La vision dans les pays francophones de l'Empire de Prusse est affectée d'un certain tropisme centré sur les relations franco-allemandes. Or ni pour l'ensemble allemand et prussien à l'Est, ni pour le royaume de France, dans les XVII-XIXe siècle, la logique des relations européennes se situe entre la France et l'Allemagne. L'ensemble des pays germaniques a les yeux plutôt tournés vers l'Est, tandis que le monde francophone se garde à la fois contre les Anglo-Saxons et contre les Empires portugais et espagnols. Si la fiction du Saint Empire Germanique guide parfois l'imaginaire des stratèges et des classes dirigeantes politiques et économiques, elle ne constitue pas du tout le prisme de leurs actions concrètes, ailleurs que dans une symbolique qui s'épuise dans le temps. La Prusse, de plus, ne se situe pas directement dans l'environnement germanique à proprement parler au début de son histoire, très orientée vers l'Est, par rapport aux développements de la Pologne et de la Russie, voire de la Suède...
Ce rappel est sans doute indispensable pour situer les contours de ce fameux modèle prussien, qui après l'éphémère Empire napoléonien français, pénètre dans ce qui deviendra, dans une dénomination tout à fait officielle, l'Empire allemand.
La Prusse est un Etat à la formation lente, pénible, par le développement parallèle de deux territoires pauvres à l'Est de l'Allemagne. Une dynastie qui réunit ces territoires en 1618 et qui en fait, en près de trois siècles, une grande puissance allemande, européenne, mondiale. Une fin misérable et brutale qui raye de la carte le nom même de cet Etat : telle apparaît l'histoire de la Prusse. Les ambiguïtés ne manquent pas dans cette histoire compliquée. La Prusse, qui a donné son nom à l'Etat, qui ne portera jamais officiellement un nom d'Empire, n'a jamais appartenu au Saint Empire Romain germanique, cet ensemble de petites principautés allemandes (une véritable poussière de princes-électeurs...). Le Brandebourg, au contraire, en était partie intégrante, et ses souverains comptaient parmi les sept princes électeurs possédant le privilège de nommer l'Empereur.
Ce qui nous intéresse dans le modèle prussien est ce qui se passe dans cet ensemble de territoires qui grossit au fil des décennies, le Royaume de Prusse, dans cette période qui ça de 1618 à 1871, moment de la création de l'Empire allemand. Jusqu'en 1815, la Prusse est un Etat d'Europe orientale dont le centre de gravité de situe à l'Est de l'Elbe. Les acquisitions aux dépens de la Pologne, en 1772, 1793 et 1795, ne font qu'accentuer ce caractère et laissent présager la formation d'un grand Etat germano-slave.
La société et l'économie sont caractéristiques de cette partie de l'Europe : de grands domaines appartenant à une aristocratie de nobles (les junkers), non seulement seigneurs mais possesseurs du sol, dominant une masse de paysans dont la condition est voisine du servage ; des cultures extensives donnant lieu à une exportation par les ports de Königsberg et de Dantzig. Mais à côté de cette société rurale, existe dans la capitale, à Magdeburg, à Breslau, à Königsberg, une bourgeoisie active et une industrie juxtaposant très tôt l'artisanat traditionnel et la manufacture, ancêtre de l'usine moderne. Des traités de 1815 naît une nouvelle Prusse. Elle perd, au profit de la Russie, une partie de ses provinces polonaises mais acquiert en revanche dans la région du Rhin (ce qui déplace nettement son centre de gravité) un ensemble de villes : Düsseldorf, Cologne, Aix-la-Chapelle, Trèves, Coblence... La diminution de l'étendue (300 000 km2 en 1795, 280 000 en 1815) est largement compensée par l'accroissement de la population (de 8,7 millions à 11 millions) et surtout par la valeur économique des nouveaux territoires (houille notamment, primordial pour le développement du capitalisme industriel). Favorisée par l'union douanière (Zollveirn) qu'elle a créée et qu'elle dirige, la Prusse devient une grande puissance économique, cependant que sa victoire sur l'Autriche en 1866 lui donne l'étendue territoriale (348 000 km2 d'un seul tenant) qu'elle conserve d'ailleurs jusqu'en 1919. Etat disparate et dont la cohésion n'a pu se maintenir qu'au moyen d'une forte centralisation. Les Hollenzollern assurent par leur politique internationale et par la constitution d'une véritable société militaire que devient l'armée prussienne, entre 1815 et 1871, assurent la puissance de la Prusse. (Michel EUDE).
