Les relations entre pouvoir religieux et pouvoir politique dans l'Empire byzantin constitue une sorte de type (et même de prototype, de modèle) suivi ensuite par de nombreuses contrées à l'Est de l'Europe, et singulièrement dans l'Empire russe. Alors que à l'Ouest de l'Europe les conflits entre ces deux pouvoirs conduisent en gros à des séparations et même dans le cas de la France à la laïcité, à l'Est de l'Europe fleurissent de grandes conivences, l'un appuyant l'autre face à leurs adversaires, dans une version forte d'alliance entre sabre et goupillon.
José GROSDIDIER DE MATONS écrit que la sévérité des historiens des siècles passés à l'égard de l'Empire byzantin tient en grande partie aux querelles religieuses qui s'y sont succédé presque sans interruption jusqu'au milieu du IXe siècle. Ces querelles religieuses paraissent très futiles aux esprits modernes mais des visites dans les vieilles bibliothèques religieuses en Occident indiquent des débats tout aussi absurdes. La violence de ces querelles vient de ce qu'elles mettaient en jeu l'unité de l'Empire, alors que dans l'Occident déjà politiquement morcelé, mais spirituellement uni autour d'un unique patriarche, le pape, elles n'auraient pu être de si grande conséquence. A Byzance, la sujétion du patriarche, et par conséquent de l'Eglise, à l'empereur n'a jamais été contestée. Les souverains en ont trop souvent déduit qu'il en était de même de la doctrine et qu'il leur était permis d'adapter celle-ci à leurs buts politiques. La crise iconoclaste (sous les dynasties isaurienne et amorienne qui régnent de 717 à 867) représente la dernière de ces tentatives, et la seule qui ait eu un résultat positif : elle a fixé pour l'avenir les rapports de l'Eglise et de l'État en des bornes qui ni l'une ni l'autre ne franchiront plus. Désormais le patriarche sera, à de rares exceptions près, le fidèle agent de la politique impériale ; en retour, les empereurs serviront, d'un part, l'ambition des patriarches contre l'autorité romaine, d'autre part, la vaste expansion du christianisme oriental à travers les pays slaves.
Edward LUTTWAK, dans son étude sur la grande stratégie de l'Empire byzantin, constate qu'il ne fit pas de doute que la quasi-totalité des Byzantins étaient animés d'une sincère ferveur chrétienne. Il est pour lui indiscutable que l'Empire fit un usage constant de la religion comme source d'influence sur les souverains étrangers et leurs nations. Les esprits fervents n'y voyaient ni cynisme ni contradiction - pas même lorsque des renégats opportunistes tels que les pillards turcs capturés ou des Barbares parfaitement incompréhensifs des contenus mêmes de la religion se laissaient bien volontiers baptiser. Si la conversion à la religion byzantine ne leur était d'aucune aide spirituelle, assimilant volontiers les saints et Dieu à leurs propres divinités, elle pouvait au moins apporter à l'Empire une aide matérielle ; ce qui suffisait à défendre la "vraie Église orthodoxe" (celle qui ne dévie pas de la "vraie foi", contrairement à l'Eglise catholique), elle-même ouvrant en retour la seule porte vers la vie éternelle selon sa propre doctrine. Renforcer l'Empire, c'était faire progresser le salut par la religion chrétienne.
Ce n'est pas tant qu'il y ait plus de volonté de la part du pouvoir politique en Empire d'Orient qu'en Empire d'Occident d'instrumentaliser l'Eglise, et par ailleurs la rupture entre Eglise de Rome et Eglise de Constantinople est relativement tardive (1054, voire plus tard), mais parce que précisément l'Empire à l'Est "tient", contrairement à l'Ouest, et qu'elle constitue, l'Eglise qui ne s'appelle orthodoxe que tardivement également, se trouve lié à l'Empire par maints événements.
