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8 septembre 2017 5 08 /09 /septembre /2017 13:43

     Si un renouveau de la pensée stratégique aérienne s'amorce dans les années 1980, suite à l'érosion des stratégies nucléaires, accélérée à la fin de l'URSS, il semble bien que l'on assiste à des redites des anciens clivages aux seins des états-majors. Le débat concerne alors beaucoup plus les spécialistes, les opinions publiques s'en désintéressant, notamment avec la fin de la crise des euromissiles, terminée par forfait d'un des protagonistes. C'est au Etats-Unis que le débat se fait le plus ouvert car les chercheurs y sont les plus nombreux qu'ailleurs et manifestent un insatisfaction croissante face au retard de la théorie sur des progrès techniques constants. 

    En 1996, le Livre blanc Aerospace Power for the 21e century, qui émane d'un important think tank, le Strategic Aerospace Warfare Study Panel, constate que "l'édifice de la puissance aérienne sur lequel l'US Air Force a été fondée en septembre 1947 a souffert d'une fragmentation croissante, d'une érosion de son objectif et de certaines perceptions négatives dues surtout à l'héritage de 1941-1945 et aux circonstances spécifiques de la guerre froide". Différents auteurs explorent des voies nouvelles, mais dans des directions différentes. Mais comme le constate Hervé Couteau-BÉGARIE, "au lieu de la nouvelle synthèse espérée par certains, on voit ressurgir, sous de nouveaux habits, les anciens clivages".

       Le colonel John Richard BOYD (1927-1997), pilote de chasse, chercheur et consultant du Pentagone, émet des théories, qui n'étaient pas destinées à la publication, qui ont encore aujourd'hui une grande influence sur le développement de l'aviation militaire et de la stratégie aérienne des Etats-Unis. Il propose un modèle de décision stratégique, dit OODA (Observation-Orientation-Décision-Action) qui met l'accent sur les dimensions morales et mentales du conflit. A partir d'une démarche théorique très complexe qui associe CLAUSEWITZ au théorème d'incomplétude de GÖDEL, à la relation d'incertitude d'HEISENBERG et à la deuxième loi de la thermodynamique, il recommande de maximiser la friction chez l'ennemi par une combinaison d'actions variées effectuées avec la plus grande rapidité qui doivent rendre l'ennemi incapable d'agir. 

Curieusement, alors que lui-même, souvent en désaccord avec ses supérieurs démissionne de l'US Air Force en 1975, se consacrant ainsi à ses études théoriques, d'après David FADOK (La paralysie stratégique par la puissance aérienne, John Boyd et John Warden, Economica-ISC), ses idées, répétées au cours de multiples conférences, ont un impact certain sur le Manuel FM 100-5 de l'Army, dans sa version de 1986, et sur le Manuel I de la Fleet Marine Force de 1989, mais aucun sur les doctrines de l'Air Force ou de la Navy (du moins immédiatement). Plus tard dans les années 1990 et 2000, son travail est reconnu par l'ensemble des chefs d'états-majors de l'USMC qui l'ont utilisé pour leurs manuels d'aera of responsability. 

      Le colonel John A WARDEN III (né en 1943) conçoit la théorie des cinq cercles, une stratégie d'attaque mise au point durant la guerre du Golfe. Dans The Air Campaign de 1988, il adopte une approche systémique. Renversant l'axiome traditionnel qui voir dans la destruction des forces armées adverses la mission prioritaire, sinon exclusives, il voit "l'ennemi comme un système composé de nombreux sous-systèmes". Il définit cinq cercles : direction (commandement), fonctions organiques essentielles (réseaux électriques, installations pétrolières, approvisionnement en nourriture et finances), infra-structure (système de transport), population (qui assure la protection et le soutien des dirigeants, forces déployées (forces armées ennemies), ces dernières étant moins vulnérables aux attaques directes parce qu'elles ont été conçues pour cela. La stratégie détermine les points vulnérables de chaque sous-système à attaquer afin de provoquer la paralysie stratégique de l'ennemi jusqu'à ce que celui-ci reconnaisse sa défaite ou soit hors d'état de continuer à résister.

Il s'agit, comme pour le système de BOYD, d'une stratégie sélective reposant sur une planification très élaborée. Mais à la différence de ce dernier, sa réflexion débouche très vite sur une application pratique, puisque WARDEN est chargé de la planification de l'offensive aérienne préliminaire contre l'Irak durant la guerre du Golfe. Malgré le succès de celle-ci, xa carrière s'arrête et il quitte l'Air Force sans avoir obtenu ses étoiles (de général...), ce qui est dû sans doute en parties à des manoeuvres professionnelles de rivaux dans l'armée de l'air, comme souvent. De plus, la liberté de pensée n'est pas vraiment la qualité la plus en vue dans les armées.  Cette théorie est mise en pratique grâce à la précision grandissante des armes, notamment les smart bombs ou précision-guided missiles (PGM) et au fait que l'aviation, de force d'accompagnement des opérations terrestres, devient la force principale. On considère que l'objectif fondamental est la destruction de l'infrastructure assurant la survie de la population ou de l'organisation sociale. Ces infrastructures, deviennent cibles légitimes de la guerre (WARDEN, Air Theory for the 21st century, in Battle of the future, Air and Space Power Journal, 1995).

