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17 août 2019 6 17 /08 /août /2019 12:53

    Face à la déferlante des fake-news, des manipulations des images fixes et mobiles, de la multiplication des moyens audio-visuels utilisés à tort et à travers par de multiples acteurs même bien intentionnés (ne parlons pas des adeptes de la publi-information...), il est grand temps, si l'on veut que la civilisation demeure vivante et porteuse de civisme et d'érudition (tant en quantité qu'en qualité d'informations et d'analyses), de réévaluer les relations entre écrit et audio-visuel. Il est temps de prendre en compte les données des sciences naturelles et des sciences humaines dans l'utilisation des techniques de communication des connaissances et des informations. On sait depuis belles lurettes que différentes parties de notre cerveau traitent différemment l'écriture et la visualisation, comme des sons d'ailleurs. On sait depuis longtemps que la vision des images et l'appareil auditif sont plus directement reliées aux traitements des émotions que le décryptage des écritures, qui doivent faire bien plus appel à un effort conscient. La multiplication des sources audio-visuelles dans nos sociétés s'apparente à un affaiblissement de l'utilisation de nos potentiels cognitifs. Une certaine paresse intellectuelle semble gagner tous les concitoyens. A quoi bon rechercher l'information écrite puisque l'information audio-visuelle se présente à nous "spontanément"?

    Fait de civilisation, l'invasion de notre environnement par l'image et le son artificiels, produits extérieurement, imposé toujours, et heureusement pas toujours accepté, n'est pas seulement la couche superficielle de nos existences, un plus par rapport à d'autres civilisations. Il en est une caractéristique-clé, un élément du rythme de nos vies. Le paysage publicitaire par exemple en vient à passer inaperçu tant il est omniprésent, à devenir "naturel" (on se demande comment on pourrait se passer de toutes ces couleurs...) et il le réussit d'autant mieux qu'il passe dans notre inconscient, exclu de toute réflexion sur le monde et nous lorsque nous en avons une. A chaque génération, cet environnement de son et d'image se fait plus prégnant et fait dangereusement consensus. Hier la télévision et la radio, aujourd'hui, encore plus près de nous (certains ne nous quittent jamais, et parfois restent la nuit...), le "smartphone", le "portable", un quasi pseudopode de notre corps, rendu de plus en plus indispensable dans la vie quotidienne comme dans la vie professionnelle. Celui qui ne se promène pas tous les jours n'importe où avec le portable dans sa poche, avec les écouteurs aux oreilles, avec le casque parfois si démesurément gros qu'il ressemble à un certain objet exhibé fièrement dans les civilisations dites "primitives" (devenez ce que c'est...), est regardé comme un animal curieux, surtout s'il s'aventure à lire du papier...

    Il ne s'agit pas seulement de constater cette omniprésence, il faut aussi comprendre comment cet environnement artificiel, qui se superpose jusqu'à l'effacer l'environnement naturel, agit sur notre inconscient et notre conscience, sur nos capacités sensorielles et cognitives. L'homme (et la femme, sans oublier l'enfant) d'aujourd'hui serait-il plus intelligent, plus fort, plus "cool" que celui d'autrefois, pauvre créature dépourvue de tous ces appareils si précieux? Bien des éléments permettent d'en douter... Outre le fait de confier à des machines une partie de notre mémoire, outre l'habitude de ne plus réellement compter mais de taper sur des touches (et demain de prononcer des additions, des soustractions, des multiplications et des divisions...), outre également le fait de confier des tâches de plus en plus compliquées à des robots (encore sans visage, mais ça va venir...)... et d'oublier comment on les réalise sans machines, des enquêtes mentionnent des pertes de capacité cognitives chez les enfants comme chez les adultes et d'autres enquêtes montrent comment les résultats scolaires peuvent être manipulés, camouflant des performances de moins en moins bonnes (à coup de directives ministérielles notamment...), même si elles ne sont pas confirmées pour l'instant, étant trop parcellaires....

