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1 septembre 2018 6 01 /09 /septembre /2018 08:03

     Alors que les théories managériales découvrent dans les années 1990, le raisonnement des organisations en tant qu'éléments de réseaux d'entreprises ou celles des frontières floues, les sociologues les ont précédés dans cette voie. La reconnaissance de l'imprévibilité, le fait que les frontières des organisations soient floues, poreuses et qu'il n'y a pas dans la réalité un intérieur et un extérieur.

Lusin BAGLA  indique que "privilégiant l'analyse des interdépendances ou des activités coordonnées, ils avaient également incité à dépasser les limites d'une structure donnée. Enfin, en relevant le dynamisme des acteurs et les résultats imprévisibles de leurs confrontations, les analyses sociologiques de l'innovation technologique sont venues confirmer la difficulté de tracer des frontières, pour proposer la métaphore d'une toile extensible, sans bordures ni coutures. Lorsque les chemins d'acteurs relevant de divers "mondes sociaux" se croisent autour d'un projet donné, celui-ci ne peut se préciser que dans la confrontation des protagonistes ayant des logiques, des visions et des attentes différentes de leur rencontre (provisoire). Dès lors, les événements sont guettés plus dans les interfaces et les croisements qu'à l'intérieur d'ensembles finis. Plutôt qu'en termes de "forme" ou de "structures", l'organisation est désormais analysée en tant que "processus".".

On doit sans doute faire deux remarques à ce qui précède :

- par organisation on dépasse (même si on inclut) les organisations de productions de biens et de services, les entreprises, qui, malgré les multiples changements de direction, et leur plus ou moins grande soumission à des impératifs qui dépassent leur objet même. On s'attache à l'ensemble des organisations, bureaucraties diverses, entreprises, associations, administrations...

- cette démarche globale de raisonner en terme de "réseaux" va de pair avec une certaine déliquescence sociale et sociale, à savoir un délitement des relations sociales entre individus, où la permanence (et la sécurité qui va avec) des situations n'est plus l'horizon global. La mobilité physique (et mentale) des individus et des organisations va jusqu'à brouiller les rapports de domination et les hiérarchies, qui, bien que momentanées et ne concernant pas toujours les mêmes personnes, demeurent, notamment dans les structures productives et/ou étatiques. 

On ne saurait dire du coup qu'il s'agit là d'un progrès social, et même d'une évolution favorable aux individus eux-mêmes, malgré l'individualisme qui sous-tend nombre de politiques de nos jours. La destruction des solidarités verticales et horizontales dans la société (en temps et en espace) semble bien mener à ce que certains auteurs appellent la marche vers une dissociété...

  En tout cas, les sociologues qui s'attachent à l'étude des organisations, loin des démarches managériales, ne font que restituer l'évolution de la réalité.

     Les logiques des acteurs, comme l'analyse Lusia BAGLA débordent depuis longtemps les contours d'une organisation, et c'est de plus en plus vrai.

Dans la foulée en France des analyses actionnistes de Michel CROZIER, nombre d'analystes mettent en relief les divers mouvements de décentralisation voulue mais parfois avortée (voir GRÉMION, Le Pouvoir périphérique, Seuil, 1976).

Les études de l'organisation sociale de l'activité scientifique et les analyses des facteurs "sociaux" dans les innovations (technologiques et organisationnelles) prolifèrent depuis les années 1970. Des approches en termes de "construction de systèmes techniques à grande échelle" (concept proposé par Thomas HUGHES dans les années 1980)  s'intéressent aux processus de mobilisation des acteurs dont les relations "se stabilisent" autour d'une solution particulière qui "clôt les controverses". La connaissance personnelle et la confiance ainsi que l'utilisation de techniques et d'instruments communs peuvent contribuer au rapprochement de ces mondes et de leurs acteurs et faciliter leur collaboration.

Toute une sociologie de l'innovation se développe depuis, avec ses concepts propres, qui vu l'importance de leur diffusion large dans différents publics peuvent camoufler d'autres évolutions dans d'autres secteurs. L'attention se focalise sur les secteurs soumis à des courses d'innovation technologique, sujet surtout des très grandes entreprises, alors que peu d'études s'attachent à montrer l'évolution d'autres secteurs, et leur lenteur, précisément, à s'adapter ou à assimiler ces innovations technologiques... Il est vrai, par ailleurs, que dans ces secteurs "à forte valeur ajoutée technologique" qui en fait les acteurs-clé d'une certaine mondialisation et d'une certaine financiarisation de l'économie, jouent des logiques bien décrites d'acteurs aux projets concordants ou disjoints, qui se jouent des frontières entre organisations (public/privé, firmes d'accueil de leurs compétences/firmes concurrentes) et entre États...

