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20 février 2018 2 20 /02 /février /2018 10:51

   S'il existe bien un corpus de connaissance en matière de stratégie et de tactique acquis et utilisés de manière adroite par les Conquistadors qui fondent la Nouvelle-Espagne en Amérique qui s'appelle du coup latine, leurs entreprises résultent souvent d'ambitions souvent à court terme, sauf pour les plus importants d'entre eux (CORTÈS...). Aventuriers, mercenaires, voire hors-la-lois (d'ailleurs dans la marine de ces temps, l'engagement vaut souvent absolution...) débarquent sur des territoires pleins de surprises sur de nombreux plans.

Pour survivre et vivre, beaucoup de nobles, notamment parmi les malchanceux des luttes autour de la Couronne espagnole, fondent véritablement un Empire. Il ne faut pas longtemps pour les plus expérimentés d'entre eux pour organiser des territoires riches à plusieurs égards, malgré les ravages des épidémies qui vident ces même territoires de la majeure partie de leurs habitants. Par de nombreux aspects, cette stratégie d'Empire réunit beaucoup d'éléments de l'expérience européenne, d'ailleurs véritablement mis en oeuvre après la fin des Conquistadores, même si des projets en ce sens existent déjà dans la tête des plus prestigieux d'entre eux : organisation des pouvoirs, contrôle des mouvements de population, établissement d'un partage des richesses puis d'une fiscalité, formation d'une armée fidèle, élaboration d'un tissu d'institutions éducatives qui va de pair avec "l'action missionnaire" de l'Eglise catholique, homogénéisation culturelle favorisée par l'importation contrôlée de nouveaux immigrants et de main d'oeuvre servile...

Plus que dans d'autres processus de colonisation, les conquêtes des territoires soumis aux empires aztèque, inca et de l'aire de civilisation maya (au système politique des cités-Etats déjà entrés dans une profonde décadence), sont brutales et rapides. C'est qu'il existe des asymétries profondes entre les sociétés qui entrent alors en contact, tant sur le plan social, militaire que religieux. Les conquistadores débarquent dans des terres où les conflits politiques souvent violents mettent en danger les Empires péniblement construits. De plus, cette conquête met en contact des populations aux hygiènes très différentes, porteurs de systèmes immunitaires différents : l'hécatombe des populations indigènes constitue une des plus impressionnantes de l'Histoire. On a pu parlé de génocide tant la variole et autres maladies infectieuses trouve sur ce continent les moyens de se développer de manière foudroyante. Les tactiques militaires ibériques font le reste : les sièges des villes sont l'occasion de massacres par la faim, la soif et la maladie. De plus, les conquistadores, véritables bandits armés issus d'un petite noblesse n'ayant pu s'enrichir dans la Reconquista, recherchent des trésors "immenses" (les récits et les rumeurs ont stimulé l'imagination) tout en étant guidés par la volonté d'évangélisation propre à leur foi et à la puissante Eglise catholique.  Les chefs des expéditions ont autant de conflits à régler avec leurs propres troupes qu'avec les indigènes qu'ils rencontrent, sans compter les rivalités entre diverses familles ayant réussi à s'installer d'abord dans les îles plus ou moins grandes, des Antilles, du Golfe du Mexique ou à Cuba. 

 

Une asymétrie militaire marquée.

L'asymétrie militaire entre Conquistadores et Indigènes est double, technique et stratégique : technique de par les armements des deux côtés et côté des buts stratégiques, car si pour les Européens, il s'agit de conquérir en tuant, violant et détruisant, pour les Indigènes, il s'agit de neutraliser, et capturer (à plusieurs fins diverses...). Très inférieurs numériquement (pas plus d'un millier, souvent la centaine de combattants espagnols contre des dizaines de milliers de guerriers indigènes), les Conquistadores possèdent l'avantage (non recherché d'ailleurs dans un premier temps) de l'armement et de la (toute petite) cavalerie. 

