La postérité retient de Gustave HERVÉ l'homme politique socialiste puis, surtout, fasciste français. Pourtant toute la première partie de sa vie politique jusqu'en 1912 est marquée par son pacifisme et son antimilitarisme, de même que par des idées socialistes très progressistes.
Il fait partie de ces hommes politiques (et de ces intellectuels) qui n'ont pas su résisté à la grande vague nationaliste précédent la Première Guerre mondiale. On peut penser que les bases intellectuelles de son pacifisme et de son antimilitariste n'étaient pas assez solides et cohérentes pour y résister. On peut penser également que son verbiage avait beau être vertigineux et entrainant, que son gauchisme était seulement de paroles. Toutefois, dans la seconde partie de sa carrière politique (1912-1944), il fait partie de ceux qui pensent compatibles nationalisme et socialisme, voie ouverte vers un fascisme, même si ce dernier reste teinté de social. Comme beaucoup de ses compatriotes qui suivent la même voie, il a du mal à concilier ses sympathies pour le fascisme italien et pour le nazisme allemand et son philo-sémitisme. Fruit souvent d'une incompréhension profonde des forces politiques à l'oeuvre en Allemagne et en France de ces années-là.
La période pacifiste et antimilitariste
Enseignant puis journaliste comme collaborateur au Travailleur socialiste de l'Yonne, il se fait remarquer par ses premiers articles antimilitaristes (signés "Sans patrie"). Non seulement, d'ailleurs, il est antimilitariste, mais également dreyfusard et anticlérical. Il se fait d'ailleurs révoquer de l'Instruction Publique après avoir écrit un article violemment antimilitariste en juillet 1901, "L'anniversaire de Wagram". C'est qu'il y propose "qu'après avoir rassemblé dans la cour du quartier toutes les ordures et tout le fumier de la caserne, solennellement, en présence de toutes les troupes en tenue N°1, au son de la musique militaire, le colonel en grand plumet vint y planter le drapeau du régiment.""
Militant successivement au Parti Socialiste Français, puis au Parti Socialiste de France, il participe en 1905 à la création de la SFIO en tant que délégué au congrès d'unification du "du Globe". Il milite également à la CGT. Il embarrasse d'ailleurs plus qu'il n'aide ses camarades pour ses prises de position outrancières...
Sa collaboration au journal Le Piou-Piou de l'Yonne lui vaut des procès en correctionnelle et devant la cour d'assises, qu'il transforme en tribunes incendiaires. Il est défendu par Aristide BRIAND. Sa "doctrine" est fondée sur le recours à l'insurrection en cas de guerre et il acquiert une audience nationale, Jean JAURÈS partageant en partie sa radicalité, mais se démarquant régulièrement de ses positions, minoritaires dans le part. On qualifie sa pensée d'"hermétisme", qui mêles antimilitarisme et antiparlementarisme.
Grâce à son exclusion de l'Enseignement, il peut se consacrer entièrement au militantisme. Il participe à l'Association Internationale Antimilitariste (AIA), ce qui lui vaut une condamnation à 4 ans de prison fin décembre 1905, l'AIA tant public une affiche appelant à la gr!ve insurrectionnelle en cas de mobilisation. A partir de 1907, il fonde et dirige le journal La Guerre sociale. Ce journal devient la principale feuille antimilitariste et antipatriotique de ce début du XXè siècle et tire à 50 000 exemplaires, ce qui témoigne de l'audience de ce groupe très bruyant, qui ne s'embarrasse pas de la prose bien plus policée des dirigeants de la SFIO...
Régulièrement condamné pour délits de presse à de lourdes peines de prison, il prend des positions de plus en plus radicales entre 1910 et 1914, allant jusqu'à prôner l'action directe et des sabotages. Son antimilitarisme lui fait prendre des positions, très en pointe pour l'époque, sur la colonisation, qu'il dénonce avec véhémence. Ses articles sont de toute façon toujours véhéments...
Gustave HERVÉ, dans la diversité des positions socialistes face à l'armée et à la guerre, occupe une place à part, minoritaire. D'ailleurs, le mouvement socialiste et pacifiste est si divers que les congrès de l'Internationale (AIT) ne parviennent pas à dégager de lignes claires quant à l'attitude à adopter face à l'armée. Régulièrement, les délégués reportent au congrès suivant le soin de le faire... jusqu'à ce que la guerre de 1914-1918 éclate, laissant les différents groupes agir de manière dispersée, entre résistance et ralliement à l'union sacrée.
