L'auteur de Corpus Dionysiacum, PSEUDO-DENYS L'AÉROPAGITE, considéré depuis le IXe siècle comme l'homme converti par PAUL et mort en martyr comme évêque de Rome sous le règne de l'empereur DÈCE (249-251) est entouré encore aujourd'hui de légende (on ne sait si c'est réellement un auteur chrétien du Vie siècle, qui écrit dans la mouvement de la philosophie de PROCLUS (410-485)). Commenté et traduit à plusieurs reprises par des savants tels que Jean SCOT ÉRIGÈNE (810-877), Thomas GALLUS (mort en 1246), Robert GROSSETESTE (1175-1253), Thomas d'AQUIN (1224-1274), cet ensemble de textes influence fortement la pensée des Médiévaux.
Avant même les écrits d'AUGUSTIN, ceux de PSEUDO-DENYS L'AÉROPAGITE, dont l'activité littéraire attestée se situerait dans les toutes premières années du Vème siècle et dans le premier quart du VIe siècle, constituent une étape très importante dans la constitution du corpus chrétien. On n'est même pas certain des dates, et sans doute les écrits dont on le crédite ont-ils été élaborés, en même temps que beaucoup traduits, après-coup, après le concile de Chalcédoine de 451. Ce qui veut dire après les écrits d'AUGUSTIN, eux bien datés. Le fait qu'on l'est situé dans le sillage direct de PAUL en dit long sur sa notoriété au Moyen-Age, notoriété qu'ERASME s'efforce d'ailleurs ensuite de détruire.
Ses écrits sur l'esthétique et l'art ont d'autant plus de poids qu'ils font autorité dans la foulée de la constitution de la pastorale chrétien, même si ensuite, plus ou moins officiellement, on y apporte de larges nuances. Tant dans le monde occidental que dans le monde byzantin (la religion orthodoxe utilise ses conceptions dans la querelle des iconoclastes du XIe siècle), l'influence de ses écrits se fait longtemps sentir, que ce soit Les Noms divins, La Théologie mystique, La Hiérarchie céleste, La Hiérarchie ecclésiastique et les dix Lettres. Comme souvent pour les auteurs religieux chrétiens, des ouvrages fictifs lui sont attribués tout au long du Moyen-Age, à savoir Esquisses théologiques et Théologie symbolique...
Relayé par des autorités politiques, l'oeuvre de cet auteur légendaire est composé surtout de traités théologiques et ne comporte pas une seule section consacrée à l'analyse du beau et de l'art. Cependant, on peut affirmer sans crainte, écrit Laura RIZZERIO, que "cet auteur et (...) son corpus est le premier stade du développement systématique de l'histoire de l'"esthétique" chrétienne, tant en Orient qu'en Occident." C'est d'ailleurs le regain d'intérêt pour cette relation entre l'Orient et l'Occident au Moyen-Âge qui met de nouveau cet auteur sous les projecteurs de la recherche historique. L'héritage grec (Byzance) a effectivement été souvent trouver négligeable par rapport à l'héritage latin alors qu'en Occident même, l'influence de la culture autour de Byzance existe réellement. C'est héritage a longtemps été occulté à cause de la rivalité entre l'Eglise catholique et l'Eglise orthodoxe.
L'héritage grec dans la pensée de Pseudo-Denys L'Aéropagite provient d'une part du Banquet de PLATON (surtout le passage du discours de Diotime qui traite de la Beauté), et d'autre part des deux traités de PLOTIN consacrés au beau sensible et au beau intelligible. De PLATON, il retient l'idée que la beauté intelligible est supérieure à la beauté sensible et que la contemplation du beau permet à l'âme de parcourir le chemin qui conduit du monde ici-bas au monde intelligible des Idées. De PLOTIN, il retient le caractère absolu de la Beauté et la conviction que toute beauté de ce monde n'est qu'une émanation de la Beauté absolue, elle-même indissolublement unie au Bien.
L'héritage chrétien doit beaucoup aux réflexions des Pères de l'Eglise du Ive siècle, et se veut un ajustement et une systématisation de la doctrine élaborée par eux. Cependant, Pseudo-Denys L'Aéropagite rend plus abstraite et plus spéculative leur définition du beau, la soustrayant à toute expérience sensible. Les Pères en étaient arrivés à parler du monde comme d'une oeuvre d'art, liant sa beauté à son ordre et à sa finalité. Tout en affirmant que la Beauté est une réalité parfaite en Dieu, transcendant toutes les beautés particulières, ils avaient pu conserver aux choses sensibles, créées et voulues par dieu, est intrinsèquement bon et beau comme Lui. Pseudo-Denys ne partage pas cet optimisme. il conçoit une autre "esthétique chrétienne". Il se démarque des deux traditions grecques antiques et chrétiennes.
