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19 mars 2019 2 19 /03 /mars /2019 09:28

    Du latin instinctus, ce terme instinct désigne, nous rappelle Francesco M. SCUDO, spécialiste en éthologie et en génétique, à l'Instito di Genetica biochima ed evolutionistica de Pavie, "des aspects apparemment immuables dans l'activité des animaux et de l'Homme, c'est-à-dire des aspects propres à leur "nature", et pouvant être clairement distingués des aspects variables, issus des conditions externes, de l'expérience individuelle ou collective, de l'intuition ou du caractère "raisonnable", qui peuvent être également propres aux êtres en question."

Après avoir rappelé la tradition  moderne de la théologie naturelle, tirée d'une intuition de DESCARTES sur la nature des réflexes, les travaux de George-Louis Leclerc de BUFFON 1707-1788), naturaliste français et de Thomas Henry HUXLEY (1825-1895), biologiste anglais, les véritables théories sur les réflexes de SPENCER et d'Ivan SECENOV (1829-1905), physiologiste russe, ceux de PAVLOV au tournant du siècle, l'auteur détaille surtout diverses théories "mécanistes" élaborées à partir des années 1920 qui forment un net contraste avec la tradition physicothéologique comme avec le sens commun. "Une distinction, explique-t-il, entre réflexes et instincts - même si les seconds ne peuvent être que des modifications affaiblies des premiers - est en effet cruciale dans la théorie de Darwin, et plus encore la notion de complexes d'activité utiles formées d'actes automatiques comprenant également les activités "non innées". Il s'agit là de distinctions analogues à celle des traditions réflexo-théologiques modernes - toutes fondées sur la spécification des réflexes comme réponses "mécaniques", "passives" et même "involontaires" - mais qui n'installent aucun "saut qualitatif" entre l'Homme et les autres animaux."   L'auteur rappelle aussi que, toutefois, même si nombre de conceptions découlent des travaux de Darwin, lui-même n'a laissé aucun traitement systématique du problème des instincts et de leur évolution, se bornant à des considérations semi-empiriques sur les "pouvoirs mentaux" et leur variabilité dans l'ontogenèse et la phylogenèse. Les différentes théories des instincts tournent toutes autour de la division des instincts en composantes motrices et en stimuli déclenchants - qu'elles regardent comme leurs principaux traits qualitatifs - et de la caractérisation quantitative de l'appétence, ou de la propension, ou de la promptitude momentanée aux activités instinctives (que l'on peut traduire dans certains cas, d'une manière anthropomorphique, par des termes proches de "besoin", "urgence", "compulsion").

      Par "instincts", donc, écrit toujours F. SCUDO, "on entend des modalités de contrôle des comportements non purement passifs et mécaniques, lesquelles par ailleurs sont très différentes entre elles, même si l'on passe ordinairement par degrés de l'une à l'autre." Notre auteur présente des activités instinctives très différentes chez les Invertébrés, les Mammifères en général, les Vertébrés supérieurs et les Primates...

 

Différentes théories des instincts

        De leurs différentes expérimentations, des auteurs tirent des théories des instincts qui sont difficilement comparables et évaluables les unes par rapport aux autres, tant leurs objets d'expériences sont différents, les uns travaillant plus vers les Invertébrés, les autres vers les Mammnifères, et d'autres encore considérant plutôt les Vertébrés supérieurs comme les Primates... Nombreux mettent en avant la différence entre Réflexes et Instincts, discutent plutôt d'Erbkoordinationen (coordinations motrices innées) à complexité et applications différentes suivant les espèces considérées.

C'est le cas de tout un courant de pensée - nommé "moteur" - de différents auteurs, tout au long de leur carrière, tels que Edward THORNDIKE (1874-1949), psychologue américain, Charles Otis WHITMAN (1842-1910), zoologiste américain, Konrad LORENZ (1903-1989) et Nikolas TINBERGEN (1907-1988), travaillent sur les caractérisations des instincts "supérieurs", comme d'ailleurs Paul LEYHAUSEN (1916-1998), éthologue allemand, indépendamment du fait qu'ils sont "fixes" plutôt que modifiables après leur maturation au cours de l'ontogenèse.

Un autre courant de pensée, représenté par William MC DOUGALL, Johan Burdon Sanderson HALDANE (1892-1964) ou Bernhard HASSENSTEIN (1922-2016), biologiste et comportementaliste allemand, caractérise au contraire les instincts sur la base de leurs objets et des opérations, en premier lieu cognitives, réalisées sur des objets ou des classes d'objets, tandis que les Erbkoornationen seraient simplement les "instruments" des instincts.

