Le commandant du Royal Flying Corps en France en 1916-1917, Hugh Montague TRENCHARD, 1st Discount Trenchard, officier britannique cité comme fondateur de la Royal Air Force, est le troisième pionnier dans l'histoire de la théorie aérienne avec DOUHET et MITCHELL. Dans sa carrière militaire en Inde, en Afrique du Sud, au Nigeria puis en Europe, il milite pour la création d'une armée aérienne autonome. Contrairement à ses deux "collègues", il s'insère dans la hiérarchie militaire avec relativement beaucoup moins de heurts : il est nommé Chef d'état-major de la RAF et conserve son poste jusqu'en 1929.
Son oeuvre publiée se limite à trois brochures écrites durant la Seconde Guerre mondiale, alors qu'il n'y joue aucun rôle actif. Lui-même reconnait qu'il ne sait pas écrire et la plupart de ses discours ou de ses textes doctrinaux rédigés durant son commandement de la RAF le sont par des officiers de son état-major, notamment le futur général SLESSOR. Il est pourtant impossible de ne pas l'inclure dans le trio des fondateurs de la théorie stratégique tant son action est déterminante dans l'élaboration d'une doctrine qui inspire largement toutes les imitations ultérieures. De plus, ses "confrères" américains lui accordent une influence non négligeable dans le débat interne aux Etats-Unis.
Dans ses mémorandums rédigés pendant et après la guerre, il définit les caractéristiques de l'action aérienne : supériorité de l'offensive sur la défensive, bombardement stratégique combinant les effets matériels et moraux, avec prédominance de ces derniers. Sa fixation sur le bombardement est telle qu'il écarte l'idée d'une escorte de chasseurs pour les bombardiers, qui n'ont besoin d'aucun auxiliaire pour remplir leurs missions. Comme DOUHET, il s'appuie sur son inspiration plus que sur l'observation, les principes abstraits l'emportant sur l'expérience. "Bomber Harris" est son fils spirituel. Une grande part de son prestige est dû à sa participation à la bataille d'Angleterre, si décisive dans le versant européen de la seconde guerre mondiale.
En fait, TRENCHARD envisage la guerre aérienne sans les prétentions qu'ont pu avoir à la même époque les autres grands stratèges de l'aéronautique. S'il défend les intérêts de la RAF, il croit aussi à la coopération interarmes entre l'aviation, la marine et l'armée de terre, elle-même en pleine effervescence avec le développement de la mécanisation. Contrairement à DOUHET, adepte du seul bombardement stratégique, il tente de développer simultanément les branches tactique et stratégique de sa doctrine de guerre aérienne. Il n'est pas convaincu que la seule puissance aérienne puisse décider de la victoire, l'objectif de l'aviation étant d'exercer contre l'ennemi une pression similaire à celle des troupes de surface tant en s'assurant la supériorité - plutôt que la maitrise - aérienne.
Les bombardements aériens doivent être à la fois tactiques et stratégiques, pour assister les troupes de surface tout d'abord, pour détruire les réseaux de communications et les convois de ravitaillement ensuite, et, pour briser le moral et la volonté du peuple de l'adversaire. Plutôt que de séparer sa doctrine en deux composantes distinctes - bombardements tactiques et stratégiques -, le fondateur de la RAF préfère créer une force aérienne souple et mobile capable de répondre aux exigences du moment, selon les circonstances, et en accord avec l'action de toutes les forces armées. Pour lui, l'avion est l'instrument idéal de la guerre totale et de la stratégie d'anéantissement, compte tenu de sa capacité à pouvoir détruire des cibles militaires autant que des cibles civiles et industrielles. Persuadé que la dimension psychologique de la guerre dépasse toutes les autres en importance, TRENCHARD veut multiplier les actions contre les centres urbains et industriels par rapport aux offensives à objectif strictement militaire. Pour défendre ses positions concernant les commandements stratégiques de cibles non militaires, il avance l'argument qu'une telle stratégie doit pousser l'ennemi à capituler plus rapidement, en conséquence de quoi la guerre sera moins longue et moins sanglante qu'avec les moyens traditionnels du passé.
Face à des autorités britanniques critiques envers une stratégie orientée contre les populations, TRENCHARD se défend de vouloir s'attaquer directement aux populations civiles en argumentant qu'il s'agit de briser leur volonté de résistance en détruisant leurs ressources matérielles et économiques. A cet égard, les positions respectives des trois pionniers de l'aviation militaire représentent chacune des variations d'attitude stratégique qui se reflètent dans les débats entre état-majors lors de la seconde guerre mondiale, notamment entre britanniques et américains, mais aussi avec l'ensemble des acteurs militaires, y compris les résistances dans les territoires occupés.
Dans son Mémorandum de 1928, Hugh TRENCHARD introduit une nouvelle définition de la supériorité aérienne. Alors que, auparavant, il préconisait une attaque directe contre l'aviation ennemie pour s'assurer la supériorité aérienne avant de commencer une offensive totale, il pense désormais que l'aviation doit accomplir une offensive générale visant à déséquilibrer l'adversaire en laissant à l'attaquant l'initiative et la supériorité aérienne. Il y examine la question en trois points : - Cette doctrine viole t-elle un véritable principe de la guerre?, - Une offensive aérienne de ce genre est-elle le contraire à la loi internationale ou aux impératifs humanitaires? - L'objectif poursuivi mènera-til à la victoire et, à cet égard, est-ce en conséquence un emploi convenable de la puissance aérienne?.
Hugh TRENCHARD, Mémorandum à la sous-commission des chefs d'état-major sur le rôle d'une force aérienne en temps de guerre, 2 mai 1928, Traduction de Catherine Ter SARKISSIAN, dans Anthologie mondiale de la stratégie, Sous la direction de Gérard CHALIAND, Robert Laffont, Bouquins, 1990.
Andrew BOYLE, Trenchard, Man of vision, Londres, 1962. Malcolm SMITH, British Air Strategy between the Wars, Oxford, 1984.
Dictionnaire de stratégie, Sous la direction de Arnaud BLIN et Gérard CHALIAND, Perrin, tempus, 2016. Hervé COUTEAU-BÉGARIE, Traité de stratégie, Economisa/ISC, 2002.