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16 janvier 2018 2 16 /01 /janvier /2018 15:28

       Assez loin d'une certaine représentation de gros bras, tel Rambo et consorts, de vétérans, qui en mal de réinsertion dans la vie civile et la société, d'où d'ailleurs ils viennent, ne retrouvant que dans des activités de destruction une raison de vivre, il existe également un autre vision du cinéma sur eux. Un cinéma, militant ou commercial, qui attire l'attention sur les problèmes des vétérans, notamment au niveau psychologique. En fait, la gamme est assez large, de films de guerre en milieu urbain aux drames psychologiques, en passant par le cinéma fantastique (dont nous sommes friands). Lesquels ne donnent pas forcément une vision juste de la majorité des vétérans et de ce qu'ils vivent, mais peu ou prou s'attachent à faire comprendre certains ressorts de leurs comportements une fois "rentrés au pays". Notamment ceux qui induisent une certaine désocialisation, bien plus fréquente que les comportements violents, ou même que les conséquences d'exposition à des matériaux dangereux lors d'opérations militaires.

     Il faut bien sûr distinguer les films de fiction des documentaires, ces derniers de sources très diverses, des organismes officiels des Etats, soucieux avant tout de faire garder une bonne image de l'armée et de commémorer surtout des victoires militaires aux associations d'anciens combattants dont les préoccupations peuvent être, elles-aussi très diverses. Mentionnons également, mais ils sont largement minoritaires les documentaires qui s'inscrivent dans une démarche militante (parfois antimilitariste et anti-guerre) ou qui font connaitre au public les conséquences sur les vétérans de leurs expériences de la guerre. Beaucoup de ces films de fiction son états-uniens (hollywoodiens...), et une grande part des documentaires nous vient du Canada, pays à forte tradition documentariste.

     En ce qui concerne les films américains de fiction, nombreux dont les héros sont d'anciens vétérans et se recyclent dans ce qu'ils connaissent le mieux. Mais certains, surtout récemment d'ailleurs, avec les guerres du Golfe et même des guerres du VietNam, évoquent les problèmes psychologiques et physiques des vétérans. Des listes de films sur la Toile sont très fréquemment réalisées et il nous suffit de les citer pour nous apercevoir toue la diversité d'inspiration...

Dans le désordre :

- Légitime violence (1977), de John FLYNN, narrant les aventures d'un Major qui revient au Texas après avoir été emprisonné et torturé pendant 7 ans à Hanoï.

- Rambo (1982), de Ted KOTCHEFF, suivis d'une flopée de films dans la même veine avec pour héros un ancien soldat d'élite, campé par Sylvester STALLONE. Rambo revient aux Etats-Unis à la recherche d'un membre de son unité et n'est pas tout à fait bien accueilli par le shérif d'une petite ville, mauvais accueil déclencheur de sa destruction...

- Voyage au bout de l'enfer (1978), de Michael CIMINO, où Mike rentre au pays et recherche ses amis de toujours. Cette évocation de plus de trois heures s'étant longuement sur le parcours de ces trois hommes, engagés au VietNam. le film raconte en fait beaucoup plus l'Amérique déboussolée que le bourbier vietnamien.

- Né un 4 juillet (1989), de Oliver STONE, où Ron Kovac, de retour au pays paralysé perd ses illusions de patriotisme, de courage et d'honneur.

- Les plus belles années de notre vie (1946), de William WYLER, un des premiers films traitant du sujet de la réadaptation de soldats à la vie civile.

- C'étaient des hommes (1950), de Fred ZINNEMANN.

- Hi, Mom! (1970), de Brian de PALMA, première apparition cinématographique du vétéran du VietNam.

- Taxi Driver (1976), de Martin SCORSESE. Le film raconte la croisade dérisoire et sanglante d'un ancien Marine revenu déglingué du VietNam. Signalons que Martin SCORSESE avait mis en cène dans son premier court métrage, The Big Shave, une allégorie saisissante de son époque : un homme se race face à un miroir et recommence, inlassablement, jusqu'à ce que son visage ne soit qu'un amas de chairs sanguinolantes.

- Gordon's War (1973), de Ossie DAVIS.

- Johnny s'en va-t'-en guerre (1971), de Dalton TRUMBO.

- Punisher (1989), de Mark GOLDBLATT.

- L'échelle de Jacob (1990), de Adrian LYNE, où un soldat américain revenu au pays vit un cauchemar dû à une tuerie au VietNam où tous les membres de son unité se sont entretués, et lui-même n'a pas survécu. Ce film fantastique assez long de par son tempo plus que par sa durée (à peine deux heures), illustre à la fois les expérimentations de drogues sur les soldats au VietNam, pour en faire de super-soldats (fiction) et rappelle combien sont intenses les traumatismes subis par ceux qui sont réellement rentrés au pays. 

