Jean-Charles ou Charles de FOLARD, dit le chevalier de FOLARD, parfois surnommé "le Végèce français", est un stratégiste, ingénieur et homme de guerre français. Il prend part à toutes les guerres de la fin du règne de Louis XIV et donne aux généraux sous lesquels il sert tantôt des plans de défense de places, tantôt des plans de campagne.
Un des théoriciens militaires les plus marquants de la première moitié du XVIIIe siècle
Le Chevalier de FOLARD exerce son influence auprès des grands stratèges français pré-révolutionnaires, en particulier Joly de MAIZEROEY et GUIBERT. Il est à l'origine du débat, qui domine tout le XVIIIe siècle, opposant les défenseurs de l'ordre mince aux partisans de l'ordre profond de rangs de l'infanterie.
C'est un homme de terrain qui accumule une expérience de plus de trente ans comme soldat. Depuis qu'il rejoint à 18 ans le régiment du Béarn, il participe à de nombreuses campagnes militaires : Palatinat, Italie et Flandres. Durant cette période, il écrit son traité sur la guerre des partisans, L'Art des partis de guerre, et se fait connaitre grâce à ses inventions ingénieuses destinées à améliorer le franchissement des rivières. Il combat les musulmans à Malte (1714) avant de passer l'année suivante au service du roi de Suède, Charles XII, avec lequel il combat les Espagnols (1719), et au contact duquel il devient un adepte de l'offensive, à une époque où prédomine encore la tactique des sièges et la technique des fortifications. Après avoir quitté l'armée de Charles XII en 1719 avec le grade de mestre de camp (colonel), FOLARD met à profit sa longue expérience pour rédiger ses textes théoriques sur l'art de la guerre.
Il publie ses Découverte de la guerre en 1724, dans lesquelles il s'oppose à l'ordre linéaire et à la séparation des armes, tout en proposant une formation beaucoup plus profonde, en échiquier, avec des groupements toutes armes reliés par des éléments légers. Son oeuvre principale reste sa monumentale Histoire de Polybe (dans laquelle figure le Traité de la colonne, la manière de la former et de combattre dans cet ordre) (1727-1730) qui devient l'un des ouvrages militaires les plus populaires du siècle dans toute l'Europe, FREDERIC II consacrant lui-même un livre entier au théoricien français, L'Esprit du chevalier Folard (1761).
La contribution de FOLARD à l'étude de la guerre est extrêmement riche. Il débat sur les Anciens et les Modernes, le choc et le feu, le commandement en chef et l'instruction des officier, et traite, prophétiquement, de la supériorité de l'offensive et de la stratégie d'anéantissement. Il nourrit, comme MACHIAVEL, une admiration sans bornes pour le combat antique, bien qu'il ait, à l'inverse du Florentin, une préférence pour les Grecs par rapport aux Romains. Les Anciens, selon lui, avaient compris que la qualité des troupes était un élément d'une importance suprême. Leur tactique aussi était supérieure à celle des Modernes. Cette fascination pour le passé lui est d'ailleurs reprochées, en particulier par le Maréchal de SAXE, mais d'autres, comme FRÉDÉRIC, appliquent certains principes tactiques des Anciens redécouverts par FOLARD, comme l'ordre oblique employé jadis par ÉPAMINONDAS.
L'approche stratégique de FOLARD a pour objectif principal l'anéantissement de l'adversaire. A cette fin, la conduite des opérations doit être menée avec vigueur et rapidité comme dans l'Antiquité où les "guerres étaient fortes et courtes mais vives". La décision doit se faire au moyen d'une offensive illimitées où domine la bataille : "La guerre n'a qu'un but au point de vue militaire : c'est la bataille décisive. Le résultat final ne s'obtient pas au moyen de manoeuvres savantes, de feintes et de temporisation. Plus la guerre est courte et moins elle est onéreuse.Puisqu'il faut en venir tôt ou tard à la crise, qu'elle soit dénouée d'une manière rapide, simple et brutale." La bataille doit être recherchée dès le début des hostilités, l'issue de la guerre étant souvent déterminée par la façon dont elle est entamée. Si l'on doit choisie la défensive, celle-ci doit être active, afin d'exploiter tous les moyens disponibles pour affaiblir l'ennemi. Ses principes tactiques sont fondés sur le choc et il est opposé à l'emploi excessif du feu, la destruction de l'ennemi ne pouvant être obtenue, selon lui, que par l'assaut et le corps à corps. Plus le contact avec l'ennemi est rapide, et plus tôt les troupes pourront se mettre à l'abri du feu. Le choc contribue à disperser l'adversaire qui doit alors être poursuivi jusqu'à l'anéantissement de ses troupes. FOLARD préconise le retour à la colonne grecque et à l'ordre profond, la puissance de l'attaque résidant dans la masse qui réussit toujours, selon lui, à percer une ligne. Son ordre de bataille classique est constituée par trois corps disposé en colonnes