Les batailles des Conquistadores ont été peu étudiées, et pourtant elles constituent tout un type, sous-type des batailles coloniales, qui mettent aux prises des combattants armés et dotés d'une tactique asymétriques. Les troupes coloniales s'efforcent de manière générale de garder cette asymétrie d'armement et de tactique afin d'être toujours assurée plus ou moins d'être victorieuse. De manière générale aussi, pour tout un tas de raisons (financières, d'approvisionnements...), les théoriciens cherchent à tirer le maximum d'effet du minimum de troupes.

La conquête de Mexico (1521), emblématique mais aussi rare bataille.

Il est d'ailleurs étonnant, comme le constatent CHALIAND et BLIN, que dans la conception de la bataille, qu'on dénomme "décisive" chez les historiens des XIXe-XXe siècles, aucun, ni le Français COLIN au tournant du siècle, ni, plus récemment FULLER, ne mentionne, parmi ce qu'ils considèrent comme des "batailles décisives", la conquête de Mexico-Tenochtitlan. Pourtant, la chute de l'empire aztèque dont triomphent les Espagnols est un événement historique considérable et, de surcroit, sur le plan militaire, une très remarquable victoire. Celle-ci a été sous-estimée parce que CORTÈS disposait d'une petite troupe, comme si seuls les gros bataillons dans l'Histoire avaient mené des campagnes conséquentes -, et sans considérer que celui-ci avait été diplomatiquement capable de trouver des alliés locaux nombreux : environ 75 000 hommes d'après les évaluations, pour 925 Espagnols (en fait pas seulement Espagnols, mais de différentes nationalités européennes), dont 90 cavaliers et 118 arbalétriers et arquebusiers, plus trois gros canons, quinze petites pièces et dix quintaux de poudre. 

La conquête de Mexico est également sous-estimée parce qu'on n'a généralement pas remarqué à quel point la stratégie utilisée et la logistique, répondaient aux conditions du siège. En effet, celui-ci est une opération combinée terrestre et navale. Mexico-Tenochtitlan était une cité lacustre aux dimensions importantes et fort peuplée (peut-être le demi-million d'habitants). Même après la grave épidémie de variole de 1520, il est probable que la cité avait au moins 300 000 habitants.

L'année précédente, CORTÈS, bien qu'ayant un moment pénétré la cité sans coup férir - les étrangers venus de la mer ayant sans doute été considérés comme divins -, a subi un désastre. Au cours de la noche triste (retraite) du 30 juin 1520, en quittant la ville insurgée, les Espagnols ont perdu une importante partie de leurs effectifs. loin de se décourager, CORTÈS, après avoir reçu des renforts, prépare son retour, et neuf mois plus tard après la désastreuse retraité, reprend la route de Mexico à partir de sa base de Tlaxcala. Treize petits navires ou brigantins sont construits par les Espagnols avec du matériel souvent trainé à dos d'homme depuis Tlaxcala. Un canal de deux km est creusé et les brigantins sont mis à flot avec pour mission d'imposer un blocus total. CORTÈS prend le commandement de cette flottille qui comprend 325 hommes. Trois routes terrestres qui relient par des chaussées la cité lacustre à la terre ferme sont investies par trois détachements espagnols qui s'efforcent de prendre la ville en tenaille. En face de ces détachements, dont chacun est soutenu par 25 000 Tlaxcalans environ, sous les ordres du nouveau souverain aztèque, CUAUHTEMOC, peut-être 100 000 hommes. Une quatrième issue vers Telpeyal est volontairement laissée libre afin que les assiégés puissent fuir. Le siège commence par la destruction de l'aqueduc principal qui alimente la ville en eau potable le 26 mai 1521. Au cours du mois de juin, le blocus commence à porter ses fruits tandis que l'étau se resserre. Cependant, pendant le siège, CORTÈS doit faire face à une conspiration (chaque chef conquistadore conspire alors contre l'autre, gênant souvent la manoeuvre militaire...) des partisans du gouverneur VELASQUEZ qu'il déjoue et à une défection en masse des auxiliaires indiens découragés (ce qui est encore plus fréquent!). Mais les Espagnols, malgré les pertes, tiennent bon (de toute façon ils n'ont pas trop le choix, les vaisseaux sont hors d'usage et le sacrifice humain les guette...) ; la famine s'étend dans la cité et les auxiliaires, un moment ébranlés, reviennent à la charge. Le 25 juillet, la partie sud de la ville est conquise. Trois jours plus tard, la colonne de l'un de ses lieutenants le rejoint et le 13 aout, l'ultime assaut est donné : la défense aztèque s'effondre. Après un peu plus de deux mois et demi de siège, la capitale est réduite et l'Empire aztèque s'écroule. 

