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23 février 2018 5 23 /02 /février /2018 08:23

         Bertrand de Jouvenel des Ursins ou Bertrand de JOUVENEL est un écrivain, journaliste français, également juriste, politologue et économiste. Connu pour une carrière plutôt contrastée et controversée, une grande partie de son oeuvre est consacrée à l'analyse et à la critique du pouvoir, des pouvoirs. Parmi ses 37 livres, Du pouvoir reste une référence. Fondateur de la revue Futuristes, il est d'abord un libéral au sens politique, avec une vision hétérodoxe de l'économie, estimant que la gestion de l'environnement revêt une importance capitale. S'il est reconnu comme un pionnier de l'écologie politique par certains (Ivo RENS), beaucoup doutent de la nature de cette écologie. Par contre, il se fait le promoteur de la prospective et à ce titre est défavorable à tout pilotage économique uniquement à court terme. Il est, avec Friedrich HAYEK et Jacques RUEFF, le fondateur du club d'intellectuels libéraux la Société du Mont Pèlerin. 

       Issu d'une famille où certains membres se signalent dans le journalisme pro-dreyfus, après des études scientifiques et juridiques, Bertrand de JOUVENEL devient correspondant diplomatique, puis correspondant pour divers journaux, avant d'entamer une carrière universitaire.

Politiquement, ses adhésions sont plutôt fluctuantes.  Il s'inscrit en 1925 au Parti radical où il milite aux côtés des "Jeunes Turcs". Son livre L'Économie dirigée, publié en 1928, défend les vertus du dirigisme contre le capitalisme libéral. Homme de gauche, pacifiste et partisans convaincu de la réconciliation franco-allemande, il travaille avec LUCHAIRE à Notre Temps à la fin des années 1920. L'essentiel de ses préoccupations est tourné vers cette réconciliation franco-allemande, car il pressent avec beaucoup d'autres que le Traité de Versailles gâche toutes les chances de paix en Europe. Vers les Etats-Unis d'Europe, écrit en 1930, il prend encore parti pour cette réconciliation. Toute sa vie, et c'est un fil conducteur dans ses changements d'orientation en politique, il a pour horizon cette réconciliation, horizon qui l'emmène de gauche à droite...

Après les émeutes organisée par les ligues antiparlementaires en 1934, convaincu de l'inefficacité des partis, il décide d'agir comme "électron libre". Il quitte le Parti radical et lance avec Pierre ANDRIEU, l'hebdomadaire La lutte des jeunes, tout en multipliant ses collaborations avec d'autres journaux plus à droite, comme Gringoire et fréquente des intellectuels comme Henri de MAN ou Pierre Drieu LA ROCHELLE. Il se lie d'amitié avec Otto ABETZ, futur ambassadeur d'Allemagne à Paris sous l'Occupation, et réalise, ce qui lui est très reproché par la suite et qu'il regrette d'ailleurs à plusieurs reprises, une interview d'Adolf HITLER dans laquelle il insiste sur la volonté de paix du chancelier allemand. Il suit cette dérive longtemps, rejoignant le Parti Populaire Français (PPF) créé par Jacques DORIOT, rédacteur en chef du journal de ce mouvement à l'Emancipation où il fait éloge du fascisme. Ce n'est qu'au Accords de Munich qu'il rompt avec le PPF en 1938. Mais pendant l'Occupation, à une période où beaucoup de journalistes pensaient que l'Allemagne nazie vaincrait en Europe, il sympathise avec des collaborationnistes. Dans des circonstances pas très éclaircies aujourd'hui, il est menacé par la Gestapo et s'exile en Suisse en septembre 1943. Il décide alors d'abandonner ses engagements politiques pour se consacrer à l'économie, à la sociologie politique et aux questions d'environnement. A son retour en France, à la Libération, il échappe à l'épuration, mais est considéré, selon sa propre expression, comme un pestiféré. Il doit d'ailleurs changer d'éditeur... 

Son parcours est sévèrement critique par l'historien Zeev STERNHELL (Ni Droite, ni Gauche, l'idéologie fasciste en France, Le Seuil, 1983) qui voit en JOUVENEL l'un des intellectuels français les plus engagés en faveur du fascisme. Poursuivi en justice, il est condamné pour diffamation (notamment grâce à l'intervention de Raymond ARON). 

    L'oeuvre de Bertrand de JOUVENEL témoigne de toute une époque, de disciplines diverses, de problèmes multiples, de solutions contrastées, voire contradictoires. Certains (dont nous...) voient en lui, un honnête homme dont le pacifisme et la volonté d'unité européenne se sont dévoyés dans un soutien à une idéologie tout juste contraire à ses propres idéaux. Est-il sincèrement fasciste, comme le montre beaucoup de ses écrits de journaux? Est-il sincèrement libéral, au sens vrai du terme, comme l'indique nombre de ses livres? Il y a bien en tout cas une coupure radicale entre avant 1945 et après, sans compter une part d'ombre dans ses activités sous l'Occupation.

 

Critique du libéralisme, critique du Pouvoir

     Après avoir procédé à une critique radicale du libéralisme sous toutes ses formes, afin "d'instaurer un ordre nouveau dégagé du parlementarisme et du capitalisme", Bertrand de JOUVENEL, après 1945, s'engage sur la voie d'une critique aussi sévère des croissances du "pouvoir". Après avoir prétendu que "le rôle historique du fascisme est de mettre un terme à la décomposition sociale de l'Occident" et espéré que Jacques DORIOT mette enfin "entre les Français une juste inégalité", avec des sympathies réelles envers les milieux royalistes, il condamne les révolutions, les coups d'États, les "journées brutales" jusqu'à celle du 13 mai 1958 dans laquelle il ne voit que "l'occasion égoïste d'une passion". Il préfère désormais l'autorité de type intendant (rex) à celle du type meneur (dux). On peut alors tenir Bertrand de JOUVENEL pour un conservateur soucieux de dénoncer la "route de la servitude" que pavent toutes les formes de planification. On risque alors de s'interdire de comprendre le fondateur de la SEDEIS (Société d'études et de documentation économiques, industrielles et sociales), le directeur de Futuristes, l'auteur de L'Art de la conjecture (1963-1965) et d'Arachide, essais sur le mieux-vivre (1968) et d'ignorer sa passion pour la "prévision", la recherche "prospective" et la rationalisation de l'économie...