sur les ailes et au centre avec une petite réserve à l'arrière. La colonne est un corps d'infanterie extrêmement compact, sorte de "rempart mobile" rangé sur un carré long et capable de se subdiviser en sections selon les circonstances et les accidents de terrain. La colonne comprend ainsi entre un et six bataillons. L'autre éléments essentiel du système tactique de FOLARD est l'ordre mixte, soit la liaison entre les armes, infanterie et cavalerie, armes à feu et armes blanches (il veut réintroduire l'usage massif de la pique. Il veut disposer ses fantassins et ses cavaliers, ses fusiliers, ses piqués et ses dragons de telle façon que toutes les unités combattent ensemble, exploitant au mieux les qualités de chacun pour produire le choc le plus puissant capable de percer les lignes adverses le plus rapidement possible. D'après lui, ces formations devraient être entièrement hermétiques et invulnérables, opinion qui lui est abondamment reprochée par ses contemporains (car le feu prend de plus en plus d'importance dans la réalité du terrain). Enfin, il souligne l'importance du commandant en chef qui doit être maitre de toutes les décisions sur le terrain afin de manoeuvrer avec toute l'indépendance nécessaire à la bonne conduite des opérations : coup d'oeil, intelligence, expérience, adaptabilité, et rapidité dans l'exécution des décisions.
L'approche de la guerre de FOLARD est similaire à celle de MACHIAVEL, non seulement par la manière dont il applique la méthode des Anciens au combat moderne, mais aussi par l'erreur qu'il commet de nier l'impact que peut avoir le progrès technologique sur la guerre moderne. Toutefois, au niveau de la stratégie générale, il anticipe la guerre d'anéantissement ou "à caractère absolu" qui marque ensuite le XIXe siècle et la première partie du XXe. En ce qui concerne la tactique, ses principes sont semblables aux principes de la guerre éclair (Blitzkrieg) qui émergent au cours de l'entre-deux-guerre (1918-1939) et où l'offensive à outrance, la rapidité d'action, la puissance du choc et la proche collaboration interarmes constituent un moyen redoutable pour transpercer les lignes ennemies. FOLARD influe notamment MESNIL-DURAND et GUIBERT, et sans doute, NAPOLÉON. (BLIN et CHALIAND)
Échapper à l'immobilisme des batailles d'Ancien Régime
Lorsque FOLARD écrit son premier traité, le système militaire en vigueur est l'ordre mince, une disposition des troupes conçue dans le double but d'éviter le débordement par les ailes et d'exploiter au maximum la puissance de feu. Les bataillons sont étirés sur trois ou quatre rangs et, une fois l'armée déployée, avec des effectifs considérables, il devient presque impossible de modifier l'ordre de bataille. Les lignes ne peuvent se mouvoir sans risquer de perdre leur cohésion, ce qui interdit toute action décisive. La réaction que constitue sa théorie repose sur une réhabilitation de l'offensive et du mouvement, aux échelles tactique et stratégique.
A l'échelle tactique, il s'agit donc d'échapper à un immobilisme. Mais cet immobilisme n'en est pas moins meurtrier : lorsque deux adversaires "se passent réciproquement par les armes" pendant des heures, les pertes finissent par être considérables, même si l'efficacité d'une salve est très limitée (portée et précision médiocres). D'où l'intuition de FOLARD : réhabiliter le choc par rapport au feu, seul le premier ayant selon lui une action décisive. Concrètement, il faut parvenir le plus vite possible au contact de l'adversaire pour faire taire son feu, ne pas perdre de temps en "tireries" et l'affronter par le choc à la baïonnette. L'instrument de cette tactique en profondeur, "surpressée" selon son expression, composée de deux à six bataillons, dont le but est de percer la ligne adverse. Le dispositif de FOLARD se compose de plusieurs colonnes, auxquelles sont adjoints - "entremêlés, dit-il - des escadrons de cavalerie, les deux armes s'appuyant mutuellement, car il refuse à cette dernière tout autonomie tactique. Pour lui, la manoeuvre idéale, eu égard à son effet psychologique, consiste à percer au centre, et il nie qu'une décision puisse être obtenue par les ailes. L'historiographie a beaucoup caricaturé ses théories. On lui a même attribué une colonne unique... Sa pensée n'a rien de mécanique. Ce qu'il cherche, c'est un système offrant la possibilité de se plier au terrain, de changer le dispositif au gré des circonstances, et de fait, les colonnes se déplacent plus aisément que les lignes. Il s'agit d'abord de rétablir la mobilité pour accélérer la décision. Ensuite et surtout, son système vise à ne jamais opposer à l'ennemi "une disposition et une distribution semblable à la sienne", donc à entretenir l'incertitude - ce qu'il appelle donner jalousie à l'adversaire - et cette notion essentielle se retrouve à l'échelle stratégique.