Malgré leur supériorité numérique, et le scénario se renouvelle grosso modo dans tous les territoires conquis par les Conquistadores, les Aztèques ont été vaincus pour plusieurs raisons. Leur handicap ne se réduit pas à une infériorité dans l'armement. Il provient de causes conceptuelles. Leur univers est menacé de destruction (d'où leur course effrénée aux sacrifices...). Autre mondes, d'après la cosmogonie aztèque, avaient précédé le leur et avaient été détruits de façon violente. L'arrivée des Espagnols semble avoir été interprétée comme celle d'une immense catastrophe, ce qui explique pourquoi ces derniers ont pu, une première fois, pénétrer dans Tenochtitland sans coup férir. Par ailleurs, la guerre pratiquée par les Aztèques reste essentiellement rituelle. Il s'agit de faire le maximum de prisonniers afin d'immoler ceux-ci en offrande au Soleil pour que ce sacrifice nourrisse l'astre solaire. Les Espagnols, au contraire sont détenteurs d'une foi conquérante et mènent une guerre à mort. Les chevaux, inconnus dans le Nouveau Monde, leur confèrent une agressivité certaine dans les chocs, et leurs armes d'acier sont infiniment plus robustes que les lames d'obsidienne qu'utilisent les Aztèques, dont la cohésion et la discipline sont loin d'égaler celles des Espagnols. Sans compter les cuirasses, même si elles ne couvrent pas tout leur corps, des soldats espagnols qui brillent et réfléchissent la lumière... Enfin, ces derniers, grâce au génie politique de CORTÈS qui dispose d'interprètes, font alliance avec tous les peuples opprimés par les Aztèques qui se rangent volontiers du côté des nouveaux venus afin de mettre fin au joug. (BLIN et CHALIAND)

 

Une asymétrie culturelle.

Du côté Espagnols, la cohésion culturelle et politique reste forte tant que l'on reste avec un seul leader en pays hostile, avec des habitus vestimentaires et comportementaux très précis et une volonté d'évangélisation aiguillonnée par la présence de prêtres dans les corps expéditionnaires. La condition sociale des Espagnols entre eux, du fait de leur faible nombre, est relativement homogène.

Du côté inca et aztèque, les inégalités sociales sont bien plus fortes. Les rivalités politiques sont toujours au niveau des luttes violentes pour le pouvoir. Les habitudes vestimentaires tranchent par une attitude complètement différente par rapport au corps (nudité fréquente). Les attitudes sont dictées par des superstitions fortes, jusqu'à faire apparaitre les envahisseurs blancs comme les demi-dieux des légendes. Cette asymétrie culturelle provoque une véritable aversion des Espagnols devant ces "Sauvages incroyants", qui se double d'un mépris réel.

D'autres éléments différencient les indigènes et les espagnols, des pratiques agricoles aux habitude alimentaires. Des découvertes techniques appuient la supérieures des seconds sur les premiers, des techniques de transports aux pratiques de l'écriture. Que ce soit pour l'absence de roue chez les aztèques ou un système d'écriture bien plus efficace chez les espagnols, cela joue dans l'emprise d'une culture sur l'autre... 

 

 

Les Conquistadores face à des civilisations déclinantes.

