Si la désobéissance civile n'est plus cantonnée depuis longtemps aux questions de défense ou de pouvoir politique, dans le fil droit des réflexions de THOREAU, et s'est étendue aux questions les plus diverses (l'objection de conscience morale - contre l'avortement par exemple ou les vaccinations, menant directement à la désobéissance à la loi), elle s'étend considérablement depuis que de nombreux citoyens découvrent l'urgence climatique. Il ne s'agit plus là de s'opposer à des actions gouvernementales ou à l'application de certaines lois, mais de tenter de retourner une conjoncture climatique très défavorable au développement de la vie telle que nous la connaissons. Concrètement, au-delà de la désobéissance à des lois - nécessaire à partir du moment où des actions sont entreprises en direction de tout de qui provoque ces changements - il s'agit de changer des orientations fondamentales en matière économique et partant, sociale.
C'est tout un mode de vie que cette désobéissance civile - souvent orientée vers les facteurs et les acteurs des diverses pollutions et augmentation des gaz à effet de serre - met en cause. Et aussi, les nouveaux acteurs de cette désobéissance civile prennent acte qu'il n'est plus possible d'attendre un changement venant du système lui-même : ils invitent ainsi à réaliser une révolution dans nos manières d'être et d'agir, dans notre rapport à l'environnement et à la nature. Non seulement au niveau individuel (si l'on reste à ce niveau, l'effet est très limité voir nul), mais surtout au niveau collectif.
Pour de plus en plus nombreux, l'urgence de la situation - l'enjeu n'est ni plus ni moins que la survie de l'espèce humaine - exige une désobéissance civile massive et sans compromis. Si les acteurs de cette désobéissance civile dans le monde présentent un ensemble assez disparate de revendications et d'exigences (de la défense du droit des animaux, du végétalisme anti-viande à l'interdiction des essais nucléaires ou/et de l'énergie nucléaire...), celles-ci convergent bien vers une contestation radicale de la forme de civilisation mise sur les rails avec les vagues d'industrialisation du XIXe siècle. Il faut d'ailleurs souligner que les acteurs principaux du système en cause - médias dominants, financiers internationaux, gouvernants soucieux de compter leurs sous alors que la maison brûle - le comprennent bien. Ils réagissent avec tout le poids de leur système judiciaire et policier, avec une disproportion de moyens révélatrice d'une certaine panique...
Sans doute deux types de désobéissance civile sont-elles en train d'émerger en force dans de nombreux pays, à propos de l'urgence climatique.
L'une, spectaculaire et largement commentée dans la presse, en cette année 2019 - par exemple cette action dans plus de 1600 villes de 120 pays où des milliers de personnes sont descendues dans la rue, en même temps, le 25 mai - et l'autre plus rampante et diffuse à l'ensemble des secteurs économiques et présente dans maints secteurs (scolaire, administratif, voire financier), qui entraine l'échec de nombreuses activités du capitalisme parfois sauvage qui sévit actuellement dans le monde.
La nécessité pour beaucoup de se montrer, afin de peser directement sur les choix politiques publics ou privés en matière économique notamment, afin d'entraver maintes pollutions et atteintes à l'environnement, va probablement devenir une variable sur laquelle seront obligés de compter gouvernants de toute sorte (publics et privés), les différents blocage de l'information au niveau des médias ne parvenant plus à étouffer les voix de plus en plus nombreuses et influentes qui s'élèvent contre le massacre de la nature, support de vie et de toutes les activités.
Au nombre d'initiatives - qui restent souvent légales - se développent des recours juridiques contre les États qui ne respectent ni les lois nationales protectrices en vigueur ni les règlements internationaux, et à l'intérieur des États, des initiatives citoyennes juridiques comme L'Affaire du siècle en France. Mais, d'ores et déjà, devant la lenteur et les limites de ces recours, les mêmes citoyens ont tendance à mener parallèlement moyens légaux et illégaux afin de faire plier tout un système fondé notamment sur la production et la distribution de carburants porteurs d'effet de serre... Nés juste avant la COP 21, des mouvements citoyens Alternatiba et Action Non-Violente COP21, Greenpeace, Les Amis de la Terre, tentent de créer un mouvement de masse populaires, non-violent et déterminé pour le climat. Il est encore difficile de trouver les leviers de ce mouvement de masse, à l'heure où les élections (nationales ou européennes) ne capitalisent rien de décisif de ces combats écologiques, et les actions sont encore celles de "coups", plus ou moins médiatiquement répercutés. C'est qu'au-delà des rhétoriques sur les nécessaires changements sociaux et le remplacement du capitalisme par un autre système (mais on n'ose plus parler de révolution socialiste...), il s'agit de changer radicalement de mode de vie, avec l'obligation de renoncer à certains conforts et certaines habitudes consuméristes (consommation d'énergie - ne serait-ce que par abus d'Internet! - et de circulation des biens et des personnes par exemple), d'opérer ce que d'aucuns pourraient percevoir comme une régression des conditions de vie. Et cela, les migrations automobiles estivales le montrent encore amplement dans tout l'Occident et même de plus en plus en Chine et dans d'autres pays, les populations en général, ne sont pas près à l'assumer, la préférence allant nettement de comportements passifs type après-moi-le-déluge, au sentiment d'impuissance non seulement collective mais également individuelle...
