Si à l'occasion d'une nouvelle présidence, celle d'Emmanuel MACRON à la tête de l'exécutif français, il n'est pour l'instant pas question de la réalisation d'un Livre Blanc de la défense dans l'immédiat, la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale de 2017, fait office de document de référence. Elle survole ou précise un certain nombre d'orientations, qui doivent, selon la formule consacrée, répondre aux nouvelles évolutions du monde.
Cette Revue stratégique est destinée à fixer le cadre stratégique de la prochaine loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025, qui doit porter l'effort de défense à 2% du PIB à l'horizon 2025. Elle tire les leçons de l'évolution, depuis le Livre Blanc de 2013, d'un contexte stratégique instable et imprévisible, marqué par une menace terroriste durablement élevée, la simultanéité des crises, l'affirmation militaire de puissances établies ou émergentes, l'affaiblissement des cadres multilatéraux et l'accélération des bouleversements technologiques. La Revue examine dans ce contexte les intérêts de la France, son ambition pour sa défense et en déduit les aptitudes prioritairement requises pour nos armées, suivant les termes mêmes du Ministère des Armées. (décembre 2017)
Placée sous l'autorité de la ministre des Armées, Florence PARLY, cette Revue a été conduite par un comité de rédaction composé de 18 membres, représentants des institutions civiles et militaires et de personnalités qualifiées notamment issues de la société civile et présidée par Arnaud DANJEAN, député européen. Le comité a consulté un ensemble représentatif d'élus, de responsables publics et privés ainsi que des chercheurs, en France et à l'étranger, en particulier en Europe. Au bilan, le comité a auditionné ou s'est entretenu avec 140 personnalités françaises et étrangères et a effectué 4 déplacements à l'étranger (UE, OTAN, États-Unis, Allemagne et Royaume Uni).
Cette Revue stratégique, présentée le 11 octobre 2017 au Président de la République lors d'un Conseil de défense, fait l'objet de commentaires qui mettent d'abord en valeur le fait que cette revue des problèmes de défense s'est faite bien plus rapidement que pour les précédents Livres Blancs, ce qui est révélateur d'une manière rapide de faire du nouvel Exécutif...
Le document Revue stratégique comporte 109 pages, une préface du président de la république, un avant-propos de la ministre des Armées, une introduction et trois parties :
- Partie A : Un contexte stratégique en dégradation rapide et durable
- Partie B : De nouvelles formes de guerre et de conflictualité
- Partie C : Notre stratégie de défense : autonomie stratégique et ambition européenne.
Dans l'Introduction, on peut lire : "Le Livre Blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013, dans le prolongement de celui de 2008, indiquait dans son introduction que les évolutions rapides du contexte international imposeraient inévitablement un révision régulière de notre stratégie de défense. Les bouleversements intervenus depuis 2013, en particulier les attaques terroristes jihadistes sur notre sol, mais aussi la dégradation sécuritaire aux frontières européennes, et la nécessité de préparer une nouvelle loi de programmation militaire adaptée aux engagements de nos forces, ont conduit le Président de la République à lancer cet exercice de revue dès l'été 2017.
Les évolutions et les ruptures portent sur l'accélération et l'intensité plus que sur l'identification et l'anticipation des phénomènes : terrorisme, retour de la guerre ouverte dans notre voisinage, montée en puissance militaire et industrielle de nombreux États, fragilités et recompositions européennes... La soudaineté de leur irruption et l'ampleur de leurs manifestations ont directement affecté votre communauté nationale et les sociétés européennes. Les menaces se sont rapprochées, elles se exprimées avec une violence nouvelle alors même que le système international censé amortir ces chocs est contesté et affaibli. L'incertitude sur la crédibilité des alliances, dans un contexte de retour des rapports de forces, contribue également à la perception d'un environnement plus instable.
A l'imprévisibilité accrue de ce monde en transition s'ajoutent la simultanéité et la complexité des crises dans lesquelles bous sommes directement engagés, du Sahel au Moyen-Orient, conjointement avec nos partenaires, au premier rang desquels les États-Unis. Nous sommes confrontés à des acteurs plus nombreux, plus divers, aux ambitions et postures plus affirmées, aux capacités plus robustes. Les zones de friction ou d'affrontements ne sont plus seulement des espaces géographiques contestés, mais incluent également l'espace numérique.