- La blessure (1981), de Ivan PASSER où un vétéran lourdement alcoolique aide son dernier ami soupçonné de meurtre. Une mise en scène de l'amertume d'une Amérique aux abois.

- Comme un torrent (1958), de Vincente MINELLI où un soldat revient au pays plein d'enthousiasme et qui déchante fortement.

 

     Parmi les documentaires engagés n'en citons que deux, car nous nous centrons ici sur les films de fictions :

- Que la lumière soit (1946) de John HUSTON, sur les soldats victimes de stress post-traumatique, interdit aux Etats-Unis pendant plus de vingt ans.

- My Laï Veterans (1971), de Joseph STRICK, sur le massacre de My Laï, raconté par cinq soldats impliqués.

 

     Anna WINTERSTIDEN écrit dans le journal Libération du 13 décembre 2011 sous le titre Quand Holywood raconte les vétérans, à l'occasion du départ d'Irak à la fin de l'année des derniers soldats américains  :

" Un homme sort des flammes, hébété. Il tient un fusil à la main. Autour de lui, parfois vue de face et de près, au téléobjectif. Fondu enchainé, l'homme est assis dans un avion (ou un hélicoptère, dirions-nous). Il a un bandage autour de l'avant-bras, il est morne mais vivant. Il rentre chez lui.

Cette séquence a servi de prologue à plusieurs dizaines de films américains depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Le 31 décembre, la scène trop connue va être rejouée en direct par 6 000 soldats américaine - les dernières troupes à se retirer d'Irak, "la tête haute et avec honneur" a affirmé Barak OBAMA (qui semble bien plus désigner là les stratèges de Washington...).

      Mais c'est une autre thématique souvent (pas si souvent que cela en fait...) traitée par Hollywood qui reviendra dès janvier : comment ces milliers de soldats, éloignés de leur pays et de leurs familles pendant des mois, écartés de la vie civile et de leurs professions, vont retrouver leur place dans une société affaiblie par la crise économique mondiale.

    Le premier film à se pencher sérieusement sur la question date de 1946, Les plus belles années de notre vie, réalisé par William WYLER, raconte le retour de trois combattants de la Seconde Guerre Mondiale. Fred, un officier de l'Armée de l'Air, est hanté par des cauchemars du front. Les deux mains d'Homer ont été consumées dans un accident et remplacées par des prothèses-crochets. Quant à Al, il sombre dans l'alcoolisme dès son retour à la vie civile.

Jouets cassés par leur passage dans l'effroyable machine à détruire, tous cherchent leur place dans une société restée incroyablement éloignée du front? Car à la différence de l'Europe, les Etats-Unis n'ont pas vu de troupes déferler à l'intérieur de leurs frontières. La vie a continué. Sans les vétérans. WYLER évoque pudiquement les traumatismes physiques et psychiques de ces hommes, mais son oeuvre est atténuée par la noble volonté de faire face, de ce pas s'effondrer à l'écran. L'Anglo-saxon est un roc et la faiblesse et le relâchement n'ont pas leur place dans un scénario. Passé le traumatisme du retour, les vies se réajustent, les couples se ressoudent et le film s'achève par un mariage - une conclusion en demi-teinte qui laisse la place au doute, mais aussi à l'espoir.

    Un espoir que les années 1960 ont fini de détruire. A peine 4 ans après la fin de la guerre de Corée, un conflit de la Guerre froide où le napalm avait déjà fait des milliers de victimes chez les Coréens et où (plus de 36 000) soldats américains étaient morts, la guerre du VietNam est déclarée en 1957. Là encore, en toile de fond, une opposition entre communistes et occidentaux. Là encore, un bilan sanglant : (plus de 58 000) morts dans le camp américain. Mais surtout, c'est au cours de cette guerre que l'opinion américaine se renverse en un jour : le 31 janvier 1968, où l'Offensive du Têt, menée par l'armée vietnamienne, remet en cause la possibilité d'une paix rapide.

Les mouvements pacifistes, jusque là peu nombreux, se multiplient, et le public américain, traumatisé par une guerre longue et violente, accueille d'un oeil nouveau les soldats revenus lessivés du front.

En 1972, alors que le conflit s'achève, le "vétéran" s'inscrit en concept dans l'opinion publique, et Hollywood multiplie les productions dont les héros sont d'anciens combattants du VietNam. Taxi Driver, Rambo, Voyage au bout de l'enfer, Le retour : autant d'oeuvres qui questionnent avec une crudité nouvelle l'impossibilité fondamentale à vivre après avoir cotoyé la mort si souvent, si longtemps.

Et cette fois, la retenue a plié bagage, remplacée par une sauvagerie que la guerre a débridée. Dans Taxi Driver, Travis Bickle, le célèbre personnage incarné par Robert De Niro, est un chauffeur de taxi insomniaque dont la souffrance psychologique trouve un exutoire dans la fréquentation de cinémas pornos glauquissimes. Brisé par la violence qui lui a été imposé de l'extérieur, il ne parvient pas à récupérer une identité qu'à travers la monstruosité d'une autre violence, dont il a choisi les armes et les victimes. Pas de mariage, pas de retenue ni d'espoir : la fin de Taxi Driver ne laisse que l'image d'un révolver déchargé et d'une société grinçante qui transforme les assassins en héros. 