La formation de cette armée "modèle" en Europe vient de loin, d'abord terre slave conquise par les chevaliers Teutoniques, puis Etat brandebourgeois-prussien, enfin Royaume de Prusse, la Prusse doit son existence à l'habileté de princes cherchant à réunir des territoires auparavant disparates sous une même autorité royale. La dynastie a poursuivi, malgré les aléas de pertes et de gains de territoire, une oeuvre intérieure forte : une unité administrative (malgré les résistances des Etats provinciaux) par l'institution d'impôts et de fonctionnaires communs, colonisation de terres pauvres et presque vides d'hommes par mouvements de populations ; et ceci en même temps qu'une oeuvre extérieure mue par la même visée stratégique. De Frédéric-Guillaume, Grand Electeur (1640-1688), puis à Frédéric III (1688-1713), puis encore à Frédéric-Guillaume Ier (1713-1740), suivi de Frédéric II (1740-1786) le Grand, suivi lui-même de Frédéric-Guillaume II (1786-1797), de Frédéric-Guillaume III (1797-1840) et enfin Frédéric-Guillaume IV (1840-1861), la dynastie, à force de guerres et de diplomatie, construisent ce qui devient sous le règne de Guillaume Ier (1861-1888, 1871 pour le royaume de Prusse) un domaine doté d'une armée et d'une union douanière qui permettent à la Prusse de réaliser l'unité allemande à son profit. Avec une accélération nette entre 1840 et 1871... La progression n'est pas continue, loin de là, avec des reculades certaines, mais elle est là, avec des caractéristiques sociaux, économiques et politiques très semblables. L'existence de fortes minorités et de fortes principautés au sein du royaume de Prusse ne sont pas pour rien dans la formation d'un véritable Empire de type fédéral. Qu'est-ce qui cimente une société si disparate, traversée par plusieurs révolutions culturels, économiques et politiques : une administration centralisée et une armée cohérente, une politique intérieure qui ménage les susceptibilités et qui répartit l'impôt de manière pragmatique, une religion protestante commune également, même s'il existe des minorités religieuses fortes, l'assimilation de populations d'abord à l'écart, dont la moindre n'est pas la communauté juive la plus forte d'Europe, une certaine discipline sociale (bien plus forte qu'ailleurs dans la future Allemagne...) qui traverse non seulement l'armée, mais aussi l'administration, l'école, ce dernier trait se renforçant nettement pendant la révolution industrielle, et surtout entre 1840 et 1871... Il ne faut pas tomber toutefois dans les clichés, les traits du "caractère prussien" ne se retrouvent pas dans toute la population, mais si un certaine rigorisme, une certaine morale, due à la pratique religieuse luthérienne, imprègne les coeurs et les esprits... De plus, ces traits de caractère, s'ils sont véritablement accentués en Prusse, ils existent également dans d'autres contrées où l'obéissance est une vertu, notamment dans les campagnes...
On peut dater la naissance militaire de cet empire prusse qui n'en porte pas le nom, du règne de Frédéric II Le Grand. Des plus grands Etats d'Europe, la Prusse était à son avènement le pays le plus artificiellement constitué, le plus autocratique, le moins animé par l'ardeur d'un peuple et le plus pauvre en ressources matérielles et humaines. Monarque absolu, stratège et écrivain (son premier ouvrage date de 1746 : Principes généraux de la guerre, son Testament politique est composé en 1752, son testament militaire en 1768, sans compter ses ouvrages destinés à ses généraux comme ses Elément de castramétrie et de tactique), épris d'un esprit "scientifique" (ce qui lui vaut l'admiration de philosophes des Lumières), il fait de son règne le moment de la constitution d'une Prusse puissante.