Ces risques et menaces, caractérisés aussi par leur durcissement et leur ambiguïté, vont continuer de peser sur notre défense. De plus, les ruptures technologiques majeures et rapides accentuent la recomposition stratégique. Elles banalisent, d'une part, l'accès à des dispositifs et à des espaces (numérique, ex-atmosphérique) jusqu'alors maitrisés par un nombre relativement réduits d'acteurs. Elles exigent, d'une part, des efforts importants d'investissement et d'adaptation pour conserver un avantage sans cesse remis en cause. Cela vaut en particulier dans le domaine industriel comme dans le domaine militaire.
En considérant l'ensemble des risques, menaces et opportunités pour notre pays, deux problématiques ont structuré notre réflexion :
- La France ne peut pas, bien entendu, faire face seule et partout à ces défis. Notre autonomie, que nous souhaitons la plus complète possible, est réelle mais relative dans un nombre croissant de domaines? Il convient donc d'perte lucide sur les priorités qui s'imposent à nous, en raison de la proximité géographique des menaces, ou de leur impact sur notre communauté nationale. Nos partenaire, européens et américains, sont indispensables pour faire face à ces défis.
- Nous avons également des intérêts globaux, qui découlent de notre statut au sein des instances multilatérales, de notre présence mondiale (en particulier outre-mer et dans notre zone économique exclusive) ainsi que de la contraction géographique liée aux interdépendances induites par la mondialisation des échanges, des flux et des technologies.
Dans ce contexte, la responsabilité de la France repose sur une singularité stratégique objective. Seul pays européen (après le berçait) membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies et puissance nucléaire, membre fondateur de l'Union Européenne et de l'OTAN, dotée d'un modèle d'armée complet et d'emploi, la France doit maintenir une double ambition : préserver son autonomie stratégique et construire une Europe plus robuste, pour faire face à la multiplication des défis communs.
L'engagement récent et encore inégal des États européen à accroitre leur effort de défense et à assumer plus de responsabilités dans leur propre sécurité ouvre des perspectives inédites. Qu'il s'agisse de dispositifs innovants en matières capacitaire et de recherche portés par les institutions de l'Union Européenne, de la mise en oeuvre de l'ensemble des dispositions des Traités, des responsabilités croissantes des Européens dans l'Alliance atlantique ou encore de coopérations multilatérales pragmatiques, les initiatives européennes offrent des possibilités pour affermir d'indispensables solidarités.
Cette ambition européenne doit être à la fois déterminée et lucide, tant elle s'est trop souvent, par le passé, heurtées aux limites de formules incantatoires et de projets irréalistes. Le pragmatisme et la flexibilité que nous recommandons doivent permettre de surmonter progressivement les obstacles, que nous ne négligeons pas, et de façonner des réponses communes adaptées aux principaux enjeux de sécurité du continent. Notre objectif d'une coopération plus étroite avec l'Allemagne, ainsi qu'aves les pays européens ayant la capacité et la volonté d'avancer, tout comme le maintien d'un lieu bilatéral solide avec le Royaume-Uni, doivent permettre de réaliser des avancés significatives". On pourrait introduire là une remarqua d'importance : la Revue stratégique ne manque pas de formules incantatoires... et de plus l'absence de Livre blanc européen de la défense, un temps envisagé, indique que la volonté française d'un Europe de la défense n'est pas partagée, loin s'en faut, par ses partenaires européens, et à commencer... par l'Allemagne... On peut remarquer aussi que la Revue semble entériner le Brexit, alors qu'il est encore à ce jour remis en question en Grande Bretagne même...
"Dans le contexte international que décrit la Revue, les sollicitations pour nos armées et notre défense ne peuvent que s'accroitre. Ce constat doit conduire au maintien d'un niveau d'ambition élevé dans tous les domaines, qu'ils soient technologiques, industriels, capacitaires ou opérationnels, reposant sur une politique d'innovation exigeante. En outre, alors que la place du fait nucléaire dans notre environnement stratégique ira croissant dans les années à venir, le maintien sur le long terme de la dissuasion nucléaire, clé de voûte de notre stratégie de défense, demeure plus que jamais nécessaire." Il faut remarquer que la Revue ne discute même plus du processus de réforme de l'armée, de sa restructuration, dont le bilan pour les militaires en tout cas est négatif, tant sur le plan quantitatif que qualitatif...
"Cette dégradation du contexte international doit conduire également à renforcer la fonction connaissance et anticipation, dans ses diverses dimensions, et à mieux articuler tout ce qui, au niveau du ministère des Armées comme de l'ensemble de l'État, participe de la prévention et de l'approche globale des crises, qu'elles concernent le territoire national ou nos interventions extérieures.
Il convient enfin de garantir la soutenabilité de nos engagements militaires. La cohérence dans la durée entre les missions et leurs moyens est décisive pour conforter leur efficacité.
