Homme politique français, Jules BAZILE dit Jules GUESDE, chef du parti collectiviste, artisan de l'unification des socialistes en France, oeuvre ensuite dans la perspective de la guerre pour la révolution. Il s'inscrit au coeur de l'histoire de la Gauche avant la première guerre mondiale.
Son nom est associé à un courant historique du socialisme français, le guesdisme, qui apparaît dans les années 1880 et qui a joué un rôle important dans la fondation de la Section française de l'internationale ouvrière (SFIO) en 1905. Presque toujours malade, souvent proche de la misère, il a de l'apôtre le désintéressement et l'optimisme abstrait, l'enthousiasme contagieux, le courage personnel, la véhémence. Mais, dès 1893, sa pensée s'éloigne du réel et se fige. Toutefois, le guesdisme lui survit et on se demande même aujourd'hui quelle influence possède-t-il.
Il ne découvre le socialisme marxiste, lentement et difficilement, et sa pense ne se fixe durablement qu'entre 1877 et 1880. A la fin de l'Empire, il se fait journaliste et à Toulouse puis à Montpellier, devient secrétaire de rédaction du journal Les Droits de l'homme. Au commencement de la guerre franco-prussienne, il est condamné à 6 mois de prison pour avoir situé l'ennemi non sur le Rhin mais aux Tuileries.
Après avoir soutenu le gouvernement de la Défense nationale, GUESDE s'indigne des conditions de l'armistice et prend parti pour la Commune de Paris sans nullement la considérer comme une tentative socialiste, et sans y participer directement. En juin 1871, il s'exile à l'étranger où il reste jusqu'en 1876. Il rencontre en Suisse de nombreux communards proscrits et des membres connus de l'Internationale, notamment James GUILLAUME. L'horreur de la répression inspire son célèbre Livre rouge de la justice rurale ; la fréquentation de militants anti-autoritaires fait de lui jusqu'en 1873 un anarchiste convaincu qui rompt définitivement avec l'idéologie radicale et qui lutte, aux côtés des bakounistes, contre l'"autoritarisme" de MARX.
A Milan, à partir de 1874, des lectures nouvelles et la connaissance directe du mouvement socialiste local commencent à infléchir sa pensée vers le socialisme, comme le montent son Essai de catéchisme socialiste (1875) et son livre De la propriété (1876). De retour en France, il découvre le marxisme grâce au cercle de jeunes gens du café Soufflet (à une époque où les cafés était encore des lieux de discussions politiques, parfois bruyants, et ne sont pas encore de simples boutiques de consommation d'alcool) et à un journaliste allemand, Karl HIRSCH. Il fonde alors le premier journal marxiste français, un hebdomadaire, L'Égalité, qui parait ensuite, non sans interruption, de 1877 à 1883. Il va à Londres en mai 1880 demander à MARX et à ENGELS de cautionner le programme du Parti ouvrier dont le principe est décidé au Congrès de Marseille de 1879. Le guesdisme est en train de naître...
Le guesdisme, nouveauté dans la politique française, à la fois parti et mouvement intellectuel.
Même si le Parti ouvrier n'utilise pas cette appellation, il s'impose de bonne heure, et ce Parti se distingue des membres des autres organisations socialistes. Il faut mentionner pour bien comprendre cette nouveauté, qu'à part une insertion dans un syndicalisme déjà important et divers, la classe ouvrière est conçue comme première dans ce Parti, bien loin des rencontres (assez festives au demeurant) habituelles lors des joutes électorales ou des manifestations propres aux radicaux et socialistes de l'époque. Le Parti ouvrier français naît officiellement au Congrès du Havre (novembre 1880), et on peut le dire guesdiste, après de rapides et successives scissions, qu'à partir du congrès de Roanne (octobre 1882). Il conserve ses traits essentiels jusqu'à ce qu'il se fonde dans la SFIO. De secte minuscule (moins de 2 000 membres en 1889), il se transforme en parti capable de conquérir, en 1892, plusieurs grandes municipalité. Son objectif : être l'instructeur et le recruteur du socialisme révolutionnaire. Ses moyens : journaux, brochures, meeting. Et surtout sa méthode, systématisant l'expérience de centaines de militants en matière d'action et d'organisation : organisation des différentes activités du parti, pédagogie simple, cohésion idéologique et politique, tant en interne que dans la vie politique générale, choses inhabituelles encore dans les milieux socialistes français, où généralement les alliances se formaient principalement par allégeance personnelle et affinités intellectuelles. Mais si les guérisse sont convaincus de leur supériorité et de la supériorité du parti sur le syndicat, au point de faire de la Fédération nationale des syndicats entre 1886 et 1894, une courroie de transmissions de leurs mots d'ordre, il déclenche de multiples hostilités, nourries d'une capacité douteuse des guérisse de conduire de grandes batailles sociales. Outre qu'ils ne participent que tardivement à l'affaire Dreyfus, véritable matrice de la formation d'une opinion publique en France, ils gardent une grande méfiance par rapport à l'unité des socialistes. Mais les guesdistes font preuve d'une capacité de sursaut à des périodes décisives : dans les années 1890, leur parti est l'organisateur des premières journées du 1er mai ; de 1889 à 1904, devant la montée du millérandisme et de l'idéologie du Bloc des Gauches, à l'appel de GUESDE er de Paul LAFARGUE, il crée avec les banquistes le Parti socialiste de France et exige, finalement avec succès, que l'unit socialiste se fasse sur la base de la condamnation de toute tactique de participation à un gouvernement "bourgeois".