L'organisation de l'armée était depuis longtemps une préoccupation des maîtres de la Prusse. Leur souci principal, avec les bonnes rentrées fiscales, était une bonne capacité d'enrôlement dans les armées. Ils devaient partager avec MACHIAVEL leur méfiance du mercenariat, même s'ils n'étaient pas en capacité d'instaurer, à l'image de la France, des armées permanentes en bonne et due forme. Dès le règne du Grand Electeur Frédéric-Guillaume, se fonde une armée, et pour pouvoir l'entretenir, une nouvelle constitution et une nouvelle économie. C'est sous son règne que se dessine déjà les caractères distinctifs de la Prusse. Celle-ci était périodiquement ravagée par des guerres menées surtout par ses puissants voisins, aux destructions qui jettent des populations dans le dénuement et qui constituent de véritables réserves dans lesquelles il suffit de puiser - en faisant miroiter les ressorts habituels du recrutement - pour former une armée. Ce souverain doit son existence et son identité mêmes à son armée. La science militaire, la politique et l'économie fusionnent pour donner une science générale du gouvernement. La Prusse, fondée par les Hohenzollern et gouvernée par eux durant près de trois siècles, est un triomphe d'organisation diligente.
Un roi de Prusse, de l'avis de Frédéric, devait, s'il voulait une armée, maintenir un ferme équilibre entre les diverses classes de l'Etat et entre la production économique et la puissance militaire. Il devait conserver la noblesse en interdisant la vente des terres nobiliaires aux paysans, aux métayers ou aux bourgeois. Les paysans étaient bien trop ignorants pour devenir des officiers, et recourir à des officiers roturiers serait "le premier pas vers la décadence et la chute de l'armée" (Frédéric Le Grand, Exposé du gouvernement prussien, des principes sur lequel il roule, 1775). Une structure de classe rigide - avec des nobles et des terres "nobles" inaliénables - était nécessaire à l'armée et à l'Etat. Le Roi devait s'assurer - même si un colonel courageux peut influer dans les moments de crise sur le destin du royaume - que ces aristocrates avaient l'esprit requis, et développaient un esprit de fidélité au Royaume de Prusse. Pour les simples soldats, Frédéric II se limitait presque exclusivement aux questions matérielles et de discipline. Il entendait protéger les familles paysannes (les serfs à l'Est de l'Elbe), empêcher les bourgeois et les nobles de s'approprier leurs terres, recruter seulement les hommes qui n'étaient pas indispensable à l'agriculture, comme les fils cadets. On pouvait constituer la moitié ou plus de l'armée avec des mercenaires non prussiens, des prisonniers de guerre, des déserteurs des armées étrangères, et, même si cela se disait moins, avec tous les brigands et les déshérités qui encombraient parfois les routes de campagne au gré des accidents de la nature ou des guerres... Frédéric louait le système cantonal prussien qui permettait de répartir la charge du recrutement en assignant les effectifs de chaque district à un régiment spécifique.
En 1768, grâce à ce système envié de toutes les cours d'Europe, insuffisant de lever chaque année 5 000 natifs de Prusse. Au fur et à mesure de son règne, et de ses campagnes militaires, il prenait conscience de la valeur du patriotisme mais ne pu rien faire dans ce sens, par exemple, comme ce sera fait par la suite, augmenter la part des natifs par rapport à celle des mercenaires (mais ce sera toujours limité...). Les soldats de Frédéric II n'éprouvaient en fait aucun attachement réel pour lui et la désertion était le cauchemar des généraux du XVIIIème siècle, notamment dans l'Allemagne désorganisée où les guerres opposaient toujours des hommes parlant la même langue. C'est parce que la fidélité des troupes était douteuse, que régnait dans l'armée une discipline rigoureuse. Mais aussi parce que, en arrière plan idéologique, le Roi entendait faire oeuvre d'éducation : transformer les soldats en êtres rationnels, en les empêchant de commettre des délits (vol, ivrognerie), afin de parvenir à faire de l'armée l'instrument d'un seul esprit et d'une seule volonté. Une fois rendus dociles, il fallait soumettre les troupes à un entrainement consciencieux. La Prusse devint célèbre pour ses terrains d'exercice, où, à l'admiration des observateurs étrangers, bataillons et escadrons exécutaient des manoeuvres compliquées avec grande précision. Ainsi disciplinées et entrainés, les armées dans la bataille pouvaient être dirigées, selon une disposition presque aussi régulières que celle d'un échiquier en début de partie : la cavalerie aux flancs, l'artillerie uniformément à l'arrière, l'infanterie en deux lignes parallèles compactes, placées à quelques centaines de mètres l'un derrière l'autre. En ordre de marche, les troupes pouvaient enchainer sur une formation de bataille et inversement, une fois la bataille gagnée (car si elle perdue, c'est la débandade presque certaine, comme d'habitude...) se replacer en formation de marche ou de cantonnement.