Il appartient maintenant à la future loi de programmation militaire de s'assurer que, sur la base du constat effectué dans le cadre de la Revue, la France dispose d'un modèle d'armée complet et équilibre sur le long terme". Ce dernier paragraphe renvoie notamment aux critiques précisément qui n'ont cessé de monter, au moins depuis la présidence de Nicolas SARKOZY, contre un certain affaiblissement de l'outil militaire, constaté à plusieurs reprises de manière concrète, à l'occasion par exemple de la mise en oeuvre de dispositifs militaires contre le terrorisme, sans compter certains mécomptes sur le terrain des interventions extérieures.
Bien entendu, on ne mentionnera pas ici le non-débat sur la stratégie nucléaire et l'absence de référence aux efforts pourtant indispensables de désarmement, tant en ce qui concerne les dispositifs traditionnels (conventionnels et nucléaires) que les multiples armes disséminées aux mains de combattants les plus divers dans le monde. Sans doute le fait même d'avoir changé la dénomination du ministère (de la défense aux armées) témoigne d'une restriction conceptuelle et restreint le domaine même de la réflexion de cette Revue... Il est vrai que les deux précédents Livres blancs avaient essuyés des critiques croisées dans la conception par trop extensive de la défense... Il n'empêche que si la Revue n'aborde pas globalement la question de la Défense (intérieure comme extérieure), cela n'empêche pas la multiplication de dispositifs de répression et de contrôle qui peuvent être dirigés indifféremment contre des ennemis extérieurs et des ennemis sociaux...
Partie A et B : Contexte stratégique de la France
La revue est conduite sur la base de quelques hypothèses structurantes, identiques à celles qui ont guidé la rédaction du Livre Blanc 2013 : le maintien de la stratégie de dissuasion nucléaire et la relance du projet européen de défense. Elle s'appuie aussi sur la la perspective d'un effort de défense de 2% du PIB de la France à l'horizon 2025. On remarquera tout de suite que cette dernière perspective est contradictoire avec la tendance maintenue de réduction du budget des armées.
L'analyse du contexte stratégique global de la France ne varie pas par rapport au Livre Blanc de 2013, sauf à constater une accélération et une intensification des menaces politique, géographiques et sanitaires, économiques et technologiques.
- Au niveau politiques : multiplication des acteurs de toutes tailles, appelées étatiques et poliment proto-étatiques, pour ne pas dire infra-étatiques, remise en cause de l'ordre international bâti par les Occidentaux depuis la seconde guerre mondiale, décontraction de l'architecture de sécurité en Europe, résultant de la remontée en puissance de la Russie, criminalité organisée ;
- Aux niveaux géographiques et sanitaires : augmentation de la population mondiale, pressions démographiques et migratoire se répercutant au sein de l'Union européenne, réchauffement climatique accompagné de catastrophes naturelles génératrices de crises humanitaires et sanitaires, risque de propagation rapide et à grande échelle de virus à l'origine d'épidémies diverses ;
- Aux niveaux économiques et technologiques : interdépendance économique, relativisation des distances, augmentation continue des flux de biens comme de personnes, rivalités énergétiques, ruptures technologiques et numériques.
Ce contexte se traduit selon les rédacteurs du texte par une forte exposition du territoire national à la menace terroriste, par des tensions sur les flancs Est et Nord de l'Europe, et par l'engagement de la France dans des opérations militaires extérieures dans la bande sahélo-saharienne et au Proche et Moyen-Orient.
Parce qu'elles présentent des fragilités ou sont le théâtre de la compétition stratégique entre les Etats-Unis et la Chine, des zones importantes pour la France sont porteuses de risques : la rive sud de la Méditerranée où la Libye a cessé d'exister comme État unifié et structuré, les Balkans qui restent fragiles et divisés, l'Afrique subsaharienne en développement et riche en matières premières mais que les faiblesses de la démocratie et de leur fonctionnement rendent perméables aux trafics, à la radicalisation islamique et aux visées impérialistes, et enfin l'Asie lieu du plus fort accroissement des dépenses mondiales de défense de la dernière décennie quo concentre un nombre de tensions sans équivalent, alors que son architecture régionale de sécurité demeure lacunaire et que des conflits éventuels pourraient comporter une dimension nucléaire.
Dans son identification des risques et des menaces, les Rapporteurs estiment que la France fait face au retour de menaces "classiques" comme à de nouvelles formes de guerre et de conflictualité : retour de la compétition entre États et notamment des États-Unis, de la Chine et de la Russie, tous engagés dans des modernisations de leurs armées, tandis que croit le nombre de puissances régionales qui se dotent d'armements performants ; prolifération d'armes biologiques et chimiques, multiplication du nombre d'acteurs infra-étatiques possédant des capacités offensives...