    C'est aux Etats-Unis d'abord que se diffusent les études de sociologie de l'organisation, bien avant de se développer en Europe. Et de même que le taylorisme et le toyotisme se développent en Europe, de même se multiplient ensuite les études sur les logiques des acteurs qui traversent et dépassent les organisations auxquels ils appartiennent, avec d'abord des variations propres aux situations nationales, puis des caractéristiques globales communes dans le cadre de la mondialisation. Et toujours, l'attention se focalise sur des phénomènes qui apparaissent nouveaux mais qui ne touchent pas forcément la majeure partie des activités sociales, économiques et politiques... Naissance de sociologie nouvelle des organisations ne signifie pas nouvelle dominance dans les pratiques sociales, tant l'attention se focalise par trop sur les grosses entreprises et les grandes administrations... On a plutôt affaire à un millefeuille de pratiques différentes suivant le secteur, l'importance et la grandeur de l'entreprise, le choix de répartition entre automation et travail humain, le niveau d'intégration de l'organisation dans le réseau des nouvelles technologies (internet) dont la principale caractéristique d'ailleurs est de fonctionner... en réseau... 

     C'est ainsi que les sociologies successives, dont la quantité et la qualité (sans doute) des études bondissent entre 1940 et 1960, avec une traduction institutionnelle forte, autour des travaux de Robert MERTON, de Paul LAZARSFELD, de Talcott PARSONS, de Philip SELZNICK, d'Alvin GOULDNER, (en France de) Michel CROZIER, les modèles d'organisation décrits par Herbert A. SIMON, James MARCH, Peter BLAU, Amitai ETZIONI, constituent autant de variations dans la structure et le fonctionnement des organisations, lesquelles changent plus ou moins rapidement. Chacun de ces auteurs et de leurs collaborateurs divers et variés apportent des éclairages sur cette structure et cette organisation dont aucunes, sans doute, ne dominent le paysage économique, associatif, administratif... Les sociologues en ont parfaitement conscience et la multiplication des études comparatives dans le temps et dans l'espace indique qu'à travers les dimensions de l'organisation, formalisée par exemple au travers des ouvrages d'Amati ETZIONI, de Peter BLAU et Richard SCHOENHERR et de Wolf HEYDEBRAND, se dessinent diverses formes d'organisation dont l'évolution est soumise à celle de l'environnement où évoluent entreprises, associations, administrations... C'est bien une diversité qui s'affiche ainsi, diversité dont l'ampleur s'accentue dans les approches critiques et marxistes.

Mary ZEY-FERREL et Michael AIKEN, de leur côté justifient un point de vue radical, par la reproduction trop souvent d'analyses "historiques" qui reproduisent une image il faut l'écrire conservatrice, quitte à qualifier de modernes ou de sur-modernes des évolutions qui parfois n'existent qu'à la surface et dans les organigrammes. On a trop souvent affaire à des présentations, ce qui est un comble pour des ouvrages qui par ailleurs exaltent l'individualisme et l'esprit d'initiative, trop rationnelles, qui traite les individus comme s'ils n'avaient pas de volonté, et ce malgré toutes ces nouvelles sociologies qui prônent les fonctionnement en réseau... et qui font l'impasse sur les relations de pouvoir... (voir Complex Organizations, Critical Perspectives, Glenview, Scott, Forsman, 1981)

Par ailleurs, certains universitaires américains se sont tournés vers l'étude des mécanismes globaux de domination dans les sociétés capitalistes et, adoptant les concepts de l'analyse marxiste, abordent les organisations à la lumière des rapports de classe. François CHAZEL (Karl Marx et la sociologie américaine contemporaine, L'année sociologique, volume 36, 1986) rend compte de l'importance accordée progressivement à la pensée de Karl MARX dans la sociologie américaine, importance dont on a encore faible idée en Europe. Il s'opère jusqu'à une américanisation du marxisme dans les années 1970, dont les effets se multiplient de nos jours. Des recherches empiriques se multiplient dans cette perspective. Dans le domaine de l'organisation, tel est le cas des analyses de W HEYDEBRAND (Organizational contradictions in public bureaucratiques : Toward a Marxian theory of organizations, The Sociological Quaterly, volume 18, printemps 1977) sur le système judiciaire et, plus généralement, sur l'administration.  En Grande Bretagne et en Amérique du Nord, les réflexions d'un ensemble d'auteurs constituent un courant critique, très souvent marxiste : David SILVERMAN, David DUNKERLEY, Stewart CLEGG, Gilbson BURREL et Gareth MORGAN. 

 

Catherine BALLÉ, Sociologie des organisations, PUF, collection Que sais-je?, 2010. Lusin BAGLA, Sociologie des organisations, La Découverte, collection Repères, 2003.

 

SOCIUS

 

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