Dans ses Principes généraux de la guerre, Frédéric II réclame une stratégie de la guerre éclair, bien qu'il n'utilise par ce terme. Les généraux doivent prendre des décisions des décisions rapides afin de l'emporter rapidement. Cependant, ce principe qu'il commença à suivre le poussa ensuite à la plus extrême prudence. C'est que les ressources de la Prusse étaient limitées, et que la Royauté alors n'avait pas les moyens de faire de la Prusse un Etat prospère. Ne pouvant compter sur un accueil favorable dans les territoires conquis, l'armée devait se ravitailler de manière autonome (moyen aussi de garder la troupe unie, sans quoi elle irait se disperser pour se ravitailler ailleurs), et les magasins suivaient toujours les troupes, ralentissant parfois le rythme de la marche. Il ne pouvait pas, comme BONAPARTE se le permit avec les troupes de la Révolution française, les faire vivre sur le pays en comptant sur des populations enthousiaste. D'ailleurs plus tard, NAPOLÉON, avec les troupes impériales, suivant le même principe de ravitaillement qui permettait aux troupes d'aller vite, heurta vite des populations devenues hostiles, et accru par cette manière de faire une impopularité massive en Europe... Si l'anéantissement des troupes ennemies était l'objectif des troupes napoléoniennes, comme le théorisa plus tard, entre autres CLAUSEWITZ, donnant du coup à l'artillerie un rôle majeur, ce n'était pas celui de Frédéric II, selon lequel primait la guerre de position. C'est-à-dire une guerre de manoeuvres compliquées et de l'accumulation de petits gains, en laissant les troupes adverses, dont les chefs se rendaient compte qu'ils ne pourraient l'emporter, reculer et se retirer en bon ordre... Toutefois, Frédéric ne répugnait pas aux coups offensifs bien nécessaires pour édifier l'état-major adverse, comme il favorisait la défense agressive et active, en s'appuyant sur des fortifications permanentes.
Stratégiquement, le Roi pensait qu'à la longue, on ne pouvait attendre de la guerre, dans les conditions qui existaient alors, des gains importants. Après avoir accompli, au début de sa carrière, le plus brillant renversement de l'équilibre du pouvoir que connut l'Europe de son époque, il devint, une fois conquise la Silésie, un homme pacifique et finit par croire fermement à l'équilibre européen, maintenant que la Prusse en était un des éléments principaux. Même en envisageant pour son pays une expansion en Pologne, en Saxe et en Poméranie suédoise (la première division de la Pologne étant accomplie sans guerre), il était plutôt disposé à laisser à ses successeurs ce projet de conquêtes. Sa diplomatie devint alors une défense du statu quo militaire. (R. R. PALMER)
Ce n'est qu'après la défaite militaire totale contre les armées de NAPOLÉON 1er à Iéna et Auerstedt en 1806 que les réformes auparavant avortées peuvent être entreprises, en tenant compte de la réalité nouvelle en Europe, le passage obligatoire sous peine de perdre toutes las batailles prochaines d'un monde aux armées professionnelles mercenariales très diverses d'une monde aux armées nationales, formées en grande majorité de membres du Royaume. A un monde également où la puissance de feu de l'artillerie oblige à organiser autrement les troupes sur le champ de bataille... SHARNHORST, GNEISAU, BOYEN et CLAUSEWITZ propageaient l'idée de la nation armée réunie loyalement autour de la dynastie. Les contemporains de CLAUSEWITZ n'étaient pas préparés à comprendre les nouveaux principes de la guerre. Mais la déroute totale de la Prusse qui se retrouve dans le camp des gagnants au Congrès de Vienne de 1815 constitue le moment où elle capitalise toutes ses expériences antérieures et où elle tire en même temps les leçons des mouvements révolutionnaires.