Même si cela fait partie aussi de la propagande monarchique espagnole plus tard pour justifier la conquête des Amériques, il faut constater que les Empires aztèque et inca étaient déjà entrés en décomposition politique et que la civilisation maya n'est plus que l'ombre de puissantes cités-Etats alors presque disparues. Les Conquitadores se trouvent alors dans une conjoncture extrêmement favorables : ils peuvent jouer pratiquement sur tous les tableaux pour diviser les populations rencontrées : rivalités ethniques fortes, conflits politiques violents, vulnérabilités socio-politiques (il suffit de tuer l'Empereur pour que l'Empire tombe...). 

 

La renommée des Conquistadores....

    Les Conquistadores n'ont pas usurpés leur renommée, pourtant multipliée dans les récits faits sur eux en Europe. Ils donnent à la Couronne espagnole (mais donner est peut-être un trop grand mot pour ce qui s'est passé...) son empire américain. Avec quelques milliers d'hommes agissant souvent de manière dispersées et même parfois antagonistes, ils amorcent les fondation d'un Empire qui apparait avant même la conquête tellement grand qu'en Europe il faut l'intervention du Pape en 1494 pour départager Espagnols et Portugais (sur la base de mauvaises cartes d'ailleurs. Sans doute confond-t-on les distances, certains ne voyant pas que les Indes sont vraiment beaucoup plus loin...) afin d'éviter de graves conflits et de coordonner son évangélisation. Entre la découverte du Pacifique par BALBOA (1513) et le triomphe de PIZARRO au Mexique (1535), il ne leur faut pas plus d'un quart de siècle pour accomplir les conquêtes décisives. Avec les moyens singulièrement limités de leur époque - des navires de faible tonnage, quelques chevaux, de rares canons et plus d'armes blanches que d'arquebuses -, des bandes d'aventuriers opérant pour leur compte ont vaincu et détruit des empires indigènes parvenus à un très haut degré d'organisation (même s'ils sont tout de même sur le déclin) et de puissance et surmonté de formidables obstacles naturels (qui ont coûté d'ailleurs plus d'hommes que les combats). 

     Les Conquistadores sont peut-être plus célèbres que connus, comme le fait remarquer Jean-Pierre BERTHE, en dépit, ou à cause, de quatre siècles de polémiques. L'historiographie conservatrice espagnole les idéalise en paladins de la croisade outre-mer tandis que les pamphlets des adversaires de l'Espagne en font des soudards assoiffés de sang et de pillage. Il convient de tenir compte des réalités sociales du XVIe siècle pour ramener aux dimensions du réel une image déformée par les mythes antagonistes de l'épopée chevaleresque et de la légende noire. Il ne faut pas non plus que le destin exceptionnel des chefs fasse oublier le plus grand nombre : pour quelques capitaines heureux à qui l'aventure rapporte des titres de noblesse et de grasses seigneuries, les malchanceux sont légion qui moururent de faim ou d'épuisement dans la steppe et la forêt ou périrent sous les flèches des Indiens de Floride et du Venezuela, ou sous le couteau d'obsidienne des sacrificateurs aztèques. D'autres se retrouvent les mains vides après dix ou vingt ans de campagnes. C'est pourtant cette piétaille qui porte le poids de l'entreprise, comme le rappelle Bernal Diaz del Castillo, un de ces soldat du rang (Histoire véridique de la Conquête de la Nouvelle-Espagne) qui répond à la chronique de Gomara, qui exalte avant tout le rôle personnel de Cortes.

 

Des entreprises individuelles qui permettent plus tard de véritables stratégies impériales.

L'action des conquérants n'obéit pas à un dessein de l'Etat. Elle est le fait de multiples initiatives particulières aux formes très variées, initiatives toutefois surveillées de près ou de loin par la Monarchie espagnole (dont d'ailleurs l'aide ou la bénédiction est souvent sollicitée...), tout de même déjà avertie depuis les entreprises de Christophe COLOMB (dans les années 1480) du potentiel fabuleux que recèle ces expéditions. 

