dont l'attitude envers SIMMEL est perceptible dès son livre Esprit de l'Utopie de 1918, sa philosophie est brillante mais creuse; sans but fixe, et désirant toute chose, sauf la vérité. Cette vue persiste longtemps jusqu'à une période récente chez les écrivains marxistes. 

De ce fait, on peut comprendre pourquoi SIMMEL perd sa place dans la culture intellectuelle de l'Allemagne, puisqu'elle est influencée par PARSONS et la philosophie de l'École de Francfort. Seul, Michael LANDMANN, un philosophe allemand à qui la recherche actuelle sur SIMMEL doit beaucoup, travaille sérieusement sur son oeuvre. La situation de la philosophie et de la sociologie de SIMMEL perdure d'autant plus que l'édition de ses oeuvres est fragmentaire, tant en Allemagne qu'en France. Aux Etats-Unis, la situation apparaît différente, car dans la sociologie américaine, elle sert de source abondante dans la formulation d'hypothèses destinées à la recherche empirique. (Heinz-Jürgen DAHME)

Mais là aussi, c'est la sociologie des petits groupes, la sociologie des conflits, la théorie des échanges, l'analyse des réseaux qui en bénéficie, sans que l'on cherche à aborder l'ensemble de la cohérence de l'oeuvre de SIMMEL. 

Ce n'est que récemment que, par le biais souvent de thématiques d'une partie de son oeuvre, que la recherche en sociologie s'intéresse au projet global d'interactionnisme de SIMMEL. Dans l'étude même de l'individualisme moderne, on retrouve sa critique globale et son analyse des mécanismes de sa formation.

Le succès de la redécouverte de la sociologie de SIMMEL s'insère situe dans l'évolution même de la recherche sociologique. Processus de socialisation, dimensions de la socialité font l'objet d'un renouveau de l'attention issu parfois de la préoccupation d'auteurs comme HABERMAS sur l'éclatement, la fragmentation du discours sociologique. En écartant le discours épistémologique de SIMMEL, on repère des schèmes généraux d'interprétation, notamment sur la polarité individu et société. Même si la vision de WEBER est différente de celle de SIMMEL, l'un résolvant le tragique du monde moderne dans l'éthique du choix alors que l'autre le fait dans l'éthique de la contradiction, les auteurs contemporains ont tendance à faire le rapprochement entre les deux sociologies. On retrouve par ailleurs chez SIMMEL, la tentative de trouver de nouvelles voies pour la sociologie qui semblait s'être perdue dans les années 1980-1990, voire 2000, dans une sorte de mimétisme des primats des économistes néo-libéraux. Ces dernières décennies, la crise de la sociologie ne s'est pas résolue, au contraire dans la recherche des éléments d'individualisme méthodologique (à la manière de ce qu'a recherché Raymond BOUDON par exemple), elle semble même s'être aggravée. Aussi on retrouve dans les idées directrices de l'oeuvre de SIMMEL des préoccupations tout à fait contemporaines des années 2010. Il s'agit de retrouver une image de la société, à la fois globale et rendant compte de ses multiples aspects, en ayant conscience du fait que la modernité à tendance à unifier-uniformiser et à différencier-éclater à la fois les relations sociales. On peut retrouver là les préoccupations qu'exprimait déjà dans les années 1980, Carlo MONGARDINI.

Georg SIMMEL, les problèmes de la philosophie de l'histoire (traduction Raymond BOUDON), PUF, 1984 ; Philosophie de l'argent, PUF, 1987 ; Sociologie et épistémologie, avec une introduction de FREUND, PUF, 1981 ; Les grandes villes et la vie de l'esprit, Petite Bibliothèque Payot, 2013 ; Philosophie de la mode, Allia, 2013 ; Le conflit, Circé, 1992.

F LÉGER, La pensée de Georges SIMMEL, Kimé, 1989 ; Frédéric VENDENBERGHE, La sociologie de Georg SIMMEL, La Découverte, Repères, 2009. Jean-Pierre DURAND et Robert WEIL, Sociologie contemporaine, Vigot, 2002. Raymond BOUDON, Georg Simmel, dans Encyclopedia Universalis, 2014. Carlo MONGARDINI, Georg Simmel et la sociologie contemporaine ; Heinz-Jürgen DAHME, A propos de l'histoire des études simmelliennes en Allemagne et de l'actuelle redécouverte de sa sociologie et de sa philosophie, dans Georg Simmel, La sociologie et l'expérience du monde moderne, Méridiens Klincksieck, 1986

 

Complété le 16 octobre 2017.

Complété le 4 avril 2018.

 

 

 

 

 

Que ce correcteur orthographique est péniiiiiiible!!!!!!!!!

 

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