Sociologue, politologue et philosophe française de tendance marxiste d'origine grecque, Nicos (ou Nikos) POULANTZAS, avec les influences particulières d'Antonio GRAMSCI et de Louis ALTHUSSER travaille surtout les questions du pouvoir politique.
Après des études de droit en Grèce durant les années 1950, actif dans le mouvement étudiant (il rejoint l'Alliance démocratique grecque - EDA, organisation émanant du Parti communiste grec alors interdit), il vient en France en 1960. Il y obtient un doctorat en philosophie du droit (publié dans Nature des choses et droit, essai sur la dialectique du fait et de la valeur). Influencé d'abord par Jean-Paul SARTRE, Georg LUKACS et Lucien GOLDMAN, il se détourne progressivement de ces approches jugées "historiques" et se rapproche de Louis ALTHUSSER et de la mouvance structuraliste, qu'il ne rejoindra cependant jamais complètement, avant de l'abandonner dans les années 1970, jugeant ses premiers travaux "théoricistes".
Professeur à l'Université Paris 8, en sociologie (de 1968 à sa mort), il est membre du Parti Communiste grec durant les années 1960 et après la scission intervenue en 1968 à la suite de l'établissement de la dictature, du Parti communiste grec de l'intérieur.
Ses travaux renouvellent et approfondissent considérablement ceux de MARX, LÉNINE, GRAMSCI et WEBER et portent notamment sur le rôle complexe et multiple de l'État dans les sociétés occidentales, les caractéristiques de la "nouvelle petite bourgeoisie', la problématique de la division du travail intellectuel/travail manuel. Il opère une distinction fondamentale entre l'appareil d'État et le pouvoir d'État et veut mettre en lumière les multiples fonctions dudit État ainsi que les rapports de force et les contradictions qui s'y manifestent. Ses travaux sont publiés chez Maspéro : Pouvoir politique et classes sociales de l'État capitaliste, 1968 et Fascisme et dictature, la IIIe Internationale face au fascisme, 1970 et aux Éditions du seuil : Les classes sociales dans le capitalisme aujourd'hui, 1974.
Pour Nicos POULANTZAS, l'État capitaliste est distinct de l'instance économique mais agit constamment sur elle. L'État est dirigé par un "bloc au pouvoir" composé de différentes fractions des classes dominantes, ce bloc assurant son hégémonie en parvenant à travers des compromis avec les autres classes et fractions de classes, ainsi qu'à l'aide des Appareils idéologiques d'État (AIE)
Vers la fin des années 1970, après la chute des dictatures portugaises (1974), grecque (1974), espagnoles (1978), il tente d'esquisser les contours théoriques d'une voie originale vers un socialisme démocratique, proche des conceptions de l'eurocommunisme. En même temps, il développe avec le concept d'étatisme autoritaire une analyse des mutations sécuritaires des États démocratiques occidentaux. Ses contributions sur ce thème ont été recueillies après da mort dans Repères et sont précisées de façon plus systématique dans L'État, le pouvoir, le socialisme, ouvrage marqué par l'influence des travaux de FOUCAULT. Il ne peut continuer dans cette voie, se suicidant en octobre 1979.
Lorsqu'il publie en 1968 son livre Pouvoir politique et classes sociales, il n'est pas exagéré de dire qu'il n'y a pas en France de véritable théorie marxiste de l'État. Les esprits exigeants doivent se contenter de quelques textes de GRAMSCI et de quelques commentaires sur les classiques de la théorie de l'État. C'est apparemment un livre bardé de références dogmatiques, formulé dans une langue rébarbatives (encore plus de nos jours...), mais en même temps plein de vigueur juvénile et qui bouscule les règles établies. Nicos POULANTZAS est à l'époque, très profondément influencé par Louis ALTHUSSER, mais il ne développe pas pour autant la pensée d'un maître ; il part, en réalité, à l'aventure, un peu comme s'il s'enivrait de découvertes qu'il est très difficile de maîtriser et qu'il fait à cause de cela, emprisonner dans une terminologie familière et bien connue. On peut, bien entendu, critiquer sévèrement l'importance qu'il attribue alors aux définitions et aux classifications, à la taxonomie. On ne doit pas oublier que cet ouvrage permet à beaucoup de rompre, à ce moment-là, avec un marxisme simpliste, qui ne voit dans l'État que l'instrument de la classes dominante et dans la politique qu'une manipulation. Jean-Marc VINCENT, dans la lancée de cette présentation, estime que Nicos POULANTZAS est beaucoup plus loin du structuralisme qu'on ne l'a dit. Son livre Fascisme et dictature, de 1971, le montre bien. Il s'intéresse de très près aux processus qui ont mené les fascistes italiens et les national-socialistes allemands à prendre le pouvoir. Dans cet ouvrage, il fait preuve d'une très grande sensibilité aux évolutions des rapports de force entre les classes et aux glissements politiques et idéologiques qu'on observe comme conséquences directes des affrontements entre les grandes organisations représentatives des couches opprimées et de la bourgeoisie. La politique pour laquelle il se passionne n'est certainement pas le reflet de l'économie et des rapports économiques ; elle est, au contraire, la réaffirmation toujours renouvelée de la lutte des classes ; elle est faite d'une suite d'interventions qui bouleversent des relations apparemment très établies et cristallisées. On peu dire que la théorie de Nicos POULANTZAS se centre autour de la contradiction entre les déterminismes sociaux structuraux et l'innovation latente, et porteuse d'avenir, des conflits de classe. Dans cet esprit toujours, il n'y a pas de pire adversaire du marxisme authentique que l'économisme, qui résume toutes les conceptions fatalistes de l'histoire et toutes les conceptions déterministes de la société. Pour lui, le caractère irrésistible des processus économiques auxquels les hommes d'aujourd'hui sont confrontés, particulièrement dans un contexte de prolifération des sociétés multinationales et de désordres monétaires internationaux, ne renvoie donc pas à une loi d'airain du devenir social, mais à un certain agencement des rapports de classes, à des dispositifs favorables, dans une conjoncture donnée, à la classe dominante.