Une bande d'aventuriers peut ainsi mettre en commun de maigres ressources, en s'endettant pour l'achat d'un navire, dans l'espoir d'aller razzier de l'or et des esclaves : ces entradas (pénétrations) ou cabalgadas (chevauchées), fréquentes dans l'isthme de Panama et sur les côtes de Terre-Ferme, ont donné lieu à des terribles excès envers les populations indigènes. De plus amples entreprises visant à conquérir et à coloniser une province : l'ambitieux qui en prend l'initiative est titulaire d'une capitulation royale qui lui en assure l'exclusivité. Mais c'est à lui de financer l'expédition : bien qu'il y engage sa propre fortune et y associe ses hommes, qui servent sans solde et s'équipent à leurs frais, il lui faut faire appelà un riche bailleur de fonds, banquier italien ou sévissent, haut fonctionnaire des Indes. Diego VELASQUEZ et Pedraria DAVILA ont ainsi financé la conquête du Mexique et du Nicaragua, et le licencié Gaspar de ESPINOSA, à la fois magistrat, commerçant et grand propriétaire, l'expédition de PIZARRO et d'ALMAGRO au Pérou. Le cas limite est celui du Venezuela, dont la conquête et l'exploitation sont concédées à la firme allemande des WELSER.

Bien des épisodes de la conquête trouvent leur origine dans son caractère d'entreprise privée. Associés plus que subordonnés à leur chef au sein de la bande, les hommes d'armes dont preuve d'un redoutable esprit d'indiscipline. L'autorité d'un capitaine tient à son prestige personnel, à son habileté, à sa chance aussi et au succès de ses entreprises. Chaque lieutenant est tenté de se rendre indépendant et les rebellions sont nombreuses. Elles interfèrent d'ailleurs dans les opérations militaires, même si sur le terrain pendant la bataille, ces soldats savent faire preuve d'un esprit de coordination redoutable pour leurs adversaires. Cette indiscipline existe aussi envers la Couronne, malgré leurs protestations de loyalisme. S'il n'y avait pas parmi eux un représentant direct de l'Eglise ou de l'Etat (il n'y est pas toujours!), sans doute celle-ci se serait-elle manifestée avec plus de flagornerie et d'intensité... C'est seulement une fois la conquête acquise que la Couronne se décide à intervenir. Et lorsque CHARLES QUINT, de sa volonté même ou parce que les financiers s'inquiètent, décide d'intervenir, les Conquistadores montrent des oppositions vigoureuses, d'où l'envoi parfois nécessaire de corps expéditionnaires punitifs. Ainsi, lorsqu'il ordonne la suppression progressive des encomiendas, ces Leyes Nuevas sont accueillies en Amérique (1543-1544) par de violentes protestations qui dégénèrent au Pérou en insurrection ouverte, les révoltés prétendant ériger un royaume indépendant.

 

Un enracinement du pouvoir des Espagnols avant même la fin des Conquistadores.

Si les conquistadores sont autant attaché à la possession des encomiendas, c'est parce qu'elles sont le seul véritable bénéfice qu'ils aient tiré de la conquête. Leur part de butin a toujours été au-dessous de leurs espérances (sans compter les autres profits, autant de mirages colportés déjà en métropole avant leur départ, comme la fontaine de jouvence...), ou dilapidée (ce ne sont pas des gestionnaires!) rapidement. Ce sont les plus avisés d'entre eux qui se glissent dans les conditions nouvelles imposées par la Couronne. Sans doute heureusement pour les Espagnols en général, car aussitôt une ville construite, elle est parfois abandonnée pour de nouvelles conquêtes... L'obligation de résidence faite aux encomenderos et le contrôle de plus en plus étroit de l'administration royale sur les expéditions contribuent à fixer peu à peu les conquistadores dans les nouvelles villes d'Amérique. Ceux qui possèdent quelques notions de gestion de domaine, à l'exemple de CORTÈS, emploient "leurs" indiens à de fructueuses affaires : mines, élevages, commerce des produits du tribut ou obtiennent de la Couronne des charges publiques et des pensions. Maris à des Espagnoles ou à des femmes du pays, ils se transforment progressivement en colons (probladores) et, s'ils gardent leur prestige au sein d'une population blanche toujours plus nombreuse, ils perdent leur primauté politique initiale au profit de la bureaucratie royale. Mais s'ils sont définitivement enracinés dans les terres conquises, on les considère comme les fondateurs de nouvelles sociétés créoles et métisses des Indes de Castille. (Jean-Pierre BERTHE)