Pour cela, FOLARD prône un fractionnement des troupes et comme GUIBERT, il préconise des armées à faibles effectifs (un maximum de 30 000 hommes) : elles sont d'une parti physiquement plus manoeuvrières, et d'autre part elles peuvent vivre sur le pays, ce qui augmente leur mobilité. Celle-ci est la condition nécessaire à la surprise. Il insiste beaucoup sur cet effet, aussi bien dans l'attaque des places que dans celle des troupes. Tomber à l'improviste sur une armée en ordre de marche est le plus sûr moyen d'obtenir une décision rapide, nette et peu coûteuse en hommes. Ce que FRÉDÉRIC II réalise à Russbach en 1757. Offensive, mobilité et anticipation à tous les échelons de l'art de la guerre ; concentration des efforts au niveau tactique ; conservation de l'initiative dans le domaine stratégique, tels sont les traits essentiels d'une pensée militaire les plus audacieuse du siècle des Lumières. (Thierry WIDEMAN)
A la tête des "folarites"
Le débat sur la colonne qui domine le débat tactique en France pendant la première moitié du XVIIIe siècle (ensuite, on passe à d'autres considérations, surtout à partir de 1770-1780, même si le débat tactique reste intense, tant que niveau naval que terrestre) met aux prises, dans toute une littérature qui a de plus en plus de lecteurs, partisans et adversaires des théories du chevalier de FOLARD. Pour ce dernier, la colonne est censée procurer des résultats décisifs, dans ses Nouvelles Découvertes sur l'art de la guerre comme dans son Histoire de Polype. Durant plusieurs décennies, son oeuvre est au coeur du débat militaire. Il est en relation avec son "adversaire" le maréchal de SAXE, il est lu et commenté partout et dans tous les milieux en Europe qui se préoccupent des affaires militaires. L'Allemand Quintus ICILIUS relève "les erreurs du chevalier de Folard" dans ses Mémoires militaires sur les Grecs et les Romains (1758) qui sont réfutées par les folarites italiens (duc de SANT'ARPINO, comte de BRÉZÉ) dans des ouvrages de 1763 et de 1772, et par le chevalier flamand de LO-LOOZ (Recherches d'antiquités militaires, 1770). En Hollande, il est critiqué par le général de SAVORNIN et le colonel TERSON (Français au service de la Hollande). Au Portugal, son système est diffusé par André Ribeiro COUTINHO. Le grand FRÉDÉRIC, dont on a déjà dit l'engouement pour les théories du chevalier de FOLARD, parle de "diamans enfouis au milieu du fumier". Son disciple le baron de MESNIL-DURAND pousse son système jusqu'à ses plus extrêmes conséquences : son Projet d'un ordre français en tactique ou traité des plésions (1777) est tourné en dérision par le comte de GUIBERT, qui théorise, lui, l'ordre oblique imaginé par FRÉDÉRIC II dans son Essai général de tactique (1772), suivi d'une Défense du système de guerre moderne (1779), qui s'oriente "vers une tactique mixte, qui s'efforcerait de combiner les avantages de chaque ordre en fonction du terrain, des troupes et des circonstances". (COUTEAU-BÉGARIE)
Chevalier de FOLARD, Découvertes sur la guerre, 1724 ; Histoire de Polype, nouvellement traduite du grec par Dom Vincent Thuillier, avec un commentaire de science militaire enrichi de notes critiques, 1729 ; Abrégé des Commentaire de M. de Folard sur l'histoire de Polype, 1754. On trouve dans l'Anthologie mondiale de la stratégie, Robert Laffont, 1990, un extrait De la colonne et de l'ordre profond tiré du Traité de la colonne et de l'ordre profond, dans LISKENNE et SAUVAN, Bibliothèque historique et militaire, tome IV, Paris, 1846.
Eugène CARRIAS, La Pensée militaire française, Paris, 1960. Jean CHAGNIOT, Le Chevalier de Folard, la stratégie de l'incertitude, Paris, Le Rocher 1997. Ch. de COYNARD, Le Chevalier Folard, Paris, Hachette, 1914. Robert QUIMBY, The Background of Napoleonic Warfare, The Theroy of Military Tactics in 18h Century, France, New York, 1957.
Arnaud BLIN et Gérard CHALIAND, Dictionnaire de stratégie, tempus, 2016. Frédéric WIDEMAN, Folard jean Charles, dans Dictionnaire de stratégie, PUF, 2000. Hervé COUTEAU-BÉGARIE, Traité de stratégie, Economica/ISC, 2002.