Une alternative aujourd'hui très commune à ces deux écoles de pensée qui considère qu'il n'y a pas de bases innées ou instinctives aux comportements des Mammifères Supérieurs n'est pas considérée dans son développement par notre auteur, parce qu'elle laisse entièrement  inexpliquées la cohérence relative et la prévisibilité de ces comportements ainsi que l'impossibilité de les modifier, ou de les réprimer systématiquement, excepté à travers des processus évidemment pathologiques ou une véritable domestication.

       Citons directement Francesco SCUDO : "Le courant de pensée que nous nommerons "moteur", et dont le meilleur représentant est sans doute P. LEYHAUSEN, a comme objet principal d'explorer les circuits fonctionnels complexes, caractérisés par un usage flexible d'Erbkoordinationen qui peuvent en partie être remplacés par des coordinations motrices apprises, avec des fonctions équivalentes. Il est souvent clair que ces circuits ne peuvent être interprétés seulement comme correspondant à une unique propension ou appétitivité, étant donné que chacune de leurs Erbkoordinationen peut être utilisée à des fins tout à fait impropres, en "débordement" ou "à vide" (...). Souvent, en outre, différents Erbkoordinationen du même circuit sont associés à des postures et à des expressions diverses qui indiquent clairement leur niveau d'appétitivité (...). Évidents cependant sont les avantages de cette régulation "multiple" d'un circuit fonctionnel, par rapport à celle qui est seulement ou d'une manière prévalente le fait d'une seule propension, comme pour la "chaîne des réflexes".

Certaines théories motrices, toutefois, impliquent également qu'il n'y ait aucune régulation à proprement instinctive du circuit tout entier, au sens où il s'agirait de régulations complexes banalement physiologiques telle que la faim, ou d'une origine cognitive non instinctuelle. Des coordinations motrices clairement assujetties à plusieurs circuits fonctionnels, comme la déambulation, seraient au contraire exclusivement réflexes, ou apprises. Toutes autres conditions étant identiques, le fait que l'animal exécute l'une plutôt que l'autre des Erbkoordinationen aux fonctions analogues (...) ou en réduise ou élimine une dans un circuit fonctionnel, ou encore remplace une Erbkoordinationen par une coordination apprise, dépendrait seulement des intensités relatives aux différentes Erbkoordinationen, et des propriétés des stimulations déchenchantes. A cette interprétation théorique des instincts supérieurs, que nous nommerons motrice extrême, il n'est guère facile d'adresser une quelconque objection sérieuse dans le cadre des exemples spécifiques à travers lesquels elle est proposée. (...) Cependant, il n'est pas facile d'exclure qu'il y ait aussi une véritable forme de régulation instinctuelle de circuits fonctionnels entiers.

Le courant (...) que nous désignons comme "cognitif", s'en différencie par la priorité donnée aux objets des instincts, et souvent même, au niveau épistémologique, dans le fait de considérer le "plaisir" et la "douleur" comme des entités dérivées, sur des bases cognitives, de l'action : quand ils ne sont pas banalement physiologiques, le plaisir et la douleur reflèteraient des estimations ou des prévisions du succès ou de l'insuccès d'activités dans lesquelles l'animal est engagé. Les théories motrices de l'instinct, au contraire, sont habituellement liées à une conception "utilitariste" ou "hédoniste" du comportement, c'est-à-dire qu'elles considèrent "plaisir" et "douleur" comme des entités premières, justifications ultimes de tous les comportements supérieurs."

           

Discussion sur la caractéristique "hormique" des instincts.

    Dans la suite de son exposition, F. SCUBLA se concentre sur une des approches cognitives, après avoir rappelé que "comme les approches motrices sophistiquées, les approches cognitives elles aussi donnent pour argent comptant l'utilité spécifique des réflexes et des tropismes et l'utilité non spécifique (...)  d'Erbkoordinationen dépourvues de tout but mécanique précis". L'approche "hormique" (du grec qui signifie impulsion vitale ou "poussée" interne à l'action, voir MC DOUGALL, 1923), "se préoccupe avant tout de justifier les activités ayant des fins utilitaires plus ou moins précises, ce qui implique une certaine forme de prévision du résultat "final" de ces activités. Celles-ce se distinguent des activités mécaniques par  les caractéristiques suivantes :

1. une certaine spontanéité, au sens où le type de comportement n'est déterminé qu'en partie par la nature de la stimulation qui l'initie ;

2. la persistance de l'activité indépendamment de la persistance de la stimulation interne ou externe qui l'a initiée ;

3. des variations dans la forme ou la direction des activités persistantes ;

4. l'interruption de cette activité dès qu'elle a réussi à produire un changement spécifique des conditions;

5. le fait que l'animal se prépare en quelque sorte aux nouvelles conditions que son comportement a contribuer à produire ;

6. une certaine amélioration de l'efficience d'une activité quand elle est répétée par le même individu dans des conditions semblables.

