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29 mai 2019 3 29 /05 /mai /2019 11:19

    Pionnier de la stratégie nucléaire, un peu oublié aujourd'hui par les dictionnaires de stratégie, sans doute parce que beaucoup estiment disparues les menaces des armes atomiques pourtant encore présentes en grand nombre sur notre planète, le stratégiste américain Herman KAHN est l'un des plus célèbres et controversés dans les années 1950 et 1960. A l'égal d'Henry KISSINGER, dans son propre domaine, il contribue à la formation de la doctrine de défense des États-Unis. Il incarne à cette époque et auprès du grand public, la dimension irraisonnée de la guerre nucléaire.

 

Théories sur la guerre froide

    Physicien de formation, Herman KHAN fait partie, à partir de 1948, de l'équipe de la RAND Corporation, en Californie, chargée de repenser la guerre avec les outils modernes de la science et des mathématiques. Il participe à l'élaboration de la bombe H thermonucléaire avant de se consacrer aux problèmes stratégiques. Il combine ses connaissances scientifiques et stratégiques dans l'élaboration, toute théorique, d'une machine de guerre, la Doomsday Machine (machine du jugement dernier), ordinateur surpuissant relié à l'arsenal nucléaire et capable de répondre à une provocation des Soviétiques par une attaque nucléaire massive. Il n'abandonne pas complètement cette idée, bien qu'il soit ridiculisée par la plupart des observateurs, et consacre plutôt son énergie à étudier les différentes étapes de l'escalade nucléaire et à envisager les scénarios de guerre possible, depuis la guerre limitée jusqu'à la guerre nucléaire totale. Il souligne par ailleurs la nécessité de contrôler toutes les étapes de l'escalade. Cette maîtrise de l'escalade nucléaire est fondée sur la possession d'une capacité de première frappe crédible, fondement de toute stratégie nucléaire.

     Herman KAHN s'impose par les multiples stratégies qu'il imagine, en s'appuyant sur la théorie des jeux, et est considéré comme le père de l'analyse par scénarios.

    Il imagine de multiples scénarios, au cours de la guerre froide, d'abord pour s'opposer à la théorie des représailles massives de l'administration Eisenhower durant les années 1950, qui prévoyait, entre autres, une riposte atomique à toute attaque armée venant de l'URSS. Cette théorie du "tout ou rien" mène pour lui à la paralysie et il propose au contraire des ripostes graduées tenant compte de différentes sortes d'attaque  de l'ennemi des États-Unis, souples utilisations d'un arsenal nucléaire diversifié.

 

 

Entre influence dans le système de défense et provocations publiques

    Il publie ses théories en 1960 dans un ouvrage, On Thermonuclear War, qui a un immense succès et dans lequel il introduit un nouveau vocabulaire pseudo-scientifique destiné à lever le voile sur la réalité de la guerre nucléaire. En effet, il n'hésite pas à soulever des problèmes délicats et même à en créer. L'un des chapitre du livre - que nous recensons par ailleurs, est intitulé "Les survivants auront-ils à envier les morts?"... Fort du succès de son livre (de par même les critiques), après avoir fondé son propre institut de recherchen il publie un autre livre, au titre inquiétant, Thinking the Unthinkable (Penser l'impensable) en 1962, préfacé par Raymond ARON, et qui constitue une réponse aux nombreuses critiques reçues après la parution de son premier livre. Dans ce nouvel ouvrage, il n'hésite pas, encore une fois, à aborder candidement tous les aspects de la guerre thermonucléaire, depuis ses causes jusqu'à ses conséquences. Il y analyse la dissuasion aussi bien que les divers scénarios de guerre, et les stratégies d'attaque, de défense et de survie. Il propose un escalier nucléaire de 16 paliers (qu'il augmente à 44 dans un ouvrage ouvrage, On Escalation (De l'escalade) en 1965) et analyse les diverses techniques de négociation. Tous ses livres consistent en un savant mélange d'idées éparses, en vogue à son époque, et qu'il sait regrouper en un ensemble plus ou moins cohérent, mais toujours provocant. On ne peut pas savoir, d'ailleurs, à la lecture de ses livres, ce qui est retenu réellement, au-delà des positions officielles, par les responsables de la défense.

    C'est surtout à travers l'Institut Hudson, fondé en 1961 avec Max SINGER et Oscar RUEBHAUSEN, laboratoire d'idées qui devait rassembler plusieurs auteurs et hommes d'influence pour peser sur les orientations du gouvernement. Mais, face aux critiques auxquelles il tente de répondre par Thingking About the Unthinkable (1965) et De l'escalade (1965) sous parvenir à convaincre. De 1966 à 1968, au plus fort de la guerre du VietNam, il s'oppose comme consultant du Department of Defense aux partisans d'une négociation directe avec le Nord-VietNam, car la seule réponse américaine possible est l'escalade, en conseillant l'armement et la formation de milices contre-révolutionnaires (la "vietnamisation").

      Il se tourne ensuite vers la futurologie tout en se tenant au courant des dernières innovations technologiques et des évolutions en matière de stratégie. Il est l'un des premiers à soulever le problème de la prolifération atomique et à en étudier les divers scénarios de manière systématique. (BLIN et CHALIAND).

Il publie en 1967, notamment avec Anthony J. WIENNER et d'autres membres de l'Institut Hudson, L'an 2000, un canevas de spéculaitions sur les 32 prochaines années. il récidive dans le domaine de la prédiction, confiant aux capacités du capitalisme et de la technologie, sources de progrès illimités, en 1976 dans The Next 200 Years. Parmi les divers ouvrages qu'il consacre à la systémique, Techniques in System Theory connait une large diffusion.

  

Un anti-stratège?

    A l'image de la stratégie nucléaire qui devient, sous certains aspects, une antistratégie, Herman KHAN est un antistratège, qui tout oppose aux grands théoriciens militaires qui le précèdent. Tourné vers l'avenir plutôt que vers le passé, il privilégie la technologie par rapport à la stratégie et à la politique. Ayant acquis son expérience de la guerre dans un laboratoire plutôt que sur un champ de bataille, il puise la source de son inspiration dans la science et les mathématiques plutôt que dans une étude approfondie de l'Histoire. Sa pensée ne résiste d'ailleurs pas à l'épreuve du temps et elle ne survit que comme symbole d'une certaine époque et d'une certaine approche de la stratégie. Aujourd'hui, les divers scénarios qu'il projetait pour l'avenir paraissent désuets et dénués de jugement politique. cependant, il a le mérite de poser un certain nombre de problèmes liés à la guerre nucléaire, et il est l'un des premiers à véritablement "penser l'impensable". (BLIN et CHALIAND)

 

Herman KAHN, L'escension japonaise - Naissance d'un super-État, Laffont, 1971 ; L'an 2000, la bible des 30 prochaines années, Marabout Université, 1972 ; On Thermonuclear War, 1960 ;  (dont on trouve un large extrait dans Anthologie mondiale de la stratégie, Sous la direction de Gérard CHALIAND), Laffont, collection Bouquins, 1990) ; Thinking about the Unthingkable, 1962.

John BAYLIS et John GARNETT, Makers of Nuclear Strategy, New York, 1991. Fred KAPLAN, The Wizards of Aemageddon, New York, 1983.

 

   

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