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8 décembre 2017 5 08 /12 /décembre /2017 13:03

        La critique du jugement, une fois publiée un peu partout en Europe, ouvre l'époque moderne de l'esthétique. C'est en tout cas ce que constate Daniel CHARLES. Successivement, Johan Wolgang von GOETHE (1749-1832), Friedrich von SCHILLER (1759-1805), SCHLEGEL, Friedrich Wilhelm SCHELLING (1775-1854), et pour finir HEGEL qui entame une nouvelle encore façon de voir l'esthétisme, produisent une certaine quantité d'oeuvres qui explicite les voies du Romantisme. 

GOETHE avec l'Urphänomenon (le phénomène premier) et surtout SCHILLER (Lettres sur l'éducation esthétique de l'homme, 1795) décèlent en l'art une puissance infinie, susceptible d'embrasser, dans l'"illimité" du jeu, toutes les tentatives humaines - cela grâce à la limitation réciproque de l'instinct sensible et de l'instinct formel, de la vie et de la forme. De même SCHLEGEL, considère l'ironie - l'affirmation d'une force capable de surmonter la distinction entre sérieux et non-sérieux, entre fini et infini, et de faire accéder à une "poésie transcendantale" - comme "l'impératif catégorique du génie".

Mais c'est surtout l'esthétique de SCHELLING, bien plus connue d'ailleurs (Système de l'idéalisme transcendantal, Bruno, Philosophie de l'art, Rapports entre les arts figuratifs et les arts de la nature, 1800-1807) qui libère tout ce que la Critique du jugement contient de métaphysique implicite. Pour ce dernier auteur, l'art révèle l'Absolu : en lui se synthétisent et doivent se dépasser le théorique et le pratique, car il est l'activité suprême du moi, inconsciente comme la Nature et consciente comme l'esprit. On ne peut que penser là irrésistiblement à une réminiscence de la présence divine dans l'art, ceci d'autant que tous ces auteurs ont une formation religieuse et classique importante, éléments premiers du savoir dans beaucoup d'établissement scolaires et universitaires. Sauf que l'on passe réellement de Dieu à l'Homme, l'art n'étant plus l'émanation, la copie ou le réfléchit (comme un miroir) de la puissance divine, mais bien plus la quintessence de ce que l'esprit humain peut produire.

"D'une part, donc, explique Daniel CHARLES, l'art nous ancre dans la Nature et réconcilie celle-ci avec l'Esprit ; d'autre par, l'art est supérieur à la philosophie, parce qu'il représente l'Absolu dans l'Idée, tandis que la philosophie ne l'offre que dans son reflet ; et, de même, le rapport de la science et du génie est accidentel, tandis que le rapport de l'art et du génie est constitutif et nécessaire. En réalité, "il n'y a qu'une seule oeuvre d'art absolue qui peut exister en différents exemplaires, mais qui est unique, quand même elle ne devrait pas encore exister dans sa forme originale". D'où l'idée d'un devenir de la philosophie : cette dernière s'est détachée de la poésie, mais elle est destinée à lui revenir un jour, sous la forme d'une nouvelle mythologie."

    Caroline COMBRONDE suit la même historiographie quant aux sources du Romantisme. C'est un préromantisme qui s'affirme en Allemagne à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe. La poésie puis la littérature font cohabiter dès ce moment le goût pour une culture classique portant un regard nostalgique vers l'Antiquité et le goût pour une culture moderne, dite "romantique", préférant les valeurs nationales, telles celles vitalisées par les épopées et les mythe traditionnels (en tout cas dans leur réinterprétation...) : culte du génie, de la raison et de la sensibilité tout ensemble. Les événements politiques de la Révolution française ainsi qu'un certain recul critique vis-à-vis de la philosophie des Lumières engagent les penseurs dans la voie d'une réflexion sur la beauté qui réserve à cette dernière une place essentielle dans l'évolution et la transformation de la société.

Les deux figures de GOETHE et de SCHELLING dominent la scène de ce préromantisme.

GOETHE réfute la systématicien du raisonnement philosophique et sa pensée de l'art se développe à travers les formes littéraires que sont la poésie, l'essai ou le roman. Il faut rappeler que si dans sa jeunesse GOETHE se fait le chantre du préromantisme et vante l'harmonie du gothique germanique de la cathédrale de Strasbourg, il abandonne très vite l'influence du Stum und Drang pour se tourner vers l'art classique.