La situation de la Prusse demandait plutôt une organisation qu'un philosophe. la révolution d'en haut n'était en quelque sorte que la réforme du système de Frédéric-Guillaume Ier enfin modernisée. Le programme : un service militaire obligatoire pour tous, abolition des exemptions de la bourgeoisie et des privilèges de la noblesse en ce qui concernait les charges d'officiers de l'armée. La lutte populaire contre les armées napoléoniennes fut d'abord favorable aux réformateurs. Les résultats du Congrès de Vienne, la Sainte-Alliance et ensuite le retour au système pré-révolutionnaire constituaient l'échec définitif des idées réformatrices. Le plan d'une armée permanente, secondée par des formations d'une milice bourgeoise ne fut plus suivi, tandis que le service obligatoire pour tous les sujets fut maintenu. Les autres Etats de la confédération germanique comme les royaumes de Saxe, Würtemberg, Bavière, Hanovre et Grand Duché de Bade pratiquaient comme la France le tirage au sort combiné par le remplacement pour les classes bourgeoises. A partir des années 1850, avec une industrialisation croissante, le remplacement fut de plus en plus difficile et le service obligatoire fut instauré dans les Etats allemands. Tandis que la noblesse dominait en Prusse le corps des officiers de l'armée, dans les autres contingents de la Confédération germanique se trouvaient des officiers d'origine bourgeoise qui avaient plus de chance de promotion sociale par une carrière militaire. Le divorce entre armée royale et société bourgeoise se manifesta de nouveau en Prusse et culmina dans les soulèvements de 1848-1849. Quand Guillaume Ier et plus tard BISMARK oeuvrèrent à l'unité de l'Allemagne sous la domination prussienne et la réalisèrent finalement à l'aide de l'armée monarchique lors des guerres de 1866 et 1870, le rêve jusqu'alors inachevé de la bourgeoisie libérale produisit un rapprochement entre le pouvoir militaire et la majorité civile. Mais ce n'était plus comme en 1813 une coalition de partenaires égaux. Le serment du soldat ne fut pas prêté à la Constitution mais au monarque. L'armée resta jusqu'à la fin de la monarchie un instrument du pouvoir royal ou bien impérial. La militarisation de la société allemande avec une intensité différente dans les Etats de l'Empire de 1870, se manifestait dans un sentiment exagéré du prestige de l'officier. Pour la majorité des Allemands, l'Empire dominé par la Prusse était l'oeuvre invincible de celle-ci. Le service obligatoire et l'éducation du soldat appelé avaient implanté un consentement plus répandu parmi les couches sociales moins élevées. Dans les dernières décennies du XIXème siècle, une prussianisation des contingents en ce qui concerne l'exercice, l'armement et les structures de commandement, quoique avoir quelques modifications, fut introduite dans tous les Etats de l'Empire. (B. CROENER)
Mais avec l'Empire allemand de 1871, on entre encore dans une autre époque. L'hétérogénéité socio-économique et politique entre anciens Etats allemands introduit des difficultés de premier plan si l'on veut maintenir telle quelle l'esprit et l'organisation prussienne de la société. L'accélération de l'industrialisation, la montée des revendications non seulement bourgeoises mais aussi ouvrières oblige BISMARK et la classe dirigeante à des réformes importantes, à d'autres alliances intérieures, notamment entre armée, bourgeoisie et prolétariat. L'histoire montrera qu'elles seront insuffisantes puisque l'Empire allemand s'effondre en 1918...