Avec ses magnifiques églises, précise Edward LUTTWK, ses émouvantes liturgies, ses choeurs mélodieux, ses doctrines aux démonstrations impeccables et son clergé d'une d'une haute culture pour l'époque, l'Eglise byzantine attira des nations entières de convertis - les anciens Russes en tête. Il ne faut pas oublier non plus une organisation pointilleuse de la vénération des reliques comme du pèlerinage à Constantinople, lequel constitue, vu les invasions musulmanes de la Palestine, une obligation spirituelle pour tout chrétien qui en a les moyens. Certains de ces nations converties n'en combattent pas moins l'Empire de toute leur vigueur, mais d'autres étaient prédisposés par la conversion à coopérer, voire à nouer une alliance ; même s'ils ne faisaient aucune concession à l'empereur en tant que chef séculier de l'Eglise, ils éprouvaient plus de difficulté à refuser de reconnaître l'autorité des patriarches de Constantinople, bien qu'ils fussent nommés par l'empereur. La dévotion populaire entretenue par toute la hiérarchie de l'Eglise, comme par toute une classe de moines itinérants jusque dans les campagnes les plus reculées, dévotion partagée en outre par les responsables politiques les plus divers, maintient un ciment de loyauté envers l'Empire, ou tout au moins de modération dans les revendications (quoique pas tout le temps...). Même durant la période crépusculaire de la cité-Etat qui se prolonge jusqu'en 1453, les Russes acceptèrent volontiers la conduite spirituelle d'éminentes patriarches tels que PHILOTHÉE (1346-1376).
A compter du IX e siècle, des missionnaires byzantins se mirent en route pour convertir les peuples voisins : les Bulgars, les Slaves des Balkans, les Moraves ainsi que les souverains scandinaves de la Rus' de Kiev, étendant considérablement la zone d'influence de Byzance, bien au-delà de ses territoires. Ils y parvinrent avec les meilleurs résultats, et sans doute avec moins de formation d'hérésies que n'en rencontrèrent les Chrétiens plus à l'Ouest. Ces missionnaires, relativement nombreux et bien équipés, étaient convaincus de sauver ainsi les âmes du paganisme - une justification suffisante à tous leurs efforts. Mais en procédant ainsi, par voie de conséquence naturelle, ils recrutaient également des alliés potentiels. Il est vrai, la conversion à la foi orthodoxe n'a pas permis éviter la guerre acharnée contre l'Empire que menèrent les Bulgares christianisés ou la Rus' de Kiev, mais même après la reconnaissance de l'Eglise bulgare comme autocéphale en 927, la diplomatie byzantine put tirer parti, et le fit, de l'autorité du patriarche de Constantinople sur les ecclésiastiques locaux pour trouver de l'aide parmi eux, ou tout au moins pour les dissuader de prendre des mesures hostiles.
Les Byzantins ont sans doute bénéficié, à certaines périodes, d'une forme d'interdit religieux dissuadant d'attaquer leur Empire chrétien. Même les Latins brûlants de haine lors de la quatrième Croisade, sur le point d'attaquer, de prendre d'assaut et de mettre à sac Constantinople connurent pareille inhibition - ou tout au moins leurs chefs éprouvèrent-ils la crainte qu'ils la connussent.
En tout cas, une grande partie de l'énergie des empereurs et des patriarches fut consacrée à transformer Constantinople en cité chrétienne par excellence, et destination de pèlerinage de la classe de Rome ou Jérusalem, recevant même davantage de visiteurs que l'un ou l'autre pendant de longues périodes. Cela va de pair d'ailleurs avec le développement de la ville comme plaque tournante commerciale et culturelle, avec une organisation quasi industrielle du commerce des objets religieux. Par ses missions d'évangélisation et de diffusion de la culture, la chrétienté orthodoxe, au sein de laquelle l'Empire était au moins assuré d'occuper une position centrale, assure la formation d'une communauté large en étendue et en profondeur. Avec sa doctrine relativement simple par rapport aux circonvolutions occidentales, l'Eglise orthodoxe garde même son influence après la fin de l'Empire byzantin, notamment chez les Slaves, notamment en Russie. Le code du pouvoir russe ressemble beaucoup d'ailleurs au code du pouvoir byzantin par bien des aspects, surtout sur le volet religieux.
Edward LUTTWAK, La grande stratégie de l'Empire byzantin, Odile Jacob, 2010. José GROSDIDIER DE MATONS, L'Empire byzantin, dans Encyclopedia Universalis.
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