La féministe, femme politique et militante socialiste française Louise SAUMONEAU est une figure importante du paysage pacifiste français pendant la première guerre mondiale et l'entre-deux-guerres.
Après plusieurs années d'engagement, elle renonce finalement au mouvement féministe, qu'elle juge trop éloignée de la lutte des classes, pour devenir une personnalité importante du mouvement socialiste. Lors de la première guerre mondiale, elle s'engage dans le combat pacifiste. A la suite du Congrès de Tours et de la division des militants socialistes de la Section Française de l'Internationale Ouvrière (SFIO), elle reste à la droite du parti, refusant ainsi d'adhérer au Parti communiste français.
Un engagement militant à partir de la base
Après avoir assisté en 1898 à une assemblée féministe (elle-même étant alors couturière), dominée à cette époque par les préoccupations de femmes issues des classes aisées (le débat portait sur la moralité des dots...), elle s'associe l'année suivante à Elisabeth RENAUD (1846-1932) pour fonder le premier Groupe féministe socialiste (GFS). Le Manifeste de ce groupe témoigne de la "double oppression" subie par les femmes, exploitées par le capitalisme et assujetties aux hommes.
Lors du Congrès international de la condition et des droits des femmes de 1900 (dont la présidente est Marguerite DURAND), elle appartient à une minorité, le mouvement féministe étant dominé par des femmes issues de la bourgeoisie et de l'aristocratie dont une des principales revendications est la participation aux institutions démocratiques (à commencer par le droit de vote). Le projet des minoritaires, soutien d'un projet de loi pour la journée des huit heures par jour est soutenue mais à condition qu'il se limite aux ouvriers et ne s'étendent pas aux domestiques et bonnes (alors très nombreuses à Paris...). C'est pourquoi, elle recherche activement les moyens de créer d'autres structures plus proches des problèmes des ouvriers et des ouvrières. La même année, elle participe à la formation d'un syndicat de couturières qui s'associe avec d'autres organisations du même genre basées dans trois autres quartiers modestes à Paris. Elle organise une grève de tailleurs et de couturières, très populaire et très soutenue, y compris financièrement, qui dure pendant un mois. Elle se fait connaitre alors dans maints secteurs de la presse.
En avril 1901, elle intègre, avec Elisabeth RENAUD, le Conseil national des femmes françaises dès sa création (où se trouve entre autres Sarah MONOD). Mais comme ailleurs dans la mouvance pacifiste, elle fait partie d'une minorité socialiste, contrebalancée d'ailleurs par la droite catholique, menée par Marie MAUGERET.
Alors que le syndicat des couturières est dissous en septembre 1901, Louise SAUMONEAU est convaincue que les syndicats doivent représenter les intérêts des femmes comme des hommes. Sa tactique est désormais de faire entrer les femmes dans les syndicats en dépit des obstacles.
En réaction aux réticences des mouvements féministes à prendre en compte les aspirations ouvrières, elle développe une certaine hostilité envers le féminisme, en tout cas un féminisme cantonné aux questions strictement institutionnelles ou juridiques. Elle considère désormais qu'il y a plus d'intérêts communs entre ouvriers et ouvrières qu'entre femmes de classes différentes.
Mais également dans le monde du travail, les femmes ont peine à se faire entendre. Entre 1901 et 1902, Louise SAUMONEAU et Elisabeth RENAUD publient un journal mensuel, La femme socialiste, prenant pour modèle Die Gleichheit, journal allemand féministe marxiste et social-démocrate édité par Clara ZETKIN, dont SAUMONEAU est généralement considérée comme l'homologue français. En 1903, alors que le GFS compte une centaine de membre, elle entre en désaccord avec Élisabeth RENAUD et celle-ci quitte le groupe. Elle en devient alors la dirigeante. En 1905, alors que le GFS a doublé le nombre de ses membres, la SFIO, qui n'accepte que les membres féministes individuels, refuse de le reconnaitre, et faute de légitimité, il disparait.
Sept ans plus tard, en 1912, elle reprend la rédaction en chef de La femme socialiste et s'en sert d'organe de propagande et d'éducation. Ce journal parait jusqu'en 1940.
En 1913, avec l'aide d'autres militantes comme Marianne RAUZE et Elisabeth RENAUD, elle fonde le Groupe des Femmes socialistes (GDFS), une branche de la SFIO à destination des femmes socialiste. Elle en interdit l'accès aux féministes et entame un programme de recrutement. Ce groupe se révèle davantage un groupe auxiliaire du SPD et n'a pas de hiérarchie propre. Cette campagne de recrutement n'a pas beaucoup de succès, et au début de la Première Guerre Mondiale, la SFIO compte alors 90 000 membres, dont seulement 1 000 femmes, et encore la moitié est composée de femmes de membres masculins... Le 5 juillet 1914, 23 jours avant la première déclaration de guerre et 4 mois avant l'entrée de la France dans ce conflit armé international, Louise SAUMONEAU organise la première manifestation de la Journée Internationale des Femmes Travailleuses - renommée plus tard Journée Internationale des Femmes - pour réclamer le droit de vote et de meilleurs conditions de travail. Malgré sa défiance envers le mouvement féministe d'alors, elle se retrouve à défendre l'une de ses principales revendication, la participation entière à la vie politique du pays. Il existe une réelle difficulté (pratiquement, car théoriquement, l'élaboration est déjà bien avancée) à lier le féminisme et le socialisme dans les esprits, comme elle constate plus tard la même difficulté à lier pacifisme et féminisme.
Le pacifisme dans la Première Guerre Mondiale.