Caroline COMBRONDE analyse le texte de 1789, la Simple imitation de la nature, manière et style où "l'écrivain s'oppose au naturalisme romantique en décrivant les différente étapes de l'imitation. Le tout premier degré, dans lequel certains artistes se confinent, est l'appréhension sensible des objets de la nature. C'est "l'imitation", faite dans le calme et la contemplation par une âme apaisée. Elle possède cependant un nombre d'objets restreints. Vient ensuite l'étape intermédiaire de la "manière", où l'homme concevant l'unité à travers la multiplicité doit faire abstraction du particulier. Il veut alors, "donner une forme significative  à un objet déjà maintes fois reproduit par lui, sans avoir en face de lui, lors de la reproduction, ni la nature ni même son souvenir vivace. (...) En dernier lieu, le "style", summum de l'art, est l'étape ultime de l'accession à l'universel." GOETHE résume cela ainsi : "Tout comme la simple imitation repose sur une existence calme et une présence aimable, tout comme la manière se saisit d'un coeur léger et avec talent d'une apparition, de même le style repose sur les fondement les plus profonds de la connaissance, sur l'essence des objets pour autant qu'il nous soit permis de la connaitre sous forme de figures visibles et tangibles" (voir l'édition de 1983, chez Klincksieck, dans une traduction de Jean-Marie SCHAEFFER). 

l'oeuvre d'art parfaite est une oeuvre de l'esprit humain, qui ne cherche par à représenter ou à reproduire la nature, estime GOETHE dans son ouvrage de 1798, Du vrai et du vraisemblable dans les oeuvres d'art. Lorsque tout est transitoire et changeant dans la nature, l'art lutte contre la destruction et élève les objets naturels au niveau de la totalité. "Comme il le souligne dans l'introduction de la revue Les Prophylées qu'il publie la même année, nous explique encore notre auteure, "dès que l'artiste saisit un objet de la nature il n'appartient déjà plus à cette dernière." Même si la connaissance des lois de la nature n'est pas nécessaire à l'art qui possède ses règles propres, il y a dans le produit de l'art la même unité organique que dans le produit de la nature, et même plus, car le premier fait ressortir plus que la nature elle-même le significatif, le caractéristique et l'intéressant. L'artiste, décidément très valorisé, crée une deuxième nature "humainement parfaite", un univers clos sur lui-même, possédant, à l'égal de la nature, une cohérence interne. Si l'oeuvre de GOETHE possède une telle influence dans la culture allemande, qui précède de loin le futur espace politique allemand, c'est qu'il est loin d'être isolé, entretenant une correspondance importante et suivie avec d'autres écrivains et pas seulement des écrivains germaniques. Dès 1797, par exemple il entretien avec le philosophe Friedrich von SCHILLER une correspondance abondante sur la poésie épique et dramatique. 

SCHILLER est fortement influencé par la lecture conjointe de l'oeuvre de KANT et de celle de GOETHE. Dans ses Lettres sur l'éducation esthétique de l'homme (1794), il assigne à l'art une fonction pratique et politique. "Partant du constat, écrit Caroline COMBRONDE, que le besoin règne en maître sur son siècle, (il) affirme que l'art est la solution à cette tyrannie de l'utilitarisme car il élève l'homme de l'état primitif du besoin à l'état de la raison grâce à une étape intermédiaire qu'est l'état esthétique. Jadis présent en Grèce, ce dernier a le pouvoir de restaurer l'harmonie de la nature et de l'esprit. C'est que l'homme est dual et qu'en lui deux instincts se combattent : l'instinct sensible le pousse à rendre réel ce qui est nécessaire, à déployer tout ce qui est virtuellement présent en lui. Il attache l'esprit au monde et l'empêche de se dédier à la pure abstraction. L'instinct formel, provenant de sa nature rationnelle, tend au contraire à harmoniser le multiple, à édicter des lois. Or si l'un des deux asservit l'autre, l'âme n'est plus libre. Il faut donc, pour respecter l'unité de la nature humaine, que chacun s'en tienne à son domaine d'action propre, chose que la beauté rend possible. Dès lors ces deux instincts peuvent fusionner en un troisième en unissant forme et matière : c'est l'instinct de jeu. En effet si l'objet de l'instinct sensible est la vie, si l'objet de l'instinct formel est la forme, l'objet de l'instinct de jeu sera la forme vivante. (...) Aussi l'expérience de la beauté est-elle pareillement celle de la liberté puisqu'elle permet de passer de la vie sensible inférieure à l'activité supérieure de la raison. Pourtant dans la réalité, la beauté ne synthétise jamais de façon aussi équilibrée besoin et raison et l'un des deux prédomine toujours : il existe ainsi deux formes de beauté, la beauté apaisante lorsque la forme est davantage présente en elle, et la beauté énergique, témoin de la force de la matière." SCHILLER reconnait à la beauté une puissance morale. "L'homme passivement en proie à la sensation ne peut se déterminer librement que lorsque la disposition esthétique brise la puissance du sensible qui l'aliène. La beauté ennoblit moralement en faisant passer l'homme de la sensibilité à la pensée et lui permet par là de juger de façon autonome. (...)."

