Disciple direct de GANDHI, dont il poursuit et amplifie l'action, notamment dans le domaine économique, Vinoba BHAVE, fils d'une famille pieuse de brahmanes, met en oeuvre une philosophie fortement marquée par l'ahimsa et la compassion envers tout homme. Après avoir participé de nombreuses années à des ashram (communauté) gandhien, il met en oeuvre dans les villages une politique de destruction des castes et de réforme agraire vis la redistribution volontaire des terres par leurs propriétaires.
Peu connu en Europe, mais extrêmement populaire dans son pays, il s'oppose directement à la politique d'industrialisation à outrance des dirigeants indiens (dont Jawaharlal NEHRU) et aux tendances marxistes autoritaires influentes dans certains États de l'Inde. Il lance le mouvement de Buchan (don de terre) liée à une autonomisation des villages.
C'est en 1940 qu'il sort d'une vie ascétique vouée au service (tâches matérielles) et à l'étude, sous l'impulsion de GANDHI, pour ouvrir la campagne de désobéissance civile individuelle. Rien ne distingue (et il fait tout pour ne pas s'y distinguer!) l'"héritier spirituel" pendant les années d'incarcération (1940-1944) par l'administration britannique soucieuse de briser toutes velléités d'opposition durant la guerre, ou pendant les événements qui ensanglantent l'indépendance (1947), ou même les trois années qui suivent la mort du Mahatma (janvier 1948).
En 1951, inspiré par ce qu'il croit être un signe du ciel, il se met à prêcher dans un pays de jacqueries (où vivent de nombreux brigands) le don des terres, parcourant toute l'Inde. Seul au départ, VINOBA est très vite épaulé par de nombreux volontaires et par la Sarva Seva Sangh, association apolitique vouée au service, et conforme aux dernières instructions de GANDHI ("Testament"). Le gouvernement facilite la législation nécessaire et en 6 ans, les dons de terre atteignent 1,7 million d'hectares. Mais les difficultés causées par la distribution (notamment vu le très faible niveau d'instruction et d'hygiène des paysans) et la mise en valeur des dons font évoluer le bhoodan en gramdan.
La politique du don du village succède à celle du don de terres : plusieurs centaines de villages se "donnent" tout entiers à VINOBA en l'espace de quelques mois (1955), rendant possible une "reconstruction" économique du village selon des principes gandhiens. Prêché d'abord dans sa forme pure de 1957 à 1960, le don du village amène la mise en commun des terres données. Mais le mouvement se ralentit jusqu'à ce que VINOBA relance, par une "campagne-cyclone, un "gramdan-rendu-facile" (sulabh gardant). Désormais, si le titre de propriété passe toujours à la communauté, le signataire garde toujours la jouissance de ses biens - exception faite du vingtième, auquel il renonce entièrement - et le droit de la transmettre à ses héritiers, si ceux-ci consentent à leur tour au gramdan. Une assemblée élue par le village doit gérer un fonds commun alimenté par les revenus de tous ou par des journées de travail.
Le passage d'une déclaration formelle à une reconstruction non violente n'est le fait que de quelques centaines de villages. Les difficultés de la tâche et l'évolution de la situation politique à partir de 1972 provoquent la division de la Sarva Seva Sangh, tentée de suivre J.P. NARAYAN dans l'opposition politique au gouvernement d'Indira GANDHI. VINOBA, qui ne parvient pas à obtenir des décisions adoptées à l'unanimité et à échapper au sytème des partis, refuse une action non-violente précipitée. La chute du Premier ministre met fin au dilemme sans trancher ce problème.
VINOBA, malgré les difficultés, continue jusqu'à sa mort, provoquée délibérément par un inanition, se privant de nourriture pendant de nombreux jours, selon la pratique sacrée commune aux ascètes hindous et jaïns, de prônée la révolution non-violente en économie. La politique et la religion, selon lui causes de dissensions entre les hommes, doivent être dépassées et remplacées par la science et la spiritualité, qu'il importe de réconcilier. Il désire l'avancement de la science, mais sous l'égide de la connaissance spirituelle, noyau de toutes les religions.
Quoique son programme présente avec celui des communistes une grande similitude, il en diffère cependant très sensiblement : VINOBA croit en Dieu et est apôtre de la non-violence. "Les communistes sont mes frères, écrit-il, et je suis prêt à collaborer avec eux. Nombreux sont parmi eux de vrais amis de l'homme. Beaucoup sont pour la force. Avec ceux-là je ne m'entends pas. Mais ils sont aussi mes frères." Dans son livre La révolution de la non-violence, écrit sous le nom Acharya Vinoba, qui est surtout une compilation de ses nombreux dires publics, édité en France avec une préface de Lanza Del VASTO, il décrit le rôle du gouvernement, sa conception de la décentralisation, ses préceptes de solidarités villageoises. Il y décrit précisément "nos deux institutions", le Sarva Seva Sangh et le Sarvodaga Samâdj. "Ce dernier fonctionne de manière impersonnelle, comme un mot exprimant une idée-force, alors que le premier fonctionnera de façon concrète. Les deux sont complémentaires et font, ensemble, avancer notre cause." Il s'exprime sur à peu près tous les sujets de société et insiste sur les manières de faire avancer, de façon non-violente, la coopération entre tous les hommes et les femmes du village, qu'ils placent sur un plan d'égalité et de fraternité. Dans ces villages, tout le monde participe et personne n'est exclu : les castes doivent disparaitre car elles constituent un obstacle à l'avènement d'une société de bonté.
Acharya VINOBA, La révolution de la non-violence (Actes et Paroles), Éditions Albin Michel, collection Spiritualités vivantes, Série Hindouisme, 1958.
Myriam ORR, ils vivent pour la paix, chapitre consacré à Vinoba Bhavé, Perret-Gentil, 1962. Lanza Del Vasto, Vinôbâ ou Le nouveau pèlerinage, Gallimard, collection folio, 1982 (réédition du livre de 1954 paru chez Denoël). Vinoba Bhave, Encylopedia Universalis, 2014. Sumit KUMAR, Acharya Vinoba Bhave, ePub pour Kobo (voir sur le site de la Fnac), 2015. Hallam TENNYSON, Le Mendiant de justice : Vinoba, Denoël, collection "Pensée gardienne", 1966.