La dénonciation du pouvoir est son thème majeur : croissance d'un pouvoir qui s'institutionnalise en Etat, concentration du pouvoir au sein de l'institution-État. la société se multiplie par ses couches supérieures qui monopolisent la richesse,la fonction militaire et la puissance politique. Elle prend une forme pyramidale. Le rapport de domination s'institutionnalise et la cohésion du système ne se maintient désormais que par le "haut" sans engendrer aucun équilibre durable : le pouvoir tend à plus de domination car "la guerre livrée à l'étranger est toujours l'occasion d'une conquête du pouvoir sur ses ressortissants". Impôts, police, bureaucratie offrent de moins en moins de contraste, le progrès économique prend l'allure d'une "entreprise militaire" au nom d'une "guerre de conquête menée contre la Nature, ce qui est bien métaphorique". Or, si l'économie doit être "dirigée" elle ne saurait justifier aucune "télocratie". Bertrand de JOUVENEL constate, en "tocquevillien", que tous les systèmes de légitimation du pouvoir par ses origines ont contribué à renforcer la croissance de l'Etat. Il est particulièrement sévère à l'égard d'une certaine conception "française" de la démocratie qui, conçue "pour fonder la liberté", a fourni à l'Etat "les plus amples alluvions dont il ait jamais disposer pour s'étaler sur le champ social". Ce "système intellectuel" favorise en outre la "concentration du pouvoir au sein de l'État". les "faiseurs de constitution", honorant "les mânes de Rousseau" tout en "brûlant un cierge à Montesquieu", ont inventé des artifices juridiques destructeurs des "forces sociales réelles".

Croissance des fonctions de l'État, concentration du pouvoir : l'analyse est classique, voire sans grande originalité. Mais Bertrand de JOUVENEL ne s'en est jamais contenté : aux méfaits du pouvoir, cet "observateur de la réalité sociale" oppose les bienfaits de l'autorité. La "mise en mouvement de l'homme par l'homme" constitue le phénomène générateur de l'action collective : "incessamment, cette faculté instigatrice joue pour mobiliser les énergies humaines : nous lui devons tous nos progrès". En outre, elle se révèle "bienfaisante" parce que, contrairement au pouvoir qui implique la domination imposée, elle suppose l'assentiment volontaire, donc la liberté. Cette théorie permet de comprendre l'unité et la cohérence d'un homme qui n'a jamais été un nostalgique du passé. Pas plus que la science économique ne doit limiter ses solutions à celles du marché, la science politique ne saurait voir "dans la nature de l'Etat aucune fatalité". L'intervention de l'Etat est nécessaire et bienfaisante lorsqu'elle est le fait d'autorités qualifiées et compétentes. L'élite n'est "naturelle" et "légitime" que lorsqu'elle se révèle "fonctionnelle" et source à la fois de progrès et de liberté. Prenant acte du déclin des formes traditionnelles de la représentation comme de l'émergence de nouvelles "attentes" sociales et économiques, il appelle de ses voeux le couronnement de l'expert. Ce "seigneur d'aujourd'hui" peut "corriger le césarisme", mettre en échec la personnalisation du pouvoir, opposer aux tyrannies du bien commun une pratique politique fondée sur la négociation et la délibération ; il saura tirer les leçons d'une "stratégie prospective de l'économie sociale" pour mettre les révolution technologiques "au service de l'aménité de la vie". (Evelyne PISIER)

 

Il faut ajouter que ses écrits n'ont pas la rigueur que l'on peut trouver par exemple dans l'oeuvre de Raymond ARON. Même dans le livre que nous aimons le mieux, Du Pouvoir, (beaucoup d'autres sont contraires à nos opinions!...) il y a beaucoup de métaphores très parlantes mais non explicitées (il est pourtant très documenté, comme ses oeuvres économiques)... Sur le fond, ses apports théoriques apparaissent moins que ses arguments proches du journalisme de combat. Pourtant, pour beaucoup d'étudiants, que ce soit en politique ou en économie, la lecture de certains de ses livres écrits après 1945 constitue un très bon départ pour aller beaucoup plus loin... 

 

Bertrand de JOUVENEL, Économie dirigée. le programme de la nouvelle génération, Valois, 1928 ; La crise du capitalisme américain, Gallimard, 1933 ; Le Réveil de l'Europe, 1938 ; Après la défaite, Plon, 1941 ; D'une guerre à l'autre, en trois volumes, publié tome I par Calmant-Lévy, tome II par Plon, tome III par A l'enseigne du cheval ailé (Bruxelles), de 1940 à 1947 ; Raisons de craindre, raisons d'espérer, en deux tomes, éditions du Portulan, 1947 ; Le rôle de prévision dans les affaires publiques. Les Cous de droit, 1965-1966, Université de Paris, Institut d'études publiques, 1966 ; La civilisation de puissance, Fayard, 1976 ; Un Voyageur dans le Siècle, avec Jeannie MALIGNE, Firmin-Didot, 1980. 

Olivier DARD, Bertrand de Jouvenel, Perrin, 2008.

Evelyne PISIER, Bertrand de Jouvenel, dans Encyclopedia Universalis, 2014. 

 

 

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