Si les objectifs ont bien été atteints (colonel Kenneth RIZEL, 2001), les avions détruisant les infrastuctures duelles (civiles et militaires) de l'Irak tout en évitant de bombarder directement les populations civiles (3 000 morts), l'impact global est problématique. En effet, on évalue à plus de 100 000 civils le nombre de victime des épidémies et des privations de toute sorte, provoquée par la destruction de toutes les infrastructures sanitaires et énergétiques. Depuis la guerre du golfe, la doctrine de l'Air Force n'a guère évolué à partir de cette stratégie-là, le bombardement des infrastructures téléphoniques étant ajouté pour jeter la confusion dans les esprits.

        Après la guerre du Golfe, le débat continue.

Une partie de la hiérarchie désapprouve cette orientation jugée trop liée à la bataille de surface et préfère une stratégie dans laquelle "la puissance aérospatiale" serait un instrument "indépendant" et "dominant". Cette tendance s'exprime dans les Livres blancs Global Reach, Global Power (1991) du secrétaire à l'Air Force Donald RICE (né en 1939), entre 1989 et 1993, en même temps président ou directeur exécutif de nombreuses compagnies de l'aéronautique et think tanks...   On retrouve cette tendance dans l'Aerospace Power for the 21st Century (1996), rédigé par un groupe de travail international de l'Air University et qui plaide pour une "guerre aérienne stratégique" ayant pour but "la poursuite directe des objectifs politico-militaires primaires ou ultimes à travers la puissance aérospatiale. Edward LUTTWAK célèbre lui aussi "la renaissance de la puissance aérienne stratégique", grâce aux armes guidées avec précision (The Renaissance of Strategic Air Power, 1996).

Au sein de l'US Air Force, une tendance s'écarte des thèses de WARDEN pour prôner des frappes beaucoup plus violentes dès le début de la crise ou du conflit afin d'obtenir une solution immédiate (half pass concept). Cette conception est simulée pour la Bosnie et pour l' Irak (dans les "jeux de guerre" informatiques maintenant d'usage banal au Pentagone). Mais cette conception se heurte à de fortes réticences ; elle suppose en effet une grande supériorité de moyens et beaucoup la soupçonne de n'être qu'une justification de plus pour le développement d'avions très coùteux comme le F-22.

La glorification du "tout aérien" n'est pas unanimement partagée. Le Gulf War Air Power Survey  Summary (1993) se montre beaucoup plus réservé. Le major Stephen T GANYARD par exemple, officier du Marine Corps se livre à des attaques très violentes contre le bombardement stratégique, dans le Golfe (échec selon lui) et de manière générale (William R HAWKINS), des analyses du Congrès dénonce l'affaiblissement de la capacité de projection qui résulte de la réduction de l'armée de terre, ceci sous le ciseau des réductions budgétaires générales et de l'augmentation relative des moyens alloués à l'aéro-spatial.

On voit donc ressurgir des clivages classiques qui suggèrent que le débat n'a pas réellement avancé depuis l'entre-deux-guerres. Au milieu des débats strictement militaires teintés de considérations économiques apparaissent toutefois des considérations politiques bienvenues.

Ainsi, Robert Anthony PAPE Jr (né en 1960), politologue américain connu pour ses travaux géopolitiques sur la sécurité internationale, entend démontrer que le bombarder,t stratégique est, dans l'ensemble, inefficace (Bombing to Win, Air Power and Coercition in War, 1996). 

Le recensement dans d'autres pays des sources de débat est très peu réalisé. La relance du débat ne se limite pourtant pas aux Etats-Unis, témoins les travaux du commodore R A MASON et de l'air vice-marshal Tony MASON en Grande Bretagne ou les deux généraux Michel FORGET (parfaits homonymes par le nom, le grade et les dernières fonctions actives) en France. Les différentes activités aériennes militaires après la guerre du Kosovo mettent en lumière à la fois des problèmes qui dépassent largement la question d'une supériorité de l'arme aérienne et démontrent encore une fois les grandes limites des approches strictement militaires.

   Sont remise de plus en plus en cause l'évaluation sur le moment des bombardements stratégiques dans toutes les guerres, y compris dans la seconde guerre mondiale. De graves mécomptes sont à mettre sans doute (et la littérature à venir va sans doute s'amplifier à ce sujet) dans les débordements d'enthousiasme de nombre d'acteurs du complexe militaro-industriel, peu soucieux des conséquences à moyen et long terme de l'usage de ces armements aériens. Sans doute les politiques libérales de réduction des moyens des Etats vont-elles être plus efficaces dans le déclin de la "puissance aérienne militaire" que les questions de plus en plus pressantes de l'opinion publique internationale....

 

Hervé COUTEAU-BÉGARIE, Traité de stratégie, Economica/ISC, 2002

 

STRATEGUS

 

 

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