Le modèle prussien est aussi une étape historique dans la stratégie en tant que concept, si on lit bien Hervé COUTEAU-BÉGARIE.
Alors qu'en France l'Ancien Régime résiste aux tentatives de réformes, l'armée prussienne auréolée des victoire de FREDERIC II ne songe pas à se réformer non plus. Les généraux refusent d'être bridés par un état-major doté de pouvoirs et par des plans d'opérations établis dès le temps de paix. "L'Aufklärung militaire, contre la schlérose du modèle frédéricien reste le fait d'une minorité d'officiers et l'Immédiat-militär-Organisationskommission, créée en 1795, améliore l'équipement et la tactique, mais sans procéder à des modifications structurelles. NAPOLÉON pourrait introduire une mutation organique mais, tant dans le domaine technique que dans les institutions, il ne procède pas à des bouleversements fondamentaux. Son génie et la supériorité tactique du soldat français ne rendent pas nécessaire une organisation nouvelle.
Celle-ci viendra de Prusse, à la suite de la défaite totale de 1806. La rénovation entreprise sous l'égide de SCHARNORST, chef de file des réformateurs regroupés au sein de la Militärische Gesellschaft, et de GNEISENEAU, à partir de 1808, est impressionnante. Dès le lendemain de la défaite, SCHARNORST réorganise le ministère de la Guerre. L'innovation capitale est l'organisation d'une section chargée de l'instruction, de la mobilisation, du renseignement et de la préparation des plans d'opérations. En 1808, la Kriegsakademie (Ecole de Guerre) est créée, avec un mélange d'enseignement général et professionnel. De nouvelles revues apparaissent : les Annalen des Krieges, publiées à Berlin par von BULÖW en 1806 : Pallas, fondée par Rhüle von LILIENSTERN, qui publie dans son premier numéro, en 1808, un article de JOMINI. En 1809, SCHARNORST organise les premières manoeuvres sur le terrain, dans des conditions aussi proches que possible de la réalité. Le général KRAUSENECK organise les voyages d'état-major et les exercices des cadres. En 1810, la Kriegschule für die Offiziere est créée et REISSVITZ imagine un Kriegsspiel facile à manier et pédagogique qui sera perfectionné en 1816 par son fils et adopté en 1824 par l'état-major général. Le général GROLMAN, qui succède à GNEISENEAU à la tête de l'état-major général en 1814, organise la section historique, qui entreprend aussitôt l'histoire officielle des "guerres de libération". En 1816, le Militär Wochenblatt (hebdomadaire militaire) est créé par les futurs généraux Rhüle von LILIENSTERN et von DECKER, pour favoriser la réflexion chez les officiers. La même année, la section cartographique et topographique est constituée. En 1821, l'édifice prend sa forme définitive avec la séparation entre le ministère de la Guerre, chargé des questions administratives, et l'état-major général, dont dépendent toutes les questions opérationnelles. Le système de guerre prussien se trouve ainsi mise en place autour d'une institution centrale et de deux fondements théoriques : la géographie militaire et l'histoire militaire. MOLTKE l'Ancien, le furet vainqueur de Sadowa et de Sedan, est l'incarnation de cette nouvelle organisation ; il commence sa carrière à la section topographique et rédige un manuel de lever de cartes qui fera longtemps autorité, avant de se consacrer à des travaux d'histoire militaire.
Les autres pays ne suivant qu'avec retard, particulièrement la France."
Bernhard KROENER, Allemagne, dans Dictionnaire d'art et d'histoire militaires, Sous la direction d'André CORVISIER, PUF, 1988. R.R. PALMER, Frédéric Le Grand, Guibert, Bülow : de la guerre dynastique à la guerre nationale, dans Les Maitres de la stratégie, Tome 1, sous la direction de Edward MEAD EARLE, Bibliothèque Berger-Levraut, 1980. Michel EUDE, Prusse, dans Encyclopedia Universalis, 2014. Hervé COUTEAU-BÉGARIE, Le modèle prussien, dans Traité de stratégie, Economica/ISC, 2002.
STRATEGUS
Complété le 30 octobre 2017