Pour les autres conquistadores qui refusent les contraintes de la Couronne, leurs aventures se concluent souvent dans des épisodes sanglants, les uns contre les autres, occasionnant des désordres auxquels ceux qui se fixent et les administrateurs royaux veulent remédier. Non seulement, aucune capitulatione n'est plus délivré par la Monarchie, mais ceux qui ne se plient pas aux nouvelles règles sont considérés comme des rebelles et pourchassés. 

La formation d'un nouveau tissu économique, ouvert sur l'extérieur, par les nouveaux arrivants européens, transforme profondément la physionomie du pays où ils s'installent. Et, de fil en aiguille pour protéger ou pour étendre leur emprise, ils organisent sur place toute une administration, une police, un tissu d'institutions religieuses et éducatives (souvent les mêmes...), une fiscalité, des douanes, des tribunaux, bref tout ce qui fait un Etat d'allure européenne. Va de pair avec cette modification, la formation d'une société aux caractères racistes marqués, où seuls chrétiens catholiques confirmés et blancs bénéficient de tous les privilèges.

     Les conquistadores, en dépit des agissements uniquement kleptocrates de la majorité d'entre eux, ont amorcé le système de colonisation espagnole en vigueur ensuite pendant près de trois siècles.

Le système de l'encomendia, regroupement sur un territoire de centaines d'indigènes à des fins d'exploitation économique et d'évangélisation, est une forme rajeunie du régime seigneurial bien familier aux aristocrates espagnols. Les propriétaires confient à des colons espagnols la gestion d'ensemble plus ou moins vaste, plus ou moins riche, en terme agricole ou minier. Ce système se met en place dans les territoires découverts pratiquement juste après l'installation des premiers Européens, en 1492, avec la bénédiction de la Couronne. Les indigènes ne sont pas réduits en esclavage, ce qui sera réservé plus tard aux populations noires importées, mais au travail forcé. Comme la discipline et les conditions de travail y étaient dures, beaucoup d'indigènes cherchent à fuir, et diverses réformes appuyées par la Couronne et l'Eglise mais combattues par les colons, établissent un équilibre en faveur des indigènes plus protégés socialement mais restant sous l'autorité des propriétaires.

Tout le système administratif, politique, fiscal, social, juridique, militaire, bref tout ce qui fait un Empire qui garantit la sécurité et les profits à une minorité politique héréditaire s'établit dans la foulée, avec des variantes différentes suivant les pays, au Pérou et au Mexique par exemple, autour du système de l'encomendia. Ce qui motive la Couronne, c'est principalement l'approvisionnement du pays en or, en argent, en minerais des colonies. Et après l'épuisement des ressources minières, l'encomienda se transforme peu à peu en hacienda, via une concentration des propriétés, qui ne repose plus que sur l'agriculture. Et s'établit un autre équilibre des pouvoirs entre les différents éléments de la population. Mais déjà, il s'agit d'une autre histoire et pratiquement, d'un autre Empire. 

 

 

Bernard DIAZ DEL CASTILLO, La conquête du Mexique, Arles, 1996 ; Histoire véridique de la conquête de la nouvelle-Espagne, deux volumes, La Découverte, 2003. Jacques SOUSTELLE, La Vie quotidienne des Aztèques à la veille de la conquête espagnole, Paris, 1996. Gérard CHALIAND, Miroir d'un désastre, La conquête espagnole de l'Amérique, Paris, 1990. M.H. FRAISSE, Aux commencement de l'Amérique (1497-1803), Actes Sud, 1999.

 

Arnaud BLIN et Gérard CHALIAND, Dictionnaire de stratégie, tempus, 2016. Jean-Pierre BERTHE, Conquistadores, dans Encyclopedia Universalis, 2014. 

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