La fondation en 1905 de la SFIO marque apparemment la victoire des guesdistes au sein de la mouvance socialiste, mais à l'intérieur de celle-ci sur la politique internationale et sur les rapports avec les syndicats, ils ne peuvent infléchir ses orientations de manière décisive. Ils se trouvent bloqué face à l'animosité de la CGT. Si les envolées verbales persistent, si les efforts d'éducation socialiste paient souvent, leurs leaders, Jules GUESDE en tête, s'avèrent incapables d'analyser les changements survenus à la fin du XIXe siècle et au début du XXe dans l'économie, la société, la vie politique : pas de vues claires sur le nouveau syndicalisme en émergence, sur l'expansion coloniale, sur la gravité de la menace de guerre... Alors que nombre de leurs idées sont d'inspiration marxiste (surtout au départ), la création du Parti Communiste Français (qui les débordent sur la gauche), la guerre et la révolution en Russie les révèlent plus réformistes que révolutionnaires. Totalement rallié à l'Union sacré, avec l'arrière pensée de profiter des résultats de la guerre pour s'installer au pouvoir, Jules GUESDE participe de 1914 à 1917 au gouvernement. Et en octobre 1917, il s'inquiète des conséquences de la révolution bolchévique sur la défense nationale. Il laisse après sa mort en 1922 une impression difficile à formuler, tant chez les guesdistes eux-mêmes et plus tard chez les historiens.
Trois problèmes particulièrement agitent les historiens du socialisme français, davantage sur le guesdisme que sur Jules GUESDE lui-même :
- Dans quelle mesure apparaît, à la veille de 1914, un néo-guesdisme capable de rajeunir une pensée et une pratique en train de se scléroser? Pour les uns, GUESDE exerce sur ses disciples une papauté si rigide que les possibilités de renouvellement sont presque nulles. D'autres soulignent que de jeunes guesdistes s'engagent alors dans l'étude sérieuse des structures économiques et sociales : Pierre BRIZON à propos du statut du métayage, Marcel CACHIN à propos des trusts... Ils voient là l'embryon d'un rajeunissement du guédisme qui se prolonge pendant la guerre : CACHIN apporte son rayonnement à la défense de la révolution bolchévique et à la fondation du PCF, BRIZON devient pacifiste.
- Quelle est la place du guesdisme dans l'introduction du marxisme en France? Claude WILLARD (Le mouvement socialiste en France (1893-1905), Les Guesdistes, Éditions sociales, 1966) estime que l'originalité du Parti ouvrier réside dans son idéologie marxiste. D'autres soulignent que GUESDE en particulier et les guesdistes en général réduisent la pensée de MARX à quelques schémas politiques. Mais tous sont d'accord pour admettre que ni la philosophie ni l'économie politique ne furent renouvelés par l'apport guhsdiste et que les oeuvres de MARX et d'ENGELS furent diffusées par eux essentiellement sous la forme de brefs résumés. Les gesdistes ont été des pédagogues du marxisme plus que des intellectuels marxistes. GUESDE est rendu en partie responsable de la relative indifférence du mouvement ouvrier français pour la recherche théorique. En tout cas, ENGELS lui-même signalait qu'au vu des articles de GUESDE et de Paul LAFARGE, il n'était alors pas marxiste... (Lettre à BERNSTEIN du 2 novembre 1882). Au moins, pensons-nous, peut-on faire crédit aux guesdistes d'avoir induit chez un certain nombre de socialistes français la nécessité d'aller plus loin sur le marxisme que la propagande du Parti ouvrier... Souvent d'ailleurs, dans la vie intellectuelle, les grands penseurs sont introduits par des vulgarisateurs qui infléchissent plus ou moins leurs intentions...
- Dans quelle mesure le guesdisme survit aujourd'hui à l'intérieur du mouvement socialiste français? On en recueille encore les échos dans les controverses du Parti socialiste du maintien de la "doctrine" et dans la difficultés qu'éprouve la SFIO à admettre, pendant les guerres coloniales livrées par la IVe République, la primauté des aspirations politiques sur qu'elle appelait le réalisme économique. (Madeleine REBÉRIOUX)
Jules GUESDE, Textes choisis (1867-1882) et notes C. WILLARD, Éditions sociales, 1959 ; Pages choisies, O U R S, 1970 ; Essai de catéchisme socialiste, Paris, 1875 ; De la propriété, Paris, 1976. Voir de nombreux texte sur le site www.marxists.org. Voir aussi sur gallica.bnf.fr.
Madeleine REBÉRIOUX, Jules Guesde, dans Encyclopedia Universalis, 2014.