A l'âge d'or de la télévision, au moment où les émissions rassemblaient non des centaines de milliers de personnes devant leur écran, mais des dizaines de millions, déjà des voix s'élevaient sur les risques encourus par les élèves d'y veiller trop tard ou d'y demeurer trop longtemps... Maintenant, le phénomène s'accroit avec la multiplication des écrans de toutes tailles, et il serait intéressant de recenser tous ces articles, toutes ces études, qui indiquent une tendance à la réduction des capacités d'attention des enfants en classe, mais également des adultes qui multiplient les gestes étourdis dans toutes les occasions de la vie quotidienne et professionnelle (le nombre d'accidents étant une donnée à rechercher)

  L'apparition de ces machines-mémoire et machines audio-visuelles constituent un fait de civilisation sans précédent, une révolution, qui sans doute, pour rechercher un équivalent dans le temps, est analogue à celle qui a vu l'apparition de l'écriture. Le passage d'une tradition orale, où les connaissances se transmettent de bouche à oreille, à une tradition écrite, où celles-ci passent de main en main, avec des procédés qui deviennent ensuite de plus en plus performants et plus complexes, a provoqué des bouleversements dans tous les domaines des relations sociales. Et nul ne doute, que la socialité change avec tous ces visiophones, smartphones et consorts... Ce passage de l'écrit à l'audio-visuel n'est pas encore terminé et rien ne dit qu'il ira jusqu'au bout de sa logique, car les supports de ce passage sont fragiles et dépendent, en dernier ressort, de la qualité de l'électricité qu'ils utilisent... Mais d'ores et déjà, ne faut-il pas réévaluer les apports de l'écrit et de l'audio-visuel dans la communication comme dans le transfert de connaissances?

    Alors que le livre permet les pauses, les retours en arrière, le surlignage, la prise des notes, de façon relativement faciles, cela est déjà plus compliqué avec les instruments mis à notre disposition. Qui n'a pas pesté contre les difficultés rencontrées à l'usage des liseuses électroniques? Par ailleurs, la fatigue oculaire entre la lecture des écrits et celle des pixels est sans commune mesure, ladite fatigue a une relation immédiate avec l'attention et l'intégration des données dans notre mémoire. L'écrit permet de fixer, figer, l'attention bien mieux que le pixel (qui est et reste une vibration, n'oublions pas). De plus, si le support papier a contre lui le gaspillage de la ressource en arbres (ce qui peut se solutionner par la rationalisation de l'usage de cette ressource, et la marge reste grande vu les grandes déperditions actuelles), la fabrication des objets électroniques est aussi facteur de pollution (utilisation des "terres rares") et reste à ce jour énergivore... En terme en fin de compte de civilisation, il est temps de réévaluer les rapports de l'écrit et de l'audio-visuel... Ces appareils électroniques constituent en fin de compte de véritables écrans médiateurs qui s'opposent à la relation directe de personne à personne.

Non que dans notre esprit, il faille renoncer à l'informatique et à Internet (que nous utilisons beaucoup du reste), mais il faut revoir la part dans le travail global entre l'écrit et la frappe du clavier, mais surtout entre la lecture de ce qui est écrit et le visionnage de ce mélange d'images et de lettres que l'on veut nous imposer tous les jours. Car, ce qui importe plus, ce n'est pas au niveau de la production de l'écrit, mais du mixage entre images et textes, mixage qui laisse la part la plus belle en fin de compte aux images, plus frappantes qu'un discours, mais moins propice à réflexion, et partant à critique et à contestation. Quoi qu'on fasse, notre physiologie fait que nous accordons plus de crédit à une image qu'à un texte, l'image de plus retentit directement sur notre affect.

Il n'est pas indifférent que, dans nos sociétés, nous mettons plus l'accent sur la réalisation de passions que sur l'effort pour parvenir à la Raison. C'est sans doute toute la tradition des Lumières qui est mise en cause par cette glorification de la passion, comme si l'individu ne pouvait se "réaliser" qu'en assouvissant ses passions. Les chemins culturels qui mêlent cette glorification des passions et l'exacerbation de l'esprit individuel, lequel est mis en concurrence perpétuellement à ses semblables, sont pleins de dangers pour l'humanité. Ce n'est pas pour rien que toute une tradition philosophique insiste pour que s'établisse le règne de la Raison, même si par ailleurs, d'autres courants ont insisté pour briser bien des désirs (on pense là aux puritanismes de toutes origines...). La recherche du plaisir des sens n'aboutit pas forcément à la découverte du bonheur. Et si nous suivons encore cette voie vers l'automatisation de bien des processus d'acquisition des connaissances, comme de communications, comme également à la réalisation de tous les désirs - une même technologie pouvant faire tout cela - nous risquons bien des déconvenues...

 

RAGUS

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