On peut comme Laura RIZZERIO, puisqu'il n'existe dans son oeuvre aucune localisation précise de sa conception du beau, prendre comme référence le chapitre 7 du livre IV du traité sur les noms divins, qui constitue une bonne synthèse de pensée à cet égard. "En effet, la beauté est ici présentée, écrit-elle, comme une réalité suprasubstantielle et absolue, ce qui n'est pas sans rappeler Plotin et les Néoplatoniciens. Mais en même temps, cette même beauté est associée au Dieu chrétien, créateur de tous les êtres et absolument transcendant par rapport à sa propre création". Il définit le beau et la beauté "faisant (d'eux) la perfection absolue de l'être qu'est Dieu et qui crée toutes les choses à son image." La beauté est Dieu et uniquement Dieu.
Cette manière de voir entraine d'importantes conséquences pour l'"esthétique" chrétienne.
- Dieu est à la fois la cause de la beauté des choses et leur beauté même. L'analogie avec la lumière confirme cette interprétation : comme elle, qui est à la fois la cause de la clarté des choses et la clarté même qui fait apparaitre la luminosité et la couleur de celles-ci. Cette analogie devient l'un des points forts de l'"esthétique" du Pseudo-Denys et à travers lui, de toute la pensée médiévale du beau. D'ailleurs par la suite, cette analogie devient tellement prégnante en Occident que même les philosophes mécréants et athées reprendront le thème de la Lumière, faisant baptiser leur siècle comme telle...
- Comme le monde n'est pas Dieu, il ne peut être dit "beau". Tout ce que nous trouvons de beau dans le monde n'est que le reflet de la Beauté qu'est Dieu. Du coup, il défend une vision moniste de la beauté, qui éloigne des choses toute possibilité de conserver pour elles-mêmes une beauté propre. L'optimisme relatif - il faut dire que l'on a changer d'époque dans l'Empire romain... - à la beauté intrinsèque du monde, qui avait été caractéristique de le pensée des Pères, disparait au profit de la conviction que le monde ne brille que des reflets de la beauté divine. Dans la Lettre X, il dit nettement que les choses sensible ne sont que des images (vestigia, traduiront les Occidentaux) des choses invisibles, parfaites et belles directement issues de la Beauté de Dieu.
Quelle est la place de l'art dans cette nouvelle "esthétique"?
Pour Laura RIZZERIO, la réponse est simple : "si l'art veut suivre la Beauté absolue, il devra imiter la réalité idéale ou archétype des choses, c'est-à-dire leur beauté parfaite qu'est Dieu" Au chapitre 3 du Livre IV de la Hiérarchie ecclésiastique, où il propose une comparaison significative : "la véritable oeuvre d'art devra être construite par quelqu'un qui est capable de façonner les choses en ayant toujours le regard fixé sur la perfection de la Beauté divine. Dans cette optique, la créativité de l'artiste se réduit à la capacité de toujours imiter la Beauté invisible, propre de Dieu. Dans sa recherche de la belle oeuvre, l'artiste doit donc travailler en écartant toute représentation qui, étant trop "sensible", peut distraire le regard du spectateur des réalités divines, invisibles et parfaites. Il devra donc éviter l'ornement, le superflu, respecter les proportions exactes des choses, suivant les "mesures" qui sont les plus proches de la perfection des réalités invisibles, et surtout faire apparaitre la lumière, cet analogue parfait de la parfaite Beauté divine. C'est ainsi que la beauté d'une oeuvre sera mesurée suivant le critère de la proportion et de la brillance ou luminosité, critère qui trouvera une application spectaculaire pendant plusieurs siècles tant dans l'Occident médiéval que dans l'Orient byzantin." Cette conception se trouve concrétisée dans certaines réalisations de l'art de l'époque, en peinture, dans l'iconographie et l'architecture.
Laura RIZZERIO, La Beauté et le Beau chez le Psudo-Denys : nouveauté et originalité de son "esthétique chrétienne", dans Esthétique et philosophie de l'art, L'atelier d'esthétique, éditions de boeck, 2014.
Oeuvres complètes du Pseudo-Denys l'Aéropagite, Edition de M. de Gandillac, Paris, 1943, réédition en 1990 aux éditions Aubier. Dictionnaire critique de théologie, Sous la direction de Jean-Yves LACOSTE, PUF, 1998.
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