Même processus chez John Rambo, ce Conan le Barbare des années 1980 passé à la moulinette des fusils mitrailleurs. Malgré son image de guerrier au long cours, le premier Rambo le fait apparaître sous les traits d'un vétéran dérangé, qui mène une guérilla solitaire contre un système policier américain qu'il rapproche de l'armée populaire vietnamienne. Cette division subversive - l'ancien combattant est seul contre un système entier tandis que l'ennemi et l'ami deviennent une même personne - reflète une société très critique de la politique américaine et prête à se ranger du côté des anciens combattants. Elle témoigne aussi, comme le monte la seconde vie de Rambo, d'une foi en la rédemption.

Depuis, la vanne a été ouverte. la contestation des guerres du Golfe, d'Afghanistan et de la seconde guerre d'Irak n'a pas attendu dix ans pour voir le jour. Le Post traumatic stress disorder (Ptsd), qui touche 20% des soldats est appliqué sans tabous aux jeunes soldats qui reviennent au compte-goutte d'Irak. Et les films critiques de la politique américaine ont commencé à être tournés bien avant la fin des conflits.

Dès 2008, Kimberly Pierce a réalise Stop-Lose, une fable amère où le rejet de la guerre se mélange au sentiment de son inéluctabilité. Sitôt revenu d'Irak, Brandon King (Ryan Philips) est rappelé au front, à cause de la "stop-loss-policy", qui peut étendre de six mois l'engagement volontaire de n'importe quel soldat. Incapable de retrouver une place dans la vie civile, séparé de sa femme, King commence par se porter déserteur, avant de se raviser. Par par patriotisme : par obéissance, par incapacité à laisser, de son propre chef, la guerre derrière lui. Le même pessimisme règne dans Brothers de Jim Sheridan, la réflexion la plus célèbre sur le post-guerre d'Afghanistan. Sam Cahill (Tobey Maguire) rentre alors que tous le croyaient mort, mais il est en guère meilleur état qu'un cadavre ambulant. Troublé par ses traumatismes et sa paranoïa, il cherche lui aussi à rétablir l'équilibre par la violence, mais échoue même à faire cela. Si une note de bons sentiments scénaristiques tente de le montrer en voie de rémission, le film s'achève pourtant sur une lettre où il doute, et le public avec lui, de sa capacité à retrouver un jour une vie normale.

La manoeuvre désespérée qu'était l'héroïsation des vétérans après la guerre du VietNam (présente d'ailleurs dès le deuxième Rambo) a été déjouée par les guerres du Moyen-Orient. Désormais, un statu quo résigné a gagné les esprits. Les grandes idées, la rédemption, la dignité, ont été enterrés avec les Stars and Stripes qui ornent les cercueils des soldats défunts. les préoccupations quotidiennes de ceux qui restent ont été classifiées pour être mieux réglées. Le Ptsd relève de la psycholmogie (ou de la psychiatrie plutôt) - et des dizaines de livres paraissent pour y préparer les anciens soldats et leurs familles. Le chômage relève de la crise économique - et les combattants subiront au même titre que leurs compatriotes paisibles. La condition du "vétéran" se banalise."

 

   Mais toutefois, la condition du "vétéran" continue d'être le thème de nombreux films et surtout de nombreux documentaires. 

Témoin le film américain Man Down, de Dito MONTEL (2016), sorti récemment en DVD. Ce film, qui N'EST PAS UN FILM FANTASTIQUE, en dépit de sa présentation commerciale, présente le parcours dans une Amérique post-apoacalyptique, qui n'existe que dans sa tête, comme le montre très bien la fin du film (qu'apparemment les publicitaires du film n'ont pas vu...), d'un ancien Marine, vétéran de la seconde guerre d'Afghanistan, à la recherche de son fils disparu (lequel n'a pas disparu, mais a été "récupéré" par sa femme qui a rompu avec lui), accompagné de son meilleur ami (qui lui n'existe également que dans sa tête, étant mort au combat). Le délire du vétéran est à la mesure de sa désocialisation. Évidemment, comme il est présenté comme un film fantastique, il n'a reçu généralement que des critiques défavorables. Selon un journaliste du New York Time, le réalisateur "a peut-être eu des intentions honorables dans la création de ce film. Mais ce qu'il a fait n'est pas un oeuvre d'art viable (....). C'est un spectacle sadique". Pourtant, en matière de spectacle sadique, on a vu des critiques de ce journal bien enthousiasmés par des films et des séries télévisées qui le surpassent dans ce registre...

FILMUS

 

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