  Ayant, poursuit notre auteur, ainsi qualifié les comportements, innés ou non, qu'il entend expliquer, le théoricien hormiste caractérise ceux qui sont instinctuels en termes de reconnaissance innée de classes de stimulations, d'objets et de situations."

A propos des Vertébrés en général, MC DOUGALL écrit : "Nous pouvons donc définir un "instinct" comme une prédisposition innée qui détermine l'organisme à percevoir (à témoigner de l'attention à) n'importe quel objet d'une certaine classe, et à ressentir en sa présence une certaine excitation émotionnelle et une impulsion à l'action qui s'exprime dans une modalité spécifique de comportement en relation avec cet objet." L'objet, pour MC DOUGALL est entendu au sens large, incluant des caractéristiques dues aussi bien aux conditions externes qu'aux conditions internes à l'animal, et la manière dont, parmi les instincts ainsi définis, il est utile d'opérer des distinctions principalement selon leur différent degré de spécificité, ou de spécialisation.

Alors que dans les théoriciens motrices sophistiquées, les comportements sont déterminés par des formes rigides d'apprentissage spécifiés d'une manière innée au sein de classes particulières de stimulus, les états émotionnels étant des entités directement dérivées et composites, reliées aux différentes Erbkoordinationen, dans les théories hormistes, ces états émotionnels  reflèteraient plutôt l'activation d'un ou plusieurs instincts, les Erbkoordinationen n'étant que de simples instruments des instincts. C'est au niveau de la cause du comportement que la différence entre ces théories se situant, et cela a des implications, comme l'écrit F. SCUDO, "d'un point de vue systématique". "Pour les théoriciens "hormiques" et apparentés, les Mammifères supérieurs seraient caractérisés par une douzaine d'instincts majeurs non spécialisés - cette évaluation étant constituée par des approches indépendantes et techniquement différentes, comme celles de MC DOUGALL (1923) et de HASSENSTEIN (1987). (...). Pour le théoricien "moteur" en revanche, ces mêmes Mammifères seraient caractérisés par un nombre d'instincts d'un ordre de grandeur plus élevé - environ une centaine."

"Les données, reprend notre auteur, plus vastes et plus précises accumulées au cours des dernières décennies ne semblent pas permettre un choix précis entre ces deux alternatives extrêmes, mais plutôt de qualifier la faiblesse de l'une et de l'autre en tant que schémas interprétatifs généraux. Par exemple, chez les Chats, il n'y a aucune base empirique précise pour caractériser un instinct agressif particulier, comme le veut la théorie hormique. Si, malgré cela, l'agression, la prédation, etc, avaient chacune une base instinctuelle unitaire - et il n'y a aucun motif sérieux de l'exclure -, la théorie hormique interpréterait mieux les Erbkoordinationen telle que la "morsure à la nuque" (appliquée aussi aux bouteilles, devons nous rappeler, comme expliquée auparavant dans le texte de l'auteur...) comme simple instrument de différents instincts, c'est-à-dire l'instinct prédateur, l'instinct d'agression, l'instinct sexuel (...) et l'instinct des soins parentaux (...). En l'absence de données empiriques suffisantes, permettant d'évaluer directement la validité relative des formes extrêmes de la théorie hormique et de la théorie motrice dans les différents cas, des évaluations indirectes peuvent se fonder sur une étude précise des émotions, et sur des considérations évolutives générales (...)."

 

Considérations évolutives générales

    Même s'il déploie des efforts pour expliquer l'état de la recherche sur les instincts sans la réduire en une soupe journalistique un peu insipide, F. SCUDO sait que la matière est difficile, cette discipline scientifique devant tout à un réseau complexe de notions parfois historiquement datées. Nous savons avec lui pourtant que derrière toute cette recherche, il existe un enjeu qui nous concerne directement, qui n'est autre de déterminer comment nous nous voyons nous-même, à travers ce que nous pouvons connaître de nos cousins lointains, les animaux, et comment du coup nous pouvons voir les autres, dans les conflits comme dans les coopérations.