Par ailleurs, nombre de responsables à tous les échelons de la société, commencent à réaliser des "grèves du zèle" en série qui pèse de plus en plus lourdement sur la réalité des politiques politiques et privées - nonobstant une publi-information persistante qui clame des progrès toujours renouvelés. De l'agent administratif, qui, face à sa pile de dossiers qui s'accumulent du fait même des compressions de personnels, choisit les moins nocifs ou les plus anodins au responsable local qui ignore délibérément directives et décisions nocives, se multiplient les actes - avec de sérieux retards d'information des actions de ceux-ci par les responsables - qui bon an mal an, oriente la société vers le recul du moment où les équilibres écologiques seront si perturbés qu'ils ne pourront supporter la vie telle que nous la connaissons. Aux États-Unis, par exemple, nombre d'États ou de comtés, parfois illégalement, prennent le contre-pied des politiques énergétiques de l'administration fédérale. Mais il reste que les habitudes d'obéissance à la loi, même parmi les responsables les plus motivés, freinent nombre d'initiatives, d'autant que le système économique s'attache - encore, mais une crise pourrait changer radicalement cette donne - toutes les classes moyennes de tous les continents, idéologiquement et économiquement.
Le sentiment montant de l'opinion publique, grâce aux multiples efforts d'information sur la réalité des changements climatiques et surtout la multiplication des désastres écologiques, est que même les politiques très progressives (et très lentes, vu les réticences des consommateurs et des industries) de transition énergétique ne suffiront pas à inverser la tendance. Il faudra bien, à un moment ou à un autre, sous peine d'extinction, qu'un changement radical (et malheureusement de plus en plus brutal au fur et à mesure qu'on éloigne les mesures nécessaires aujourd'hui) intervienne, probablement par l'émergence d'une nouvelle civilisation où valeurs et activités diffèreront autant qu'elles ont différés entre période pré-industrielle et période industrielle/post-industrielle... Il est vrai qu'une toute petite minorité (mais diffuse dans les organisations internationales...) estime qu'il est déjà trop tard (en fait les changements économiques auraient déjà dû se produire dans les années 1950, à l'époque des premières sévères avertissements), et s'entraine déjà, comme Yves COCHET, à l'après ère industrielle... Ce dernier, ex-député européen et ministre de l'environnement de Lionel JOSPIN, se réclame de la collapsologie ; il estime que l'humanité n'existera plus en tant qu'espèce en 2050, et parmi les personnalités qui tirent régulièrement la sonnette d'alarme, tels ces 200 pour sauver la planète, certains estiment qu'il est temps de se préparer à une grande contraction de l'espèce humaine. sans pour autant adopter le comportement - violent- de survivalistes américains - lesquels se sont habitués à se préparer à la survie à toutes sortes de fin du monde.
C'est sans doute dans les jeunes générations que se préparent des bouleversements sociaux - lesquels demandent de plus en plus de comptes aux adultes, qui les obligent à étudier (pourquoi faire?) sans remettre en cause les comportements destructeurs de la nature. Elles sont sans doute plus sensibles que les autres à l'extinction massives d'espèces à laquelle nous assistons, dans cette sorte d'atmosphère générale - entre déni de la réalité et attitudes d'impuissance.
Pablo SERVIGNE et Raphaël STEVENS, Comment tout peut s'effondrer, Seuil, 2015. Yves COCHET, Devant l'effondrement, Les liens qui libèrent, à paraitre en septembre 2019.Blogs.mediapart.fr/alternatiba, Changeons le système, pas le climat, 2019.
GIL