SCHELLING fait prendre à l'esprit le relais de la raison kantienne. "Avide de connaitre l'Absolu l'esprit s'engage en un véritable "odyssée" dont l'objet est la recherche de l'identité du moi et du monde, identité qu'il incombe à part de réaliser." Dans le Système de l'idéalisme transcendantal, publié en 1800, il "montre combien dans l'acte de création, l'artiste objective l'idée dans la matière. En art les contraires irréconciliables que sont l'esprit et nature, sujet et monde, individualité et universalité sont réunis : il manifeste l'Absolu, en donne une image objective, ce que ne peut faire la philosophie. Il en est l'organon, l'instrument et l'organisme vivant. (...) Sont donc à la fois présente en l'oeuvre contradiction et apaisement, ce que Schelling nomme l'expression d'une "grandeur calme". En tant qu'il est la représentation de l'infini comme fini, intuition esthétique inobjective devenue objective, l'art est le "témoin permanent" de ce que la philosophie ne peut représenter extérieurement. (...)".

Ainsi, loin d'être une récréation, une détente, un divertissement, l'art est sacré car il émane directement de l'Absolu. SCHELLING, inspiré par WINCKELMANN, fait de l'art le lieu d'apparition d'une beauté inengendrée et éternelle dont la beauté sensible n'est qu'un aspect dégradé. Sur le lien avec la nature, il répond en 1807 lors d'une conférence Sur la relation des arts plastiques avec la nature : la nature est "la force cosmique primitive, sacrée, éternellement créatrice", comme elle l'était pour les Grecs. Mais il réfute le principe d'imitation servile qui ne conduit (chez les Grecs) qu'à reproduire les formes extérieures vides de vie. Si l'art "voulait se subordonner entièrement au réel, en tout conscience, et reproduire avec unes fidélité servile tout ce qu'il a rencontré, il produirait des masques, mais pas des oeuvres d'art". Il lui faut donc s'éloigner de la nature dont la beauté est contingente et incapable de pouvoir donner des règles à l'art, pour s'élever à la force créatrice dont le produit permettra bien plutôt de juger de la beauté naturelle. Ce que doit faire l'artiste, disciple de cette nature, c'est rendre compte de la vie intérieure des choses. S'il ne peut insuffler la vie aux oeuvres comme le fait la nature qui épouse et pénètre totalement son matériau, s'il ne peut animer son produit qu'en surface, l'art élève pourtant l'être hors du temps, dans l'éternité de la vie.

Ces penseurs, sans doute accompagnés d'autres moins connus, contribuent à la formation d'un vaste courant artistique et littéraire, le romantisme. Privilégiant les thèmes de l'intériorité, de la nature et cultivant une certaine nostalgie des origines (à moitié rêvées, ce courant gagne surtout toute l'Allemagne (sans doute la Prusse constitue-t-elle un autre cas...). Ce sont des poètes comme NOVALIS (1772-1801) ou Friedrich HÖLDERLIN (1770-1843) EN allemagne, François René CHATEAUBRIAND (1796-1848) en France qui forment les premiers piliers de ce romantisme, qui pénètre d'abord des milieux pas très favorables aux nouvelles idées de la Révolution et qui se mêle parfois plutôt à des mouvements anti-révolutionnaires et parfois aussi anti-Lumières. 

 

Caroline COMBRONDE, De Kant et des sources du romantisme, dans Esthétique et philosophie de l'art, L'atelier d'esthétique, de boeck, 2014. Daniel CHARLES, Esthétique - Histoire, dans Encyclopedia Universalis, 2014. 

 

ARTUS

     

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