"Pour être concret, écrit-il en conclusion, nous admettons que les circuits fonctionnels dans les comportements des Vertébrés supérieurs, Primates supérieurs inclus, ont des origines évolutives lointaines dans des instincts singuliers du type "chaîne de réflexes" des Invertébrés et de Vertébrés inférieurs. Nous admettrons, en outre, qu'aussi bien une interprétation instinctuelle strictement motrice qu'une interprétation sur des bases principalement non instinctuelles sont globalement inadéquates pour rendre compte des comportements des Primates supérieurs. On se souviendra également que l'ontogenèse des comportements est un point de départ peu éclairant pour expliquer l'actogenèse, dont ne rend raison qu'en partie le contrôle instinctif.

Ces prémisses étant posées, une séquence évolutive plausible qui conduirait jusqu'aux instincts de ces mêmes Primates en partant des "chaînes de réflexes" (instincts type I), chacune correspondant à un circuit fonctionnel, pourrait être la suivante :

A une propension singulière régulatrice du circuit entier sont associées des propensions spécifiques qui contrôlent partiellement, mais plus directement, des Erbkoordinationen du circuit lui-même, comme il est couramment admis, par exemple par LEYHAUSEN (1965). Le résultat extrême d'un tel processus serait, précisément, celui décrit par LEYHAUSEN lui-même pour le circuit de prédation chez les Chats, c'est-à-dire (Instincts type II) une "démocratie" de propensions semi-autonomes aux Erbkoordinationen singulières du circuit qui, selon lui, remplacerait totalement la propension singulière originaire. Ce "morcellement" de l'instinct constituerait le pas évolutif le plus caractéristique et le plus important franchi par les Mammifères, attendu qu'il permettrait la combinaison de l'instinct et de l'expérience alors que, par exemple, chez les Insectes, l'expérience serait principalement, ou totalement, alternative aux instincts de type I.

On propose ici, plutôt, que le remplacement "complet" de la propension singulière originaire ne soit pas nécessairement le produit évolutif final du processus de "morcellement" de l'instinct de type I qui conduit à II, mais que souvent, un tel remplacement soit seulement partiel. A partir de là, on pourrait passer à un stade plus avancé, c'est-à-dire de moindre spécialisation ou spécificité du même circuit, dans lequel tout ou partie des Erbkoordinationen seraient ensuite remplacé par des coordinations apprises, par réduction et élimination de leurs propensions spécifiques, au moins chez l'adulte. Le résultat final de ce processus évolutif serait bien compatible avec la situation observée chez les adultes des Primates supérieurs - ou Instincts type III, c'est-à-dire celle d'un usage rare des Erbkoordinationen, dotées le plus souvent de plusieurs fonctions dont chacune est "faiblement" régulée par la propension caractéristique du circuit, dûment modifiée, tandis que l'objectif d'une "situation consommatoire" est obtenu principalement à travers des coordinations motrices-a-spécifiques ou apprises. Il est donc évident que le processus évolutif postulé ici est tout à fait compatible avec différents niveaux de validité relative à différents stades évolutifs, des théories cognitives et motrices, même extrêmes.

A partir des données disponibles aujourd'hui, il me semble possible d'affirmer rien de plus que la forte plausibilité qu'à partir de la modalité de contrôle I, l'évolution qui a conduit aux Primates supérieurs soit passées par des stades intermédiaires à quelque niveau avec II, pour atteindre ensuite une nette prévalence de III chez les Primates supérieurs adultes non pathologiques, tandis qu'une prévalence de II est évidente chez les Fétidés. Si l'on découvre un jour le niveau précis de dominance de II dans l'évolution des Primates - et le niveau précis de dominance du même stade chez les autres Mammifères, et éventuellement aussi chez les Céphalopodes supérieurs -, on pourra peut-être alors soutenir l'idée que les modalités de contrôle inné de l'actogenèse ont évolué essentiellement de la même manière chez tous les animaux. S'il en était ainsi, les niveaux de modalités de contrôle intermédiaire entre I et II, et entre II et III, constitueraient une échelle de progression quantitative absolue dans l'évolution animale - telle qu'elle a été vaguement postulée, entre autres, par LAMARK et par SCHAMALHAUSEN - avec de multiples et intéressantes implications théoriques."

 

Francesco M. SCUDO, instincts, dans Dictionnaire du darwinisme et de l'évolution, Sous la direction de Patrick TORT, PUF, 1996.

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