Partie C : stratégie de défense de la France
Il s'agit de maintenir sur le long terme une dissuasion nucléaire et une autonomie stratégique et opérationnelles forte. Il faut que l'autonomie opérationnelle permette aux armées d'opérer sur tout le spectre des menaces, proches comme lointaines, et cela en continuité avec les Livres Blancs de 2008 et de 2013.
Il faut que la France s'investisse pleinement dans la refondation d'un ordre collectif et multilatéral avec l'Union européenne, dans les coopérations européennes bilatérales et l'Alliance atlantique. L'ensemble des partenariats bilatéraux de la France, en Afrique particulièrement, contribue également à la gante des intérêts communs.
La convergence des menaces sur l'Europe nécessite que les Européens soient davantage engagés en faveur de leur propre sécurité, et travaillent à l'ambition d'une autonomie stratégique commune. Inscrite en 2016 dans la stratégie globale de l'UE, cette ambition exigence suppose une vision renouvelé des conditions de la sécurité européenne et repose sur de nouvelles initiatives pragmatiques. La coopération structurée permanente instaurée fin 2017 doit permettre d'effectuer un saut qualitatif en matière de défense européenne.
En organisant en 2009 son retour dans le commandement intégré de l'Alliance atlantique, tout en préservant son statut spécifique dans le domaine nucléaire, la France a pleinement reconnu la place que l'OTAN joue dans la défense de l'Europe.
L'autonomie stratégique de la France repose sur un socle large qui comprend les facteurs concourant à la cohésion et à la résilience de la Nation, une diplomatie forte au service d'une approche globale, des capacités industrielles et technologiques et enfin des capacités opérationnelles renforcées.
La cohésion nationale et la résilience des fonctions essentielles à la continuité de l'État comme à la vie de la Nation constituent le fondement indispensable de la liberté d'action de la France. Affermir cette cohésion, en particulier au sein de la jeunesse, doit demeurer un axe d'effort prioritaire qui doit mobiliser l'ensemble des moyens concernés de l'État et de la société. La résilience des secteurs d'importance vitale, exposées ai développement des cybermenaces, doit être renforcée. Avant de poursuivre les lignes tracées par le Rapport, on doit faire sans doute deux remarques, l'une importante, l'autre plus culturelle. Ce souci de cohésion nationale laisse deviner le désir parmi des responsables militaires d'un service national universel obligatoire, compte tenu par ailleurs des difficultés actuelles de recrutement des armées... Ce vocabulaire sur la résilience sort tout doit de l'attitude des populations en France face aux attentats plus ou moins réellement rattachés à l'organisation terroriste État islamique. Face à ce qui a été ressenti comme une tentative de déstabilisation de tout un mode de vie, l'ensemble des acteurs de la vie politique et culturelle de la France (et pas seulement en France d'ailleurs) a beaucoup discuté de la capacité de résilience de la société française...
La phase d'élaboration d'élaboration politique d'une décision nationale comporte presque toujours une dimension internationale (avec nos partenaires) et multilatérale (dans le cadre des Nations Unies ou des organisations régionales de sécurité). L'investissement de la France au sein de l'Alliance atlantique, de l'Union européenne, de l'OSCE et des Nations Unies doit donc aussi être considéré comme un élément central de notre autonomie de décision.
La France a besoin d'une Base Industrielle et Technologique de Défense (BITD) forte. En 2017, elle est constituée d'une dizaine de grands groupes de taille mondiale et de près de 4 000 petites et moyennes entreprises, représentant plus de 200 000 emplois en France, avec un impact positif majeur sur la balance commerciale (supérieur à 6 milliards d'euros en 2016). Les coopérations technologiques et industrielles sont nécessaires mais doivent être maitrisées. Selon les systèmes d'armes, la France appliquera l'une des quatre approches possibles, compte tenu des impératifs d'autonomie et de liberté d'usage : souveraineté non partageable, coopération avec maintien des compétences en France, coopération avec dépendance mutuelle ou recours au marché. On peut se demander si là, les "experts" ne se gargarisent pas de mots (la BITD) alors que dans la conduite de la politique économique, les contradictions abondent entre la nécessité de garder des entreprises entièrement sous contrôle de l'État et les priorités en matière de financement du Budget national, compte tenu de l'obsession sur le règlement de la dette.
La Revue stratégique ne fait ensuite que reprendre les orientations des précédents Livres Blancs en matière de renforcement des capacités opérationnelles.
Revue stratégique de défense et de sécurité nationale 2017.
STRATEGUS