La période nationaliste, puis fasciste
Dès 1912, il entame sa marche vers le patriotisme de coeur et de raison et se range en juillet 1914, contre les partisans de la grève générale, comme moyen d'empêcher la guerre qui vient. Constatant en 1910, l'échec de la grève des chemins de fer en France mais le succès de la révolution portugaise, obtenu grâce au ralliement d'une partie de l'armée, il renonce progressivement à l'antimilitarisme et propose une stratégie de propagande révolutionnaire au sein de l'armée. A la différence de la majorité des révolutionnaires de cette époque qui considèrent l'armée comme une "école du crime", il pense que les soldats doivent accéder aux postes de sous-officiers pour être utiles en cas de révolution. Il reste cependant pour beaucoup le symbole d'une certaine intransigeance doctrinale et pratique, bien que son verbiage n'impressionne pas certains qui estiment superficielles ses convictions.
Comme certains membres de la SFIO d'alors, il passe d'un ultra-pacifisme à un ultra-patriotisme. Il transforme le titre La Guerre sociale en La victoire le 1 janvier 1916. Son cheminement apparait à certains comme un reniement et sa conversion comme une trahison. Il ne s'attire même pas la sympathie des nationalistes de longue date, et il ne la trouvera jamais après avoir rédigé un faux "Testament politique d'Octave Mirabeau".
Isolé, il fonde en 1919, un petit Parti socialiste national. Il est rejoint par Alexandre ZÉVÉAS, ancien député guhsdiste devenu l'avocat de l'assassin de JAURÈS et par Jean ALLEMANE, figure historique du mouvement ouvrier français et communard de 1871, ou encore Émile TISSIER qui fut marxiste nudiste, tous également isolés de leurs anciens camarades par leurs prises de position. Le "socialisme national" de Gustave HERVÉ vire vite au "fascisme français". Il soutient à la fois le fascisme italien et le national-socialisme allemand, dont il critique pourtant l'antisémitisme (le moteur idéologique du succès d'HITLER...). Gustave HERVÉ fonde ou participe à de petites structures défendant ces dictatures, même s'il s'en prend ouvertement, en 1933, à l'antisémitisme officiel du parti nazi. Philo-germanique et philo-sémite, il met un certain temps à comprendre la véritable nature du régime nazi. En 1938, alors que beaucoup d'anciens et nouveaux fascistes restent sur leurs positions en France, il rejette ses préférences idéologiques au vu des persécutions anti-juives et des menaces pesant sur la France.
Dans les années qui précèdent la guerre, il continue à dénoncer les faiblesses du régime parlementaire et à vouloir fonder une république autoritaire dont il souhaitait que le maréchal PÉTAIN prenne la présidence. Mais il se détache du pétainisme au vu des conditions de son accession au pouvoir et et inquiété pour la diffusion de ses idées par la Gestapo. Peu de temps avant sa mort, il se décrit comme le premier bolcheviste, le premier fasciste, le premier pétainiste, le premier membre de la Résistance et le premier gaulliste, épithètes un peu exagérées qui fleurent bon l'égocentrisme...
Gustave HERVÉ, Histoire de la France et de l'Europe, l'enseignement pacifique par l'histoire, Bibliothèque d'éducation, 1903 ; Leur Patrie, La Guerre sociale, 1905 ; Mes crimes ou onze ans de prison pour délits de presse. Modeste contribution à l'histoire de la liberté de la presse sous la IIIeme République, La Guerre sociale, 1912 ; La Conquête de l'armée, La Guerre sociale, 1913 ; La Patrie en danger Bibliothèque des ouvrages documentaires, 1915 ; Nouvelle histoire de France, Fayard, 1930 ; France-Allemagne, la réconciliation ou la guerre, La Victoire, 1931 ; Nouvelle histoire de l'Europe, La Victoire, 1931.
Gilles HERVÉ, Gustave Hervé, Itinéraire d'un provocateur. De l'antipatriotique au pédantisme, La Découverte, collection L'espace de l'histoire, 1997. Nadine-Josette CHALINE, Empêcher la guerre, encrage, 2015.