La domination de l'État, sa suprématie apparente dans tous les débats qui secouent la société ne sont pas le fait d'une entité maîtresse d'elle-même, d'une sorte de démiurge qui ferait face consciemment aux problèmes qu'il doit affronter. Ils sont plutôt l'expression d'un fonctionnement aveugle : l'État capitaliste contemporain est tout autant dirigé qu'il dirige. Comme dit POULANTZAS dans son dernier ouvrage L'État, le Pouvoir, le Socialisme (1978), l'État est de nature relationnelle. IL exprime et traduit des relations sociales complexes au niveau global, ou plus précisément national, sans qu'on puisse dire qu'il s'impose comme l'organisateur véritable de la société. Il est condensation, matérialisation des rapports de force entre les classes. En d'autres termes, on est bien en présence d'une immense machinerie, mais d'une machinerie qui n'a pas en elle-même ses forces motrices ni son principe de fonctionnement. L'État doit donc être désacralisé et débarrassé de tous les investissements idéologiques qui en font un instrument privilégié de conservation ou de transformation de la société.On ne peut évidemment ignorer des phénomènes tels que le nazisme et le stalinisme, qui sont l'irruption d'une sauvagerie étatique rationalisée ; mais ils doivent être replacés dans le cadre de modifications radicales des rapports de classe, alors même qu'ils semblent précéder celles-ci, voire les mettre en oeuvre de façon paroxystique. Il en découle logiquement qu'on ne doit pas simplifier - comme le fait une partie de la tradition marxiste (et là on ne peut s'empêcher de penser que l'oeuvre de Louis ALTHUSSER est visée, et notamment tout ce qui tourne autour de l'Appareil Idéologique d'État...) - le problème de la disparition ou du dépérissement de l'État, (comme la question de sa pérennité d'ailleurs...). La métaphore de la destruction de l'appareil d'État ne doit pas nous conduire à oublier que la lutte pour faire régresser la part de la coercition politique dans les rapports sociaux ne saurait s'épuiser dans la destruction de certaines institutions étatiques. Il faut, en réalité, qu'il y ait concomitance des transformations politiques et des transformations sociales, dans un contexte général d'extension de la démocratie. (Jean-Marie VINCENT)
Pour Jean-Marie VINCENT, l'oeuvre prématurément interrompue de Nicos POULANTZAS se clôt sur une mise en question très claire du dogmatisme et sur une invite à ne pas se laisser prendre dans les filets de l'étatisme.
L'oeuvre de Nicos POULANTZAS est beaucoup moins visitée et commentée que dans les années 1970, sans doute parce qu'elle paraît discuter de dictatures aujourd'hui dépassées - du moins en Europe - que l'est celle par exemple de Louis ALTHUSSER. Sans doute parce qu'elle est moins obsédée par la question de la conquête de l'État et du pouvoir qui apparait encore comme nostalgie tenace chez beaucoup d'auteurs marxistes, et plus "événementielle" (quoique...) que d'autres. Ses oeuvres semblent appartenir à une autre époque, celle où nombre de forces politiques et sociales pensaient possibles d'autres conquêtes démocratiques à travers l'action de l'État.
Sans être oubliée, cette oeuvre ne fait pas l'objet de beaucoup de productions éditoriales. Pourtant, elle pose la question des formes d'État par rapport aux configurations des rapports entre classes sociales. Cette question reste actuelle, même si les pouvoirs d'État se trouvent concurrencés sur bien des plans par des sociétés privées multinationales, qui ne quittent pourtant pas des yeux les perspectives des leviers politiques, économiques, idéologiques qu'ils offrent encore à leurs propres stratégies.
Nicos POULANTZAS, Nature des choses et droit, essai sur la dialectique du fait et de la valeur, Librairie général de droit et de jurisprudence, 1965 ; Pouvoir politique et classes sociales de l'état capitaliste, Maspéro collection Tetes à l'appui, 1968, Petite Collection Maspéro, 1971 ; Fascisme et dictature, la IIIe Internationale face au fascisme, Maspéro, collection Texte à l'appui, 1970, Éditions du Seuil, 1974 ; La crise des dictatures : Portugal, Grèce, Espagne, Maspéro, 1975 ; Les classes sociales dans le capitalisme aujourd'hui, Éditions du Seuil, 1974 ; L'État, le pouvoir, le socialisme, PUF, 1978, Les Prairies ordinaires, 2013 ; Repères, hier et aujourd'hui, : texte sur l'État, Maspéro, 1980.
Sous la direction de Christine BUCI-GLUCKSMANN, La Gauche, le pouvoir, le socialisme : hommage à Nicos Poulantzas; PUF, 1983.
Jean-Marie VINCENT, Nicos Poulantzas, dans Encyclopedia Universalis, 2014.