Pendant cette guerre mondiale, Louise SAUMONEAU adopte une position pacifiste. Position qui l'oblige à quitter le GDFS, celui-ci étant favorable à l'Union sacrée. La poursuite de la guerre renforce les antagonismes au sein de cette organisation, qui finit par être dissoute.
Au début de 1915, elle diffuse clandestinement l'essai de Clara ZETKIN (L'appel aux femmes socialistes) : "Quand les hommes tuent, c'est à nous, femmes, de nous battre pour préserver la vie. Quand les bombes se taisent, c'est notre devoir d'élever la voix pour nos idéaux." En réponse à cet appel, elle fonde le Comité d'action féministe socialiste pour la paix contre le chauvinisme. En mars, soit six mois avant la conférence de Zimmerwald - Clara ZETKIN organise une conférence internationale des femmes socialistes à Berne (Suisse) visant à symboliser leur opposition à la guerre. Louise SAUMONEAU est la seule représentante française. Elle y dénonce le peu d'engagement des leaders socialistes, alors que selon elle, les masses sont opposées à la guerre. A son retour de Berne, elle est recherchée par la police, son attitude lui valant non seulement l'hostilité du gouvernement (bien entendu), mais aussi celle de la SFIO. En avril, alors qu'elle est empêchée de tenir une conférence, se tient la Conférence de la Haye, au cours de laquelle est fondée la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté (conférence organisée par Aletta JACOBS. Laquelle désire la présence de représentants français, mais n'invite pas Louise SAUMONEAU, qui à son tour déclare qu'elle ne coopèrera pas avec JACOBS, entre autres à cause de ses origines bourgeoises...
Arrêté finalement en octobre 1915 et emprisonnée, elle est relâchée en novembre après le prononcement d'un non-lieu, car les autorités souhaitent qu'elle ne devienne pas un symbole du pacifisme. Elle rejoint quasi-immédiatement le Comité d'action internationale fondé en décembre par des syndicalistes partisans des déclarations pacifistes de la Conférence de Zimmerwald. Mais ce comité se divise à son tour en février 1917, par le jeu des préférences de luttes syndicales ou des tactiques d'entrée dans la minorité pacifiste de la SFIO menée alors par Jean LONGUET. Si la direction du comité échoit alors à Louise SAUMONEAU, c'est au sein d'une organisation bien affaiblie.
Dans l'entre-deux-guerres et après : pacifisme et Troisième Internationale (1919-1950)
Deux ans après la fin de la guerre, en décembre 1920, le Congrès de Tours qui mène à la division de la SFIO rebat de nouveau les cartes au sein du petit monde pacifiste et féministe. Elle choisit de rester dans la minorité socialiste plutôt que de rejoindre le Parti communiste français. Alors qu'elle avait régulièrement exprimé son soutien à la Troisième Internationale auparavant, cette décision constitue un changement significatif dans ses vues politiques. Ce qui ne favorise par les adhésions à ses vues, mais ce choix est guidé par la préférence donnée au pacifisme, dont s'éloigne bon nombre de membres du PCF.
En 1922, Louise SAUMONEAU refonde le Groupe des Femmes socialistes, qui continue son activité jusqu'en 1931, année à partir de laquelle il est remplacé par le Conseil National des Femmes socialistes. Elle poursuit en parallèle la publication de La Femme socialiste jusqu'en 1940. Malgré sa présence et son influence au sein du parti, la SFIO ne s'engage pas en faveur du vote des femmes avant la Seconde Guerre Mondiale (en 1945). Louise SAUMONEAU continue son militantisme jusqu'à la fin des années 1940, reprend une dernière fois la publication de La Femme socialiste en 1947 (qu'elle poursuit jusqu'en 1949, année de la dernière édition du journal).
Constamment que ce soit dans le combat pour les femmes en milieu ouvrier ou leur combat en tant que femme pacifiste, Louise SIMONEAU fait partie de la très faible minorité des structures socialistes dans lesquelles elle lutte... avant d'en sortir tout à fait. Elle fait partie des rares réfractaires n'ayant aucun goût pour cotoyer ses ennemies de classe. Il existe une grande prégnance du chauvinisme des femmes françaises durant la guerre, celui-ci faisant en somme partie de leur longue tradition de soumission. Les femmes ont constitué - souvent obligées de le faire - l'un des plliers essentiels de l'effort de guerre français, à l'arrière, pendant que leurs maris ou leurs frères combattaient au front... Le combat prioritaire contre la guerre - en l'absence d'analyses politiques ) conduit des femmes comme Louise SAUMONEAU à être particulièrement vulnérable à la propagande de paix du IIIe Reich, sans compter que son activisme lui fait difficilement oublier un relatif isolement. Reste qu'elle demeure une pionnière dans le combat du féminisme-pacifisme, un exemple suivi ensuite par, plus tard, de plus nombreuses femmes.
Ses écrits figurent principalement dans les journaux auxquels elle collabore tout au long de sa vie militante.
Louise SAUMONEAU, Conférence lors de la fondation du Groupe Féministe Socialiste en 1899, dans Principes et action socialistes (brochure), Paris, Publication de la Femme socialiste, 1923. disponibles dans Office Universitaire de Recherche Socialiste, www.marxists.org.
Maxwell ADERETH, The French Communist Party. A Critical History (1920-1984), from the Comintern to the"the Colours of France", Manchester University Press, 1984. Florence MONTRYNAUD, L'aventure des femmes : XXe-XXIe siècle, Paris, Nathan, 2011.
Yves SANTAMARIA, le pacifisme, une passion française, Armand Colin, 2005.